De l’accompagnement d’un secteur à sa législation

Respecter la diversité, améliorer la qualité, adjoindre un autre secteur

DOI : 10.35562/canalpsy.3420

p. 26-29

Plan

Texte

Les lieux de rencontre enfants et parents (LREP) sont des services offrant l’accueil conjoint des enfants, jusqu’à l’âge de six ans, accompagnés de leurs parents ou familiers dans un espace d’accueil inconditionnel et de rencontres de qualité. Aujourd’hui constitués en secteur, les LREP ont longtemps été des initiatives locales, spontanées et hétéroclites en Fédération Wallonie-Bruxelles (Belgique francophone). Il aura fallu plus d’une quinzaine d’années pour que ces initiatives se constituent en secteur à la faveur d’un accompagnement proposé par l’Office de la Naissance et de l’Enfance (ONE). Ce long processus met en évidence la richesse d’un investissement de proximité s’inscrivant dans la durée. Il illustre également les tensions entre régulation et accompagnement, entre standardisation et diversité. Nous retraçons ici ce processus en proposant une interprétation de ces tensions qui défient et dynamisent la collaboration entre notre institution et les LREP.

Un processus d’acceptation mutuelle

L’Office de la Naissance et de l’Enfance (ONE) est l’organisme de référence en matière d’Enfance en Fédération Wallonie-Bruxelles. D’une part, l’ONE organise l’accompagnement de l’enfant dans son environnement familial via des consultations psycho-médico-sociales préventives prénatales et pour les enfants de 0 à 6 ans, ainsi que via des rencontres des familles à domicile. D’autre part, il aménage l’accueil de l’enfant en dehors de son environnement familial en autorisant, agréant et subventionnant, les milieux d’accueil (crèches, accueillantes, écoles de devoirs, plaines de vacances, etc.) et en éditant un code de qualité pour cet accueil. L’ONE remplit en outre d’autres missions telles que l’éducation à la santé, l’information aux (futurs) parents, l’adoption, la prévention de la maltraitance, la promotion de la santé à l’école et le soutien à la parentalité.

En 2002, l’ONE observait qu’une grande variété d’initiatives accueillaient des enfants avec ou sans leurs parents, en dehors des structures classiques. Très vite, des rencontres et visites sur le terrain sont organisées afin de comprendre les motivations, philosophies et démarches de ces différents projets. C’est le début d’un processus d’acceptation mutuelle : les initiatives et projets sont pour la plupart indépendants et méfiants vis-à-vis d’une institution régulatrice telle que l’ONE. De son côté, au fil des visites de terrain, l’ONE comprend et fait valoir en son sein l’importance d’éviter la modélisation de ces initiatives et de reconnaitre leur diversité. Un état des lieux participatif de ces projets atypiques est finalement mené.

Le premier constat posé par l’état des lieux est celui de l’ampleur du phénomène : les projets se sont développés, un peu partout en Fédération Wallonie-Bruxelles, le plus souvent sur base d’initiatives de professionnels de la sphère psycho-médico-sociale, qui souhaitent répondre à un besoin des parents, ou à un manque d’offre de services pour les parents de jeunes enfants. C’est ainsi que des initiatives différentes dans leurs modalités d’accueil et offres de services se sont ouvertes, sans reconnaissance légale, et sans partage ni échange de pratiques avec d’autres professionnels travaillant dans des structures similaires. Près de 180 initiatives de ce type sont ainsi recensées dans les 281 communes constituant la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Un second constat met en exergue la définition de ces initiatives par la seule négative. En effet, celles-ci se définissent essentiellement par ce qu’elles ne sont pas : ce ne sont ni des crèches, ni des haltes-accueil, ni des consultations, ni encore des ludothèques. Elles ne prétendent pas remplir de fonction éducative et restent – parfois volontairement – peu visibles, même au niveau local.

L’état des lieux permet néanmoins de dégager quelques points communs tels que le fort engagement des prestataires (souvent bénévoles et avec des profils professionnels diversifiés), leurs publics cibles (les enfants de 0 à 6 ans accompagnés par leur(s) parent(s) ou un familier) ainsi que leur accessibilité facilitée par une participation aux activités gratuite, modique voire symbolique (apporter une collation à partager par exemple) ; par l’anonymat qui prévaut (pas d’inscription, pas de dossier) et par la flexibilité horaire (« on pousse la porte, et on y reste le temps qu’on veut »).

L’état des lieux a aussi permis d’identifier une certaine concordance d’objectifs parmi ces initiatives disparates ; comme celui de la socialisation de l’enfant et de ses parents, du caractère ludique des activités et du soutien à la parentalité – cette dernière notion est déjà fortement utilisée mais peu définie par les professionnels.

