La prise en charge thérapeutique post-carcérale de l’auteur de violences sexuelles

DOI : 10.35562/canalpsy.904

p. 12-15

Plan

Texte

Cette contribution est bâtie à partir de mon expérience du traitement de sujets présentant des troubles du comportement sexuel ayant entraîné des violences sexuelles judiciarisées, au cours de ces dix dernières années en centre public de soins. Ce centre, le PARI1, est une unité de recherches et de traitements psychanalytiques où sont mises en œuvre des psychothérapies individuelles et de groupe. Il constitue une Unité Fonctionnelle du Centre Hospitalier de Saint-Égrève (Isère) et il est intersectoriel. Exclusivement centré sur une pratique psychothérapique, ce centre s’adjoint la participation de médecins extérieurs, voire d’autres professionnels ou structures (services hospitaliers, CMP, services sociaux, etc.) lorsqu’un traitement chimiothérapique ou qu’une intervention sociale est à fournir dans le cadre du traitement de nos patients. Aussi est-il de pratique courante et fréquente pour des patients hospitalisés, d’intervention en partenariat de soins avec d’autres équipes.

Depuis une quinzaine d’années, sous l’égide de Claude Balier, alors médecin chef du SMPR de Varces, un lien s’est développé de manière privilégiée entre notre centre et le SMPR pour des activités de réflexion, d’études de cas et de recherches cliniques à propos des sujets auteurs d’agressions sexuelles (Balier, Ciavaldini, Girard-Khayat, 1996)2.

Notre centre dispose, en ce qui concerne les sujets auteurs de violences sexuelles (AVS), de quatre sources d’adresses des patients. La première, la plus ancienne et la plus banale, est celle des patients « tout-venant » parmi lesquels, de temps à autre, se trouvent des problématiques de violences sexuelles. La seconde source date du début des années 90. Elle est issue du lien avec le SMPR de Varces. Nous recevions des sujets en fin de peine demandeurs de la poursuite du travail thérapeutique entrepris dans le cadre du SMPR ou des sujets pour lesquels une poursuite du soin semblait préconisable et supportable par le sujet. La troisième source a été autorisée par la loi de juin 98 sur la base de l’obligation de soin. Un lien s’est effectué entre les juges de l’application des peines (JAP), le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et notre service qui consacre une partie de sa mission publique à recevoir des patients en obligations de soins (environ 10 % de sa file active, soit une cinquantaine de patients par an). Enfin, la quatrième source est celle de la rançon de notre acceptation de travailler avec les auteurs de tels comportements, à savoir que nous sommes maintenant sollicités par de nombreuses structures institutionnelles qui se déchargent sur notre centre pour toutes les questions concernant le suivi de tels sujets.

La prise en charge thérapeutique d’un auteur de violence sexuelle en milieu ouvert pose trois types de problèmes qui nous serviront de fil conducteur : « prendre en charge » suppose que soit différencié traitement et suivi. Le traitement, dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire, est-il de même nature que celui initié à la demande d’un sujet hors main de justice ? Quels sont les AVS qui accèdent à un traitement ? Enfin, qu’implique, comme règles spécifiques mais aussi comme risques et donc comme conduites à tenir, le traitement psychothérapique en « milieu ouvert » au regard de celui effectué dans le milieu fermé de la prison ?

