Résumés

Le « droit public » ou du moins les lois administratives sont prédominantes dans le paysage juridique chinois actuel. Le « droit   public » comparé, en tant que discipline ou pratique, occupe une place plus récente mais bien vivante. Il faut toutefois entrer profondément dans la matière et comprendre la logique du discours officiel chinois pour saisir les limites de la comparaison.
Le droit constitutionnel comparé, manié par de grands noms de la doctrine ou par le Parti-État, est utilisé en vue de la justification des systèmes politique et juridique de la République Populaire de Chine. Ce constat s’étend au droit administratif. S’il peut y avoir pour le Parti-État chinois une comparaison avec les lois étrangères, voire de larges emprunts (dans le domaine de la sécurité biologique par exemple), c’est sur des points techniques précis ou dans des domaines nouveaux, dont la maitrise est garante de la légitimité du système.

Public law predominates in China’s current legal landscape. Comparative public law, as a discipline or practice, occupies a more recent and nonetheless vivid position. To understand the limits of this comparison, however, one need to delve deeply into the subject and understand the logic of official Chinese discourse. When undertaken by leading academics and the Party-State, comparative constitutional law studies aim to justify the political and legal systems of the People’s Republic of China. This also applies to comparative administrative law. There may be comparisons with foreign legislations, or even extensive borrowing (in the field of biological safety, for example), but only on specific technical points or in new fields, mastery of which is a guarantee of the system’s legitimacy.

Plan

Texte

Le caractère chinois 法fa, que nous traduisons habituellement et rapidement en français par « droit », ou par « loi » lorsqu’il est l’abréviation de 法律falü, existe depuis probablement trois millénaires1 : il est profondément enraciné dans la civilisation chinoise et, associé à deux autres notions aussi fondamentales que traditionnelles - 情 qing et li-, il forme le triptyque情-理-法 qing-li-fa (sens commun de valeurs humaines et sociales, principes célestes, lois pénales), quintessence de la culture juridique traditionnelle chinoise2. Mais au début du xxe siècle le caractère chinois 法fa va recouvrir de nouvelles significations, venues de l’étranger. Vers la fin de la dernière dynastie impériale qui tombe en 1911 et pendant la république de Chine (1911-1949), le pays entend s’ouvrir à la modernité : il va, notamment, chercher au Japon ce que les Occidentaux nomment droit. Des codes, des lois, des dictionnaires, des manuels venus de l’étranger, reçus au Japon, et traduits en kanjis – caractères sino-japonais – sont alors à leur tour traduits en chinois ; et le caractère chinois 法fa est choisi pour traduire la notion occidentale de droit3. Toutefois les ingérences du pouvoir politique en particulier, puis la guerre sino-japonaise (1937-1945) et la guerre civile, ne permettent pas une réception durable de ces législations étrangères.

En 1949, le Parti communiste chinois (ci-après PCC) dirigé par Mao Zedong l’emporte sur le Parti nationaliste de Chiang Kaishek et de nouveau le pays connait une rupture politique avec la fondation de la république populaire de Chine (ci-après RPC). Les quelques législations introduites par le régime précédent sont abrogées4 et la toute nouvelle République populaire se tourne résolument vers l’Union soviétique, y compris dans le domaine du droit, qu’il s’agisse d’institutions juridiques, de lois ou de l’enseignement du droit. La première constitution chinoise, adoptée en 1954, fait explicitement référence à la constitution soviétique de 19365.

Par deux fois donc, au début puis au milieu du xxe siècle, la Chine importe de l’étranger un droit dont elle ne dispose pas encore : un droit d’origine occidentale, en partie d’abord passé par le Japon, puis un droit soviétique. Ce sont des pans entiers de systèmes juridiques et judiciaires étrangers qui sont introduits dans le pays : ils ne marqueront pas la Chine de la même façon.

Les premiers emprunts de droits d’origine occidentale, essentiellement droits allemand et français, ne se posent pas sur une terre vierge : l’empire du Milieu avait sa propre tradition juridique que l’on peut récapituler sous le triptyque情-理-法 qing-li-fa comme souligné plus haut. La réception de règles et d’institutions juridiques et judiciaires étrangères est alors d’une certaine façon animée, informée (au sens philosophique du terme) par la tradition juridique chinoise. Ce phénomène est d’autant plus naturel qu’à cette époque le droit français en particulier s’est coupé de ses origines. Tributaire de l’évolution de la pensée philosophique, et de la grave crise intellectuelle des xviie-xviiie siècles, la notion de droit s’est émancipée de ses racines gréco-romaines. Et si des fils peuvent être tissés entre la tradition juridique chinoise et le droit romain, notamment autour des notions d’ordre, de justice et de concorde, tel n’est plus le cas avec les droits occidentaux du début du xxe siècle, marqués par la modernité6.

