Texte

Quelques précisions liminaires sur le texte dont nous proposons l’étude. Il s’agit d’une nouvelle de Filippo da Molino qui figure dans un recueil collectif intitulé Cent Nouvelles Amoureuses des Académiciens Incogniti, publié en trois fois : en 1641 pour les trente premiers récits, deux ans plus tard pour les trente suivants (composés entre 1641 et 1643 par vingt auteurs) et en 1651 pour le volume complet de ces nouvelles signées au bout du compte par quarante quatre auteurs appartenant au cénacle vénitien des Incogniti. Celle qui nous intéresse est la neuvième nouvelle de la troisième partie du volume. Quant à son auteur, nous n’en connaissons pas autre chose que cette contribution à la centuria « amoureuse » de ces académiciens1.

De quoi retourne-t-il ? Filaura, de noble origine2, se distingue dès son plus jeune âge3 par ce que condamne d’emblée l’expression pléonastique « bizarreries extravagantes »4 avant même que soit définie la faute, à savoir se montrer plus attirée par les jeux de guerre que par les travaux d’aiguille et de lecture propres à sa condition5. Il est vrai qu’elle est aidée en cela par des qualités physiques qui s’avèrent essentielles à la vraisemblance du récit : de fait, sa dextérité au maniement des armes est servie par « des membres déliés » et une « une carrure du corps, qui [sied] fort à la vigueur masculine »6. Fille unique de parents qui ne voient en ses penchants qu’« emportements puérils »7 et « bravades », la demoiselle est en outre secondée par un maître d’armes qu’elle va très vite surpasser. Et quand les parents s’aperçoivent de leur trop grande complaisance envers les goûts de leur fille, ils ont beau croire qu’un bon mariage et une aspiration « naturelle » à la maternité la remettront dans le droit chemin, rien n’y fait, ils se heurtent à une « aversion » pour ce remède qui prouve combien Filaura est passée du stade des caprices d’enfant à la rébellion ouverte8. À sa mère qui, lui concédant le choix du parti, lui demande cependant de penser à ses devoirs en se mariant pour assurer la descendance familiale, elle répond en effet :

que non seulement elle n’enten[d] épouser aucun homme, mais, si cela lui [est] permis par les circonstances et les usages, qu’elle enten[d] les persécuter tous, toujours et âprement ; que jamais elle ne pourr[a] se soumettre à aucun d’eux ; que ceux-ci ne sont réputés supérieurs que par préjugé et manque d’intelligence de leur sexe, et non par un privilège de la nature, et ce bien qu’ils aient des qualités de très loin inférieures à celles des femmes. Elle la pri[e] de laisser mûrir cette opinion avec le temps, ayant la ferme intention de se faire connaître, contre l’avis général, comme supérieure aux hommes bien qu’étant femme9.

La première occasion d’illustrer ces intentions est fournie à Filaura par deux soupirants rivaux, l’un aussi prompt qu’elle à tirer l’épée, l’autre maître dans l’art de manier la plume. Inattendue dans sa relative sympathie pour le second et sa haine du premier, Mario, Filaura s’ingénie à les dresser l’un contre l’autre et n’hésite pas à venir les voir tomber tous deux au terme du duel auquel elle les a poussés. L’un des deux meurt, l’autre pas, qui doit toutefois s’exiler pour éviter une sanction, et sa lettre d’adieu est « lue par Filaura avec un rire méprisant »10. Non content, Flavio, le survivant, n’obtient en réponse qu’un « plus loin il s’en ira, plus cela m’agréera »11. Entre temps, les parents de Filaura doivent soudoyer les magistrats pour effacer des minutes du procès les accusations contre leur fille, clairement désignée comme responsable du duel et de la mort de Mario et, peu après, autant affligés de vieillesse et de maladie que par les « désobéissances extravagantes »12 de leur fille, ils s’éteignent, la laissant libre d’aller parcourir le vaste monde, ce qu’elle fait en compagnie d’un vieux serviteur, Fidenzio13, le seul à savoir qui se cachera désormais sous le vêtement et le nom masculins qu’elle adopte à partir de là : une petite coupe de cheveux avant de partir14 et le tour est joué, Filaura devient en effet Filauro !

Elle quitte son pays de nuit pour n’être ni reconnue ni entravée dans ses projets, traverse la Péninsule pour passer en France (où elle se distingue comme juge-arbitre au cours de deux duels) puis en Flandres, où elle s’enrôle dans le troisième régiment d’un certain colonel Fidlanger (qui doit plusieurs fois la vie à sa hardiesse15). Là, elle asseoit bien vite sa réputation de « jeune homme preux »16 (dans une ville assiégée par les Espagnols), se signale lors d’un assaut mais, bien qu’engagée à plein temps dans un monde pour le moins viril, soit qu’elle soit, nous dit-on, « divertie par les opérations martiales », soit qu’elle parvienne à contenir « les stimulations internes de ses sens par son aversion antipathique envers les hommes », toujours est-il qu’elle « rest[e] […] vierge »17. On prend même soin de préciser qu’elle résiste aux avances de quelques compagnons de régiment que sa virilité séduit. En revanche, c’est une courtisane qui fait trembler ses bases : en effet, celle-ci, qui s’est éprise de Filauro, croyant provoquer sa jalousie18, se laisse voir en compagnie d’un galant, et le spectacle trouble tant Filaura, qu’elle se propose aussitôt de vivre ce qu’elle vient de voir. Elle se rend chez une prostituée de renom et lui propose rien moins que de la remplacer pour une nuit, lui laissant bien sûr ses gains en compensation. Pour ne pas manquer son but, la nuit où elle prétend mettre son projet à exécution, elle invite quelques compagnons d’armes à venir visiter la courtisane, comme elle dit avoir elle-même l’intention de le faire (« chose dont elle avait l’habitude de se vanter d’autres fois pour nourrir l’idée qu’elle était un homme »19) ; elle leur propose même de lui succéder très vite dans le lit de la courtisane en question, car « elle enten[d] ne pas en jouir longtemps »20 : « la porte laissée entrouverte, ils pourr[ont] tous se satisfaire ; qu’ils ne viennent pas en troupe, cependant, mais un ou deux à la fois, sans parler, afin de ne pas être reconnus au moment de l’échange »21. La manœuvre réussit « selon ses desseins »22, mais elle ne s’arrête évidemment pas là et récidive par un accord de même nature avec d’autres prostituées, invitant à chaque fois « les chambrées de son régiment »23. Mais bientôt, cela ne lui suffit plus. Entendant parler d’un lupanar portugais fort célèbre24, elle s’embarque pour Lisbonne, et l’on mesure la corruption à laquelle elle est parvenue, puisque, nous dit-on, pour satisfaire curiosité et sensualité, elle décide de partir en « ne s’arrêtant pas à la longueur du voyage, ni à l’inconfort et aux dangers de la mer »25. En voyage, pas de temps perdu pour Filaura, à chaque fois qu’elle peut « prendre du plaisir avec quelqu’un » sans être reconnue, elle ne s’en prive pas – et le texte jour sur la bivalence d’un pronom indéfini qui est à la fois « quelqu’un » et « chacun », autant dire tout le monde26 ; et alors qu’un des passagers semble avoir repéré son manège, elle l’égorge dans son sommeil et jette son corps à la mer.

