C’est parfois au départ plus ou moins brutal des personnes que l’on se rend compte de la place qu’elles ont pu tenir dans notre vie. Celui de Jean-Marie Besse a été un choc, pour beaucoup de ses proches, famille, amis, et anciens collègues, par son imprévisibilité et sa rapidité. Mais pour ma part, je n’ai pas découvert à ce moment-là tout ce qu’il avait pu m’apporter, je sais depuis longtemps que ce que nous avons partagé depuis 1988 a été à l’origine de la quasi-totalité de mon parcours professionnel et personnel. Ce texte vise à lui témoigner ma gratitude et à mettre en lumière la façon dont un chercheur universitaire peut contribuer à faire avancer non seulement la recherche elle-même, mais également une politique mise en œuvre depuis près de 30 ans dans notre pays.
Il est ponctué de petits clin d’œil fait par Karen Petiot, une autre collaboratrice de Jean-Marie, docteure en psychologie cognitive et psychologue du développement.
Une rencontre déterminante dans une insertion professionnelle peu évidente
Après des études en psychologie et en linguistique à l’université Lyon 2, lors desquelles j’ai pu entendre Jean-Marie Besse dans des cours en amphi sur la psychologie du développement, sans me laisser d’ailleurs de souvenir impérissable, ce domaine n’étant pas celui qui m’intéressait le plus à l’époque, je suis partie à Aix-en-Provence poursuivre ma formation, avec une maîtrise et un DEA (soit pour aujourd’hui un master 1 et un master recherche) en psycholinguistique. Rentrée à Lyon, trouver un emploi avec ce bagage s’avéra assez complexe. Puis en 1988, une amie m’indiqua qu’un enseignant-chercheur de Lyon 2 avait besoin de quelqu’un pour mener un travail spécifique d’enquête. C’est ainsi que je rencontrai Jean-Marie, pour participer à une enquête commanditée par la préfecture du Rhône sur les organismes de formation intervenant dans la lutte contre l’illettrisme à Lyon. Ce n’est que quelques années plus tard que je pus réaliser à quel point cette première rencontre fut déterminante pour l’ensemble de mon parcours professionnel.
C’est vrai que c’est ainsi que fonctionnait Jean-Marie. Avec cette capacité à vite percevoir et faire émerger le meilleur chez ses étudiantes/collaboratrices, il savait rapidement confier des missions sérieuses et qui nous faisaient rapidement évoluer. Pour ma part, je me souviens qu’à peine intégrée dans son équipe, et alors que je n’étais qu’une étudiante discrète et sans beaucoup d’expérience professionnelle, avec mon DEA en poche, je fus assignée à des tâches d’organisation d’un colloque, organisé en 1996, sur le thème de l’illettrisme à l’Université Lumière Lyon 2 et accueillant des centaines de personnes de la France métropolitaine et d’Outre-mer sur une semaine.
En effet, suite à cette première collaboration, Jean-Marie me proposa d’intervenir dans des TD de première et deuxième année de psychologie, sur mes thèmes de recherche à savoir la mémorisation, la compréhension et surtout la production de textes écrits, que j’avais étudiées auprès d’enfants, mais qui me semblaient de nature à enrichir la pédagogie à mettre en œuvre avec des jeunes et des adultes en difficulté avec l’écrit. En parallèle, je débutai comme formatrice auprès de publics adultes en situation d’illettrisme ou de difficultés avec la lecture et l’écriture.
Sans détailler ce long parcours, vu que je suis maintenant à la retraite depuis quelques mois, et au travers de cette carrière qui fut constamment liée à la prévention et la lutte contre l’illettrisme, j’ai pu préserver ce parallélisme entre recherche et enseignement universitaire d’une part, et activité professionnelle liée à la formation d’adultes, puis de formateurs. Garder un ancrage théorique et se remettre en cause pour enrichir les pratiques professionnelles de formation fut mon axe de travail transversal. Après avoir été ATER1, puis au moment de soutenir ma thèse en 2000, j’intégrai le CAFOC2 de Lyon (structure dans laquelle il travailla aussi avant d’intégrer l’université), afin de former des formateurs, puis en parallèle, je devins chargée de mission régionale sur l’illettrisme à la Préfecture de région, et à ce titre, correspondante de régionale de l’Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme (ANLCI). Sur la proposition de Jean-Marie, je fus également maître de conférences associée 5 ans, ce qui me permit encore une fois d’articuler une activité universitaire d’enseignement et de recherche dans son équipe et la mission régionale auprès des multiples acteurs de la lutte contre l’illettrisme. C’est en tant que chargée de mission nationale au sein de l’ANLCI que j’ai terminé mon activité professionnelle, en travaillant sur la professionnalisation des acteurs.