Il n’est donc pas juste à notre sens d’affirmer que la Chine aurait une tradition de droit continental pour la raison essentielle qu’elle a importé du droit occidental -français et allemand- au début du xxe siècle. La Chine avait et garde sa propre tradition juridique, même si celle-ci est largement réinterprétée aujourd’hui.

Ces premières importations de droits étrangers seront stoppées par l’emprise complète du PCC au milieu du xxe siècle et le rejet d’un droit bourgeois. Il demeure toutefois qu’elles ont été essentielles par leur apport de la terminologie juridique7.

En revanche, l’empreinte soviétique sur les institutions de la Chine et son droit demeure. Han Dayuan, le grand constitutionaliste contemporain que nous citerons longuement plus loin, le reconnait lorsqu’il écrit récemment : « La Chine doit non seulement siniser le marxisme, mais aussi siniser le droit constitutionnel ». Il ajoute : « Pour réfléchir à l’avenir de la constitution socialiste chinoise, il faut étudier le processus de traduction et de diffusion de la constitution soviétique en Chine, et lire divers documents chinois sur la constitution soviétique. 8 » Relevons par parenthèses qu’il s’agit bien là, aussi, de droit public comparé.

Un autre élément fondamental de continuité avec le droit et les institutions soviétiques doit être souligné. Depuis la victoire du PCC et la proclamation de la RPC le 1er octobre 1949, le Parti communiste est tout et l’État n’est rien ou presque rien. C’était vrai à l’époque de Mao Zedong, c’est encore vrai à l’ère Xi Jinping, peut-être dans une moindre mesure parce que – probablement pour des raisons de survie – le Parti a aujourd’hui le souci de ce qu’on pourrait appeler la « juridicisation » de ses politiques. Des institutions étatiques existent cependant ; le chapitre trois de la constitution de 1982 leur est entièrement consacré : il y a une Assemblée populaire nationale (ci-après APN), un président de la République, un Conseil des affaires de l’État (国务院 guowuyuan, aussi appelé gouvernement central), une Commission militaire centrale, des assemblées populaires locales et des gouvernements locaux, des organes d’administration autonome pour les régions autonomes, une commission de surveillance créée lors de la révision de la Constitution en 2018, et, enfin, dans la dernière section de ce chapitre, sont mentionnés les tribunaux et les parquets populaires. Mais ce sont aujourd’hui encore largement des institutions de façade ; il faut sans cesse le rappeler : l’État en RPC est un Parti-État9.

Le Parti communiste, et lui seul, tient les rênes du pouvoir, conduit, dirige, guide, gouverne le pays (治国 zhi guo). Il qualifie cela de leadership du PCC (中国共产党领导 Zhongguo gongchandang lingdao)10 et il le revendique clairement. Ce pouvoir, qui est une puissance d’orientation, de direction, de pilotage de la nation est posé dans les statuts du Parti11, et, depuis peu, également dans la Constitution de 1982. L’article 1er disposait : « Le régime socialiste est le régime fondamental de la RPC ». Lors de l’amendement de la Constitution en 2018, est ajoutée aussitôt après la précision suivante : « Le leadership du PCC est la caractéristique essentielle du socialisme aux caractéristiques chinoises. »12

Dans ce contexte, les normes effectives sont d’abord politiques. Certaines deviennent éventuellement juridiques après être passées par des canaux étatiques ; mais c’est bien toujours le Parti qui en a l’initiative, en maîtrise l’application et même la contrôle, parfois au travers du juge, du procureur, de la sécurité publique ou de la police. Nous reprenons volontiers le récent propos un peu cynique (ou réaliste ?) du professeur Steve Tsang13, spécialiste de la Chine contemporaine, à propos de l’enjeu de sécurité biologique et de la loi dans ce domaine adoptée en 2020, peu de temps après la découverte du covid-19 (nous évoquons cette loi longuement plus loin)  : « Il est bien sûr positif que le gouvernement chinois estime devoir prendre un tel défi au sérieux [le défi de la sécurité biologique], mais l’adoption d’une loi dans un système léniniste n’entraîne généralement pas les changements escomptés ».14

Il n’empêche qu’un des derniers slogans officiels, sur la gouvernance du pays (par le PCC) en s’appuyant sur la loi ( 依法治国yi fa zhi guo) 15, met précisément la loi au centre de toutes les attentions. Est-ce parce que la loi peut être perçue comme dissociée du Parti, moins arbitraire ? Cette interprétation est d’autant plus plausible que la règle s’applique aussi pour le Parti est-il régulièrement rappelé : « le PCC exerce le pouvoir politique en s’appuyant sur la loi (以法执政 yi fa zhi zheng) » Aujourd’hui, même la gouvernance de la rue s’appuie sur la loi (依法治路yi fa zhi lu) ; le slogan est inscrit sur des pancartes bleues un peu partout dans les villes. Et, a fortiori, la mise en quarantaine d’une ville doit s’appuyer sur la loi (依法城锁yi fa cheng suo), comme si le recours à la loi était une garantie de légitimité, de protection des citoyens.

