La question se pose aujourd’hui, de manière particulièrement cruciale, de la transmission de la pratique clinique. Quels psychologues former pour le futur ? Sur quelles bases théoriques former les praticiens, et quels sont les dangers qui pèsent sur la transmission d’un héritage spécifique, laborieusement mis en place durant les cinquante dernières années ? L’harmonisation en cours des formations et des pratiques à l’échelle européenne est certes une nécessité contraignante, mais c’est aussi l’occasion de réfléchir ensemble, sur l’évolution de la profession de psychologue clinicien. Quels sont les changements souhaitables ? Quels sont les fondamentaux qui demandent, à tout prix, d’être préservés, car ils représentent un acquis, fruit d’une lente et structurante maturation ?
La psychothérapie : sens et non-sens
Le statut de psychothérapeute est au cœur du problème actuel. Être psychologue clinicien ou psychiatre est peut-être une condition nécessaire, mais sûrement pas une condition suffisante. On concevrait mal un psychothérapeute, quel que soit son référentiel théorico-clinique, qui n’ait aucune formation personnelle. Aider autrui, entendre sa souffrance et l’accompagner dans une dynamique de changement, suppose que le clinicien ait mené lui-même une expérience d’auto-transformation. Mieux se connaître pour être capable d’entrer en empathie avec l’autre et également être en mesure de contenir, de cadrer et de suivre un processus de maturation subjectivante. Expérience personnelle et supervision sont toujours à envisager au sein de groupes, de sociétés ou d’associations ayant une organisation et une gestion autonomes. Par contre, il semble raisonnable et équitable de confier à l’Université le contrôle et la garantie du sérieux de ces formations privées, sinon les dérives de toutes sortes – sectaires, dogmatiques ou fantaisistes – menaceraient les perspectives authentiquement formatrices. De même, une formation à la psychothérapie qui ne serait qu’universitaire risquerait d’être superficielle et plaquée. L’Université a pour rôle d’accompagner, de cadrer, et d’évaluer des pratiques de terrain et des stages sur les lieux du soin psychique. La durée de la formation à la psychothérapie est sujette, d’autre part, à discussion. On a parlé de thèse d’exercice qui mettrait la formation du clinicien à huit années et conférerait de nouvelles responsabilités dans les hôpitaux et les centres de soin. Cette idée, qui ne semble plus d’actualité, n’est pas cependant à éluder totalement.
Avec René Roussillon, nous avons conçu un projet de recherches cliniques spécifiques dans le cadre de certains services hospitaliers utilisant des dispositifs symbolisants particuliers, comme les médiations artistiques. Les jeunes psychologues cliniciens seraient engagés par l’hôpital à titre de praticien chercheur pour conduire une thèse sur les pratiques concrètes de terrain. Une telle valorisation de la place de la recherche clinique permettrait une meilleure coopération entre les lieux du soin et le cadre universitaire, sans modifier le statut propre du psychologue clinicien.
Les négociations actuelles semblent s’orienter vers la création d’une sixième année professionnalisante au terme de laquelle serait délivré le titre de psychothérapeute.
Les enjeux du soin psychique
Quoi qu’il en soit, derrière ces questions de formation, se dessine la vision de la thérapie. Le soin psychique a-t-il un sens, et lequel ? À qui s’adresse-t-il ? S’attache-t-on à une vision globale de la psyche, ou ne prend-on en compte que le symptôme ? Qu’est-ce que la souffrance psychique ?
Ici les points de vue s’opposent et les écoles s’affrontent. Mais au-delà des effets médiatiques et de la société du spectacle, quels sont les enjeux réels pour les contenus du traitement psychothérapique ?
Un soin psychique contractualisé et remboursé par la Sécurité Sociale ou les Mutuelles. D’accord, mais à quel prix ? Le risque, à ce niveau, est celui de la para-médicalisation de la psychologie clinique qui en détruirait, du même coup, les résultats. La thérapie ne se prescrit pas de l’extérieur, elle s’élabore dans l’authenticité d’une rencontre et dans l’élaboration d’une demande. Prescrite et calibrée, la psychothérapie se perd dans une réduction purement comportementaliste. Se centrer sur le symptôme revient à parcelliser l’individu. C’est oublier que la clinique est avant tout une approche holistique et qui nécessite d’être centrée sur l’humain. Une psychothérapie peut être brève, se limiter positivement à quelques séances, pourvu qu’elle ne soit pas sous l’emprise d’un protocole pré-établi qui annihile la profondeur et la richesse de la tri-dimensionnalité psychique.
La formation des cliniciens est à ce prix, qui engage une vraie conception de la vie psychique et de la dimension humaine de tout soin, au-delà de simples effets de mode d’une scientificité de surface.