C’est ensuite à Lisbonne, alors qu’elle sort de la maison close où elle vient de passer accord avec deux pensionnaires – et on remarque qu’elles seront désignées comme « des amies »27 –, que Flavio la rencontre. Pas très sûr de l’avoir reconnue, il enquête pour en savoir plus et apprend que le supposé Filauro « se vantait d’être si vigoureux qu’il avait passé accord non pas avec une, mais avec deux [prostituées], et qu’il avait versé de l’argent en abondance »28. C’est alors que lui, qui, nous dit-on, fréquente d’ordinaire peu cette maison29, décide de passer la nuit dans la chambre contiguë à celle où doit se rendre Filaura afin de s’assurer de son identité :

L’accord avec les deux courtisanes le faisait hésiter, et il lui vint plus d’une fois à l’esprit qu’elle pouvait effectivement s’être transformée en homme, comme il se souvenait de l’avoir lu dans de nombreux récits d’auteurs sincères, et puisqu’elle disait vouloir partager le lit de femmes, ses infâmes indécences ne lui vinrent pas à l’idée30.

Flavio réussit à convaincre la voisine de chambre de Filaura d’écouter ce qui se dit et se fait à côté. Il entend ainsi de la bouche-même de Filaura, au discours direct donc, ce qui a été exposé sous forme de sommaire lors de la première expérience du genre qu’a faite Filaura en Flandres31. Quoi qu’il en soit, Filaura s’exprime assez clairement pour que Flavio soit cette fois tout-à-fait sûr d’avoir retrouvé son ancien amour, sous un jour cependant si inattendu qu’il se trouve « plongé dans la stupeur, [croyant] rêver en entendant pareilles extravagances »32. Alors, sous prétexte de vérifier de visu ce que ses oreilles lui ont révélé, il se met dans la file d’attente des aspirants au lit de Filaura – « il se rang[e] parmi les premiers pour jouir de la dissolue »33 – et, son tour venu, exprime alors son intention de jouir de la belle en la regardant – « acceptez que je jouisse de vous par un seul sens. Le plaisir du toucher est insipide s’il n’y entre pas celui de l’œil »34. Filaura refuse et intime à Flavio l’ordre de la prendre dans le noir ou sinon, de ne pas l’empêcher de se satisfaire avec d’autres si les règles du jeu ne lui conviennent pas, non sans le menacer de lui faire payer son insolence plus tard, si elle le retrouve sur son chemin. Flavio s’exécute, « écœuré à l’extrême par les lascivetés sordides » de Filaura35. Peu après, débarrassée de lui, « elle s’épuis[e] jusqu’à l’approche du jour avec de nombreux autres »36. Et par ailleurs, « endurcie dans ses dissolutions, elle continu[e] ainsi de nombreuses nuits » jusqu’à ce que ses prouesses arrivent aux oreilles de la « gouvernante » du lupanar, laquelle la fait expulser, « redoutant qu’en tant qu’étrangère, d’autant qu’elle était informée de ses insatiables lascivetés, elle contribue à une épidémie »37. Si bien que Filaura, craignant les échos de cette affaire, quitte Lisbonne pour s’en retourner dans sa patrie, mettant tout de même à profit le voyage en mer pour ne pas perdre « ses habituelles mœurs dissolues »38, ce qui lui coûte finalement la vie :

Tandis qu’elle prenait du plaisir avec un marin, à la nuit tombée, placée à côté d’un canon et qui plus est, appuyée sur lui, le Ciel voulut qu’un vent gaillard, qui s’était soudain levé, fît plonger le navire, si bien que le fût du canon se soulevant, il l’envoya d’un seul coup à la mer ; le marin qui était en train de faire l’amour avec elle […] ne put ramener les voiles à temps, de sorte que la misérable fut la proie des eaux, lesquelles ne furent sûrement pas suffisantes pour laver les si nombreuses souillures de son âme sordide39.

Nous n’insisterons pas sur la possible interprétation érotique de ce passage assez grossièrement crypté, mais nous nous contenterons de conclure que Filaura meurt comme elle a vécu.

Si l’on retient que le monstre est « un signe des dieux » (en l’occurrence du Diable), un « prodige » (ici, au regard du vice), un « phénomène contre-nature », en somme une personne effrayante de par un caractère et un comportement marqués par une excessive déformation (difformité) mentale et sociale, alors Filaura entre à plein titre au catalogue des monstres exhibés dans les études présentes.

Il n’est, pour s’en convaincre, qu’à examiner le lexique attaché à la description du personnage et de ses « faits d’armes ».