Soulignons ici un paradoxe. La loi est visiblement devenue le fondement officiel de toute décision, de tout programme, à tous les niveaux, dans toutes les sphères. Mais dans le même temps, les dirigeants du pays se désolent du peu d’application des lois. Le président Xi Jinping déplorait par exemple dans cette même Décision de 2014 (note 15) :

Il y a des lois mais on ne s’y conforme pas, il y a une application de la loi mais elle n’est pas rigoureuse, les violations de la loi ne font pas l’objet de poursuites : ces phénomènes sont relativement graves (有法不依、执法不严、违法不究现象比较严重, you fa bu yi, zhi fa bu yan, wei fa bu qiu xianxiang bijiao yanzhong). […] Il arrive que la loi soit sciemment violée, qu’un mot (ou la parole) remplace la loi, que le pouvoir écrase la loi, et que la loi soit détournée à des fins personnelles (知法犯法、以言代法、以权压法, 徇私枉法 zhi fa fan fa, yi yan dai fa, yi quan ya fa, xun si wang fa)16.

Et en 2021 encore, au lendemain de l’adoption du Code civil, présidant une étude du bureau politique du comité central du Parti sur la mise en œuvre effective de ce Code, le secrétaire général du Parti, Xi Jinping, regrettait la non efficience de la loi, et détaillait même ses limites ; il posait la question de savoir comment améliorer le plus vite possible le système de lois (法律体系 falu tixi) et proposait : « Pour renforcer la pertinence, l’applicabilité et l’opérabilité de l’activité normative (增强立法的针对性、适用性、可操作性), nous pouvons nous attaquer à de “gros morceaux”, mais aussi à des “petits rapides et agiles (malins, maniables, incisifs)” (可以搞一些‘大块头’,也要搞一些‘小快灵’ keyi gao yi xie « da kuai tou », ye yao gao yi xie « xiao kuai ling ») »17. Xi Jinping signifiait par-là la possibilité d’accélérer la procédure législative en simplifiant la forme de la loi18.

Soulignons aussi que le département de la propagande du PCC et le ministère de la Justice ont adopté récemment le huitième plan quinquennal (2021-2025) de vulgarisation du droit (« 八五 » 普法规划 « ba wu » pufa guihua) : c’est dire que la marche vers le respect habituel de la loi est encore longue.

Le citoyen chinois est naturellement méfiant par rapport à la loi, peut-être précisément parce qu’il y a une certaine confusion entre le Parti et la loi. Il y a, en tous cas, une confusion certaine entre le pouvoir politique et le pouvoir administratif, entre le Parti et la loi administrative. Il n’est alors pas surprenant d’observer que, si l’on considère l’ensemble des lois adoptées par l’APN (les lois fondamentales du pays) ou par le Comité permanent de l’APN (les autres lois), les lois administratives sont les plus nombreuses ; il y en a même trois fois plus que de lois civiles et commerciales. L’APN référence 131 lois administratives depuis septembre 1958, dont 128 depuis 1994 seulement19, alors qu’elle référence à peine 43 lois civiles et commerciales depuis 198520.

Parmi les lois administratives les plus récentes, on citera les lois sur l’éducation de juin 2022, sur le classement des soldats de l’armée populaire de libération en service de février 2022, sur la prévention et le contrôle de la pollution sonore de décembre 2021, sur le service militaire et les médecins d’août 2021, sur les sanctions administratives de janvier 2021, sur l’évaluation des incidences sur l’environnement de juillet 2016, sur les prisons d’octobre 2012. Une loi sur la sécurité biologique d’octobre 2020 retiendra notre attention plus loin.

Par cette longue introduction, nous voulions préciser le contexte historique, politique et juridique de notre réflexion, souligner combien l’État et ses institutions sont « guidées » par le Parti, et le juridique soumis au politique. Pour éviter de considérer le « droit » chinois à l’aune du droit français, nous mettrons le terme « droit » entre guillemets lorsqu’il s’agit du « droit » chinois. Il importait de souligner aussi la prépondérance du « droit » public dans le paysage juridique chinois.

Le droit public comparé (比较公法bijiao gongfa), en tant que discipline ou pratique, occupe une place nettement plus récente et moindre. Certains grands noms de la doctrine juridique chinoise s’intéressent en particulier au droit constitutionnel comparé, dans un but précis (1). Le Parti-État s’intéresse également à des notions de droit constitutionnel ou à des réglementations administratives étrangères, lorsqu’il y est contraint (2).