La question du « traitement » et l’emboîtement des espaces de contraintes

Toute procédure de prise en charge psychodynamique doit prendre en compte les potentialités psychiques du sujet à intégrer la procédure dans son Moi. Dans le cas du sujet violent sexuel, lorsque le ou les actes violents sexuels ont été judiciarisés, j’ai montré combien la perception de la sentence pénale et de son exécution (l’emprisonnement par exemple) était génératrice d’un temps favorable à l’installation d’un suivi thérapeutique (Ciavaldini, 1997). Sentence et exécution fonctionnent comme des perceptions cadrantes, apaisantes, sur lesquelles le sujet violent sexuel peut s’appuyer pour développer, a minima, un travail de mentalisation, si une prise en charge est développée à ce moment fécond du début de détention (une fois résorbé le choc incarcératif). Plus on s’éloignera de cet instant pour initier la prise en charge, plus les résistances seront importantes. Cependant, une fois effectué le temps de peine, la prise en charge pourra continuer, à l’extérieur, sous main de justice, par injonction de soin dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire. La loi du 17 juin 1998, dissocie la peine et le soin, puisque l’obligation de soins, si elle est prononcée, ne vaut qu’une fois la peine à temps effectuée. Cela ne signifie pas que l’AVS ne bénéficiera pas de soins pendant son incarcération : pendant ce temps le soin ne sera évoqué que sous la forme d’une incitation, ouvrant, pour le sujet qui y répond, droit aux réductions de peines supplémentaires. Cela supposera qu’une liaison s’établisse entre le soin initié pendant le temps carcéral et sa poursuite à l’extérieur dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire. Pour autant, la loi distingue encore le suivi, du traitement proprement dit. Et en effet, « suivre » n’est pas « traiter » même s’il peut y conduire. Le traitement suppose un versant actif, une action de soigner, une mise en œuvre de moyens thérapeutiques pour « guérir ». Dans le cas qui nous occupe, il faut le comprendre comme l’engagement d’une relation active propre à développer la mentalisation et devant prendre fin un jour. Le suivi implique d’emblée une notion de continuité, de régularité, d’inscription dans le temps ; ce peut être le rappel de loin en loin d’un cadre conteneur de la relation, supposant qu’un travail psychologique est à préserver. Bien entendu un suivi peut intégrer un traitement chimiothérapique et/ou psychothérapeutique. La loi a bien saisi ce distinguo puisque le suivi socio-judiciaire peut comporter une obligation de soin, c’est-à-dire la mise en œuvre d’un traitement, si le sujet est réputé, après expertise, pouvant bénéficier de ce type de soins.

Ainsi, le traitement peut être compris comme un compromis entre trois espaces de contrainte :

  • L’organisation psychique du sujet AVS : que peut-il négocier comme excitation générée par la relation ? Quel type de travail psychique sera-t-il susceptible d’effectuer ? Quelle sera son attente et donc sa demande ?
  • La pratique du thérapeute : que peut-il contenir ? [excitation issue de diverses contraintes : de l’organisation psychique du sujet AVS et de celle judiciaire mais aussi de celle de son histoire de thérapeute, des acquis qu’il a (son « savoir faire »)].
  • La dimension judiciaire, par voie d’obligation, lorsqu’il y en a une. Cette dernière définit une temporalité du soin et constitue une contrainte temporelle cachée. En effet, l’obligation vaut pour un temps certain, celui imposé par le juge, pas plus.

Les divers cas de « milieu ouvert » et le travail de liaison

Le milieu ouvert vient s’opposer à celui, fermé, de l’univers carcéral. Il peut s’agir d’un service public, d’un espace associatif ou encore d’un cabinet privé. Cela, à vrai dire, importe peu pourvu que certaines règles de bases soient respectées. Règles qui varieront selon la demande et son origine. En effet, et nous le verrons plus avant, le setting et les règles de fonctionnement, dans un premier temps du traitement, ne seront pas les mêmes avec un AVS venant seul, sans judiciarisation de ces actes, et un autre prenant contact dans le cadre de l’injonction thérapeutique.

Travail de liaison et travail de séparation

Lorsque le sujet vient sous main de justice, un double travail de liaison est à mettre en œuvre, quoique chaque cas ait à être pensé individuellement. Le premier est à destination des équipes qui ont pris le sujet en charge dans l’intra-carcéral. Il est important d’appréhender le travail qui a été effectué dans ses diverses modalités. Cette liaison permet souvent de tamponner, pour le sujet probationnaire, l’effet d’excarcération. Il est pensé par d’autres, ailleurs. « Autres » dont il peut savoir qu’ils l’accueilleront ultérieurement. Il s’agit donc d’un travail d’intégration de la future thérapie dans l’histoire du sujet. Certes il y a « obligation judiciaire » mais celle-ci ne se met pas en œuvre au prix d’une rupture du continuum thérapeutique. En effet lorsque le sujet est sortant il aura à effectuer un travail de séparation, sur le modèle du travail de deuil, de l’équipe l’ayant suivi dans l’intra-carcéral. Or, faire un tel travail est pour ces sujets une tâche difficile puisque reposant sur des mécanismes psychiques qui précisément sont en défaut. Le travail de liaison avec l’équipe intra-carcérale est donc plus à destination du probationnaire que du ou des futurs thérapeutes de ce sujet. Le travail de liaison est donc à comprendre comme la part externalisée du travail de séparation que devra opérer le probationnaire.

