L’exercice de la psychologie en libéral : entre idéal et désappointements

DOI : 10.35562/canalpsy.2582

p. 4-5

Plan

Texte

L’installation en libéral, pour des raisons historiques probablement – la psychanalyse étant née en cabinet – a souvent exercé une forte attraction sur nos collègues psychologues. Mais évaluer l’effectif de ceux qui franchissent le pas s’avère extrêmement difficile : l’exercice libéral est parfois officiel, mais aussi officieux. En effet, des thérapeutes reçoivent des patients sans pour autant passer par une « déclaration ». Ils attendent pour voir. Certains vont sortir de cet entre-deux, d’autres vont s’y « installer », prenant sur eux de travailler en dehors de la légalité.

Si l’on s’en tient à ceux qui officialisent l’ouverture de leur cabinet, l’ampleur du phénomène reste difficile à évaluer car il n’existe pas de source d’information statistique permettant de savoir combien de psychologues exercent en libéral en France. On peut essayer de s’en faire une idée approximative grâce à la liste professionnelle du Minitel. Ce dénombrement empirique donne un total de 3 000 psychologues exerçant en libéral sur le territoire métropolitain.

Cela est à la fois très peu, si on compare cet effectif à celui du corps médical indépendant, mais c’est déjà un nombre important si l’on considère qu’il vient tout à fait étayer dans la réalité, l’idée d’un corps de psychologues accessible au grand public dans une démarche libre et directe.

Un accès protégé

La légalisation du titre de psychologue par la loi du 25 juillet 1985 a donné un regain de légitimité à l’ensemble de la profession mais particulièrement aux psychologues libéraux puisque désormais, personne ne peut plus « apposer sa plaque » sans posséder l’un des diplômes qui donnent droit au titre de psychologue. Celui qui passerait outre s’exposerait à des poursuites judiciaires pour usurpation de titre. Rappelons au passage que le titre de psychothérapeute ne fait l’objet d’aucune protection légale. On peut supposer que certains praticiens, installés à l’origine comme psychologues et n’ayant pas obtenu le titre (par un diplôme qualifiant ou par le biais des commissions régionales d’habilitation) ont modifié l’intitulé de leur cabinet, de psychologue en psychothérapeute, pour rester dans le cadre de la légalité. Mais ce phénomène reste probablement marginal.

Bien que cet article ne soit pas consacré à cette question, nous manquerions à nos convictions si nous omettions de rappeler que la loi de 1985 reste très imparfaite puisque ses décrets d’application autorisent des diplômes dérogatoires (Diplôme d’État de Psychologue Scolaire et Diplôme d’État de Conseiller d’Orientation Psychologue) de niveau inférieur au DESS. Il faut néanmoins lui reconnaître d’être une première étape qui assainit la profession et accroit sa crédibilité, tout particulièrement en ce qui concerne l’exercice libéral.

Du désir à sa réalisation : l’élaboration du projet

L’ouverture d’un cabinet fait entrer le psychologue dans la catégorie des travailleurs indépendants. Une réflexion approfondie doit intégrer les éléments actuels, professionnels et personnels du psychologue : a-t-il déjà une activité salariée qu’il gardera ? Quelle est sa situation fiscale, sa situation familiale ? Chaque cas est un cas particulier. Le plus souvent, le maintien d’une activité salariée partielle sera le moyen de faire face aux échéances dans la période de démarrage du cabinet. Au bout de combien de temps l’activité libérale peut-elle être rentable ? Deux ou trois années sont souvent nécessaires mais on voit parfois des cabinets qui « tournent » très rapidement.

L’élaboration du projet portera aussi sur le type des interventions que le psychologue se propose d’effectuer : consultation, examen psychologique, entretien d’aide ou de soutien, psychothérapies, recrutement, formation… C’est toute la question de la compétence du psychologue, de ses motivations, de ses orientations théoriques et méthodologiques. Il est certain que la formation universitaire confère la compétence initiale mais elle ne saurait dispenser de formations complémentaires ou de la formation continue, sous quelque forme que ce soit.

À ces éléments s’ajoute la détermination du lieu d’implantation, vecteur d’une clientèle potentielle. S’installer dans une métropole régionale pléthorique en psychologues installés, n’est peut-être pas le meilleur choix pour un jeune professionnel qui débute… Des villes plus modestes, démunies ou peu pourvues en psychologues libéraux, peuvent offrir de meilleures perspectives. Il faut aussi savoir qu’une fois le cabinet lancé, il n’existe pas de fidélisation de la clientèle – lorsqu’une thérapie est terminée, les gens ne reviennent pas – ni de renouvellement automatique ou régulier.

Le candidat à l’installation doit aussi évaluer l’importance des frais qu’il aura à assumer. Le coût d’une installation est loin d’être négligeable : frais liés au local professionnel, achat du matériel éventuel (mobilier, équipement de bureau, tests…), avance de trésorerie permettant de vivre avant que les rentrées d’argent ne permettent de dégager des ressources, cotisations sociales obligatoires : URSSAF, CIPAV (Caisse Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Assurance Vieillesse), Caisse d’Assurance Maladie des Professions Libérales, etc. Sur le plan de la fiscalité, il faut aussi prévoir l’assujettissement à la taxe professionnelle, le paiement de l’impôt sur le revenu avec le choix d’un mode d’imposition. Des cotisations sociales non-obligatoires peuvent s’ajouter pour une meilleure couverture des risques maladie ou accident. Une assurance responsabilité professionnelle est toujours recommandée. Grâce aux démarches entreprises en 1979 par le SNP, les prestations des psychologues sont exonérées de la TVA sous certaines conditions. Il est nécessaire, d’une part que leur diplôme professionnel soit orienté vers la psychopathologie ou la psychologie clinique, d’autre part qu’ils effectuent des actes liés à l’établissement d’un diagnostic ou la mise en œuvre d’un traitement. En revanche, « ils devront être soumis au paiement de la taxe lorsqu’ils effectuent, pour le compte d’entreprises, de collectivités ou de particuliers, des actes psychologiques destinés au recrutement et à la sélection de personnels, aux expertises psychotechniques, à l’organisation du travail. »

Précisons que la notion de « traitement psychologique » ne signifie en rien que le psychologue clinicien doive, pour entrer dans ce cadre, entreprendre la thérapie sur prescription médicale ou l’effectuer sous contrôle d’un médecin ! L’autonomie technique du psychologue doit rester entière même si certains patients peuvent lui être adressés par un tiers.