Le premier verbe qui définit d’emblée Filaura, à peine achevée la première phrase (celle réservée à l’habituel « il était une fois » – ou équivalent – permettant de situer l’action et de nommer le ou les protagonistes du récit), c’est le verbe « traviare », « s’éloigner du droit chemin ». Or, Filaura s’en détourne triplement, puisqu’elle trahit son sexe, les lois de son pays et sa famille, comme il est spécifié deux fois dans le texte40. Et sans doute n’est-il pas trop hasardeux de remarquer que la corruption « ternaire » participe d’un écart véritablement sacrilège.

Le deuxième terme qui qualifie les agissements de Filaura nous éclaire lui-aussi grandement sur son dévoiement (elle est du reste à la fois dévoyée et déviante), c’est celui d’extravagance, qui dit bien l’« errance » (vagare) en dehors du sens commun ou de la norme. On en relève cinq occurrences, dans la forme substantivale ou adjectivale, dont la première comme adjectif pléonastique de « bizarreries »41 ; une autre fois, il est accolé à « caprice »42, mot lui-même employé deux fois dans le récit ; mais c’est aussi l’adjectif « extravagant » qui désigne génériquement la faute première de Filaura, sa « désobéissance ». En somme, ces mots prononcent déjà clairement la condamnation morale du personnage. Or, il s’y ajoute la série des : « sordides lascivetés »43 ou « dissolutions » 44, « infâmes malhonnêtetés », «44 souillures » de l’âme, « humeur pécheresse » et « férocité », pour achever d’accabler la « cruelle », l’« infâme » ou la « misérable », comme on l’appelle encore45. On remarquera qu’avec « férocité », c’est la dégradation au rang animal du comportement « instinctif et sauvage » de Filaura qui est soulignée. De même que si la dissolution ne désigne que la débauche, le dérèglement ou l’écart, la férocité comme l’infamie y ajoutent un mouvement vers le bas, qui tire en quelque sorte le personnage vers l’inhumain (le subhumain), d’ailleurs « inumana » apparaît au moins une fois pour la qualifier. Mais, souvenons-nous de la déclaration de Filaura à sa mère, quand elle explique son intention de se révéler « supérieure aux hommes bien qu’étant femme » : elle montre que Filaura pèche décidément par l’écart et la démesure à la fois, ne se contentant pas de son état (elle renie sa féminité par l’habit et par les mœurs), ni d’égaler les hommes pour entrer, en quelque sorte, dans leurs rangs, mais aspirant au contraire à se situer au-dessus d’eux ; elle échappe du même coup aux deux catégories humaines.

Revenons à présent aux manifestations de la singulière rébellion de Filaura à l’ordre établi, en observant tout d’abord l’insensibilité du personnage à la mort – celle de ses parents, qui ne lui tire pas la moindre larme46, mais aussi celle des deux amants qu’elle manipule –47, voire certaine délectation à la regarder en face48, un goût que confirme l’intrépidité de Filaura/Filauro au champ de bataille, mais aussi le chatiment impitoyable qu’elle réserve à qui découvre son secret (on songe à ce marin qu’elle passe par dessus bord dans son voyage des Flandres au Portugal, parce qu’il l’a démasquée), sans compter les menaces assassines qu’elle profère contre quiconque lui ferait obstacle (Flavio manque en faire les frais) et dont on a la preuve qu’elles ne sont pas de vains mots. On remarquera ensuite la fréquence avec laquelle sont soulignés les sentiments et les attitudes relevant de la haine et du mépris : « odiare » [haïr] et affines (« détester ») apparaissent cinq fois et « avversione » [aversion], deux fois ; on compte trois occurrences de « mépris » ou « méprisant » pour caractériser le ton ou le comportement de Filaura, et on ajoutera, dans un même ordre d’idée, un geste sans ambiguïté envers sa mère – « dans un éclat guerrier, elle tourna le dos à sa mère et s’en alla »49 – ainsi que les humiliations par deux fois infligées à Flavio.

Toutefois, c’est dans le degré qu’on mesure la violence des sentiments et de la perversion de Filaura : ce qu’elle éprouve n’est pas une simple haine, mais un « excès de haine » ; l’objet de son aversion n’est pas un homme en particulier, mais tous les hommes ; elle ne souhaite pas seulement n’en épouser aucun, mais encore les persécuter tous50 ; quand elle rêve de leur bannissement, ce n’est pas de sa ville, mais du monde entier qu’elle voudrait les voir exclus ; quand elle expérimente l’amour, c’est en épuisant tout un régiment, puis toutes les chambrées d’un autre ; plus « malhonnête » que les « malhonnêtes » – nous nous référons au nom donné au lupanar de Lisbonne où séjourne Filaura51 ; c’est naturellement dans le sens, aujourdhui vieilli, de « contraire à la pudeur, inconvenant ou indécent » qu’il faut comprendre le mot –, elle surprend en débauche les pensionnaires les plus aguerries d’un bordel de Lisbonne52, et ainsi de suite53. D’où cette suggestive rivalité métaphorique :

Et cette nouvelle Amazone, ne se montrant pas inférieure à Hercule, qui força cinquante vierges en une nuit, soutint dans le même temps le tournoi avec cinquante jeunes soldats affamés, qui, trouvant chez elle un corps ferme aux chairs tendres, eurent là l’occasion de prendre bien du plaisir54.

Précisons au passage que le mythe de l’Amazone est convoqué à plusieurs reprises dans le récit55. En tout cas, il ressort de ces remarques que Filaura n’existe que dans le « trop », l’exagération, l’extrême. En proportion, toutefois, de l’insatisfaction qui la distingue.