1. La doctrine juridique chinoise et le droit public comparé

Il existe un site national chinois de droit public comparé. Créé en 2003 sous un autre nom, il fonctionne sous sa forme actuelle depuis 2020 : http://calaw.cn21. Il y a deux versions, une en chinois, l’autre en anglais. La version en anglais n’est pas la traduction de la version en chinois : nettement plus courte, elle est limitée à une présentation générale. Nous nous référons à la version en chinois du site, avec parfois des extraits de la version en anglais. Quant aux articles que nous commentons plus loin, ils existent seulement dans leur version originale en chinois.

Le site est élaboré au sein de la prestigieuse et très politique université du peuple à Pékin (Renmin daxue). Dès les toutes premières lignes, il est présenté – seulement dans la version en chinois – comme concernant des « disciplines nationales essentielles », à savoir le droit administratif et constitutionnel. D’où son appellation officielle, en anglais : « calaw », pour « Constitutional and Administrative Law ». L’expression « disciplines nationales essentielles » nous paraît un peu exagérée : l’omniprésence du PCC et la confusion entre le politique et l’administratif ne leur laissent en réalité pas beaucoup de place.

La portée internationale du site est clairement recherchée et affichée. Il est écrit à la fin de cette brève présentation que le site voudrait devenir un forum pour la recherche et la pratique judiciaire en matière de droits constitutionnel et administratif en Chine, ainsi qu’un site académique spécialisé avec une grande influence en Chine et à l’étranger, reconnu par la communauté académique, afin de contribuer à la recherche en théorie du droit en Chine, et à l’établissement d’un pays socialiste conduit en s’appuyant sur la loi.

Le site est présenté en cinq onglets différents dont nous reprenons les titres dans la version en anglais : Public Law Scholars, Constitutional Law Study, Administrative Law Study, Law Reviews, Legal Essay. Sur la page d’accueil du site, parmi les noms d’auteurs qui figurent dans une première colonne, sous la rubrique intitulée staffs dans la version anglaise, nous retrouvons une personnalité déjà célèbre lorsque nous commencions en Chine nos propres recherches en droit constitutionnel chinois dans les années 2002-2004 22 : le professeur Xu Chongde, décédé en 2014. Plusieurs de ses articles concernent le droit constitutionnel comparé, et il nous parait pertinent de nous arrêter sur l’un d’entre eux, à propos du constitutionnalisme (1.1). Un autre très grand nom de la doctrine, contemporain, est cité : le professeur Han Dayuan, lui aussi constitutionnaliste et comparatiste. Nous nous pencherons sur un de ses articles, consacré aux droits de l’homme (1.2).

1.1. Le professeur Xu Chongde (许崇德) et le « constitutionnalisme » (宪政 xianzheng)

Le premier ouvrage de Xu Chongde sur le droit constitutionnel a été publié en 2003, par l’École du Parti communiste chinois. Le site référence aussi 242 articles ! Plusieurs sont mis en ligne sur le site lui-même, parmi lesquels « le constitutionnalisme et le choix inévitable du socialisme » paru en 2011 dans une collection intitulée Socialisme constitutionnel (宪政社会主义论丛 xianzheng shehuizhuyi luncong)23. Il y a de nombreux éléments de droit constitutionnel comparé dont nous allons tenter de rendre compte.

Une première remarque, d’ordre terminologique, nous parait essentielle. Le terme constitutionnalisme, objet même du propos de l’auteur, est la traduction habituelle en français du terme chinois 宪政 xianzheng : elle nous pose problème. Soulignons d’abord que deux autres expressions, 立宪主义 lixianzhuyi et 宪法主义 xianfazhuyi, sont toutes deux également traduites en français par constitutionnalisme, alors qu’elles sont différentes en chinois. Cela témoigne à notre sens d’une difficulté. Relevons aussi que les termes avec un suffixe en « isme » (léninisme, capitalisme, socialisme) sont rendus en chinois par 主义 zhuyi, ce qui est bien le cas des deux dernières expressions mais pas de 宪政 xianzheng. Enfin, si 立宪主义 lixianzhuyi et 宪法主义 xianfazhuyi ont un sens immédiatement compréhensible24, tel n’est pas le cas de 宪政 xianzheng. Il est plus complexe parce qu’il est une contraction en deux caractères d’une expression en cinq caractères 依法行 yi xianfa xing zheng qui signifie administrer en s’appuyant sur la constitution : tel n’est pas le sens de la notion de constitutionnalisme. En outre, il s’agit d’une expression verbale et non pas nominale. Ces remarques linguistiques devraient suffire pour considérer que la traduction habituelle de 宪政 xianzheng par constitutionnalisme n’est pas la meilleure. Si, malgré tout, nous l’adoptons, nous entrons dans un dialogue de sourds : les traductions nous piègent parfois.