La seconde liaison est à faire avec les différents acteurs du suivi socio-judiciaire. En ce qui concerne notre centre nous avons fait le choix de ne pas développer un « espace de soins intégré » comprenant l’ensemble des professionnels du suivi médico-social. Fidèle à notre engagement strictement psychothérapeutique, nous ne délivrons ni médicaments, ni aide social. Cela nous oblige donc à travailler, pour certains sujets, en relation avec d’autres professionnels complémentaires (médecins prescripteurs par exemple) ou d’autres instances (sociales ou éducatives). À aucun moment nous ne sommes clos sur le travail psychothérapique. Les possibilités d’échanges avec nos partenaires font l’objet d’une vigilance particulière afin que la confidentialité des séances jamais ne soit mise en question. Cette liaison demeure un chantier de réflexion permanent afin de maintenir des liens entre les différents acteurs dont ceux de la justice (dont JAP et SPIP). Si ces rencontres permettent à intervalles réguliers de redéfinir les cadres et les contraintes de notre collaboration, elles évitent aussi les risques qu’un clivage psychique s’agisse dans l’inter institutionnel (Ciavaldini, 2001).

Cette double liaison est donc à considérer avant tout comme un signe de contenance du continuum historique du sujet, dont il a à être tenu informé. Elle aura secondairement à être réintégrée dans le processus même du traitement comme étant la part perceptive sur laquelle le sujet pourra étayer la reconstruction de son cadre de représentance psychique. Le travail de liaison signifie qu’en son absence le sujet continue d’être pensé.

La rencontre thérapeutique de l’AVS

Le prononcé d’une injonction de soins dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire, ne s’effectue, en principe, qu’après avis expertal psychiatrique. Les AVS parvenant à notre centre par voie pénale présentent donc, a priori, une organisation psychique qui leur permet soit de bénéficier directement d’une prise en charge psychothérapique, soit dont il peut être espéré une modification favorable de leur économie psychique avec une mise en œuvre psychothérapeutique appropriée. L’instant déterminant sera donc celui de la rencontre. C’est à partir de celle-ci que pourront être posés quelques jalons thérapeutiques (Balier, 1999).

Cette rencontre doit se faire, quelles que soient les contraintes qui pèsent, dans une dimension d’authenticité. En effet seule cette dimension définit la saisie d’autrui en tant qu’historicité individuelle et est donc la condition de l’instauration d’une intersubjectivité véritable (Bronckart, 1991). Une telle dimension ne peut advenir que si d’emblée les diverses contraintes, qui pourraient apparaître comme grevant la situation thérapeutique, sont repérées et si possible nommées.

Avec le sujet AVS deux grandes modalités existent, celle où le sujet vient librement avec une demande personnelle et celle où le sujet est soumis à une obligation pénale.

La demande est hors main de justice

Lorsque le sujet dit venir sans raison judiciaire, deux cas de figure surviennent le plus fréquemment :

  • Les fausses demandes : ce sont les cas où certains sujets, engagés dans des comportements à risque de judiciarisation (cela est particulièrement présent pour les sujets pédophiles), espèrent en venant trouver un thérapeute, échapper à la rigueur pénale. Le discours sur la souffrance venant alors masquer la permanence d’une activité délictuelle. Une demande d’attestation en fin de premier entretien vient parfois authentifier une telle démarche.
  • Les demandes franches d’aide thérapeutique. En effet, il convient ici de préciser qu’un sujet présentant des fantasmes de transgressions sexuelles n’est pas, a priori, un sujet « à risque ». Par exemple, un nombre non négligeable de sujets peuvent présenter des rêves, voire des fantasmes transgressifs, sans que l’on puisse parler de sujets susceptibles d’avoir recours à un passage à l’acte. Dans ces derniers cas, il est du reste rare que ces productions fantasmatiques soient exposées d’emblée comme source première de la demande.