Car s’il est un autre mot qui la caractérise, c’est bien celui d’« insatiable ». De fait, si tendue qu’elle soit vers l’assouvissement de ses appétits amoureux (qu’on observe à ce propos la récurrence du verbe « satisfaire »), Filaura ne ressort jamais que « fatiguée » de ses ébats, mais certes pas « comblée »56 – « elle s’épuisa mais ne se satisfit point »57, peut-on lire encore – si bien qu’elle ne répond à rien d’autre qu’à la dynamique d’un vain désir (dont sa nymphomanie n’est qu’une forme exacerbée et pathologique), ce que justifie le nombre extraordinaire, littéralement parlant, des amants qu’elle consomme ou l’impression que nous avons qu’aucun autre temps que celui de cette consommation effrénée n’existe plus dès lors qu’elle découvre les plaisirs des sens – « ne perdant jamais une occasion de prendre du plaisir »58. C’est ce que déplore indubitablement Flavio quand il lui déclare : « votre nature est capable de tout »59, et c’est ce qu’il expérimente quand l’ordre lui est par deux fois d’obéir aux injonctions amoureuses de Filaura : « ou tu t’emploies à me satisfaire, ou tu ne m’empêches pas de le faire avec d’autres », « ou tu recommences, ou tu cèdes la place à d’autres »60.

Définie, nous l’avons dit, par le « trop » et même le « hors », Filaura l’est aussi par le « contre » ou l’« anti– ». C’est précisément à cela que le récit doit son exemplarité. Nous savons déjà que le « genio » [tempérament] de Filaura est « totalement contraire à », et on sait à quoi, mais le récit dessine aussi son portrait a contrario, c’est-à-dire en nous disant ou montrant ce qu’elle n’est pas, ce qui est évidemment une autre manière d’exprimer l’anormalité du personnage :

Les femmes ne doivent pas être de cruelles déesses jouissant des cadavres de leurs victimes, mais des divinités bienveillantes, qui n’acceptent d’autres sacrifices que ceux d’âmes vertueuses61.

C’est Flavio qui le dit. En réalité, Flavio d’une part, Modesta, d’autre part, sont deux personnages qui incarnent ce dont Filaura ne laisse de s’écarter. Le premier, poète, figure de l’amoureux sincère et docile (il tue pour elle, risque la prison et s’exile) ; il se soumet au désir de Filaura, mais n’abdique pas pour autant sa raison ; lucide, il ne franchit pas les limites de la prudence (du moins ne les franchit-il plus, il a retenu la leçon de sa première mésaventure). La seconde, une prostituée, se laisse sauver par Flavio (il la ramène en Italie et la place au couvent) : elle est donc littéralement remise sur « le chemin du salut » et devient « un exemple de sainteté » ; elle fait, en somme, ce que Filaura ne fera jamais. La rédemption de l’une renvoie bien à la perdition de l’autre62. En d’autres termes, Filaura et Modesta sont la face sombre et la face lumineuse l’une de l’autre. De fait, quelle autre fonction pourrait bien avoir cet épisode édifiant en fin de récit, si ce n’est, par contraste et symétrie, de préparer la fin tragique et ô combien édifiante de l’histoire : « ceux qui ne savent pas que par […] ces vanités on touche au but du repentir […] sont ceux qui meurent avant de l’avoir expérimenté. »63 Ainsi va le destin de Filaura, naufragée à tous égards.

D’autres symétries méritent d’être évoquées pour leur efficacité à évaluer le personnage de Filaura.

C’est d’abord sa curieuse aversion pour Mario64. En effet, on pourrait s’attendre à ce qu’elle apprécie en lui des qualités ou des défauts qu’elle s’est efforcée elle-même d’acquérir. Or, précisément pas, ce qui nous est expliqué en ces termes : « celle-ci haïssait Mario en plus de ses mœurs, le sachant d’une même humeur bizarre qu’elle ; […] elle voulait révéler son extravagant caprice »65. On voit que Mario est défini par les mots-mêmes qui décrivent Filaura66. Force est alors de conclure qu’en détestant Mario, c’est elle-même que Filaura abhorre, qu’elle s’avère incapable de supporter la confrontation avec un autre elle-même. De ce fait, quand Mario meurt, elle n’a plus à s’affronter, elle se soustrait à sa propre image en même temps qu’elle reconquiert un terrain sur lequel son « jumeau » ne pouvait être que son rival.

Il découle en outre de la gemellité de Filaura et Mario que le premier duel, celui qui oppose Mario à Flavio à l’instigation de la belle, préfigure le duel amoureux qui oppose cette fois Filaura/Filauro à Flavio (le vocabulaire qui marque le bref dialogue qui suit leurs ébats, pour topique qu’il soit, confirme ce parallèle67). Or, dans les deux cas, c’est Flavio qui l’emporte. Sans panache, il est vrai (la première fois il est blessé, condamné et il doit fuir son pays ; la deuxième fois, il déclare forfait devant les exigences sexuelles de Filaura), mais il y trouve son salut, dans tous les sens du terme.

Ce qui participe grandement de l’anormalité de notre personnage, c’est par ailleurs le fait qu’elle cumule les perversions, du moins ce qui est considéré comme tel, entre réelles et potentielles. Ainsi sa chute dans le vice est déclenchée par une scène de voyeurisme :

Elle se fit voir un jour au lit avec un jeune amant qui, dans leurs ébats, opérait sans savoir qu’il était observé, tandis que la rusée, le trompant avec de fausses flatteries obscènes, regardait ailleurs et pensait à quelqu’un d’autre. Filaura, confrontée par hasard à cet acte, en fut troublée […] la nature agissant en elle, qui était à la fleur de l’âge, d’un tempérament ardent et sensible, et qui jouissait d’une pleine liberté, cet acte eut le pouvoir de l’encourager dans les plus vives résolutions d’assouvir sa faim sans se faire reconnaître ni compromettre son secret68.

