Le couple se fonde sur la sexualité et pourtant une thérapie de couple peut être menée sans que soient évoquées les relations sexuelles des partenaires. Que se passe-t-il donc ? Nous allons chercher à explorer diverses situations autour de la sexualité et de la relation conjugale telles qu’elles sont amenées en thérapie de couple.
Les conflits et symptômes mis en avant pour demander une thérapie de couple sont rarement directement d’ordre sexuel. Quand c’est le cas, la demande est le plus souvent adressée au sexologue qui peut diriger les conjoints vers une thérapie en couple. La supervision de conseillers conjugaux ayant fait une formation en sexologie fait apparaître que conseillers conjugaux, sexologues et thérapeutes de couples reçoivent des demandes autour d’une souffrance conjugale qui par des abords différents vont ouvrir à un travail sur le lien conjugal et son organisation. Certains couples abordent leurs difficultés par le biais des relations sexuelles, d’autres par le conflit ou d’autres symptômes.
Dans toute demande, la sexualité est présente, car le couple, le lien conjugal, sont des organisations de la dimension psycho-sexuelle des partenaires. La crise de couple est le plus souvent due à l’émergence du refoulé, à la mise en question d’un des pactes inconscients sur lequel est construit le couple. Son élaboration dans la thérapie permet une intériorisation par chacun des conjoints des éléments de leur personnalité qui, mis en commun, avaient été déposés dans le couple et en bloquaient l’évolution.
Nous en verrons diverses illustrations, l’évolution de la relation et de sa manifestation sexuelle vont de pair, ainsi que le processus thérapeutique et la place du thérapeute face au couple (ou dans le lien de couple) dans le transfert/contre-transfert.
Si le couple se fonde sur la sexualité, en référence à celle-ci, il doit aussi être un lieu de sécurité et servir au renforcement narcissique de chacun des conjoints.
Aussi avant d’aborder ce qui se passe en thérapie de couple il est nécessaire de reprendre de rapides notions sur le couple et sur les relations sexuelles.
Narcissisme et objectalité
La sexualité fonde le couple. Certaines religions font de la consommation du mariage la validité de celui-ci. Il est vrai que le mariage a été longtemps tourné vers la procréation, la constitution d’une famille, le soutien économique des conjoints et non vers le bonheur des époux. Mais le mariage est passé, en l’espace de deux siècles, du mariage traditionnel arrangé par les familles, au mariage d’amour puis au « couple d’amour ». Actuellement nombreux sont les partenaires qui, ne se sentant plus amoureux, pensent que le lien entre eux s’est éteint, ils sont quelquefois étonnés de souffrir d’une séparation qu’ils avaient pourtant souhaitée ou qui faisait partie du contrat entre eux. Les couples actuels sont ainsi dans une grande fragilité, d’une part l’attente des partenaires est immense et d’autre part ils n’ont plus d’étayage social suffisant pour leur permettre de dépasser leurs conflits, inévitables. Conflits qui font partie intrinsèque de l’organisation du couple. Car si les partenaires attendent de leur couple, de leur lien conjugal, des satisfactions, le plaisir, ils en attendent aussi une certaine sécurité, une confirmation de soi, un renforcement de leur équilibre psychique et, selon l’histoire préalable des conjoints, satisfaction et sécurité peuvent être antinomiques.
Le couple se fonde ainsi sur deux types de lien, les liens narcissiques et les liens objectaux et selon la prédominance des uns ou des autres, la sexualité dans le couple prendra des formes différentes, pouvant aller de l’évitement des relations sexuelles, du désintérêt pour celles-ci quand prédominent dans le lien les composantes narcissiques, à une sexualité active qui peut être accompagnée de toutes les difficultés sexuelles : impuissance, vaginisme, frigidité, etc. Le fait d’avoir des relations sexuelles n’est pas toujours source de satisfaction et tous les couples n’atteignent pas le niveau de « l’amant de jouissance » dont je parlerai plus loin.
Dans le couple, il faut suffisamment du « même » pour pouvoir se comprendre, un peu, mais la différence relance le désir, crée l’écart que les partenaires vont chercher à combler. La différence crée l’écart qui permet de s’approcher de l’autre sans se perdre soi-même, ou du moins d’accepter de se perdre tout en étant sûr de se retrouver, ce qui n’est pas le cas pour toutes les personnalités.
De nombreux partenaires n’ont pas atteint ce stade de développement qui leur permettrait d’utiliser leur couple pour poursuivre leur développement personnel.
L’amant de jouissance
Pour aborder le stade génital de la sexualité, je vais me référer aux travaux de Jacqueline Schaeffer. « L’amant de jouissance » est le titre d’un chapitre de son livre Le refus du féminin.