Ainsi, sans obligation de soins la prise en charge sera identique à n’importe quelle autre si ce n’est que la mise en acte de certains comportements peut donner lieu à des obligations côté du thérapeute (voir ci-dessous paragraphe : Les « risques thérapeutiques »). Il conviendra cependant, au décours de l’entretien, de s’assurer qu’aucune conduite à risque n’est actuellement en cours. Cela suppose, par exemple, que lorsque le patient est un pédophile avéré mais n’ayant plus recours à des actes pédophiliques, aucune consigne particulière n’est à formuler.

La demande est sous main de justice

Quand le sujet vient sous main de justice, dans le cadre d’une obligation de soin, il a rencontré un expert ayant évalué son accessibilité à un soin psychothérapique (art. 131-36-4 du NCP). Pour autant « obligation » suppose, mais ne veut pas dire, « consentement » aux soins (Caillon et col., 1999) et encore moins adhésion ou alliance thérapeutique. Ce sera l’un des axes majeurs de l’engagement dans le processus du soin que de parvenir à obtenir une adhésion aux soins et une alliance thérapeutique. De cela découle l’importance de l’authenticité de la rencontre, ce qui supposera que le thérapeute ne se méprenne pas sur la notion « d’obligation de soins ».

Il reviendra, en effet, aux thérapeutes acceptant de travailler avec des sujets soumis à une obligation de soins de percevoir que l’obligation ne leur est aucunement destinée, qu’ils n’en sont pas les destinataires, ni même les agents. C’est de leur plein gré qu’ils accepteront, non un travail dans ce cadre, mais d’intégrer dans leur cadre de travail mental et leur setting technique cette nouvelle dimension. Choix de la méthode, dispositif et setting sont du registre strict de la compétence du thérapeute. Pour autant ce dernier acceptant de recevoir un sujet AVS sous obligation de soin s’engage à un certain nombre de formalités. Celles-ci, dans un premier temps, seront à intégrer au cadre technique du travail thérapeutique sous menace de devenir persécutrices, mais elles devront, dans un temps ultérieur, pouvoir être analysées, c’est-à-dire référées à l’histoire du sujet (particulièrement celle de ses liens objectaux) telle qu’elle se déploiera dans le cadre du travail thérapeutique. Ainsi la loi restitue au soin sa possibilité d’être véritablement un soin psychique avec une nécessaire surveillance légale et pénale. Ici, le thérapeute pourra prendre appui sur le cadre institutionnel, véritable concrétisation du tiers. Cadre nécessaire au bon déroulement du soin, tel que Claude Balier y a déjà largement insisté. Cette loi, quelle qu’en soit la dimension sécuritaire, doit être pensée comme rendant possible un soin pour des sujets qui, jusqu’à un jour encore récent étaient réputés, pour le plus grand nombre, inaccessible aux soins psychiques. Elle rend possible, pour l’AVS, la rencontre sur un temps suffisamment long, d’un espace d’élaboration psychique autre, une possibilité de « créer-trouver » des outils de pensée. Le « temps judiciaire » est compté et sur lui le thérapeute devra compter pour permettre de faire au délinquant l’expérience d’une rencontre génératrice d’histoire. Voilà véritablement ce que dit la loi. Une fois franchie, pour le sujet sous obligation de soins, l’enceinte de notre cadre thérapeutique, il appartiendra à chaque thérapeute d’engager la relation sans obligation d’y souscrire. Ce n’est pas parce qu’un sujet arrive avec une obligation que nous sommes obligés de nous y engager. L’accord se fera entre sujets comme il se fait dans toute thérapie. Cette dernière gardera alors sa potentialité d’inconnue et d’invention, seule garante d’un travail psychique fécond. Cependant, certaines règles de fonctionnement spécifiques doivent être respectées lors de la mise en place d’un traitement psychothérapique dans le cadre d’une obligation de soin.

Les règles de bases à respecter

Intégrer l’obligation dans son cadre mental et technique supposera qu’à aucun moment il ne puisse être question de « passer sous silence » l’obligation dans sa réalité.