On soulignera au passage la facilité avec laquelle ladite chute se produit : « un seul exemple de lasciveté suffit à susciter en elle les incitations les plus grandes »69. D’autre part, faux homme, elle est courtisée par d’autres hommes70, mais faux homme derrière le déguisement duquel existe une vraie femme, elle est aussi convoitée par d’autres femmes71, suggérant dans les deux cas des amours dites contre-nature. Et puis, sa pratique de l’acte amoureux exclut tout lieu supposé normal (les seuls lits dans lesquels on la voit sont ceux des bordels ; on la suggère aussi familière des ponts de navires…), elle exclut toute forme de familiarité avec le partenaire (qui doit être inconnu, anonyme, non-identifiable ; mais auquel elle doit rester ellemême inconnue), toute mesure réputée ordinaire (nous faisons allusion au nombre pour le moins exceptionnel de ses amants) ; elle bouleverse même les usages du commerce amoureux, stricto sensu, puisque Filaura paye pour profiter des clients de ses complices et leur laisse même ses gains, ajoutant de la sorte la gratuité, c’est-à-dire l’absence d’excuse, à la lubricité. Le vice ainsi superlativisé, Filaura en devient le comble, un parangon à l’envers, c’est-à-dire un contre-exemple ou un anti-modèle : son noir destin peut alors servir les intentions moralisatrices du récit :

Puisse le présent personnage servir d’exemple aux parents pour qu’ils ne permettent pas à leurs filles d’âge encore tendre, même si elles sont filles uniques, des libertés qui sont impropres à leur sexe ; et qu’il serve de frein à ces femmes qui, abandonnant toute raison pour les démangeaisons des sens, sont alors, dans leurs plus belles années, abandonnées par la protection du Ciel.72

En conclusion, on l’aura compris, Filaura est une « anomalie », au sens moderne du terme (à savoir une « déviation du type normal », hors et contre ce dernier), et d’une singularité si extrême que sa monstruosité ne fait aucun doute. Mais son exemple est d’autant plus dangereux, et donc d’autant plus puissamment destiné à servir d’épouvantail, que le texte laisse entendre en filigrane que Filaura pourrait bien incarner un fantasme ordinaire : « toutes les femmes avaient la même volonté qu’elle de satisfaire leur désir, mais n’osaient pas »73 ; elle serait au bout du compte comme toutes les autres femmes, le courage du passage à l’acte en plus, quoique modéré par le secret identitaire74. Le récit ajoute alors, à l’horreur bénéfique de la vision du mal incarné, le frisson de la crainte que, sous le bon ordre apparent, sous la nécessaire hypocrisie sociale, ne serpente l’attrait libertaire pour l’interdit. Et si la thèse est d’une mysogynie fort banale pour l’époque et pour le genre75, elle suggère toutefois un univers mental féminin propre à aiguiser l’imaginaire érotique des lecteurs.

Dans un recueil qui ne cache pas son programme, voici de quoi balancer systématiquement les textes entre l’intention édifiante déclarée et les libertés qu’autorisent aussi bien la dénonciation que la prétérition. Or, dans cette dynamique, il faut bien constater que le balancier penche toujours fort complaisemment du côté du spectacle ô combien délectable du libertinage, quand il ne s’attarde pas à cette autre morceau de choix qu’est l’étalage de ses plus morbides sanctions, pourvu que soient garanties les sensations fortes ! Au royaume des Incogniti, baroque oblige, bien malin qui pourrait savoir, d’Eros ou de Thanatos, celui qui l’emporte…

Notes

1 Notre édition de référence est Cento Novelle Amorose dei Signori Academici Incogniti. Divise in trè parti…, Venetia, Presso li Guerigli, 1651. La nouvelle de F. da Molino, se trouve aux p. 55 à 66 de la 3ème partie. Retour au texte

2 « Nacque in una delle prime Città della Lombardia di Parenti, che tra i primi della sua Patria non erano secondi Filaura » [Elle naquit dans une des premières familles lombardes, de parents qui, parmi les plus grands, n’étaient pas au second rang]. La graphie des citations italiennes a été modernisée ; on a maintenu les doubles ou simples consonnes archaïques, mais supprimé le « h » initial et uniformisé les flexions verbales, pour n’indiquer que les retouches majeures. Retour au texte

3 « nel principio del terzo lustro » [au début du troisième lustre], soit sa quinzième année. Retour au texte

4 « bizzarrie stravaganti ». Retour au texte

5 « Si dimostrava ardentemente vaga del maneggio di qual si voglia sorte d’armi » [Elle aimait ardemment le maniement de toute sorte d’armes], en d’autres termes, elle était « più inclinata agli essercizi di Bellona, e di Marte, che d’Aranne, e Minerva » [plus attirée par les exercices de Bellona et de Mars que par ceux d’Arianne et de Minerve]. Retour au texte

6 « la scioltezza delle proprie membra », « quadratura di corpo, che s’addattava d’assai al maschile, e vigoroso ». Retour au texte

7 « puerili vivezze ». Retour au texte

8 Au début du récit, cependant atténuée par la litote « non pronte ubbidienze » [peu promptes obéissances], comme pour souligner les illusions qu’entretiennent encore les parents de Filaura, voire leur déni de l’évidence. Retour au texte

9 Avec ce que l’auteur désigne ironiquement de « solito brillante humor » [habituelle humeur brillante] ; « […] che per non solo intendeva non accompagnarsi, ma (se le fosse stato permesso dal possibile, e dall’uso) sempre acerbamente perseguitarli. Che mai avrebbe potuto soggettar se stessa ad alcun uomo, che non per privileggio di natura, ma per sola opinione, e poco spirito del loro sesso era superiore ; benché con doti di gran lunga inferiori alle femminili. Che la pregava a lasciarla maturar bene col tempo questa sua opinione, con pensier certo di farsi conoscer al dispetto della commune più che uomo, benché femmina. » Retour au texte

10 « con riso di sprezzo letta da Filaura ». Retour au texte

11 « quanto più lontano anderà più mi sarà cosa grata » ; désespéré de tant d’ingratitude et de cruauté, il lui envoie son épée gravée d’une devise qui sied à la dame : « Di ferro hà il cor, chi sol il ferro brama » [Qui n’aspire qu’à croiser le fer a un cœur de fer]. Retour au texte

12 « disobedienze stravaganti ». Retour au texte

13 Le seul homme qui échappe à sa haine, comme le précise par deux fois le texte, mais surtout parce qu’il est utile à ses desseins (« non odiato da lei per li suoi fini » [qu’elle ne haïssait point en raison de ses desseins] ; « tu solo fra tutti gli uomini sei esente dal mio odio » [toi seul, parmi tous les hommes, échappes à ma haine]), d’où la symbolique de son nom. Retour au texte