Ce travail de cocréation n’est possible que si le « refus du féminin » est dépassé par l’un et l’autre partenaire, pour que sous la poussée sexuelle chez l’homme il crée le féminin chez la femme. Il ne peut s’effectuer que dans une relation « fiable et durable » qui devient alors source de réorganisation narcissique et objectale. « L’amant de jouissance est éminemment œdipien, il ne peut donc être pervers1. »« La jouissance, dit-elle, si elle inclut l’orgasme est, au-delà de celui-ci, la rencontre de deux psychismes. Pour ce faire, l’amant de jouissance affronte et sépare de la mère archaïque, mais il ne peut toutefois aider sa compagne à faire cette séparation qu’à la condition de l’avoir lui-même effectuée.Ce travail psychique commencé dans l’enfance, repris dans l’adolescence n’est jamais terminé, il est toujours à reprendre dans le couple et dans la relation sexuelle et conjugale, il s’opère à deux et ouvre sur la cocréation du féminin et du masculin. »
Il est inutile de dire que les couples que nous voyons en consultation conjugale et en thérapie de couple n’ont pas atteint ce mode d’expression de la sexualité ou s’ils l’avaient atteint, ce qu’ils montrent au moment de la consultation est une régression par rapport à un mode de fonctionnement plus mature, régression entraînant souvent arrêt des relations ou difficultés sexuelles.
Il est inutile de dire que les couples que nous voyons en consultation conjugale et en thérapie de couple n’ont pas atteint ce mode d’expression de la sexualité ou s’ils l’avaient atteint, ce qu’ils montrent au moment de la consultation est une régression par rapport à un mode de fonctionnement plus mature, régression entraînant souvent arrêt des relations ou difficultés sexuelles.
Si Jacqueline Schaeffer parle de la séparation de la mère archaïque, pour Janine Puget l’érotisme dans le couple assure la fonction de parachèvement de la séparation des parents de l’enfance. Ce parachèvement permet de s’éloigner de la répétition et d’ouvrir sur l’inédit2.
Claude et Frédéric ont consulté alors que Claude envisageait la séparation. L’ennui, la morosité s’étant installés dans le couple, ils ne voyaient plus ce qu’ils faisaient ensemble, mais venaient cependant à la demande de Frédéric rencontrer un thérapeute pour savoir si des possibles existaient encore. Les relations sexuelles étaient en berne, Frédéric en était bien demandeur, mais les refus de Claude étaient systématiques.
Au cours de la thérapie qu’ils engagèrent, ils évoquèrent un épisode significatif : suite à une infection vaginale chez Claude, les relations sexuelles leur furent interdites, Claude devint demandeuse d’une tendresse physique devant laquelle Frédéric se sentit reculer. Ce qu’il formula ainsi « je ne peux plus dire que c’est moi qui désire et ma femme qui refuse ». Ils purent alors penser que l’évitement du rapprochement était le fait des deux et participait de l’organisation défensive de leur couple, qu’il était ou avait été nécessaire à la durée de leur lien. Il en était d’ailleurs au fondement, ils avaient commencé la vie commune à trois avec une amie de Claude dans ce qu’ils appelèrent eux même « un couple non-couple ».
La thérapie entreprise dura plusieurs années.
Puis, alors qu’ils venaient de fêter leurs 25 ans de rencontre, ils exprimèrent que si le travail de la thérapie avait été douloureux, ils se sentaient au moins aussi heureux que les nombreux amis qui s’étaient séparés pour constituer de nouveaux couples.
Enfin, dans la perspective de la fin de la thérapie, ils retravaillèrent à partir de l’évocation d’une rupture thérapeutique de Claude au moment de la naissance de leur premier enfant et du deuil non fait de son analyste, leurs relations à l’environnement primaire et aux imagos parentales.
Lors des dernières séances, ils revinrent sur la question des relations sexuelles. Celles-ci ont toujours la même forme : une demande insistante de Frédéric, mais les refus de Claude sont devenus les préliminaires de la relation dont elle dira elle-même qu’il y a de ce fait « un en plus de plaisir ». Ces préliminaires organisent la peur du féminin, le désir redouté du rapprochement ainsi que son dépassement.
La sexualité génitale organise le prégénital dans les préliminaires et dans les fantasmes
Le lien conjugal comme tout lien a une fonction organisatrice et une fonction défensive, il participe du renforcement de l’organisation défensive de chacun des partenaires. La rencontre s’est souvent faite inconsciemment sur une problématique archaïque, prégénitale que leur lien va organiser, ce sont les collusions dont parle Jurg Willi3, les pactes inconscients de René Kaës4. Le lien va permettre de les ignorer jusqu’à ce qu’une crise de couple vienne les faire ressurgir, faisant apparaître la manière dont le couple les a organisés jusque-là.