En fait, à toutes les étapes de mon cheminement professionnel, Jean-Marie fut soit un interlocuteur et un conseiller, soit la source de propositions et d’opportunités pour avancer et enrichir encore mon expérience.
Une vision nouvelle et globale des situations d’illettrisme
A la fin des années 80, le terme d’illettrisme émerge dans un nombre croissant de problématiques et de constats, ATD-Quart Monde ayant été parmi les premiers à poser une description de ce phénomène. Comment dans un pays où l’instruction était obligatoire depuis si longtemps (loi de Jules Ferry en1882), se pouvait-il que des adultes ayant été scolarisés en langue française puissent être dans l’incapacité de lire, de comprendre, d’écrire et de compter ?
L’historique de cette émergence de l’illettrisme n’est pas l’objet de ce texte, Jean-Marie et d’autres auteurs ont déjà décrit et analysé cette période (Besse, 1995 ; Lahire, 1999). En revanche, la façon dont on pouvait appréhender cette question et la comprendre en échangeant avec Jean-Marie Besse fut pour moi une révélation. Et ce, pour différentes raisons, à savoir comment aborder les situations d’illettrisme elles-mêmes, comment les définir, et comment les mesurer, le tout découlant d’un regard et de représentations, issus non pas de points de vue préconçus, mais partant de l’observation et de l’accueil de ce que vivaient et traversaient les personnes elles-mêmes, notamment quand elles étaient en dynamique de formation, en mobilisant les éléments théoriques, andragogiques et expérienciels qui se révélaient pertinents. Le laboratoire qui nous réunissait, car c’est bien toute une équipe sans cesse élargie et enrichie qui se penchait sous sa houlette sur ces problématiques liées à l’apprentissage de l’écrit, s’est vite appelé PsyEF, pour Psychologie de l’Education et de la Formation, reflétant bien ce mix entre l’intérêt pour les premiers apprentissages chez les enfants et la situation des adultes rencontrant des difficultés dans la maîtrise de les compétences de base (lire, écrire, compter… auxquelles on peut rajouter aujourd’hui cliquer !).
Je me souviens avec plaisir de ces réunions du PsyEF du mardi soir durant lesquelles nous, enseignants chercheurs, étudiantes thésardes et bien sûr Jean-Marie, échangions sur les projets en cours. La convivialité et le respect mutuel qui régnaient n’enlevaient rien à l’exigence scientifique des exposés.
La façon d’aborder les situations des personnes en situation d’illettrisme
Le pluriel n’est pas anodin pour parler des situations d’illettrisme, on mettait un « s » à situation mais aussi souvent à illettrisme (Besse, 1997). Il n’y a pas UNE situation archétypale, univoque et emblématique de l’illettrisme, il y a des vies, des chaos, des ruptures, des parcours autres que celui d’une réussite à l’école, qui peuvent être à l’origine de ces difficultés. Et pour le mettre en évidence, le chercheur et son équipe sont sortis du laboratoire et sont allés à la rencontre des personnes, là où elles se trouvaient (dans des organismes de formation, en prison, en centre de formation d’apprentis, en missions locales, …). En fait, ce qui était nouveau et productif scientifiquement parlant, c’était d’aborder ces parcours d’un point de vue développemental et constructiviste, mais sans pour autant plaquer un modèle piagétien, initialement pertinent pour les enfants, à des adultes. Partir de l’idée que chaque personne avait sa propre trajectoire, un rapport personnel à l’écrit et ses propres acquis eut une influence sur toute la suite. Et surtout, ne pas considérer les personnes sous le seul axe de leur « déficit » ou de leur incapacité, mais plutôt de leurs savoirs, pratiques et acquis.
En toute subjectivité, il me semble que la recherche-action faite pour répondre à la commande de l’Administration pénitentiaire a représenté un point fort dans mon parcours professionnel en lien avec l’illettrisme. Il s’agissait de mesurer l’étendue des situations d’illettrisme en milieu carcéral en France métropole. En tant que jeune thésarde, j’avais le sentiment de contribuer à une meilleure compréhension d’un pan assez oublié de la société française et j’en étais fière, d’autant que je trouvais capital que des travaux universitaires aient un impact concret à l’extérieur des murs de l’Université. Je me souviens de la liberté d’action que nous laissait Jean-Marie autant pour conduire certaines réunions de présentation de nos travaux au personnel enseignant du milieu carcéral que pour rédiger des documents de travail de synthèse. Il ne nous considérait pas comme des subalternes mais comme des collaboratrices et nous présentait comme telles !