De fait, il nous parait inapproprié de parler de constitutionnalisme dans la Chine du xxe ou début xxie siècle, du moins pas dans le sens contemporain du terme25. Sans doute est-il possible d’utiliser cette expression pour qualifier le mouvement en faveur d’un régime de monarchie constitutionnelle vers la fin du xixe siècle (fin de la dynastie Qing), puis les débats qui continueront au début du xxe siècle. Mais depuis la fondation de la RPC en 1949, évoquer la question du constitutionnalisme en Chine, c’est la dissocier d’une conception libérale du droit public (selon la remarque du professeur Philippe Raynaud ci-dessous), étendre la notion à un contexte singulier et tendre nous semble-t-il vers une assimilation abusive. Le lecteur s’en rendra compte lui-même un peu plus loin.

Mais alors comment traduire l’expression 宪政 xianzheng, notamment lorsqu’elle est utilisée par Mao Zedong ? En réalité, nous n’avons pas le choix parce que 宪政 xianzheng est le terme chinois qui a été choisi pour traduire le terme anglais constitutionalism. Si constitutionalism est traduit par 宪政 xianzheng, alors il est difficile de traduire 宪政 xianzheng autrement que par constitutionalism, ce qui devient constitutionnalisme en français. Il importe toutefois de réaliser que, ce faisant, d’une part on assimile le constitutionalism anglais et le constitutionnalisme français, ce qui ne devrait pas aller de soi, et d’autre part on traduit une traduction.

Ayant averti le lecteur de la difficulté, et notre propos principal étant de considérer le droit public comparé en Chine, nous gardons le terme constitutionnalisme pour traduire 宪政 xianzheng mais nous le mettons entre guillemets.

Dans son article, le professeur Xu Chongde commence naturellement par faire référence à l’autorité suprême, Mao Zedong, et à la définition du « constitutionnalisme » donnée par ce dernier.

Dans sa publication de 1940, « Le “constitutionnalisme” de la nouvelle démocratie (新民主主义的宪政 xin minzhuzhuyi de xianzheng) », Mao Zedong a proposé une définition classique du « constitutionnalisme » : « Qu’est-ce que le “constitutionnalisme” ? C’est la politique de la démocratie (民主的政治 minzhu de zhengzhi) »26.

Le professeur Xu rappelle ensuite l’analyse marxiste faite par Mao Zedong qui distingue un « constitutionnalisme » capitaliste, socialiste, et un « constitutionnalisme » de la nouvelle démocratie ; Mao avait prédit : « dans le futur tout le monde pratiquera la démocratie socialiste (社会主义的民主 shehuizhuyi de minzhu) ».

Suit une analyse sémantique de l’expression 宪政 xianzheng. Le fait, explique-t-il, que dans 宪政 xianzheng le premier caractère soit 宪xian (premier caractère du terme constitution en chinois -宪法 xianfa-), « montre qu’il s’agit d’une politique qui fonctionne conformément aux dispositions de la constitution. Donc “constitutionnalisme” et constitution sont dans leur essence les deux faces d’une même réalité : la constitution est la prémisse et la base du “constitutionnalisme” et le “constitutionnalisme” est le fonctionnement et la mise en œuvre de la constitution ».

Faisant référence à des pays étrangers, le professeur en conclut : « Les pays occidentaux comme les États-Unis, la France, et l’Angleterre ont des constitutions capitalistes, donc le constitutionnalisme de ces États est un constitutionnalisme capitaliste. »

Xu Chongde se tourne alors vers la constitution de son pays :

La constitution de la RPC est une constitution socialiste, c’est l’expression unifiée de ce que prône le Parti et de la volonté du peuple ; en conséquence, notre « constitutionnalisme » est un « constitutionnalisme » socialiste, et notre socialisme est un socialisme constitutionnaliste, au sein duquel le peuple est vraiment le maître, sous la direction du Parti communiste.

Tout est dit.

Xu Chongde cite ensuite l’article 5 de la constitution, bien connu : « La République populaire de Chine pratique la conduite du pays (la gouvernance) en s’appuyant sur la loi, édifie un État socialiste gouverné en s’appuyant sur la loi. »27

L’auteur explique alors ce qu’il faut entendre par « conduire le pays en s’appuyant sur la loi » : « C’est exercer le pouvoir dans le cadre de la constitution et des lois, et ce que nous nous efforçons de mettre en place, c’est une politique avec le peuple comme maître, fondée sur la constitution. »28

Il reste à préciser ce que représente cette constitution. Xu Chongde rappelle la définition posée en 2003 lors de la troisième session plénière du 16e comité central du PCC29 :

La constitution de la République populaire de Chine est la loi fondamentale du pays, la règle générale pour gouverner et pacifier le pays, le fondement légal pour maintenir l’unité nationale, l’unité des différentes nationalités, le développement économique, le progrès social, la paix et la stabilité à long terme.