Jusqu’à il y a peu, Maurice et Brune n’ont eu aucun problème « 20 ans que ça roule » disent-ils. Une crise existentielle de Maurice, crise remettant en cause ses convictions, ses valeurs, ses appartenances et dont il parle comme d’une crise de la quarantaine va déséquilibrer le couple.
En perte d’étayage, Brune voit ressurgir des désirs homosexuels qui l’avaient laissée en paix depuis sa rencontre avec Maurice, elle avait cru s’en protéger par la relation conjugale. Avant leur rencontre elle avait eu une liaison de plusieurs années avec une femme qui était la directrice de l’établissement dans lequel elle travaillait, une femme en position d’autorité, un substitut de mère.
Espérant retrouver un appui sur son conjoint, elle lui parle de ses désirs pour une collègue de travail. Au lieu de la protection attendue Maurice s’effondre, développe des pensées suicidaires, maigrit de 15 kg en peu de temps, c’est ainsi qu’ils arrivent en consultation. Maurice ne sait plus qui il est, s’il est aimé et, si c’est le cas, en tant qu’homme ou femme.
Leur demande va s’articuler autour de l’homosexualité et de l’effondrement narcissique. La thérapie fera apparaître dans des temps différents, comment l’un et l’autre participent de ces deux niveaux de symptôme, de ces deux problématiques.
Le travail fera apparaître que :
- La constitution de leur couple avait été une défense contre l’homosexualité de chacun, qui elle-même était en partie une défense, un recul devant l’hétérosexualité.
- Cette désarticulation de l’homosexualité et de l’hétérosexualité, en période de crise leur fera percevoir comment l’homosexualité avait été jusque-là organisée dans l’hétérosexualité par des fantasmes partagés et partageables avant la crise. L’idée partagée de faire l’amour à trois participait des préliminaires de la relation.
- Dans la crise, la crainte que le fantasme ne devienne réalité, ne fasse effraction et ne déséquilibre encore plus à la fois leur équilibre personnel et celui de leur couple a ramené à la surface certains abus dont ils ont pu être victimes.
- Le travail n’a pu s’amorcer qu’une fois qu’a été explicité ce que leur faisait vivre la situation de la consultation : être trois un homme et deux femmes, mise en scène de leur fantasme dans un lieu où les actes sont interdits5 (nous en reparlerons plus loin).
Caroline Bartal
La relation sexuelle est un des canaux de la communication entre les partenaires
Elle vient dire l’état de la relation, aussi peut-elle varier selon les différentes périodes de la vie d’un couple, car la relation comme toute relation présente de moments de croissance et d’autres de régression. Elle exprime quelquefois ce qui ne peut se dire ouvertement. Elle ne peut être pensée hors de l’ensemble relationnel des partenaires. Dans le cas précédemment cité, Maurice exprima comment, en pleine période critique, il avait été très demandeur de relations sexuelles. Le sens qu’il leur donna après-coup fut celui d’une réassurance identitaire narcissique et sexuelle et non d’une rencontre avec Brune, qui, bien que s’étant rendu compte que dans celles-ci, elle n’existait pas vraiment pour Maurice, les avait toujours acceptées. Si Maurice en période d’incertitude identitaire est demandeur de relations sexuelles, dans une autre thérapie Muriel exprime que quand elle sent vaciller ses frontières, elle refuse celles-ci, la rencontre de l’autre devenant source de danger effractif.
Une autre thérapie peut éclairer comment modalités des relations sexuelles et mode relationnel sont intimement mêlés :
André et Annie6 consultent sur les conseils de leur généraliste.
Annie a subi de nombreuses opérations dans la sphère génitale et celui-ci pensant qu’il s’agissait d’un problème conjugal a obtenu d’André qu’il accompagne sa femme en consultation. Ils sont là devant moi avec une lettre du médecin, comme deux enfants pris en faute et cherchant à rejeter celle-ci sur l’autre.