Ces constats permettent à l’ONE de confirmer son intuition qu’il y a bien là un phénomène émergent qui pourrait compléter l’offre de services aux familles. Apparaît donc ainsi la première tentation de régulation, d’ailleurs perçue par les initiatives qui, pour certaines, voient arriver l’institution avec méfiance et en revendiquent d’autant plus leur autonomie. Les professionnels de ces initiatives craignaient par exemple de devoir s’aligner sur l’infrastructure des crèches en termes d’aménagements ou d’être contraints de tenir un carnet avec les coordonnées de l’enfant/des parents alors que ces lieux fonctionnent sur l’accueil « ici et maintenant » sans inscriptions ni conditions d’accès, ou encore d’être obligés d’organiser des activités pendant les séances d’accueil.

L’un des facteurs qui pourrait expliquer l’acceptation mutuelle de l’ONE et de ces initiatives originales réside dans le fait que les visites de terrain aient longtemps été réalisées par une même personne. Ces visites effectuées au départ sans objectif autre que l’intérêt pour un phénomène émergent, semblent avoir contribué à une personnalisation de l’institution et, par-là, à cette acceptation mutuelle qui n’est cependant jamais définitivement acquise. Cet investissement d’une seule personne est aujourd’hui celui d’une petite équipe qui continue à créer du lien avec le terrain. Mais cette approche ascendante a surtout permis de plaider, au sein de l’ONE, en faveur d’une stratégie d’accompagnement ad hoc, co-construite dans le respect des particularités des projets. Une telle stratégie est peu fréquente au sein de l’institution qui, dans sa mission d’organiser le secteur de l’Enfance, s’inscrit généralement dans une démarche incitative voire prescriptive.

L’accompagnement d’un secteur

De 2005 à 2015, l’accompagnement de ces projets s’amorce et se double bientôt d’un soutien financier modique (6 200 euros) à 12 projets pilotes par an. La stratégie d’accompagnement a été réfléchie avec un groupe (ouvert) de professionnels de ces initiatives afin de les rencontrer « là où ils étaient » dans leur posture, philosophie, réflexion, environnement et de d’abord tenter de comprendre sans se mettre en surplomb ou juger. Tout au long du processus, l’accent a été mis sur la relation de coopération qui vise à donner un espace à chaque initiative dans leur diversité pour leur faire prendre conscience de leurs potentialités – et non pour les déposséder de leur pouvoir d’agir. Concrètement cet accompagnement a pris des formes diverses : proposer une offre de formation continue, organiser des journées d’échanges, réaliser des visites et rencontres in situ avec les professionnels, veiller à accroître la visibilité individuelle et collective des initiatives, mener des recherches principalement exploratoires, etc.

Ces actions, d’abord éparses puis plus structurées, ont permis de valoriser et faire reconnaître l’ampleur et la diversité de ce qui deviendra les lieux de rencontre enfants et parents (LREP). En effet, au fil de l’accompagnement, un sentiment d’appartenance se développe. Toujours en concertation avec ces initiatives, l’ONE encourage la discussion sur la dénomination commune de lieux de rencontre enfants et parents. Cette dénomination, longuement réfléchie et négociée, met en exergue l’ancrage local et contextuel, l’accueil inconditionnel du lieu et surtout la promotion des interactions entre les enfants et les parents. Bien que l’on s’adresse d’abord à l’enfant puis à son parent, c’est la dyade enfants-parents qui est accueillie dans les LREP. L’utilisation du pluriel renvoie quant à elle aux liens qui se tissent potentiellement entre les différentes dyades enfants-parents fréquentant le lieu et les professionnels qui les accueillent ; l’emphase sur le pluriel invite donc chacun à être un acteur à part entière des LREP.

Très vite un consensus se dégage également sur les principes qui sous-tendent ces LREP et qui sont les quatre principes de soutien à la parentalité promus en Fédération Wallonie-Bruxelles (ONE, 2012) :

  • L’enfant est placé au cœur des actions de soutien à la parentalité.
  • Les actions s’appuient sur les compétences des parents et sur l’ensemble de leurs ressources.
  • Les actions de soutien à la parentalité s’adressent à tous les parents, ainsi qu’à tout familier de l’enfant, en visant à apporter à chacun l’accompagnement/l’accueil dont il a besoin au moment opportun en respectant son rythme, sans stigmatiser, et ce afin qu’ils puissent s’épanouir dans leur lien à l’enfant.
  • Il y a une nécessité de prendre en compte les contextes de vie de chacun dans le double objectif de respect des individus dans leur diversité et de renforcement de leur autonomie.

