Vous arrive-t-il de jeter un coup d’œil à « l’ours », cet encadré qui en dernière page rassemble toutes les informations juridiques et pratiques sur l’édition et la diffusion de ce journal ? Deux nouveautés marquent celui du présent numéro. D’abord, le directeur de la publication a changé, puisque le président est de droit directeur de toutes les publications de l’Université, et qu’au printemps Bruno Gelas a été élu à cette lourde charge en remplacement d’Éric Froment (c’est à vrai dire par erreur que le nom n’avait pas été changé au dernier numéro). Mais a changé aussi le nom du directeur délégué, c’est-à-dire celui qui, au nom du Président et bien entendu en liaison avec le Directeur de l’Institut de Psychologie, assume la responsabilité des orientations de la publication.
La substitution du nom d’Albert Ciccone au mien ne changera pas grand’chose à la réalité du journal, puisque l’an dernier déjà, il en assurait de fait la fonction, et que seules des raisons administratives empêchaient provisoirement de lui en conférer le titre. Mais ce changement formel est aussi une étape symbolique. Après mon remplacement par Patricia Mercader à la commission pédagogique de l’Institut, c’est la seconde fois que je suis amené à passer le témoin dans l’une de mes responsabilités. Ce sont des étapes annonciatrices d’une relève qui deviendra complète lors de la rentrée 1998 – autant dire demain.
J’avais préparé pour cette circonstance, à l’adresse d’Albert, un portrait élogieux pour lequel c’est peu dire que je ne manquais pas de matière. Mais voilà qu’en écrivant, je m’avise que le ton du panégyrique jurerait par trop avec la retenue et la modestie du destinataire, sans même parler de la difficulté à faire comprendre au lecteur qu’il ne relève pas du rituel vidé de sens par l’excès d’un usage conventionnel. Lui-même a su dire ici, avec des mots simples et justes, toute l’émotion que nous pouvions avoir tous à voir partir René Kaës, qui n’était pas seulement le maître à penser que tous les étudiants connaissent, mais aussi, au milieu d’une communauté universitaire plus souvent troublée qu’à son tour, un sage dont la hauteur de vues, la sensibilité et la mesure venaient toujours remettre toute chose à son exacte place. J’aimerais seulement à mon tour pouvoir trouver les mots aussi simples et aussi justes pour dire l’émotion – la même en somme – que j’éprouve à déposer ainsi peu à peu les outils forgés l’un après l’autre, en trente ans de pratique universitaire au service exclusif d’un seul but, entre les mains sûres de ces amis d’une génération nouvelle, à laquelle, s’agissant précisément de Canal Psy, s’associe même déjà celle qui annonce des horizons plus lointains et que représentent Catherine Bonte et Gaëlle Chevrier. L’an dernier à la même époque, je disais toute la confiance que suscitait en nous cette équipe qui s’apprêtait à assumer le redoutable challenge du départ de Sabine Gigandon. Vous êtes tous juges que le pari est parfaitement gagné. Et les mêmes mots viennent à l’esprit pour les trois protagonistes de cette réussite : le travail infatigable ; le plaisir d’explorer les voies nouvelles ; la discrétion ; l’intelligence ; la justesse.
Il y a des choses que l’on croit savoir depuis longtemps, et qu’on découvre avec la surprise de la nouveauté quand elles vous prennent le moment venu. Je ne serai jamais blasé de redécouvrir toujours à quel point le seul sentiment qui permette de résister à tout est l’estime. Et en l’espèce, combien on est indemne du sentiment de perte lorsqu’on laisse ce à quoi on tient à des gens que l’on estime. Pardonnez-moi si le mot est faible : il est dans mon lexique intime l’un des plus forts et des plus nodaux qui soient : car il n’existe peut-être pas de motif plus profondément enraciné à la gratitude que l’occasion qui nous est – trop rarement – donnée, d’éprouver l’estime. C’est en tout cas pour ma part ce qui me fait chaque fois revenir comme une antienne ce lambeau d’un poème de René Char : « Dans mon pays, on remercie ».