Témoignage d’une praticienne en hommage à Jean-Marie Besse

DOI : 10.35562/canalpsy.3634

Texte

C’est avec une très grande tristesse que j’appris la disparition brutale de Jean Marie en cette fin d’année 2024. Son engagement, sa bienveillance, sa plasticité intellectuelle ont accompagné mon parcours professionnel de formatrice puis de responsable de centre ressources illettrisme, dès que le terme « illettrismes » a rencontré mon chemin professionnel, et ce jusqu’à aujourd’hui.

Après une formation initiale et 10 ans d’expérience en éducation spécialisée, je démarrai, en 1994, une nouvelle étape professionnelle, avec pour seuls bagages, mon diplôme initial (de monitrice éducatrice), une formation à la démarche ACTIVOLOG (démarche de remédiation cognitive), une appétence aux écrits personnels et aux récits autobiographiques. Je devins formatrice auprès de personnes peu à l’aise avec la langue écrite, orale, les mathématiques.

L’association dans laquelle je travaillais alors visait l’inclusion sociale et/ou professionnelle de femmes et d’hommes analphabètes, allophones scolarisés antérieurement ou francophones, scolarisés antérieurement en langue française, par un accompagnement vers une meilleure maîtrise des compétences de base.

En animant des groupes de formation plus ou moins homogènes, je me suis très vite questionnée sur les différents profils linguistiques et sociaux des personnes auprès desquelles je menais des ateliers. Je me suis particulièrement interrogée sur les parcours, sur les profils de personnes ayant été scolarisées en France antérieurement.

À cette époque-là, dans le territoire où je travaillais, les professionnels que je côtoyais n’orientaient pas, ne recevaient pas de personnes en situation d’illettrisme en formation. Ils parlaient alors de « ceux qui ne veulent pas » : aller en formation, écrire, rédiger un CV, compter… Ils les nommaient les « hermétiques » ! !

Pourtant, dans les ateliers collectifs de remédiation, en séquences individuelles, je côtoyais des hommes, des femmes (majoritairement des hommes) qui disaient ne pas savoir lire et écrire, mais qui pourtant en prenant le temps, en étant en confiance, montraient des capacités et produisaient de la matière écrite.

J’étais prise en étau entre les représentations peu fécondes d’une majorité de professionnels et l’humilité andragogique nécessaire à l’accompagnement de femmes et d’hommes en délicatesse avec les compétences de base. Les politiques publiques de lutte contre l’illettrisme mises en œuvre ne rencontraient pas vraiment leur public, dans cet environnement, je me sentais seule, peu outillée, parfois démunie.

J’avais cependant, la chance de travailler dans une structure qui permettait l’expérimentation, la réflexion en équipe et j’étais curieuse. Je pressentais que les échanges avec mes pairs, l’observation de situations individuelles, l’empirisme andragogique (projet, médiation culturelle, ateliers d’écriture, prise en compte des pratiques et des usages), seraient des ressources.

En 1995, je participais à une rencontre régionale organisée par l’association AG3I1, à Lyon. Je rencontrai alors Jean Marie Besse et son équipe pour la première fois. Les conférences m’offraient quelques réponses et surtout de nouvelles interrogations. Des professionnels partageaient leurs pratiques modélisées. Ce fut une belle entrée en matière.

À la suite de cette rencontre, d’autres regroupements, universités d’été où se succédaient chercheurs et praticiens en pluridisciplinarité et en interdisciplinarité, études, groupes de recherches, lectures, échanges entre chercheurs et praticiens, ont enrichi ma pratique, au fil du temps. J’usais aussi de crédits en formation continue pour réfléchir sur ma pratique, la faire évoluer et écrire sur celle-ci. Les situations d’illettrisme, l’illettrisme comme fait social étaient devenus un objet de « recherche » professionnelle que je questionne encore aujourd’hui.

L’intervention auprès des publics concernés était une évidence, agir dans un territoire en prenant appui sur les pratiques et à partir des représentations des acteurs me semblait nécessaire pour modifier le regard et développer des solutions appropriées aux attentes des personnes concernées.

Ainsi, depuis de nombreuses années maintenant, je suis responsable de centres ressources illettrisme, mon activité est centrée sur la transmission, l’accompagnement d’initiatives locales et d’expérimentation menées par différents professionnels et/ou bénévoles et à destination des personnes les plus rétives à la formation sur les compétences de base. Les différentes recherches, les articles, les études, les actes de colloques, signés et/ou co-signés par Jean Marie, Anne, Karen, Sara, Marie-Hélène ou encore Anne-Lise sont des ressources précieuses au service de la professionnalisation, de la formation de formateurs. Ces travaux mettent du sens là où un praticien pressent un chemin à suivre pour mieux accompagner.

J’ai le sentiment d’avoir beaucoup appris au contact de Jean Marie Besse, des professionnelles qu’il a accompagnées et formées. J’ai appris en lisant, en argumentant, en expérimentant, en faisant un pas de côté, en réfléchissant, en me trompant, en écrivant, en côtoyant d’autres disciplines, en explicitant ma pratique, en sollicitant des regards d’experts.

Cet héritage est un bien précieux, essentiel.

Notes

1 Association pour la Gestion InterInstitutionnelle de la lutte contre l’Illettrisme, créée en 1984

Citer cet article

Référence électronique

Sandra Seguin-Nantas, « Témoignage d’une praticienne en hommage à Jean-Marie Besse », Canal Psy [En ligne], 135 | 2025, mis en ligne le 22 octobre 2025, consulté le 25 octobre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3634

Auteur

Sandra Seguin-Nantas

Directrice des Centres Ressources Illettrisme Ain, Loire et Rhône

Droits d'auteur

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