Il avait été ajouté à cette époque : « La pratique prouve que la constitution actuelle est une bonne constitution qui correspond aux conditions du pays ». Cet argument fondé sur les conditions, les circonstances ou sur la situation propre à la Chine est régulièrement mobilisé pour justifier les choix particuliers des autorités.

C’est dans les paragraphes suivants qu’il est question de comparaisons avec l’Occident, et dans un but précis : montrer qu’il n’est pas nécessaire pour la Chine de s’occidentaliser parce que ce qui existe ailleurs, et paraît aujourd’hui incontournable, existe déjà dans le pays, depuis bien longtemps.

Utiliser le terme « constitutionnalisme » ne signifie pas que nous devons adopter le système politique de l’Occident. […] Notre « constitutionnalisme » relève bien sûr du socialisme. Les Chinois parlent de « constitutionnalisme » depuis des centaines d’années, et le socialisme chinois se développe, les voies de la réforme et de l’ouverture s’élargissent, et on ne voit pas que parler de « constitutionnalisme » nuise au développement vigoureux du socialisme.

Il est intéressant de noter que Xu Chongde parle bien du terme « constitutionnalisme », c’est à dire 宪政 xianzheng, et non pas ici de la notion occidentale.

Allant encore plus loin, et dans une démarche identique à celle du professeur Han Dayuan à propos des droits de l’homme, que nous évoquons plus loin, Xu affirme :

Si nous considérons l’histoire de la Chine, le « constitutionnalisme » n’est pas un produit étranger, mais il est proprement chinois. Il est mentionné dès la période des Printemps et Automnes et des Royaumes combattants [viiie-iiie siècles avant notre ère], dans le Livre des Shang […] puis dans le Livre des Tang […]. Il existe beaucoup de registres de ce type en Chine, qui remontent à une époque bien antérieure à la montée du constitutionnalisme (立宪主义 lixian zhuyi) en Occident. Ce n’est qu’à la fin de la dynastie Qing que les Chinois ont abordé le régime constitutionnaliste occidental (西方立宪制度xifang lixian zhidu) ; comme ils n’avaient pas de nom pour ce système, ils ont utilisé l’appellation que l’on trouve dans les anciens livres chinois et l’ont désigné sous le nom de « 宪政 xianzheng, constitutionnalisme ».

Le célèbre professeur continue sa démonstration et, pour nous convaincre de l’origine chinoise de la notion de « constitutionnalisme », va jusqu’à utiliser un argument linguistique :

Il est superflu de préciser que si cette terminologie occidentale était arrivée en Chine, elle aurait fait l’objet d’une équivalence chinois/anglais en vis-à-vis. Par exemple, 民主, democracy en anglais ; 自由, feedom [sic] en anglais ; 平等, equality en anglais, etc., permettant de voir au premier coup d’œil qu’il s’agit de termes importés. Mais pour 宪政 xianzheng, comme il s’agit d’un terme né en Chine, il n’existe pas d’équivalent exact tout prêt en anglais. […]

Cette dernière remarque confirme aussi notre propos : la traduction de 宪政 xianzheng en anglais par constitutionalism n’est pas la meilleure. Nous ne pensons pas que le professeur Xu lisait couramment l’anglais, et s’il avait accès aux notions occidentales de démocratie, liberté, égalité, ou constitutionnalisme, c’est par le truchement de traductions en chinois ; tel était le cas à l’époque pour beaucoup d’intellectuels, ce qui explique aussi des équivalences chinois/anglais parfois rapides et gêne une juste compréhension tant du système occidental que du système chinois.

Il n’est pas nécessaire pour notre propos de continuer la lecture de l’article de Xu Chongde. Nous voulions seulement montrer que l’objectif de la comparaison est bien de se démarquer d’un modèle occidental. Il y a là une récupération politique : ce qui au fil de l’histoire est perçu en Chine comme inévitable est forcément chinois.

Dix ans plus tard, la même rhétorique est utilisée par le professeur Han Dayuan à propos des droits de l’homme.

1.2. Le professeur Han Dayuan (韩大元) et les droits de l’homme

Le site universitaire http://calaw.cn rappelle tous les titres du professeur Han Dayuan. Né en 1960, il a été doyen de la faculté de droit de l’université Renmin et membre de nombreux cercles académiques mais aussi gouvernementaux30. Directeur de l’Institut du droit d’« un pays et deux systèmes » à la faculté de droit de Renmin, il est considéré comme un expert de la récente loi sur la sécurité nationale de Hong Kong31. C’est donc un grand juriste, bien en phase avec le Parti-État d’aujourd’hui.

