Des psychologues à l’écoute de sujets atteints de maladies graves

p. 12-14

Text

Un grand merci aux psychologues du terrain, stagiaires de 2008, qui ont collaboré à ce texte par leurs témoignages.

Depuis 2002, 6 stages se sont déroulés. Les psychologues qui participent à ce stage travaillent essentiellement dans des services de cancérologie, de dialyse, dans des hôpitaux généraux de petite ville, dans des centres de rééducation, des services de soins palliatifs ou dans des services de personnes âgées.

Le stage se déroule dans une alternance d’apports ou de rappels théoriques, et d’analyse de cas vécus par les stagiaires. Il apparaît clairement que la question principale qui émerge est celle de l’identité du psychologue clinicien dans la pratique au quotidien, et de son droit à travailler avec sa spécificité.

En effet, trois grandes problématiques sont questionnées :

  • Est-ce que le patient a une histoire psychique préexistante à l’arrivée de la maladie somatique, et des caractéristiques psychopathologiques ?
  • Est-ce que l’événement psychosomatique s’intègre dans une histoire de vie où la « parole » du corps prend place, en lieu d’un autre mode d’expression ?
  • Enfin, les hypothèses théoriques du clinicien le conduisent-elles à considérer que l’inconscient fonctionne jusqu’à la mort ?

Ces questions qui ne surprendraient pas le clinicien en général peuvent pourtant apparaître de véritables provocations, en tout cas fort dérangeantes dans le cadre du travail dans un service de maladies somatiques graves.

Ainsi, le psychologue est souvent pris dans une situation paradoxale où les soignants somaticiens, comme les familles, lui demandent de mettre de côté cet arsenal théorique et d’avoir cependant une fonction de psychologue clinicien. Il s’agit pour lui d’écouter les émotions, la souffrance individuelle, le vécu dans la proximité de la mort, du handicap, ou de la détérioration physique et mentale.

La présence régulière de psychologues dans les services de médecine est récente et se développe. Le grand moment de l’officialisation et de la reconnaissance des psychologues est lié au développement de la maladie sida et à l’arrivée de malades contaminés VIH dans les hôpitaux. Très vite l’évidence s’est faite qu’il fallait des psychologues. Pourquoi ? Probablement parce que les nouveaux malades, en particulier les homosexuels, confrontaient les médecins à des difficultés particulières de plusieurs ordres : les malades mouraient jeunes, ils parlaient de leur sexualité, ils revendiquaient des droits.

Par ailleurs, on peut constater que le besoin de psychologues semble se répandre en différents espaces sociaux et à l’occasion de divers événements : catastrophes naturelles, accidents, meurtres, attentats, il s’impose des « cellules d’écoute », IVG, procréation assistée, adoption, assistance juridique etc. les citoyens consultent des psychologues. Comme si le groupe social, et les institutions ne pouvaient plus assurer l’étayage et l’accompagnement des individus dans des événements de vie complexe ou douloureux. Comme si aussi l’individualisme, et la contrainte narcissique de nos sociétés exerçaient une pression si forte que l’individu n’avait plus les moyens de gérer ses conflits internes, ni la liberté de ne pas être dans la norme du « bien-être physique et psychique ».

Parallèlement le nombre de psychologues cliniciens diplômés étant important, les demandes sociales parfois mal identifiées ont offert des postes à de jeunes psychologues et permis une reconnaissance sociale de la profession.

Dans le cadre de la loi de la réforme hospitalière, l’institution doit prendre en compte la dimension psychologique du patient (Loi n° 91748 du 31 juillet 1991) : « Les établissements de santé publics et privés assurent l’examen diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes en tenant compte des aspects psychologiques du patient. » Le texte précise qu’il s’agit de prendre en compte la souffrance du malade, de la famille, des soignants pendant la durée de l’hospitalisation. Et, comme l’écrivent R. Gori et M.-J. Del Volgo (2005, p. 69) : « Les demandes de services médicaux et chirurgicaux vont s’accroître d’autant plus que les protocoles de soin vont exiger des décisions éthiques à conséquences juridico-financières et humaines considérables. »

Nous nous intéressons ici aux psychologues à l’écoute de patients/sujets atteints de maladies graves : soit fin létale, soit handicaps ou soins invalidants, soit dégénération physique ou psychique. La question doit d’abord être resituée dans l’évolution de la médecine, passée d’une médecine à visage humain, parfois peu efficace, à une médecine scientifique et technologique performante. L’envolée scientifique a transformé le patient en un objet d’étude, souvent partiel (organe par organe, spécialité par spécialité), alors que parallèlement, les malades vivent la maladie comme une expérience complexe, physique, psychique, spirituelle, dans une unité psyché/soma. Ils sont confrontés au choc de l’annonce du diagnostic, ils mettent en place des mécanismes de défense et ont souvent à faire le deuil de leur entière capacité jusqu’à se préparer à mourir.

Témoignage

« Je suis psychologue en cancérologie dans un hôpital général d’une petite ville, depuis 5 ans. L’équipe infirmière de l’hôpital de jour m’a demandé d’intervenir auprès d’une patiente atteinte d’un cancer du côlon. Elle est en pleurs, le médecin lui a dit : “qu’il fallait qu’elle prenne ses dispositions”. La patiente est désemparée. Je n’ai pas pu rencontrer le médecin, indisponible… pour en discuter et envisager un accompagnement conjoint de cette personne. Je me suis senti assez isolée dans cette prise en charge… »

La demande des malades est de parler, d’être écoutés (attente clairement exprimée dans le livre blanc du cancer). Quant aux soignants, soit ils ont du mal à comprendre ce que le malade attend, soit ils ont de la difficulté à gérer les réactions émotionnelles, ou encore à supporter des malades peu « compliants ». Certains soignants sont clairs sur leur souhait comme Y. Pélicier (1995, p. 83) lorsqu’il écrit :

« En ce qui concerne les familles, il faut dire que parfois l’échec est flagrant. Il y a des maladresses qui aggravent l’angoisse et le désarroi du patient. Mais également des attitudes de l’équipe, ou de certains membres de l’équipe, peuvent à leur tour interférer gravement avec cette pacification émotionnelle que l’on souhaiterait pour le patient. »

Le psychologue clinicien rencontre alors un certain nombre d’obstacles et de situations paradoxales. D’une part, l’intérêt pour l’état psychique du patient est centré sur la maladie, sur le diagnostic et l’annonce, alors la tentation est grande de mettre de côté toute l’histoire de vie du patient : aussi bien l’historicité des événements de vie et la place de l’événement-maladie dans la dynamique de la personne, que la personnalité du malade, sa structure psycho-pathologique et ses modes de défense spécifiques.

M. Geoffroy (2004, p. 112) a montré avec profondeur et humanité comment, dans le soin, deux conceptions de la temporalité s’opposent, le « chronos », temps du médecin, découpé, et le « tempus », temps du malade, continu :

« Le temps de nos malades a pu être identifié comme “tempus”. Au “chronos” susceptible d’être compté, qui était sans doute leur temporalité du temps de leur bonne santé, ils substituent un temps intérieur, un temps vécu, qui ne peut se diviser en instants, structuré autour d’un présent où règne le divertissement. »

Or, si le psychologue comprend la vie psychique dans son historicité, il doit s’accorder dans la relation avec le « tempus » du patient, et les grilles préconstruites des étapes, par exemple, d’approche de la mort ne sont pas toujours adaptées au patient rencontré.

En effet, le psychologue clinicien situe son travail dans un cadre théorique, la psychanalyse, qui est une conception de l’humain dans toute sa complexité, physique, psychique, spirituelle. Il ne s’agit pas de s’adresser à un corps machine. Les symptômes sont entendus aussi comme discours adressé à l’autre, et un décalage est admis entre un discours manifeste et un message latent de l’inconscient, même dans le contexte de la maladie.

Témoignage

« Je suis psychologue, depuis 2 ans, dans un centre de dialyse. Je réalise des entretiens au chevet des patients pendant leur séance de dialyse. J’ai souvent eu l’expérience d’être interrompu, pendant l’entretien, par l’infirmière, alertée par la sonnerie de la machine de dialyse réagissant à une hausse soudaine de tension du malade. J’ai pu constater qu’à ce moment-là le patient parlait de quelque chose d’intime, il se livrait “enfin”. Ces moments sont accompagnés d’une forte émotion, parfois de larmes… la sonnerie de la machine et l’arrivée de l’infirmière sont alors perçues par le patient et par moi comme une irruption et apportent également une pause dans l’entretien que nous pouvons reprendre après le départ de l’infirmière. Souvent le patient fait le lien entre son émotion qu’il peut alors verbaliser et la hausse de tension via la sonnerie de la machine. »

M. Ruszniewski raconte l’histoire émouvante d’un patient dans le coma. Elle demande des nouvelles de ce patient à l’hématologue qui lui répond : « Tu ne risques pas d’avoir de ses nouvelles, il est dans le coma entre la vie et la mort ; la famille est auprès de lui. Ce n’est pas la peine que tu ailles le voir, de toute façon, il est inconscient » Elle se dépêche d’aller voir le patient, lui parle et finit par lui dire « Laissez-vous aller ». Il se met à pleurer et décède. Elle écrit à ce propos (2002, p. 170-171) : « Je ne ferai pas ce métier si je ne croyais pas à l’inconscient : cet homme a reconnu dans son inconscient une voix, et c’était probablement moins difficile pour lui de mourir en présence d’une étrangère, dans une rencontre quand même apaisante, entourée de mots, que devant sa famille. »

Cette expérience, les psychologues la vivent régulièrement, car ils sont confrontés comme les équipes soignantes, à la mort des malades. Cette question est une des plus difficiles et des plus riches pour ces professionnels, et il leur est souvent difficile de définir leur place et leur fonction, qui reste un questionnement.

La mort dans notre société est devenue un tabou. Comme l’écrit T. Vincent (2006, p. 177-178) :

« La mort est un processus biologique qu’on observe et qu’on peut retarder. La mort n’est plus qu’un aboutissement : celui de la maladie qu’on soigne ou qu’on traite et dont on peut guérir parfois… La mort devient une défaite de la science et de la pensée : la mort ne peut être pensée, on peut tout au plus en saisir les alentours, voire son approche, mais elle reste en tant que telle, l’impensable même. La mort n’est plus installée au centre de l’humain, mais rôde à sa périphérie où on la confine. »

Les équipes soignantes oscillent entre des émotions et des attitudes contradictoires : du soulagement de voir mourir un patient incurable, le deuil d’une personnalité attachante, la révolte contre l’impuissance de la médecine, ou encore le déni de la réalité de la mort, trop insupportable, dans certains services.

Se pose pour le psychologue la question de sa fonction professionnelle et sociale auprès des malades, des familles, des soignants. Certains ne voient pas la famille, d’autres systématiquement, certains font des groupes de parole pour les soignants. Certaines équipes, à l’initiative du psychologue, ont institué des rituels, comme allumer une bougie quand un patient meurt, au lieu d’enlever le nom du patient du tableau, comme si de rien était. Le psychologue est confronté à une situation où la mort, souvent mise à I’écart des institutions religieuses, n’est plus accompagnée de rituels sociaux. R. Bacqué (2003, p. 269) montre comment les rituels mortuaires ont une fonction de représentation, de symbolisation et de mentalisation que le groupe social met en place pour vivre le deuil :