La définition de ces situations d’un point de vue intriquant/imbriquant diverses dimensions
En utilisant les apports de la psychologie développementale et du modèle piagétien dans l’observation et la rencontre avec de multiples jeunes et adultes, un modèle émergea autour du concept d’appropriation de l’écrit, impliquant des dimensions psychologiques, linguistiques, sociales et culturelles (Besse, 2004). Ce modèle est encore aujourd’hui à l’œuvre dans des formations de formateurs telles que celles que j’ai pu réaliser récemment pour les outiller dans la prise en compte des adultes en situation d’illettrisme.
Il repose sur l’idée que chaque personne construit son propre rapport à l’écrit, qui se nourrit de diverses dimensions en lien avec :
- les pratiques effectives des personnes dans leur vie quotidienne
- la motivation et les enjeux individuels dans ces pratiques
- les processus cognitifs mis en œuvre
- l’identification des fonctions de l’écrit et les aspects métalinguistiques
- les représentations de soi et de l’écrit, issues des expériences de confrontation à l’écrit et à son apprentissage, vécues depuis l’enfance et de l’estime de soi, incluant aussi la dimension métacognitive.
Combien de colloques et de conférences nous avons pu faire pour diffuser cette idée de l’appropriation de l’Écrit ! Et combien ce modèle a pu faire écho chez les formateurs et autres personnes professionnelles et bénévoles qui travaillaient auprès des personnes en situation d’illettrisme ! ! ! Et Jean-Marie, à chaque fois, savait mettre en avant l’avancée de notre travail de thèse au travers de ses propres réflexions ! Tout à chacun appréciait sa simplicité et son regard bien veillant dans les échanges.
Ainsi, pour étudier et comprendre quelle était la nature de ce rapport à l’écrit, une méthodologie spécifique fut nécessaire, élaborée, testée, éprouvée puis diffusée sur plusieurs années.
Dans certaines recherches, il s’agissait aussi d’aborder la dimension métacognitive, en questionnant la personne au fur et à mesure sur comment elle s’y prenait, comment elle savait que c’était cela ou pas….
Tout ce travail fut ensuite rassemblé sous la forme d’un outil appelé Diagnostic des Modes d’Appropriation (DMA), et décliné dans plusieurs travaux de recherche.
Le DMA (Diagnostic de Modes d’Appropriation de l’Écrit) est un outil clinique (au sens d’être au chevet du patient), non standardisé, qui permet d’échanger avec une personne sur sa trajectoire d’apprentissage de l’Écrit (lecture et production écrite), de mesurer ses compétences, d’un point de vue qualitatif et quantitatif, et de commencer à restaurer une estime de soi d’apprenant toujours abimée dans le cas des personnes en situation d’illettrisme. Il est constitué de documents du quotidien (ex. un programme TV), authentiques ou transformés afin de répondre aux exigences des modèles d’apprentissages de la lecture et de l’écriture. Son élaboration a vu de nombreuses évolutions au fur et à mesure des travaux de l’équipe du PsyEF.
Mais qui dit étudier et comprendre des situations dit aussi les observer, les décrire et les caractériser, ce qui passe par leur mesure.
La façon de mesurer en objectivant les acquis des personnes concernées
Dans la formation pour adultes, un changement de paradigme important eut lieu quand on cessa de fonctionner auprès de stagiaires apprenants comme avec des enfants dans un apprentissage initial. Là où on parlait d’acquisitions de savoirs et de connaissances, il fut alors question de la façon dont les adultes construisaient et développaient des compétences, dans la perspective d’un savoir-agir (Le Boterf, 1995). On passe alors de savoirs décontextualisés et censés être disponibles et acquis définitivement à des compétences faites de capacités, de savoir-faire en action, dans des contextes professionnels ou non, mais ancrés dans une situation concrète faisant sens pour les personnes.
Or, si l’on modifie la nature de ce que l’on veut mesurer, les instruments de mesure choisis doivent aussi s’adapter. Là où l’on rencontrait dans nombre d’organismes de formation des « évaluations en français et maths », visant à rattacher les personnes à un niveau scolaire, et à évaluer l’état de leurs connaissances académiques et normées sur la langue écrite, se posait la question du lien à faire ensuite avec une mesure fiable des compétences réelles de la personne en activité.