Une de ses premières études porte sur les « constitutionnalismes asiatiques ». Publiée en 1996 par les presses de l’université de la sécurité publique populaire de Chine – relais du Parti –, elle a fait l’objet d’une deuxième édition en 2008, toujours aux mêmes presses32. Il s’agit bien de droit public comparé et plus précisément de droit constitutionnel comparé, déjà en 1996 et encore en 2008. Dès 2003, Han Dayuan publie même un manuel au titre clair : Droit constitutionnel comparé. Une deuxième édition est publiée en 2008 et une troisième en 202133.

Le professeur Han Dayuan s’est aussi longuement intéressé aux droits de l’homme34. En septembre 2021, il publie dans la revue Droits de l’homme (人权 renquan) un article sur lequel nous nous arrêtons : « Le discours sur les droits de l’homme et son évolution dans les premières années du parti communiste chinois : 1921-1927 »35. Le titre laisse songeur. Rappelons que 1921 marque la naissance du PCC à Shanghai ; la RPC a fêté en 2021 le centenaire de la fondation du PCC. Cet article est disponible en ligne sur le site calaw.cn. Il nous semble pertinent et intéressant d’en relever quelques passages qui montrent, comme les travaux du professeur Xu Chongde, que le droit constitutionnel comparé est d’actualité en Chine, mais parfois manié dans le seul but de justifier le Parti. La démarche est la suivante : une notion d’origine occidentale, en l’occurrence celle des droits de l’homme est, dans un premier temps, traduite en chinois à la lettre : 人权 renquan ; après quelques décennies, elle devient un nouveau terme chinois qui reste néanmoins marqué par son origine étrangère. Enfin, elle est insérée par la doctrine juridique, les historiens ou le Parti dans un contexte historique national plus ou moins lointain, montrant ainsi combien elle est depuis longtemps une réalité importante en Chine, étant entendu que l’histoire du pays se confond avec celle du Parti. L’auteur affirme alors dans son résumé : « On peut dire que les cent ans d’histoire du PCC sont aussi les cent ans d’histoire d’investigations, de luttes pour les droits de l’homme et de pratique des droits de l’homme par le peuple chinois ».

Dans ses sources, le professeur Han cite ses études de 2012 et 201836, fait référence à des discours du président Xi Jinping37, à quelques textes de Mao Zedong, aux œuvres des principaux intellectuels du début du communisme chinois ainsi qu’à des documents du Parti. Il n’y a aucune source étrangère, et pourtant il s’agit bien, au départ, de la notion occidentale de droits de l’homme. L’auteur le reconnait lui-même : « Il est généralement admis dans les milieux académiques que les droits de l’homme ne sont pas un concept originaire de la Chine, mais un produit importé (舶来品 bolaipin, au sens littéral produit importé par bateau) du Japon ».

Le constitutionnaliste relate ensuite le rôle important joué par Kang Youwei (1858-1927), un intellectuel réformateur dont Han Dayuan dit qu’il « a été le premier intellectuel chinois à introduire en Chine la terminologie des droits de l’homme en kanji japonais », ce qui permet d’affirmer :

On peut dire que le terme « droits de l’homme (人权 ren quan) » est apparu en Chine il y a déjà plus de cent ans et qu’il est devenu l’un des vocables les plus influents dans l’évolution de la société chinoise, soutenant un siècle de changements et de progrès sociaux.

Han Dayuan enchaîne alors sur la belle appropriation par le Parti communiste de la notion des droits de l’homme :

Depuis sa naissance, le Parti communiste chinois a brandi haut la bannière des droits de l’homme et a fait de ses efforts, de l’instauration et de la protection des droits de l’homme, le but de sa lutte, enrichissant sans cesse le contenu et la réalisation des droits de l’homme.

Puis il cite longuement le secrétaire général du PCC, Xi Jinping, dans une allocution de 2015 à l’occasion du Forum de Pékin sur les droits de l’homme :

Le PCC et le gouvernement chinois ont toujours respecté et protégé les droits de l’homme. Depuis longtemps, la Chine s’efforce de combiner le principe d’universalité des droits de l’homme avec la réalité chinoise, en promouvant continuellement le développement économique et social, en améliorant le bien-être de la population, en promouvant la justice sociale, en renforçant la protection juridique des droits de l’homme, en s’efforçant de promouvoir le développement complet et coordonné des droits économiques, sociaux et culturels ainsi que des droits civils et politiques, en élevant de manière significative le niveau de protection du droit à la vie et au développement du peuple, avançant sur une voie de développement des droits de l’homme adaptée aux conditions de la Chine.

Bref, Han Dayuan l’affirme :

Dès les premiers jours de la fondation du Parti, les droits de l’homme deviennent l’objectif du Parti communiste chinois et font partie de son ADN. On peut dire que l’histoire centenaire du PCC est l’histoire d’investigations, de pratique et de luttes pour les droits de l’homme en Chine.