Les documents judiciaires

Il est donc souhaitable que le thérapeute ait eu en lecture les documents judiciaires en la possession du probationnaire. Soit il les demandera au sujet, soit le médecin coordonnateur les lui transmettra. Une telle contrainte psychique pour le thérapeute sera verbalisée au patient dans le sens, non d’une inscription dans le champ judiciaire, mais d’une connaissance de son cas et donc d’un souci d’intégrer la démarche qui est imposé au probationnaire dans une continuité, non de la peine, mais du soin. En d’autres termes il s’agira donc d’expliquer que l’obligation permet au sujet un accès à un soin psychique mais que ce soin il reviendra au thérapeute de l’inscrire en décalage avec le champ judiciaire.

Verbaliser ce qu’est l’obligation et ce qu’elle n’est pas

Pour permettre ce décalage, il appartiendra au thérapeute, d’emblée lors de la rencontre, de préciser ce que supposera l’obligation pour le sujet. A priori cette information aura été effectuée et par le juge de l’application des peines et par le médecin coordonnateur ayant en charge le probationnaire. Cependant, le thérapeute étant seul garant de son cadre d’exercice, il convient de reprendre, non dans les détails techniques, mais dans sa réalité thérapeutique les deux grandes incidences de l’obligation de soin. La première est l’obligation de venir. Une fois définies quelles formes de technique, de dispositif et de rythme conviendraient le mieux au sujet, il devra se présenter régulièrement aux séances, faute de quoi le thérapeute est tenu d’en informer les instances judiciaires. Cela supposera que toute absence devra au moins être prévenue, au mieux être convenue. La reprise verbale de cette absence se fera dans un souci d’intégration au processus mais cela comme dans toute autre thérapie de type psychodynamique. La seconde incidence, corollaire de la première, est la rédaction à intervalle régulier (en général mensuel) d’un certificat de présence (et non de participation) à la thérapie destinée à la justice. Informer le sujet de la réalité de son obligation, c’est aussi en tracer les limites judiciaires. Ce dernier point permet de reprendre la garantie de confidentialité du contenu des séances. Point particulièrement important qui définit les limites de l’enveloppe du cadre thérapeutique. Cette garantie de confidentialité instaure le thérapeute comme garant de son cadre aux yeux du probationnaire. Cependant, comme dans n’importe quelle autre prise en charge, il est inutile de préciser les limites légales de cette confidentialité. Ces règles, aussi contraignantes soient-elles, ne doivent pas être assénées comme celles édictées par un surmoi cruel, mais ont à être évoquées au décours, naturellement empathique, de l’entretien comme appartenant au cadre de travail.

La verbalisation des actes, jugements et peines : l’évaluation du consentement et de l’alliance thérapeutique

La connaissance des faits par la lecture des documents judiciaires (étape nécessaire permettant d’éviter certains dénis) n’est qu’une inscription de la thérapie dans un continuum dont en même temps le thérapeute devra se dégager (le décalage). Cette connaissance n’a en soi, sur le plan thérapeutique, aucune véritable valeur. Il reviendra donc, et cela dès le ou les premiers entretiens, de demander au sujet de verbaliser le pourquoi de son arrestation, de sa peine ainsi que sa position à l’égard de l’obligation qui lui est faite de suivre un traitement. C’est à partir de ces éléments que pourra se dessiner une possible alliance thérapeutique au travers de l’évaluation du consentement du patient. Il n’est pas rare, au reste et malgré l’expertise, que le consentement ne soit pas d’emblée présent. Le travail thérapeutique premier sera alors d’établir les conditions d’un tel consentement : et ces conditions sont les mêmes que celles qui doivent être mises en œuvre pour toute thérapie en tenant compte des éléments évoqués ci-dessus. En effet, ce n’est pas parce qu’une obligation de soin est prononcée ou qu’un sujet présente une demande franche que le thérapeute est tenu d’y répondre.

Les « risques thérapeutiques »

Deux risques sont spécifiques à la prise en charge des AVS. Le premier est lié au fait que le traitement découle d’une obligation judiciaire. Le second est issu de leur configuration psychique.