14 « fattisi accorciar un poco i capelli » [s’étant fait raccourcir les cheveux]. Retour au texte

15 Et à « la bontà del destriere » [et à la bravoure du destrier]. Retour au texte

16 « giovine prode ». Retour au texte

17 « o divertita dalle martiali operazioni, o domando gli interni stimoli del senso coll’antipatica avversione a gli uomini, conservossi […] incontaminata ». Retour au texte

18 « invaghitasi di lei doppo tentate le blandizie, l’offerte, l’espressioni d’amore, stim […] colpo valevole la gelosia ». Retour au texte

19 « cosa, che soleva milantar’ altre volte per farsi creder huomo ». Retour au texte

20 « per poco intendeva goderla ». Retour au texte

21 « lasciata poi la porta socchiusa si sarebbero tutti sodisfatti : che non andassero in truppa, ma uno, o due per volta, senza parlar, perché non fossero conosciuti nel cambio ». Retour au texte

22 « come havea dissegnato ». Retour au texte

23 « le camerate del suo terzo ». Retour au texte

24 L’arrivée de Filaura à Lisbonne et le pacte qu’elle scèle aussitôt avec deux prostituées de l’endroit offre prétexte à une digression de presqu’une page (sur les 11 du récit) sur l’institution de cette maison close, son fonctionnement (obligations aux résidentes, choix de la « governatrice », rémunération des médecins et des « barbiers »), tarification des clients au prorata du temps consommé, etc.), et son utilité publique (« smorzar gl’incentivi della gioventù » [éteindre les ardeurs de la jeunesse], « così si teneva lontana dalla gioventù l’infettion gallica per quanto era possibile » [on tenait ainsi à distance de la jeunesse, autant qu’il était possible, le mal français]). Retour au texte

25 « né stimando la lunghezza del viaggio, né l’incommodo, e pericolo del Mare ». Retour au texte

26 « sodisfarsi con ogn’uno ». Retour au texte

27 Et que l’une d’elles avoue ne pas envier Filaura (« io non vuò dir d’invidiarvi » [je ne peux pas dire que je vous envie]), ce qui en dit long sur la hiérarchie du vice entre les deux femmes. Retour au texte

28 « così vigoroso si prometteva, che non una sola, ma con due havea patteggiato, e contato abbondante danaro ». Retour au texte

29 « poco per altro frequentata da lui » Retour au texte

30 « L’accordato con le due cortigiane lo teneva in forse ; e più d’una volta le cadde in pensiero […] che effettivamente si potesse esser tramutata in maschio, come in molte narrazioni di viridici Auttori sovvenivali haver letto : ed a che diceva voler dormir con donne, non mai venutole in mente le di lei infami dishonestà. » Retour au texte

31 « Vi chiedo per favore, […] che vi contentiate unirvi con l’amica vostra vicina, lasciando a me il posto del vostro letto […] dovendo, nel mentre verranno gli amanti per l’una, o l’altra, mandarli a me » [Je vous demande la faveur de vous contenter de retrouver votre amie voisine, me laissant la place dans votre lit et, tandis que viendront des amants pour l’une ou l’autre de vous, que vous me les envoyiez]. Retour au texte

32 « immerso nello stupore, e credeva sognarsi, nell’udir stravaganze tali » Retour au texte

33 « si mise trà primi per goder della dissoluta » Retour au texte

34 « contentatevi, che con un senso solo vi goda. È insipida la sodisfazione del tatto senza l’interesse nel gusto dell’occhio ». Retour au texte

35 « nauseato molto dalle sordide lascivie di costei » ; plus tard, après avoir quitté Filaura, il est en proie au remords : « rimordevalo della praticata oscenità » [il regrettait l’obscénité accomplie]. Il se rachète en proposant à celle qui lui a permis de reconnaître Filaura de la sortir du lupanar pour aller couler des jours tranquilles et chastes dans un couvent italien — « La condusse in Italia, ed in un Convento di Rimesse fù un essemplar di santità » [Il l’emmena en Italie, et, dans un couvent de retirées, elle fut un modèle de sainteté] —, le projet donnant lieu à une digression moralisante sur le thème du repentir et destiné à montrer que d’un mal peut sortir un bien, comme il est explicitement dit avant que Flavio disparaisse du récit : « ammirabile la Divina providenza, che dallo scuro d’una sola curiosità, ne fece uscir’ il chiaro di questo bene » [admirable Divine Porvidence qui, de l’obscurité d’une seule curiosité tira la clarté de ce bien]. Retour au texte

36 « con molti altri prima dell’avvicinarsi del giorno si stanc » ; il est en outre précisé qu’elle laisse à ses complices un « salaire » donnant la mesure du nombre des amants reçus : « fù numeroso per la copia de’ concorrenti » [il fut abondant en raison du nombre des concurrents]. Retour au texte

37 « indurata nelle sue dissolutezze, continu molte notti così », « dubitando, che come forastiera potesse partecipar di qualche infezione, massime informata delle sue insaziabili lascivie ». Retour au texte

38 « il solito dissoluto costume ». Retour au texte

39 « mentre trastullavasi con un della medesima [nave], imbrunita la sera, vicina anzi appoggiata ad un canone (fù voler del Cielo) che un gagliardo vento levato all’improviso facesse piegar il vascello, si che sollevatosi il pezzo, di peso la gett nel mare ; né il marinaro, che la godeva […] poté far mainar a tempo : onde la miserabile fù preda dell’acque, che tutte forse non furono a sufficienza per lavar le tante lordure di quella sozza anima. » Retour au texte

40 L’indication « traviando […] dal sesso, dagli instituti comuni del paese, e da’ famigliari di sua Casa » est reprise dans ce « genio totalmente contrario al sesso, paese, e loro casa ». Retour au texte

41 Rappelons que « bizarre », en italien « capricieux », renvoie à ce qui s’écarte de l’ordre commun et s’avère, de ce fait, inhabituel et inexpliquable. Retour au texte