À ces quatre principes, les LREP ajoutent la notion de plaisir qui caractérise leur approche spécifique du soutien à la parentalité. Ainsi, les rencontres se déroulent dans un cadre convivial, autour de jeux que l’enfant explore. Le parent prend plaisir à accompagner son enfant dans ses découvertes et à rencontrer d’autres parents et, s’il le souhaite, à échanger librement sur l’exercice de sa parentalité.

L’effet combiné des actions d’accompagnement, de la réflexion sur une dénomination commune et de l’inscription des LREP dans le champ du soutien à la parentalité permettent enfin d’aboutir à une identité commune de ces initiatives, qui se donnent désormais une définition positive. Les LREP sont ainsi définis comme des services offrant l’accueil conjoint des enfants accompagnés de leurs parents ou familiers dans un espace d’accueil inconditionnel et de rencontres de qualité. Dans une perspective de prévention, ces lieux poursuivent quatre objectifs communs : soutenir la relation entre l’enfant et ses parents, favoriser la socialisation précoce de l’enfant, rompre l’isolement social et favoriser le développement global de l’enfant. D’autres objectifs spécifiques peuvent s’y ajouter, permettant à chaque LREP de garder sa spécificité et sa liberté d’action (dynamisation de quartier, prévention en santé mentale, socialisation douce, intégration culturelle, promotion de la santé et bientraitance, remédiation sociale, etc.). Ces objectifs sont mis en œuvre dans un cadre convivial qui consiste à offrir un espace de parole, d’expression et de jeu libres pour les enfants comme pour leurs parents. Les jeux et activités éventuellement organisés doivent constituer des supports destinés à favoriser la relation entre adultes et enfants.

Entre standardisation et diversité

L’accompagnement proposé par l’ONE contribue certes à l’évolution des LREP en secteur mais aiguillonne aussi quelques points de tension. Ainsi, l’accompagnement a favorisé la professionnalisation des acteurs et, par-là, contribué à une amélioration de la qualité d’accueil des enfants et des parents. Se dirigerait-on dès lors vers une uniformisation des pratiques ? À ce jour, celle-ci ne semble pas s’installer dans les LREP. Notre hypothèse ici est que l’ancrage communautaire des lieux et l’accueil individualisé de chaque dyade enfants-parents impliquent et soutiennent l’hétérogénéité des pratiques.

De même, la concertation entre l’ONE et les LREP a permis de garantir la non-conditionnalité de l’accompagnement au subventionnement (et inversement). L’octroi de subvention a pourtant amené la question de l’évaluation des LREP avec le risque que celle-ci ne se pose qu’en termes d’impact ou d’efficacité. La première exigence qui s’est manifestée en ce sens a porté sur le recueil de données concernant les bénéficiaires des LREP. Dans ce cas aussi, un consensus a pu être dégagé sur un simple dénombrement des dyades enfants-parents, dans le respect des conditions d’anonymat et d’accueil inconditionnel chères aux LREP.

La réalisation d’un référentiel de soutien à la parentalité s’est aussi avérée être un révélateur de la tension latente entre standardisation et accompagnement. En effet, ce référentiel a été rédigé dans le cadre d’une mission confiée à l’ONE par le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2006. Il a été développé par un groupe multidisciplinaire de professionnels de terrain – dont ceux des LREP – et d’experts parmi lesquels Catherine Sellenet (2007) et Pierre Moisset (2009). Bien qu’il pose des concepts et définitions du soutien à la parentalité, ce référentiel se veut une invitation à la réflexivité plutôt qu’un guide ou un recueil de bonnes pratiques. Ce vœu pieux ne garantissant évidemment pas l’utilisation qui en est faite par les professionnels des LREP comme ceux de l’ONE ou de ses partenaires ainsi que par les décideurs dans le champ de l’Enfance (ONE, 2016).

Notre réflexion sur les tensions qui animent le processus de co-construction des LREP en secteur, a été alimentée par le concept de bricolage mis en évidence par Claude Lévi-Strauss en 1962 (2014). La résistance des LREP – mais aussi de l’ONE – à la standardisation pourrait-elle s’expliquer par le fait que tous les acteurs du processus sont « en phase », dans un même positionnement ? Ainsi, le « bricolage sectoriel » de l’ONE fait écho à la réalité des professionnels des LREP qui, comme ils nous l’expriment parfois, bricolent leur projet avec des « bouts de ficelles ». Ceci pour accueillir et soutenir des parents qui « se débrouillent avec les moyens du bord » face à la complexité (et donc les incertitudes) de l’éducation d’un enfant. Ces différents acteurs étant, pourquoi pas, peut-être inspirés par les « œuvres d’art » souvent réalisées par les jeunes enfants qui investissent ces lieux (Zink, 2008).