Les psychologues, s’ils sont souvent des acteurs du champ professionnel de la santé, n’appartiennent en effet ni aux professions médicales, ni aux métiers paramédicaux. Ils ont d’ailleurs le droit de faire de la publicité. Le cas échéant, ce chapitre devra aussi être pourvu dans le budget d’installation. Pour couvrir ces dépenses et vivre de son travail, le psychologue va devoir estimer la valeur de son travail de manière à évaluer les honoraires qu’il demandera à ses clients. Il est certain que le coût d’une prestation englobe le temps passé en présence du patient mais aussi un temps variable en dehors de sa présence. L’assurance maladie ne prévoit aucun remboursement des actes effectués par un psychologue libéral. Dans certains cas, il peut arriver qu’une mutuelle accepte de couvrir tout ou partie d’un bilan psychologique ou d’une psychothérapie. Cela reste marginal et quasi confidentiel.

Indépendance et responsabilité : repères éthiques

La liberté et l’indépendance du psychologue libéral par rapport aux pouvoirs administratifs, juridiques, économiques, lui permettent de mettre en application sa conception du métier, d’être en relation directe avec la clientèle, d’exercer librement ses compétences. Il n’a en principe de compte à rendre qu’à lui-même… excepté à ses clients et au fisc ! Le corollaire de cette liberté, c’est la responsabilité qui lui incombe. Cette responsabilité a de multiples aspects. Par exemple, décider de travailler ou de ne pas travailler avec un client demandeur (personne ou institution), en fonction de ses aptitudes et de ses compétences, suppose que des motifs d’ordre économique n’interfèrent pas avec cette décision.

La responsabilité s’accompagne d’une insécurité professionnelle : l’absence de clients équivaut, dans un lien direct, à une absence de revenus. Comme on le voit, la question du rapport à l’argent se pose et nécessite que le praticien l’éclaircisse autant que possible.

Ces quelques remarques nous introduisent de plain-pied dans la dimension de l’éthique et de la déontologie professionnelle. Comme à tout psychologue, s’impose au psychologue libéral le respect des règles éthiques en usage dans la profession : la Compétence, la Responsabilité, la Probité, le Respect et le Développement du Droit des Personnes et de leur Dignité (cf. la Charte des psychologues élaborée et adoptée par les organisations professionnelles de l’Europe du Sud). De même, la référence au Code de Déontologie est indissociable de l’exercice de son activité (cf. le nouveau code en cours d’élaboration par des commissions tripartites : AEPU – SFP – ANOP1 et qui fera l’objet de démarches en vue de sa légalisation).

Ces préoccupations doivent être, si l’on peut dire, « encore plus présentes » chez le psychologue indépendant que chez son collègue salarié, dans la mesure où il n’a pas le regard d’une équipe comme tiers et garant de ce qui se passe entre son patient et lui. L’exercice en libéral nécessite un engagement personnel important et l’acceptation d’une responsabilité en son nom propre de sa pratique.

Le goût d’entreprendre

Ouvrir un cabinet de psychologue, c’est être à la fois, au moins au début, chef d’entreprise, standardiste, réceptionniste, caissier, comptable… C’est enfin exercer sa spécialité : être psychologue. La nécessité d’assumer seul ces diverses fonctions implique de s’informer très sérieusement : la brochure sur l’installation en libéral éditée par le Syndicat National Psychologues répond à ce besoin2.

Nous aimerions rappeler que, si être déclaré participe au respect de la loi, la légitimité ne s’inscrit pas seulement là mais aussi dans la compétence du thérapeute et celle qu’il peut acquérir. Alors, quand faut-il s’installer ? Il faut sûrement une expérience – de vie… clinique… – avoir pu éprouver la question de l’identité professionnelle. Mais l’expérience ne fonctionne pas comme une garantie. Lorsqu’on a élaboré son projet, vérifié qu’on remplit toutes les conditions, s’installer en libéral, c’est un risque que l’on peut assumer. Pour franchir le pas, il faut sans doute une sacrée dose de culot. Alors, pourquoi pas ?

Notes

1 Association des Enseignants en Psychologie de l’Université, Société Française de Psychologie, Association Nationale des Organisations de Psychologues.

2 Fiche technique : L’installation en libéral, éd. SNP. Ouvrage : Patrick Cohen et Jean-Paul Rieu (sous la direction de), Les psychologues où sont-ils, que font-ils ?, éd. SNP, Paris, 375 p.

Citer cet article

Référence papier

Marie Merle et Jean-Paul Rieu, « L’exercice de la psychologie en libéral : entre idéal et désappointements », Canal Psy, 23 | 1996, 4-5.

Référence électronique

Marie Merle et Jean-Paul Rieu, « L’exercice de la psychologie en libéral : entre idéal et désappointements », Canal Psy [En ligne], 23 | 1996, mis en ligne le 27 août 2021, consulté le 03 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2582

Auteurs

Marie Merle

Délégation Régionale du Syndicat National des psychologues

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Jean-Paul Rieu

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