Si le DMA fut construit comme un outil permettant de repérer les acquis et fonctionnement des personnes dans une approche clinique, il fallut le simplifier et rendre accessible à des enquêteurs non psychologues le déroulé d’une évaluation de l’illettrisme.
De façon synthétique, et en appui sur les dimensions en jeu dans toute appropriation de l’écrit par des adultes, l’équipe mit au point un protocole d’entretien avec plusieurs étapes visant à :
- installer tout d’abord une relation de confiance avec la personne, en explorant son histoire, son parcours, sa situation personnelle.
- proposer des mises en situation impliquant de la lecture (sur des supports variés comme des photos, des menus ou jaquette de CD,…), puis de la production de différents écrits (un message à laisser à un collègue, une « dictée » de mots ou pseudo-mots,…).
- conclure l’entretien sur les projets ou possibilités s’offrant à la personne en fonction de là où elle en était dans son parcours, ce qui permettait aussi de donner de l’information sur les opportunités et possibilités de formation existantes.
Ce fut ce protocole qui permit à la France de se doter d’un instrument de mesure unique en Europe.
Une politique nationale développée par une Agence Nationale de Lutte Contre l’Illettrisme
En 2000, et suite à des travaux divers dont la consultation de mouvements associatifs tels que ATD-Quart Monde, le GPLI (Groupement Permanent de Lutte contre l’Illettrisme) ou l’AG3I créée par Jean-Marie en Rhône-Alpes dans les années 1990), ou de structures telles que les Centres de Ressources Illettrisme qui alimentèrent le rapport réalisé par Marie-Thérèse Geffroy à la demande du gouvernement de l’époque, l’ANLCI voit le jour. Basée à Lyon, constituée d’une petite équipe nationale et de correspondants régionaux désignés par les préfets de région, ses premières missions consistent à définir ce qu’est l’illettrisme, puis à doter l’institut statistique de l’état, l’INSEE, d’un outil de mesure efficace.
La définition s’est construite sur des échanges avec de nombreux universitaires et praticiens, réunis notamment au sein d’un Conseil scientifique, auquel Jean-Marie participait. Elle permit non seulement de s’affranchir du cadre scolaire et normatif, mais aussi de poser comme base la notion de compétence et de pratiques quotidiennes à prendre en compte.
Quant à la mesure, elle cristallisa les divergences selon les ancrages théoriques et scientifiques (sociologique, linguistique ou psycholinguistique) de nombreux chercheurs.
Ce fut l’équipe de Jean-Marie Besse qui fut mobilisée, par rapport à la façon d’envisager non les manques mais les acquis, et de s’adapter aux différentes pratiques pertinentes dans la vie courante des personnes. Issu des travaux sur le DMA, le protocole ainsi construit fut utilisé par l’INSEE au niveau national en 2003, 2013 et avec une légère réadaptation, en 2023, sous la houlette de l’ANLCI et de l’INSEE.
Cette étape de mesure fut cruciale dans la construction d’une politique nationale de prévention et de lutte contre l’illettrisme. En 2003, les premiers chiffres ont montré que 3 100 000 personnes, soit 9 % des 18-65 ans, se trouvaient en situation d’illettrisme. Ce chiffre fit l’effet d’une bombe pour tous ceux qui pensaient que ce nombre réel de personnes en difficulté avec l’écrit était anecdotique, voire surestimé. De plus, les données montraient que 54 % de ces personnes étaient en emploi, ce qui allait à l’encontre d’une vision misérabiliste et synonyme de précarité et d’exclusion sociale. Grâce au protocole d’entretien élaboré par le PsyEF, de nombreuses données étaient disponibles, sur la trajectoire et les pratiques des personnes. Leur analyse permit d’avoir un croisement fécond entre les dimensions psychologiques et objectivées dans les pratiques, grâce à l’apport d’une approche statistique approfondie, possible via l’enquête menée par l’INSEE (Besse et al, 2009 ; Guérin-Pace, 2009).
En 2013, le nombre de personnes en situation d’illettrisme représentait encore 2,5 millions de personnes, soit 7 %, avec toujours un peu plus de la moitié d’entre elles en emploi.
