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Dans le cadre de deux journées d’études italiennes qui se sont s’intéressées à l’autorité littéraire, artistique, philosophique, morale et éventuellement politique – revendiquée ou contestée, une fois encore – d’entités collectives, concrètement, moralement ou intellectuellement instituées, à travers l’examen d’objets divers (fictions, discours, correspondances, tableaux…), dont on a fait émerger les traits « rhétoriques » en relation étroite avec l’autorité sous laquelle ils se placent ou contre laquelle ils se dressent (la question des genres et des canons étant indubitablement liés à cela), deux objets ont été examinés : les Académies et les Institutions.

La première de ces deux journées, celle du 9 octobre 2012, s’est intéressée à la culture des Académies. Elles ont connu, on le sait, une importante floraison aux XVIe et XVIIe siècle dans tout le territoire de la péninsule, du duché de Savoie au vice-royaume de Sicile. Plusieurs centaines d’académies – jadis répertoriées par Maylender1 – ont vu le jour ; certaines, comme celle des Infiammati de Padoue (1540-1550) ou des Anfistili de Rome (1650-1656), ont eu une existence plutôt brève ; d’autres, comme la Crusca florentine (fondée en 1583) ou la Filarmonica de Vérone (fondée en 1543) perdurent encore. D’autres, après avoir vécu, ont été « ressuscité », comme l’académie romaine des Incolti (1658-1892), qui a connu une seconde jeunesse en 1978. Beaucoup n’ont pas dépassé le siècle qui les a vu naître, comme les Oziosi de Naples (1611-1645) ou les Incogniti de Venise (1630-1660). L’académie, dans sa constitution et son fonctionnement, s’oppose à l’université d’origine médiévale où l’on enseignait le droit, la philosophie, la théologie et la médecine. Les académies, à partir du milieu du XVIe siècle, deviennent le lieu d’un autre mode de transmission du savoir, scientifique, mais surtout littéraire ; elles consacrent un nouveau statut à toute une catégorie de lettrés en quête de légitimité qui profitent de ce cercle à la fois intime (les réunions se font la plupart du temps dans des palais privés) et public (le public qui assiste aux séances dépasse bien sûr le nombre d’académiciens officiellement affiliés à l’académie), pour exercer leurs talents d’orateur. C’est en effet l’éloquence du discours (comme dans l’académie vénitienne des Delfici), ou la virtuosité rhétorique de la poésie (comme dans l’académie bolonaise des Gelati) qui prédominent, tandis que les sciences (cf. l’académie du Cimento, Florence, 1657) se développeront surtout au XVIIIe siècle. Cette importance de l’éloquence et du paradigme rhétorique fait de l’académie un lieu privilégié de sociabilité dans lequel s’exerce, à travers l’éloge conjoint du delectare et du prodesse, la séduction du public et des lecteurs, car l’académie est aussi et surtout le lieu de diffusion du livre. Dès le milieu du XVIe siècle, les ouvrages faisant l’éloge des académies se multiplient, tel celui de Scipione Bargagli, Delle lodi dell’accademia2 (1569) qui définit l’académie comme un « adunamento di liberi e virtuosi intelletti, con utile, honesto e amichevol gareggiamento al saper pronti ».

Les sept communications réunies dans ce volume illustrent cet « ammichevol gareggiamento » qui évoque tout à la fois les questions politiques et pédagogiques d’affranchissement de l’université illustrées par les Infiammati de Padoue (E. Panciera), celles d’éducation à visée universelle de l’académie jésuite (V. Avarello), plus spécifiquement politiques d’éducation du citoyen dans l’ombre de Machiavel à travers l’exemple du Cittadino di republica de l’académicien Addormentato de Gênes, Ansaldo Cebà (J.‑L. Nardone), les expérimentations linguistiques et dialectales, à rebours d’un purisme cruscante, d’un Lomazzo peintre et académicien lombard (S. Miglierina), ou encore la bizarrerie constitutive des discours Incogniti, point de départ d’un nouveau paradigme rhétorique dans la pratique discursive des lettrés vénitiens qui accorde à la parole une autorité absolue (J.‑F. Lattarico), pratique illustrée par l’exemple des Primitie academiche d’un de leurs membres, Vettor Contarini, placé sous l’autorité morale et intellectuelle de son fondateur Loredano (A. Morini), tandis que l’exemple sicilien de l’académie de la Fucina aborde les questions de pluridisciplinarité dominées par l’idée d’une science expérimentale3 d’ascendance galiléenne aux contours fortement politisés.

Notes

1 MAYLANDER, Michele, Storia delle accademie d’Italia, Bologna, Capelli, 5 vol., 1926-1930. Return to text

2 BARGAGLI, Scipione, Delle lodi dell’accademia, Siena, Bonetti, 1569. D’autres ouvrages encomiastiques suivirent au XVIIe siècle, comme celui de Alberti (Discorso sull’origine dell’Accademia, 1639). Return to text

3 Voir RINALDI, Massimo, La cultura delle accademie. Immaginario urbano e scienze della natura tra Cinque e Seicento, Milano, Unicopli, 2005. Return to text

References

Electronic reference

Jean-François Lattarico, « Introduction », Cahiers du Celec [Online], 6 | 2013, Online since 01 juin 2023, connection on 06 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/celec/index.php?id=130

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Jean-François Lattarico

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