Le risque dû à la dimension judiciaire du traitement

Pris dans une obligation, le traitement participe à la dimension sécuritaire de la loi, dès lors la rupture de la prise en charge, côté patient, doit être signalée, qu’il y ait risque ou pas de réitération des actes infractants. Le signalement doit s’effectuer auprès, soit du médecin coordonnateur, soit plus directement du JAP. Il convient cependant de rappeler que l’organisation psychique de ces personnalités à comportement émergent violent sexuel est basée sur une difficulté de mise en latence de l’excitation par les processus de représentation. Ainsi toute altération du setting du traitement peut évoquer une rupture du processus thérapeutique qui ne peut qu’inquiéter si elle n’est ni prévue, ni prévenue.

Le risque dû à la configuration psychique de l’AVS

Le recours au comportement violent sexuel surgit le plus souvent comme une tentative de survie psychique, dans une recherche ultime de régulation de l’excitation. Cette dernière, ne pouvant être engrammée, aura alors valeur d’éprouvée de déperdition de l’intégrité narcissique. C’est cette déperdition qui pourra déclencher le recours à l’acte en place d’un processus de mentalisation faisant défaut parfois dans sa potentialité même.

Vigilance aux interruptions thérapeutiques

Le recours à l’acte considéré comme un mécanisme défensif ultime pourra être réactivé en cas de difficulté psychique, ce qui ne peut que se produire au décours d’une thérapie. Il appartiendra donc au thérapeute d’être particulièrement vigilant pendant toutes les périodes de séquençage de la thérapie, particulièrement les petites interruptions et a fortiori les vacances. À ce titre, l’avantage de l’exercice en institution permet d’assurer à l’AVS une forme de permanence dans l’absence de son thérapeute de référence. Cette permanence pourra prendre la forme d’une liaison par téléphone avec le centre, voire même pour certains, la possibilité de venir régulièrement rencontrer, soit un autre thérapeute, soit un personnel du centre. Il reviendra à ce dernier, non de développer un processus thérapeutique, mais d’assurer la « maintenance » du lien (tâche qui peut se révéler particulièrement ardue). Une telle dimension de permanence sera parlée pendant le temps du travail thérapeutique, si un autre personnel doit être rencontré, il sera évoqué par le « thérapeute de référence » du sujet.

Risques de réitération du comportement violent sexuel : risque de récidive judiciaire

Lorsqu’une conduite à risque est évoquée, et cela est plus particulièrement à destination des sujets à risque pédophiles, a fortiori lorsqu’elle apparaît toujours active, l’exploration des actes et des circonstances de tels comportements doit être faite par le thérapeute afin d’en évaluer non seulement la réalité mais aussi la dangerosité. En effet, en cas de conduites toujours actives lors d’une demande hors main de justice, il ne saurait être question de prendre en charge un sujet qui tomberait sous le coup d’une judiciarisation. En effet, il faut rappeler ici l’obligation faite aux professionnels du soin d’une levée de leur secret professionnel (art. L. 355-35 nouveau du Code de santé publique) avec obligation d’informer dans les délais les plus brefs les autorités judiciaires dans le cas où de telles conduites sont présentes.

Une telle levée du secret professionnel fait partie des formalités auxquelles souscrit le thérapeute dès lors qu’il y a risque avéré concernant particulièrement les sujets mineurs.

Au décours d’une prise en charge, si le risque apparaît, la formulation doit être claire mais – et cela est très important – toujours lié, tant que faire se peut, au processus thérapeutique. L’extérieur judiciaire doit être ramené à un « ici et maintenant », pour lui conserver son efficace thérapeutique, faute de quoi la loi ramenée ex abrupto sous forme d’une règle menaçante peut apparaître comme une formule persécutrice qui serait ressentie comme privant le sujet d’un élément de survie psychique.