42 « Détermination arbitraire, envie subite et passagère fondée sur la fantaisie et l’humeur » : ici, c’est de cette dernière qu’il s’agit, laquelle « humeur » est cependant tout autre que « passagère » et définitivement ravageuse, d’où la connotation éminemment négative du concept dans ce récit. Retour au texte

43 Qu’on entend dans « sordide lascivie », mais aussi dans « le lordure di quella sozza anima ». Retour au texte

44 Voir « le sue dissolutezze », mais aussi « il solito dissoluto costume » ou « la dissoluta ». Retour au texte

45 À bien entendre comme celle dont la conduite mérite l’indignation et le mépris. Retour au texte

46 « Non ebbe sentimento l’inumana, né meno per quattro stille di pianto » [Elle n’eut aucun sentiment, l’inhumaine, pas même au point de verser deux larmes]. Retour au texte

47 Au besoin masquée par une « finta piétà » [compassion feinte], qui ajoute l’hypocrisie (et la prudence) à la panoplie des sentiments négatifs dont le personnage fait preuve. Retour au texte

48 Quand Mario et Flavio se battent à mort, elle vient voir le résultat de ses manigances et « sodisfatta la crudele della creduta morte dell’uno, e dell’altro ; sotto finta pietà ordin al Cocchiero che girasse al ritorno, per non contaminarsi diceva della vista di due cadaveri, per verità per non soccorrer’ l’uno, l’altro, che per anco non fosse spirato … ». Retour au texte

49 « con brio guerriero rivolte le spalle alla Madre si partì ». Retour au texte

50 On trouve dans ce passage déjà cité un exemple emblématique de l’emploi qui est fait des indéfinis « tous » ou « aucun », des adverbes « jamais » ou « toujours », de la négation et autres éléments rhétoriques d’un discours radical : « Rispose […] rincrescergli aver il Padre per non poter, vivendo lui, odiar tutti gli uomini ; che per non solo intendeva non accompagnarsi, ma (se le fosse stato permesso dal possibile, e dall’uso) sempre acerbamente perseguitarli. Che mai avrebbe potuto soggettar se stessa ad alcun uomo, che non per privileggio di natura, ma per sola opinione, e poco spirito del loro sesso era superiore ; benché con doti di gran lunga inferiori alle femminili. Che la pregava a lasciarla maturar bene col tempo questa sua opinione, con pensier certo di farsi conoscer al dispetto della commune più che uomo, benché femmina » ; ailleurs encore : « vorrei non di questa sola Città, ma di tutto il mondo fossero sbanditi tutti gli uomini » (c’est nous qui soulignons). Retour au texte

51 « Questa casa chiamasi delle disoneste » [on appelle cette maison la maison des malhonnêtes]. Retour au texte

52 En effet, son audace ne laisse pas d’indigner la prostituée avec laquelle elle pactise : « Stupì colei, e benché in un lupanario, detest tanta disonestà » [celle-ci fut stupéfaite, quoique dans un lupanar, et elle jugea qu’une telle malhonnêteté était détestable], Retour au texte

53 Comme c’est le superlatif qui permet de souligner son extraordinaire talent d’escrimeuse : « nell’uso di questa ricreazione, la rese [Balerino, son maître d’armes] non solo svelta, e veloce ne’ moti, ma pratico non poco nel giuoco di scherma la perfezion (non tanto per la di lui cognizione, quanto per la piena brama della discepola) nelle più sicure guarde, ne’ più forti colpi, nelle più industriose ritirate, che imaginar si potesse ; in modo, che ammirando il Maestro ben presto s’avvidde esser divenuto scolare della discepola » [dans la pratique de ce divertissement, il la rendit non seulement leste et vive dans ses mouvements, mais, fort expert au jeu d’escrime, il la perfectionna (moins grâce à son savoir que grâce au désir de son élève) dans les gardes les plus sûres, dans les coups les plus forts, dans les retraites les plus élaborées qu’on pût imaginer, de sorte que le maître d’abord admiré s’aperçut bientôt qu’il était devenu l’élève de son élève]. Retour au texte

54 « E questa nova Amazzona non cedendola ad Hercole, che stor 50. Vergine in una notte, sostenne in tanto giro d’hore l’incontro di 50. giovini soldati bramosi, che trovato un corpo sodo, con carni morbide hebbero occasione di ben sodisfarsi ». Retour au texte

55 Elle est effectivement qualifiée une première fois de « Mégère », mais le sera ensuite de « nouvelle Amazone », de même qu’elle avoue que « essendo nata in una delle prime città d’Italia, se avesse ritrovato seguito il suo parere, colà avrebbe eretto un novo Imperio d’Amazzone ; ove gli uomini adoperati al solo uso della generazione in resto esclusi, come schiavi gli avrebbe trattati » [étant née dans une des premières familles d’Italie, si elle avait été suivie dans son opinion, elle aurait érigé un nouvel Empire d’Amazones, où les hommes, réservés au seul usage de la génération et exclus du reste, auraient été traités en esclaves]. Sa haine du genre masculin est en outre décelable dans le commentaire cynique par lequel elle accueille la promesse de Flavio de tuer Mario pour elle : « Così mi felicitassero i perigli di tutti quelli del suo sesso » [si tous les dangers encourus par ceux de son sexe pouvaient m’apporter un tel bonheur], ainsi que dans sa réaction à l’exil de Flavio : « vorrei non di questa sola Città, ma di tutto il mondo fossero sbanditi tutti gli uomini » [Je voudrais que tous les hommes soient bannis non pas seulement de cette ville, mais du monde entier]. Retour au texte