Enfin, l’aboutissement logique et attendu – par l’ONE et la plupart des LREP – du processus d’accompagnement est l’élaboration d’une législation du secteur désormais constitué. Cette législation porte pourtant en elle le risque de figer l’évolution des LREP.

Les défis d’une législation ouverte

En mai 2019, un arrêté d’agrément et de subventionnement des services spécifiques de soutien à la parentalité a été adopté par le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles1. L’intitulé de l’arrêté ne mentionne pas les LREP ; non par manque de reconnaissance du secteur mais pour l’ouvrir aux nouvelles initiatives. En effet, de nombreuses autres initiatives, se considérant ou non comme des LREP, ont vu le jour depuis l’état des lieux initial de 2005. La plasticité de l’arrêté a d’ailleurs d’emblée été démontrée puisqu’il concerne désormais aussi les services Espaces Parents dans la Séparation (EPS). Les EPS sont des structures spécifiquement dédiées aux situations de conflit parental où un travail d’information, de sensibilisation, d’évaluation et d’orientation est effectué avec les parents par un professionnel, que les situations soient judiciarisées ou non. Ces services poursuivent l’objectif d’aider l’enfant mis en difficulté par la séparation de ses parents : situation de conflit, rupture du lien, recomposition familiale délicate, etc. Ils aident les parents séparés à se (re)centrer sur les besoins de leur(s) enfant(s) et à coopérer dans l’exercice conjoint de l’autorité parentale.

Les EPS rejoignent les LREP au sein de cet arrêté autour des missions de soutien à la parentalité qu’ils remplissent. En effet ces deux structures proposent aux parents de les accueillir et de les accompagner dans l’exercice et la pratique de leur parentalité, et le cas échéant, de les soutenir face à des difficultés qu’ils pourraient rencontrer avec pour objectif final le développement harmonieux de l’enfant. Une autre similitude tient dans l’ancrage local de ces deux types d’initiatives, qui apparaît d’ailleurs dans leur dénomination respective.

Pour l’ONE, l’élargissement du secteur des LREP à celui d’autres initiatives représente une opportunité de renforcer la promotion du soutien à la parentalité – en son sein avec un objectif de transversalité comme auprès des professionnels de l’enfance. Le défi sera de continuer à « bricoler » ensemble l’accompagnement du secteur des services spécifiques de soutien à la parentalité – c’est-à-dire à « faire avec » les initiatives similaires ou hétéroclites qui émergeront de la dynamique du terrain. Et ce, avec l’objectif partagé de renforcer l’offre globale de services aux familles en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Bibliographie

Lévi-Strauss C. (2014). La pensée sauvage, Pocket, Paris.

Moisset P. (2009). « Du travail avec les parents à la co-construction de l’espace de délégation », in : Rayna S., Bouve C., Moisset P. (sdd), Pour un accueil de qualité de la petite enfance, quel curriculum ? Érès, Toulouse.

Office de la Naissance et de l’Enfance. (2012). Pour un accompagnement réfléchi des familles, un référentiel de soutien à la parentalité, ONE, Bruxelles.

Office de la Naissance et de l’Enfance. (2016). Le soutien à la parentalité dans les lieux d’accueil, satellite de Pour un accompagnement réfléchi des familles, un référentiel de soutien à la parentalité, ONE, Bruxelles.

Sellenet C. (2007). La parentalité décryptée : pertinence et dérive d’un concept, Paris, L’Harmattan.

Zink M. (2008). « Bricoler à bonne distance », in La lettre du Collège de France, hors-série 2, p. 26-28, URL : http://journals.openedition.org/lettre-cdf/218 ; DOI : https://doi.org/10.4000/lettre-cdf.218.

Notes

1 Arrêté du gouvernement de la Communauté française relatif à l’agrément et au subventionnement des services spécifiques de soutien à la parentalité, 2 mai 2019.

Citer cet article

Référence papier

Antoine Borighem et Nathalie Maulet, « De l’accompagnement d’un secteur à sa législation », Canal Psy, 128 | 2021, 26-29.

Référence électronique

Antoine Borighem et Nathalie Maulet, « De l’accompagnement d’un secteur à sa législation », Canal Psy [En ligne], 128 | 2021, mis en ligne le 13 juillet 2022, consulté le 30 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3420

Auteurs

Antoine Borighem

ONE, Office de la Naissance et de l’Enfance

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Nathalie Maulet

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