Cependant, l’insertion de la loi dans le jeu du transfert n’est pas toujours possible. Pour autant son rappel se doit d’être fait en cas de situation à risque. En effet, il revient au garant du cadre d’en assumer toute la rigueur. Ce sera donc au thérapeute, en cas d’actes ou de réitération d’actes pédophiles, ou de suspicion légitime, de prévenir le sujet que la loi lui fait obligation d’en avertir les représentants judiciaires (dans le cas présent JAP ou médecin coordonnateur). Une telle démarche est loin d’être simple pour le thérapeute. Au recours à l’acte du pédophile répondra l’acte du thérapeute qui fera rappel de son obligation légale (levée de la confidentialité). Démarche d’autant plus rude qu’elle ne peut supporter de retard en cas de mise en actes avérée. Si un médecin coordonnateur fut pressenti c’est à lui que s’adressera le thérapeute. De cette procédure le patient a à être tenu informé. Le thérapeute n’a pas à s’assurer de la véracité des faits pour engager le signalement dès lors qu’il en a la conviction ou que le danger est réel. Cependant, compte tenu des implications dans la réalité de vie du sujet d’un tel signalement, celui-ci ne peut pas être retenu sans que de sérieux indices engagent la conviction du thérapeute. Malgré cela, ce dernier n’a pas à entrer dans « un interrogatoire » de type policier qui lui ferait, par exemple, rechercher des détails ou des indices de vérité de l’affirmation du risque. La valeur de la parole du sujet est suffisante et a force de vérité psychique. La recherche de la véracité des faits sera effectuée ultérieurement par les services de Police et n’incombe nullement au thérapeute. La difficulté de la démarche de signalement vient du fait que le thérapeute aura parfois à se positionner entre complicité du déni et horreur de la réalité. Il m’est arrivé, une seule fois, de faire un signalement de cet ordre au Procureur, sans qu’aucun indice, après enquête de Police, ne puisse être mis au crédit de mon affirmation. La question que nous eûmes secondairement à traiter avec le patient, qui revint à ses séances, fut de comprendre pourquoi il avait eu besoin de me mettre à une telle place.

La levée de la confidentialité est une démarche qui confronte le thérapeute à des vécus de solitude ou d’omnipotence, voire des fantasmes d’abandon du patient et d’échec thérapeutique. C’est, entre autres, dans de tels cas qu’un travail d’équipe ou de réseau (échange avec le médecin coordonnateur) permet d’évaluer la position individuelle du thérapeute quant à sa conviction et ainsi de la réinscrire dans un processus thérapeutique dont l’acte pédophile est toujours une sortie. Connaître les diverses procédures permet non d’éviter, mais de traiter et de minimiser les effets de ces fantasmes.

Pour conclure

Comme on le voit, ce sont les concessions faites par le champ thérapeutique à celui judiciaire qui rendent la thérapeutique possible, en tant que ces concessions fonctionneront tout au long du travail comme un rappel du tiers. C’est l’expression formelle de ce tiers, au travers des contraintes auxquelles accepte de se soumettre le thérapeute et auxquelles est astreint le sujet auteur de violence sexuelle, qui permettra que s’instaure entre deux sujets un temps transitionnel favorable à une mentalisation. C’est bien en effet le but de la pragmatique de la mentalisation que de mettre en place des réquisits minimaux pour qu’un espace intermédiaire se déploie où la parole, rien que la parole mais potentiellement toute la parole, viendra s’inscrire.

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Notes

1 PARI : psychothérapies, applications et recherches intersectorielles, 3, rue des Marronniers, Grenoble. Actuellement 8 thérapeutes exercent dans notre centre, psychologues ou psychiatres, tous ayant une formation de psychanalyste et membres du Groupe Lyonnais de Psychanalyse.

2 C’est dans le cadre de cette coopération que fut élaborée la recherche sur les sujets auteurs d’actes violents sexuels menée pour le compte de la DGS de 1993 à 1996 et dont les préconisations s’intégreront à l’élaboration de la loi du 17 juin 1998 relative « à la prévention et à la répression des atteintes sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs » qui permet le prononcé d’une peine de suivi-socio-judiciaire intégrant éventuellement une « obligation de soins » pour les sujets auteurs de violences sexuelles.

Citer cet article

Référence papier

André Ciavaldini, « La prise en charge thérapeutique post-carcérale de l’auteur de violences sexuelles », Canal Psy, 66 | 2004, 12-15.

Référence électronique

André Ciavaldini, « La prise en charge thérapeutique post-carcérale de l’auteur de violences sexuelles », Canal Psy [En ligne], 66 | 2004, mis en ligne le 28 avril 2021, consulté le 25 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=904

Auteur

André Ciavaldini

Docteur en psychopathologie clinique, psychanalyste (SPP, IPA), membre AFC, ARTAAS, SFTFP, chercheur associé Laboratoire de psychologie clinique, Université Paris V

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