Le sport dans une pratique de psychologue

DOI : 10.35562/canalpsy.2662

p. 6-7

Plan

Texte

Il peut paraître curieux, voire paradoxal, qu’un psychologue utilise des activités physiques et sportives dans le cadre de sa pratique.

Pour comprendre ce qui m’a amené à façonner et employer ces techniques, il me faut parler du contexte de mon travail et du public que je reçois.

Je travaille dans un service social spécialisé (en milieu ouvert) où la très forte majorité des situations nous est envoyée par le juge des enfants, autant dire sans qu’il y ait une demande exprimée par les familles ou les enfants. Les adolescents ou enfants qui me sont adressés pour des soutiens ou suivis psychologiques ont véritablement des problèmes de cet ordre.

La plupart de ces adolescents ne viennent pas, ne serait-ce que pour une première rencontre. Les raisons de ces refus sont multiples : soit ils pensent que le « psy, c’est fait pour les fous », soit ils disent que parler cela ne sert à rien… D’une certaine façon, on peut dire que culturellement la fonction et le rôle du « psy », tel qu’il est conçu habituellement est en décalage avec leurs croyances et leurs attentes.

Dans ce contexte, il me semblait illusoire et vain d’attendre la Demande. Or, en tant que psychologue, je travaille aussi mes représentations du fonctionnement humain. Je crois à l’inconscient, au transfert, au refoulement, à la répétition, etc. Il me fallait donc créer un cadre d’intervention qui respecte à la fois mes représentations et celles des adolescents. Cet espace de rencontre doit laisser une place à chacun. Le partage de l’Activité ne doit pas être un lieu de fusion où tout le monde est pareil.

Pour moi, il est important que ma parole soit reconnue et qu’elle compte pour les jeunes. Il est aussi fondamental que j’ai accès à des éléments de leur personnalité, de leur problématique pour que je puisse travailler.

Concernant les jeunes adressés à notre service, j’ai pu remarquer que bon nombre d’entre aux utilisaient leur corps comme moyen d’expression (passage à l’acte, danse, etc.).

Parallèlement, j’avais repéré que la pratique des activités physiques et sportives mettait en jeu des processus psychologiques tout à fait intéressants et susceptibles d’être utilisés auprès des personnes en difficulté. Ces mécanismes sont particulièrement visibles dans les sports dits à risques que je qualifierais plus volontiers d’activités à forte charge émotionnelle.

Les trois axes que j’utilise dans ma pratique sont, à partir des dynamiques, créés entre :

  • le sujet et le sport,
  • le sujet et l’encadrement,
  • le sujet et le groupe sportif et social.

La description de ces dynamiques reste volontairement sommaire. Pour plus de détails, je renvoie le lecteur à l’ouvrage de Michel Anstett et Bertrand Sachs, Sport, jeunesse et logique d’insertion, La Documentation Française, 1995.

Le sujet et le sport

À première vue, on pourrait penser, comme le souligne F. Labridy1, que les pratiques sportives, dans lesquelles le corps se met en œuvre, éclairent par l’envers la pratique psychanalytique. Si la pratique psychanalytique est un franchissement par le dire, le sport est un franchissement de l’être, un franchissement en acte. Si l’acte est rendu possible à la fin d’une analyse, le sportif le pose comme un a priori. Le sportif choisit de jouir de son être au profit de l’autre, il fait le pari de la jouissance plutôt que du dire.

Cependant, il existe un élément important qui nous intéresse. La pratique sportive offre un espace projectif. Il permet à un sujet de se jouer un ou des scénario(s) en projetant des éléments de son histoire ou de sa problématique. L’identification à un champion sans faille ni faiblesse ou l’identification à un technicien dans un sport d’équipe (celui qui est au second rang mais qui dirige) ou encore s’imaginer risquer sa vie sont autant de projections qui mettent en scène l’individu et parle en son nom.

Pour peu que l’on soit attentif à ces projections, elles nous offrent un matériau de premier ordre, susceptible d’ouvrir la voie à un travail personnel. En fait, l’espace projectif qu’offre le sport est une des parties intégrantes sinon principale du cadre de travail.

 

 

Aurélie Desmé

Le sujet et l’encadrement

La relation encadrant/encadré induit bien souvent des rapports dans lesquels les affects viennent se nouer, créant ainsi un lien particulier entre ces deux personnes.