Cependant à cette première consultation Annie dit cette phrase qui ne s’éclairera pour moi qu’au cours de la thérapie « J’ai été trompée, volée ». Enceinte au cours d’une relation sans pénétration, Annie refusa toute autre relation jusqu’au mariage et la naissance de l’enfant. Le mariage se fit tardivement dans la poursuite de la grossesse, car l’un et l’autre avaient eu peur d’en parler à leurs parents. Ce qui me frappa aussi au cours de ce premier entretien et qui était objet de plainte d’André, furent les visites quotidiennes d’Annie à ses parents, il me semblait qu’elle allait chaque jour vérifier qu’elle ne les avait pas fait mourir. Leur médecin parlait dans sa lettre du vaginisme et de la frigidité d’Annie, mais celle-ci dès ce premier entretien, commenta ce propos en disant qu’elle y tenait pour se venger d’André qui lui avait promis de la respecter jusqu’au mariage.
Au cours du travail fut révélée l’éjaculation précoce d’André, répétition de la première relation et difficulté sélective, car dans la vie d’André ce fonctionnement n’avait concerné ou ne concernait que sa femme. Il fut mis en lien avec un comportement d’André dans toute sa vie relationnelle conjugale « faire juste ce qu’il faut », mode de vengeance contre ce qu’il ressentait comme haine chez Annie à son égard. Le traumatisme qu’avait été pour eux les conditions de cette première et unique grossesse avait transformé l’amour en haine.
Cette haine avait été reportée sur l’enfant qui fut un des bénéficiaires de la thérapie en trouvant une place face au couple.
Il fut nommé à la dernière séance après que ses parents ayant élaboré leurs désirs de vengeance aient retrouvé du plaisir. Ils regrettèrent l’impossibilité physiologique de pouvoir en avoir un autre.
Au cours de cette séance, André dit à Annie qu’elle donnait enfin une place à leur fils Philippe de 10 ans, celle-ci rétorqua l’avoir toujours bien soigné, ce que reconnut son mari tout en ajoutant que l’enfant n’avait cependant jamais eu aucun droit à mettre le moindre désordre, donc à jouer. Pensive, Annie dit alors « mon plus cher désir eut été qu’il fut mort-né, cette pensée m’a longtemps habitée et maintenant elle a disparu ».
Retrouvant le plaisir entre eux, ils pouvaient donner place à leur fils dans la ligne des générations, mais pour se faire il avait fallu qu’ils se séparent de leurs parents et qu’ils affrontent la culpabilité de grandir.
Dans toute cette thérapie, le médecin généraliste fut très présent dans le va-et-vient organisé par le couple entre la thérapie et lui… Sa présence constante dans leurs propos attestait de la nécessité pour eux de mettre un tiers dans la relation thérapeutique, de reconstituer un couple parental moins interdicteur que celui qu’ils projetaient sur leurs parents. Cette situation leur a permis de s’approcher tour à tour de nous comme parents fantasmatiques sans se sentir en danger afin de pouvoir s’autonomiser et accéder ainsi à une sexualité adulte. En s’inscrivant eux même dans la chaîne générationnelle, ils ont pu y inscrire leur enfant.
Relation conjugale et relations sexuelles
Des personnes seules choisissent un thérapeute de couple pour consulter quand elles se sentent en danger, car vivant à la fois deux relations, la relation conjugale à laquelle elles tiennent et une relation extraconjugale. De même, des couples consultent autour de la relation extraconjugale de l’un d’eux, relation qui a même pu être proposée par le conjoint dans un moment de vie et qui fait problème dans un autre.
Déjà, pour certains couples, à partir du récit de leur rencontre, peut être perçu la nécessité d’un tiers concret dans le couple, ce qui a fait attrait a pu être la possibilité de prendre quelqu’un à quelqu’un d’autre, ou encore la rencontre n’a été possible que parce que d’autres partenaires existaient assurant la protection de chacun.
Annik Houel7 dans sa recherche sur l’adultère féminin à partir de la littérature, propose l’hypothèse que sous la protection du mari, la femme dans sa relation à l’amant revit et prolonge sa relation passionnelle à la mère. L’adultère, pour elle, se place sous le signe de la régression et de la passion contrôlées.
Dans ma pratique, ceux et celles qui ont consulté dans le désir de pouvoir choisir et devant l’impossibilité à le faire, ont soit trouvé un réaménagement permettant la présence du tiers de manière plus supportable, soit élaboré à partir de l’amant ou la maîtresse un deuil par rapport à des imagos parentales encore trop prégnantes, dans la réduction d’un clivage.
Ce fut le cas pour Maurice et Brune. Brune, en fin de thérapie, dans le détachement de celle-ci, travaille l’osmose dans laquelle elle a été avec sa mère et Maurice fait de même en renonçant d’avoir accès à la mère au travers de la relation à sa femme.
Cette réunification ne se fait pas sans mal. Comme me le disait une jeune femme « Si je quitte mon ami, je quitte aussi mon mari ».