Ici encore, tout est dit. Un peu plus loin, le professeur qualifie même les droits de l’homme de « gène rouge (红色基因 hongsi jiyin) » et de « valeur intrinsèque (内在的价值ney zai de jiazhi) » des communistes chinois.

Il commente également plusieurs propos de Mao Zedong sur la notion d’homme, en 1919, et souligne :

Dans la Revue Xiangjiang, qui a été publiée pour la première fois cette année-là [1919], Mao a donné son point de vue sur la renaissance et l’émancipation de la pensée, comme par exemple « Comment l’humanité vit-elle ? », ainsi que sur la liberté de religion et la question du pouvoir et de la liberté. L’attention portée tôt par Mao aux questions relatives aux droits de l’homme a été très large et a été comprise sous l’angle de la capacité de l’individu libre à se déterminer et de la dimension sociale de l’être humain (社会属性 shehui shuxing). Bien qu’il n’ait pas employé littéralement le terme « droits de l’homme », néanmoins le cœur de sa philosophie est pleine d’attention portée à la valeur de l’homme et à l’humanité.

Le professeur Han fait ensuite un détour par une période nettement plus récente et remarque :

Soixante-dix ans plus tard, en 1991, le gouvernement chinois a publié un « livre blanc sur la situation des droits de l’homme en Chine », soulignant que « le droit à la vie est le premier droit de l’homme du peuple chinois », plaçant le droit à la vie au sommet du système chinois des droits de l’homme. Des premiers propos théoriques de Mao Zedong sur la question des droits de l’homme au Livre blanc sur les droits de l’homme publié par le gouvernement chinois, cela reflète la conception et la ligne de pensée du Parti communiste chinois sur les droits de l’homme. En fait, la vision des droits de l’homme du PCC a évolué parallèlement aux changements de la constitution moderne. La pratique et la réflexion théorique du PCC sur les droits de l’homme ont sans aucun doute contribué, de manière enrichissante, à diversifier la conception des droits de l’homme dans le monde et ont gardé vivante la mémoire que la Chine a de sa propre histoire.

Le propos est clair : la notion universelle de droits de l’homme n’a rien apporté à la Chine déjà familière de la notion, grâce au Parti communiste, en revanche l’apport du Parti au monde – et à la Chine – est riche.

Que dire après cette longue démonstration fondée sur des affirmations posées comme des évidences ? Peut-être suffit-il de souligner que la notion de droits de l’homme a été insérée dans la constitution de la RPC en 2004 seulement, et d’une façon générale et laconique : « L’État respecte et garantit les droits de l’homme » (article 33, alinéa 3).

Nous nous sommes intéressés aux propos de deux juristes célèbres, représentatifs de la doctrine juridique (autorisée) en Chine populaire. Universitaires et membres de nombreux cercles académiques et politiques, ils sont chargés, aussi, de la bonne formation des étudiants et de tous dans le domaine du droit : ce sont des relais précieux du Parti.

2. Le Parti-État chinois et le droit public comparé

Il y a en Chine, quoiqu’il puisse paraître vu de l’extérieur et dans la limite d’un périmètre à la fois mouvant et strict, de grands débats. De nombreux intellectuels, et en particulier des juristes, se sont interrogés par exemple sur les notions de séparation des pouvoirs et d’indépendance judiciaire, jusqu’à ce que le Parti-État soit acculé à s’emparer lui-même du sujet. Le but est alors de justifier et défendre l’ordre politique et social instauré, et s’il y a comparaison avec des institutions ou notions occidentales, c’est pour les critiquer et les rejeter (2.1). Mais il arrive aussi que le Parti-État doive initier une nouvelle réglementation juridique, qu’il en ait besoin pour éventuellement compléter son corpus législatif, ou par nécessité, d’affichage vis-à-vis de l’extérieur. Il a alors recours à la comparaison avec des lois étrangères ; mais c’est toujours dans des domaines techniques, qui ne risquent pas de remettre en cause le système politique national (2.2).

2.1. Le rejet absolu de notions occidentales, notamment celles de séparation des pouvoirs et d’indépendance de la justice

Rappelons d’abord que la Chine n’a pas adopté le principe de séparation des pouvoirs. « Tout le pouvoir en République Populaire de Chine appartient au peuple » est-il précisé au tout début de la Constitution de 1982, dès l’article 2 qui poursuit : « Les organes par lesquels le peuple exerce le pouvoir d’État sont l’Assemblée Populaire Nationale et les assemblées populaires locales aux différents échelons ». C’est pourquoi la Chine qualifie son régime de régime d’assemblées populaires (人民代表大会制度 renmin daibiao dahui zhidu).

L’APN est donc officiellement « l’organe suprême du pouvoir d’État » (art. 57 de la Constitution). Tous les autres organes étatiques leur sont subordonnés, y compris les organes du pouvoir judiciaire dont nous parlerons plus loin. