Jérôme Garcin, Olivier

p. 4

Référence(s) :

Jérôme Garcin, Olivier, Paris, Gallimard, 2011

Texte

Olivier est sous-titré récit. Il relève tout aussi bien de ce vieux genre, littéraire ou musical, qu’est le tombeau. Un tombeau de mots pour un mort. En lisant, Olivier m’est apparu comme jamais qu’il s’agit de faire un tombeau de mots pour ne plus être soi-même le tombeau de l’autre mort. Olivier laisse voir que ce transfert n’est sans doute jamais totalement achevé, tant l’autre fait partie de soi.

Cet autre, c’est ici le frère jumeau, mort à six ans après avoir été renversé par une voiture. C’est aussi, secondairement, le père, mort lui aussi tôt et auquel un autre tombeau fut consacré : La chute du cheval.

Olivier est un écrit qui peut bien entendu intéresser le psychologue quand au travail du deuil. C’est d’abord et avant tout un très beau texte, profond, exigeant (il s’agit de l’exigence de l’auteur vis-à-vis de lui-même). J. Garcin explique bien comment il lui fallut du temps avant de pouvoir penser (à) la mort de ce frère jumeau. Cela passe aussi par l’écrit sur la mort du père, par un livre sur son amour pour sa femme depuis trente ans. Cela passe surtout, ainsi qu’il l’écrit (page 124), par le travail du temps en lui. Ce qui meubla son enfance, dont il peut maintenant dire la douleur, ce qui meubla son adolescence et son âge adulte, ne suffit plus, la dimension défensive en apparaît clairement à celui qui ne fit pas d’analyse, mais sut meubler sa vie non seulement d’occupations professionnelles aimées (il est critique littéraire), mais de l’amour d’une famille : les ascendants, l’épouse, les enfants.

Pour approcher ce frère mort, pour approcher surtout sa propre douleur, Jérôme Garcin s’appuie tout à la fois sur son amour de la langue, qu’il manie avec précision le plus souvent en poète, et sur sa culture. Ainsi Olivier avance-t-il par touche, entre recherches des souvenirs, histoire familiale, et constructions à partir de ce que l’auteur a lu, aussi bien dans la littérature (très belles pages sur P. Forest et sur le M. Tournier des Météores) qu’en psychologie (en particulier R. Zazzo). Ceci lui permet de trouver ou d’inventer ce qu’il ne sait pas ou peut penser avoir perdu. Ceci lui permet aussi de ne pas s’enfermer dans le deuil. Ceci lui permet enfin de repenser sa relation aux autres, ses difficultés dans l’amitié et l’investissement de très proche, jumeaux de remplacement, à commencer par Bartabas, le poète-cavalier, le si différent et le si proche.

Olivier me confirme dans cette surprise répétée ce que les psychologues vivent si souvent : de loin, la vie des autres paraît heureuse, réussie, voire, comme ici, brillante. De près, on découvre les blessures sur lesquelles, avec lesquelles, se construisent les vies.

Enfin Olivier est un livre écrit sur le ton de la confidence, d’abord à soi-même, puis partagée. Il prend le risque de dire la douleur, mais aussi l’amour. Il suscite chez le lecteur un mouvement de gratitude et de protection. C’est un écrit qui transporte une émotion maintenant acceptée, parce que suffisamment maîtrisée dans l’invention d’une langue au demeurant classique, ce qui traduit le souhait de l’auteur de s’inscrire dans sa filiation familiale intellectuelle.

Citer cet article

Référence papier

 Jean-Marc Talpin, « Jérôme Garcin, Olivier », Canal Psy, 97 | 2011, 4.

Référence électronique

 Jean-Marc Talpin, « Jérôme Garcin, Olivier », Canal Psy [En ligne], 97 | 2011, mis en ligne le 15 octobre 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2989

Auteur

 Jean-Marc Talpin

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