Aujourd’hui, l’ANLCI précise que s’il y a 1 400 000 personnes en situation d’illettrisme parmi celles ayant début leur scolarité en France, soit 4 % des 18-65 ans, ce sont 10 % qui ont des difficultés avec les fondamentaux de l’écrit.
Du côté des acquis en mathématiques, 9 % des personnes ayant débuté leur scolarité en France sont en situation d’innumérisme et 12 % qui rencontrent des difficultés en calcul de base.
Cette question de la mesure reste un enjeu central, car c’est à partir de là que les choix politiques sont faits. Et même si bien d’autres urgences accaparent actuellement l’attention et les médias, à l’heure où le numérique a envahi nos vies, on sait que les personnes en difficulté avec les compétences de base le sont aussi avec les outils numériques et donc, les démarches administratives, l’accès à de nombreuses informations et la capacité à démêler le vrai du faux dans l’afflux de messages véhiculés sur les réseaux sociaux… Jean-Marie n’était pas étranger à la prise de conscience sur ce sujet, il participa avec l’ANLCI, représentée par Elie Maroun, aux travaux de rédaction du Livre Blanc contre l’Illectronisme, édité en juin 2019 par le Syndicat de la Presse Sociale, rapport dont il rédigea la préface.
Il manque encore une mesure des compétences numériques dans la dernière enquête réalisée par l’INSEE, mais l’ANLCI s’est dotée d’un Observatoire national de l’illettrisme et de l’illectronisme depuis septembre 2023. L’objectif à terme est bien d’inclure la mesure des capacités numériques des personnes dans les prochaines enquêtes.
Ainsi, je dirai que Jean-Marie Besse a su rester tout au long de son parcours universitaire connecté avec les préoccupations sociales, en lien avec ses objets de recherche et les questions que se posaient les praticiens et professionnels. Garder l’esprit ouvert, inclure les professionnels dans les travaux du laboratoire, et être présent dans les instances hors université qui pouvaient faire avancer la prise en compte des personnes en situation d’illettrisme, ce fut son positionnement et sa grande qualité. Faire ainsi sortir la recherche des murs de l’université pour l’adapter et la mettre au service dans la « vraie » vie, ce fut souvent un de nos sujets de discussion.
De façon plus personnelle, et s’il me fallait ne retenir que quelques éléments qui constituèrent les piliers de mon parcours professionnel et personnel, je dirai que la façon dont Jean-Marie vivait l’écoute, la bienveillance et la reconnaissance des acquis des personnes furent non seulement les points sur lesquels se construisit sa démarche scientifique vis-à-vis de l’illettrisme, mais aussi la façon dont ses étudiantes furent accompagnées. Tout ça en faisant confiance à ses collaboratrices, en leur laissant de la liberté et en acceptant d’accueillir des questions qui étaient parfois un peu éloignées de ses propres fondements théoriques. Et comme j’ai eu maintes occasions de le dire à de nombreux stagiaires en formation pour devenir eux-mêmes formateurs, dans toute interaction de formation, il y a le programme, les objectifs, mais la façon dont le formateur anime et accompagne sont aussi des éléments de pratique à s’approprier.
Au travers de sa posture, de sa démarche, Jean-Marie avait cette ouverture qui laissait possible tant à une étudiante en licence qu’à un praticien éloigné de l’université de trouver une place dans un dispositif de recherche, de s’exprimer, de contribuer à une expérimentation ou une recherche, sans discrimination.
Ouvrir l’université sur l’extérieur, valoriser et adapter ses recherches aux besoins du terrain, c’est ce qu’un professeur d’université comme Jean-Marie a permis, non sans difficulté parfois, mais avec toujours de l’enthousiasme, de la chaleur et de la rigueur.
Merci pour cela et pour notre si amical compagnonnage scientifique, cheminement professionnel et personnel.
Oui merci à toi, Jean-Marie, qui a largement contribué à mon évolution professionnelle. Aujourd’hui, pour moi, l’illettrisme est loin car je me suis spécialisée dans les TND, en particulier dans le trouble du Spectre de l’Autisme, en plus de mon activité libérale. Tout à chacun se construit grâce à des rencontres, tu fus sans nul doute l’une des plus déterminantes en ce qui me concerne. J’ai autant appris de nos échanges scientifiques que sur ta posture d’homme de recherche humble, déterminé, faisant front parfois face à l’adversité avec conviction, en appui à une réflexion toujours pointue. Mon regard de psychologue sur le monde est toujours empreint de ce que tu m’as transmis.