« Quand le travail de prévention est correctement effectué, quand le groupe joue son rôle, quand la mentalisation de la perte relie le social à l’affectif, quand les rites funéraires permettent l’accès à la symbolisation de la mort aux travers des représentations qu’ils éveillent, alors, l’endeuillé, confronté à la perte d’un être cher, peut intérioriser le défunt, c’est-à-dire, non seulement accepter sa perte définitive et irréversible, mais aussi reconstituer une histoire “fermée” et “ronde” du passé et, progressivement, récupérer l’énergie nécessaire pour, tout simplement, réinvestir la vie. »

Témoignage

« Psychologue, j’interviens dans un service de médecine d’un petit hôpital, depuis 10 ans. Ce service accueille régulièrement des malades en fin de vie, notamment des malades atteints de cancer. Un exemple pour vous parler de ma pratique ? Monsieur D., 45 ans, est en phase terminale d’une hépatite C. Du fait de sa maladie, il a rencontré beaucoup de soignants et beaucoup cheminé. J’ai le sentiment que j’arrive en fin de parcours avec lui. Il accepte volontiers les entretiens, mais seulement trois ont eu lieu à l’occasion d’une HDJ (hospitalisation de jour), à la fin de l’entretien, je pose quelques mots sur la prochaine rencontre, car une prochaine HDJ est prévisible. Un peu fanfaron il me dit : “Et si je reviens pour mourir, me tendrez-vous la main ?” Je réponds : “Oui, si c’est ce que vous souhaitez à ce moment-là”. Et je m’en vais, car j’étais déjà sur le pas de la porte. Il est revenu et est décédé en quelques heures pendant un week-end. Je n’ai pas eu l’occasion de le revoir. »

Le travail du psychologue clinicien dans le contexte évoqué est donc complexe et riche. Les difficultés qu’il rencontre sont liées à un travail en service de médecine où la conception et les représentations de la personne humaine sont parfois malmenées par une conception médicale technique et opérationnelle. L’enjeu pour lui est de définir ses fonctions, sa place et d’être clair sur ses références théoriques.

Le risque est grand d’une dilution du psychologue dans des fonctions floues, où il peut jouer le rôle de remplaçant d’un membre de la famille, d’un religieux, ou même d’un bénévole.

On voit bien le risque aussi de clivage à l’intérieur de la profession, suivant le modèle des clivages dans la médecine entre les différentes spécialités et les différents organes.

D’un point de vue éthique et politique, la question se pose de l’utilisation du psychologue, dans une logique comportementaliste visant à ce que tout rentre dans l’ordre, en coûtant le moins cher possible…

Comme E. Zarifian l’a clairement affirmé dans son livre La force de guérir (1999), la conception du soin aujourd’hui confronte à des logiques spécifiques : faut-il privilégier l’économique ou le relationnel, le niveau de la preuve ou la vérité psychique, l’objectif ou le subjectif ?

Bibliography

Bacqué M-F., Apprivoiser la mort, O. Jacob, Paris, 2003.

Del Volgo M.-J, Gori R., La santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de la santé, Denoël, Paris, 2005.

Geoffroy M., La patience et l’inquiétude. Pour fonder l’éthique du soin, Romillat, Paris, 2004.

Joseph-Jeanneney B., Bréchot J.-M., Ruszniewski M., Autour du malade. La famille, le médecin, et le psychologue, O. Jacob, Paris, 2002.

Pélicier Y., Psychologie, cancers et société, L’esprit du temps, Le Bouscat, 1995.

Vincent T., L’anorexie, O. Jacob, Paris, 2006.

References

Bibliographical reference

Nathalie Méchin, « Des psychologues à l’écoute de sujets atteints de maladies graves », Canal Psy, 83 | 2008, 12-14.

Electronic reference

Nathalie Méchin, « Des psychologues à l’écoute de sujets atteints de maladies graves », Canal Psy [Online], 83 | 2008, Online since 21 avril 2021, connection on 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2860

Author

Nathalie Méchin

Psychologue clinicienne, chargée d’enseignement et de recherche Université Lyon

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