L’encadrant peut être à la fois perçu comme un maître (celui qui sait) mais aussi comme un témoin à qui l’on adresse une question et de qui on attend une réponse. Cette position de témoin est souvent repérable dans les activités « à risques » où la conduite à risques est une séquence questionnante qui appelle une séquence réponse que le témoin est censé pouvoir ouvrir.

Là encore, et pour faire vite, je dirais que l’encadrant peut tenir une place privilégiée où sa parole peut être reconnue par le sujet. Toutefois, les risques de dérapages sont importants car, au cours d’une même activité sportive, l’encadrant peut tenir ou être poussé à tenir (parfois à son insu) plusieurs rôles. Il peut être aussi bien l’animateur sportif que l’éducateur, le gendarme que le grand frère ou le psychologue.

La définition au préalable du cadre de l’activité et de ses objectifs est donc primordiale. Il s’agit de bien expliciter dès le départ le but de l’activité et ses conditions de mise en œuvre.

Pour ma part, j’explique aux adolescents que « les activités ont pour but d’apprendre à mieux se connaître et à mieux habiter son corps ». Ils savent également que je suis psychologue.

L’aspect contre-transférentiel est toujours très délicat dans ce type de pratique. L’animation de ces groupes se fait d’ailleurs toujours à deux, voire à trois si l’activité exige un encadrement très spécialisé sur le plan technique (exemple : un guide pour la haute montagne ou un moniteur de spéléologie…).

De plus, le questionnement du sujet par l’encadrant ne peut véritablement se faire que lorsque ce dernier est reconnu comme ayant une parole qui compte et que lorsque la dynamique de groupe est suffisamment contenante ou rassurante. Le moment de l’intervention de l’encadrant ne se fait pas dans n’importe quel temps. La place de l’encadrant doit, bien sûr, être perçue différenciée de celle des participants.

Le sujet et le groupe sportif et social

Chaque pratique sportive fait se confronter la personne à un groupe, qu’il s’agisse d’un groupe d’alliés pour les sports d’équipe ou d’un groupe de rivaux dans le cas de sports individuels et d’équipe.

Cette notion de groupe doit s’élargir à celle d’appartenance à un groupe de sportifs dans une société. La pratique d’un sport identifie socialement le pratiquant et l’instaure dans une reconnaissance sociale particulière (sa place et son rang lui sont ainsi désignés par les autres).

L’appartenance à un groupe sportif peut être un étayage palliatif dans la trajectoire d’un sujet. Mais elle ne donne pas une identité, l’identité restant un travail personnel que seul le sujet peut mener par lui-même.

Si la fonction d’étayage, de valorisation narcissique peut être intéressante à un moment pour un individu, pour lui permettre d’aborder par la suite des histoires de son passé qu’il jugeait jusqu’alors trop honteuses pour en parler, c’est davantage la dynamique de groupe que j’utilise.

L’illusion groupale, la répartition des statuts du groupe, la fluctuation de ces statuts en fonction des activités, les interpellations des jeunes entre eux (surtout quand le groupe est mixte)… sont autant de facteurs sur lesquels nous pouvons travailler.

Voici donc très brièvement présenté ce qui sous-tend ma pratique auprès de ces adolescents pour qui le cadre traditionnel des entretiens dans un bureau n’est pas efficient.

Lorsque les éducateurs, qui ont en charge ces jeunes, leur proposent ces activités dans le cadre que j’ai décrit, je suis toujours surpris de la facilité avec laquelle ils acceptent de participer à ces groupes aux conditions et objectifs fixés. De même, je reste également étonné de l’assiduité de ces adolescents et de ce qu’ils peuvent exprimer au cours de ces séances.

Ces expériences restent marginales et elles ne visent qu’un public très ciblé. Elles montrent toutefois tout l’intérêt pour les psychologues à investir et à innover de nouveaux cadres de prise en charge.

Notes

1 F. Labridy, « Le sport, l’être du dépassement », actes du congrès international Sport, toxiques, dépendance, in Bulletin de liaison du CNDT, n° hors-série, juin 1992.

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Denis Dubouchet, « Le sport dans une pratique de psychologue », Canal Psy, 26 | 1996, 6-7.

Référence électronique

Denis Dubouchet, « Le sport dans une pratique de psychologue », Canal Psy [En ligne], 26 | 1996, mis en ligne le 31 août 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2662

Auteur

Denis Dubouchet

Psychologue, Sauvegarde de l’Enfance de Savoie

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