Autre vignette : Bernard était venu consulter avec sa femme à propos de sa maitresse, celle-ci lui ayant été présentée par son épouse dans une période où, après la naissance de deux enfants, elle ne désirait plus de relations sexuelles. Après tout un travail le couple se sépara, mais Bernard ne partit pas vivre avec sa maitresse, il la quitta aussi pour, par la suite, investir une nouvelle femme.
Les relations sexuelles hors du couple sont dans ce cas, non pas un signe de la mort du couple, mais de la recherche d’une protection contre une relation vécue comme dangereuse quand le sexuel est investi affectivement.
Beaucoup d’autres éléments pourraient être apportés sur les nombreuses configurations du tiers dans le couple où se jouent l’homosexualité et l’hétérosexualité.
Le transfert contre-transfert
La thérapie d’Annie et André est une des premières que j’ai pratiquée, elle m’a beaucoup appris. Elle introduit aux places dans lesquelles est mis le thérapeute dans le transfert en thérapie de couple. Il m’a paru évident que sans l’appui homosexuel sur le médecin, André ne serait jamais venu consulter avec sa femme, une femme.
Pour Maurice et Brune, quand, devant les hésitations et les mouvements de recul de Maurice, j’ai suggéré que la situation à trois dans laquelle nous étions était peut-être difficile, Maurice se mit à parler de ses désirs d’amour à plusieurs et de sa peur de passage à l’acte actuellement, et Brune évoqua sa fuite d’une thérapie, fuite consécutive à une tentative de passage à l’acte sexuel de l’analyste. Ils avaient reporté sur la scène de la consultation le risque d’effraction que représente la collusion du fantasme et de la réalité. Nous n’en étions qu’aux entretiens préliminaires, le cadre d’une thérapie n’était pas encore posé. Cependant, la proposition de mise en place d’un contrat de thérapie souleva une angoisse d’abandon, s’ils avaient le choix ou non de s’engager, moi aussi et cette supposition leur fut insupportable. En fait, ils s’étaient « engouffrés » dans la relation sans qu’un espace entre eux et moi puisse exister sans angoisse.
Le transfert avait été présent dès avant la rencontre, du moins du côté de Brune qui m’avait entendu dans un colloque et qui, dans la demande d’entretien au téléphone avait dit exercer la même profession que moi et avait ajouté : est-ce que cela est gênant ?
Dans ce théâtre à trois s’actualisent des scénarios infantiles qui s’étaient organisés dans le fonctionnement du lien. Se mettre à l’écoute du couple n’est pas une position facile. Il est nécessaire pour ce faire que le thérapeute ait bien élaboré pour lui-même sa position dans le triangle œdipien et ait suffisamment travaillé ce qui, en lui, l’amène à prendre cette place : voyeurisme, désir de séparer le couple, ou au contraire de le réparer, à chacun son histoire avec le couple, mais cette histoire sera sollicitée dans le transfert. Se centrer sur l’écoute du lien permet d’entendre la place donnée par le couple au thérapeute dans le triangle dans lequel il est mis tour à tour à toutes les places. Écouter le lien permet de donner sens aux demandes d’alliance de l’un ou l’autre partenaire, ou son propre désir de thérapeute de faire alliance avec l’un d’eux soit pour soigner l’autre, soit dans un rapprochement, tel, par exemple, s’adresser à l’un des conjoints pour lui permettre d’élaborer à partir de sa propre histoire infantile le matériel qu’il vient d’amener. Ces recherches d’alliance peuvent alors être pensées comme une fuite de la relation à trois et la répétition d’un scénario infantile de séduction narcissique ou sexuelle.
Le travail d’autoanalyse de la place prise par le thérapeute ou induite par le transfert lui donne à percevoir ce qu’il en est dans l’organisation du couple de la psychosexualité et des relations sexuelles.
À partir de ces actualisations, une évolution ou un réaménagement peuvent s’amorcer.
La thérapie de couple n’est pas centrée sur les relations sexuelles, mais sur l’organisation de la sexualité dans et par le couple, certains couples peuvent ne pas avoir de relations sexuelles, signe de différence, mais une sexualité de peau à peau qui n’ouvre pas sur le tiers, sur une place pour l’enfant, ils sont souvent des couples très stables…
Au cours d’une thérapie, le thérapeute perçoit à partir des évolutions de la relation, les transformations de la relation sexuelle, mais aussi ses régressions. C’est à partir de la capacité du thérapeute à pouvoir prendre toutes les places aussi bien dans la relation narcissique, face à cette relation, que dans le triangle œdipien que le couple sera en mesure d’analyser sa relation.