En tant qu’adultes, les parents sont supposés être en mesure d’enseigner à l’enfant un certain nombre de connaissances sur la réalité du monde tel qu’il est, et sur la condition humaine en général ; ce, à partir de leur propre expérience, enrichie de celles accumulées au fil des générations précédentes.
Malheureusement, les phénomènes de dysparentalité à l’œuvre de façon transgénérationnelle font que les carences symboliques et les difficultés d’accès à l’état adulte se répètent et se reproduisent, se transmettant de génération en génération.
Le savoir sur l’humain et la réalité, la connaissance des finalités de l’existence et le droit au vivant et à la créativité vont donc le plus souvent être transmis aux enfants de façon mutilante et non promotionnante, comme l’expliquait Françoise Dolto. En effet, c’est forcément à partir des maltraitances vécues dans leur enfance que les parents vont, vaille que vaille, introduire l’enfant à ce système de valeurs et d’interdits qu’on appelle globalement la morale : puisée dans leur expérience malheureuse de l’existence, nourrie par les rapports conflictuels à la réalité, elle s’étaie également sur le fonds commun de la culture et des principes collectifs socialement dominants et qui sont très différents selon les époques et selon les pays.
On pourrait avancer, en allant vite au risque d’être un peu caricatural, que la morale impose de façon ininterrogeable un système de codes, de préceptes, d’interdits, dont le respect et la soumission suffiraient à garantir pour chacun sa valeur personnelle et sa respectabilité familiale et sociale. Organisant un système manichéen fondé sur une opposition métaphysique du Bien et du Mal, ce type de morale repose sur la notion de faute et de culpabilité. Dans ce système clos et quelque peu totalitaire où le Surmoi joue d’abord et avant tout un rôle persécuteur d’auto-accusation et d’auto-persécution, il est souvent difficile de distinguer les actes – éventuellement « mauvais » – de la personne de leur auteur qui, lui aussi, devient en quelque sorte « mauvais », par contamination.
L’intérêt, à mes yeux, de promouvoir a contrario la notion d’éthique, tout particulièrement à propos de l’enfance, tient au fait que la découverte des lois et des limites qui régissent l’existence humaine peut se faire de façon non-maltraitante. Par-delà l’existence des droits et des devoirs qui incombent à tout un chacun dès la naissance, l’éthique, dans son rapport à l’humain renvoie plutôt à la notion de responsabilité. Alors que la morale met le plus souvent en avant la notion de devoir, l’éthique permet de privilégier celle de droits, sans que l’erreur, la maladresse, la prise de risque, l’expérimentation voire l’errance où se trouve le petit d’homme allant à la découverte de la réalité et du monde soient nécessairement « criminalisées » et stigmatisées en termes de faute.
C’est bien le rôle des adultes en général – et des psychologues en particulier – d’aider l’enfant à dépasser ce que peut avoir de mortifère la morale héritée de systèmes familiaux défaillants ; tel est le préalable qui peut lui permettre d’accéder à une conception des valeurs référées à son devoir-grandir, et de développer autonomie et créativité pensées en termes de bon ou de mauvais et non plus seulement en termes de Bien et de Mal. Il appartient à la communauté des adultes d’aider l’enfant à accéder à une éthique de l’humain qui l’engage d’abord envers lui-même, avant que de l’engager en tant que sujet social vis-à-vis des autres, et pas seulement vis-à-vis de ses géniteurs. Cette conception de l’éthique, concerne, pour l’avenir, la capacité de discriminer, également en tant que citoyen, les enjeux précaires et la cohabitation discordante de l’humain et de l’inhumain qui, inscrite au plus profond de l’intime psychique de chacun traverse également tout groupe social, comme nous le rappelle constamment l’histoire présente aussi bien que passée.