56 « stanca ma non sazia ». Retour au texte

57 « si stanc ma non si sodisfece ». Retour au texte

58 « non mai perduta occasione di sodisfarsi ». Retour au texte

59 « la vostra natura [è] capace d’infinito ». Dans un discours-sermon à Modesta, la prostituée qui l’aide à démasquer Filaura, Flavio distingue toutefois la « nature », du côté de laquelle il se place indiscutablement, de la « sensualité » [senso] —de fait, peu avant, n’a-t-il pas déclaré à Filaura : « in queste sensualità sodisfo alla natura, e non al senso » ? [dans ces ébats, je satisfais à la nature] ; « la natura infuse questo ardente appetito negli individui per la conservazione sola, e propogazione della specie, ed il senso protervo la fa praticar con tanta sfrenatezza per destruzion anco degli stessi corpi » [la nature ne donna aux individus cet ardent appétit que pour la conservation et la propagation de leur espèce, et son arrogante sensualité le pousse à l’exercer de manière effrénée pour la destruction-même des corps]. Retour au texte

60 « o godi a mia sodisfazione, o non m’impedir’ il sodisfarmi con gli altri ». « o replicate, o date luogo ad altri ». Filaura n’hésite d’ailleurs pas à renvoyer sans ménagements un Flavio qui n’est, selon elle, pas assez vaillant (« Siete troppo debile : governatevi » [Vous êtes trop faible ; rhabillez-vous]. La riposte donne toutefois à Flavio la victoire morale sur Filaura (cf. notre n. 63). Retour au texte

61 « Le donne non devono esser fiere Deità, per goder di vittime di cadaveri, ma Numi benigni per aggradir olocausti d’anime virtuose ». Retour au texte

62 À cet égard, on trouve peu crédible la parenthèse du narrateur justifiant Filaura, lorsqu’elle affirme ne pas faire autre chose que ce dont rêvent toutes les femmes, par ce « per conestare in qualche parte le sue impudiche risoluzioni » [pour quelque peu embellir ses résolutions impudiques], à aucun moment le personnage ne semble, en effet, effleuré par le moindre regret ni par quelque vague aspiration au repentir. Bien au contraire, elle manifeste une obstination certaine à se vautrer dans la débauche. Retour au texte

63 La citation exacte est : « Chi non sa, che col volo di queste vanità, non si arriva, che alla meta del pentimento […] perché per lo più si giunge alla morte prima di praticarlo. » Retour au texte

64 Le texte interpelle le lecteur par un « Udite stravaganza » [Ecoutez quelle extravagance] Retour au texte

65 « odiava oltre il suo uso costei Mario, conoscendolo del suo umor bizzarro ; […] voleva far conoscer il suo stravagante capriccio » Retour au texte

66 On le dit encore d’« humeur guerrière » [humor guerriero] (comme il est question du « brio guerriero » de Filaura et que celle-ci est qualifiée de « valorosa guerriera »), et comme elle, animé de « férocité ». Retour au texte

67 « Se così stimate l’inimico a fronte, mi persuado vedervi a prima faccia sù le ritirate [c’est Filaura qui tourne ici en dérision les faiblesses sexuelles de Flavio] ; così è, replic egli, valorosa guerriera […]. Adopro più volentieri la penna che la spada … » [si c’est ainsi que vous affrontez l’ennemi, je suis sûre de vous voir battre en retraite à la première occasion ; en effet, valeureuse guerrière (elle est peu après qualifiée de « ribaude »), répliqua-t-il […]. Je manie plus volontiers la plume que l’épée…]. Retour au texte

68 « Si fece vedere un giorno in letto con un giovine suo amante, che nel godimento, operava senza supporre esser osservato ; mentre la scaltra, ingannandolo, con finte vezzose laidezze mirava, ed era col pensiero in altra parte. Filaura incontratasi per accidente in quell’atto si commosse […] operando in lei la natura, nel fior de gli anni in un focoso e morbido temperamento, ed in una piena libertà, ebbe forza quell’oggetto d’eccitarla alle più vive risoluzioni di sodisfarsi senza farsi conoscere né voler precipitar la sua secretezza. » Retour au texte

69 « Un solo essempio lascivo valse per suscitar in lei gl’incentivi maggiori ». Retour au texte

70 « Fu tentata da molti, benché credutola del sesso ; né l’oro la vincè, né l’aura de gli onori la pieg » [Elle fut mise à l’épreuve par beaucoup, qui la tenaient pour quelqu’un de leur sexe, mais l’or ne la vainquit point, pas plus que les miroitement des honneurs ne la fit plier]. Retour au texte

71 On pense certes à la jalousie de celle qui lui fait assister au spectacle décisif de ses ébats avec un amant, mais aussi à ce que suggèrent ses tractations avec deux prostituées portugaises pour ensuite prendre leur place, ce qu’elle ne leur explique pas d’emblée : « pateggi con due delle più belle di goderle la notte susseguente, che volentieri fu accettata per la sua bellezza, e per la cortesia, che loro us » [elle prit accord avec deux des plus belles pour les visiter la nuit suivante, ce qu’elles acceptèrent volontiers compte tenu de sa beauté et de la courtoisie dont elle usa avec elles]. Retour au texte

72 « Voglia d’essempio a genitori la presente, e non permetter in età tenera alle figliole (benché uniche) libertà lontane dal sesso : e serva di freno a quelle donne, che ne’ proriti del senso abbandonando affatto la ragione sono nel più bel fior degli anni abbandonate dalla protezione celeste. » Retour au texte

73 « tutte le donne tenevano la medesima volontà al sodisfarsi, ma non l’ardire ». Retour au texte

74 « per esser sola di quell’humore, se ben tutte le altre per timor restavano, non si scopriva » [étant la seule de cette humeur, bien que toutes les autres ne se retinssent que par crainte, elle restait cachée]. Retour au texte

75 « Se tutte le donne fossero come lei risolute, non tanta libertà, ed auttorità pretenderebbero gli uomini sopra il loro sesso » [Si toutes les femmes étaient aussi résolues qu’elle, les hommes ne prendraient pas autant de liberté avec elles et n’useraient pas d’autant d’autorité contre leur sexe]. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Agnès Morini, « Filaura ou le parangon du vice », Cahiers du Celec [En ligne], 1 | 2010, mis en ligne le 31 mai 2023, consulté le 08 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/celec/index.php?id=142

Auteur

Agnès Morini

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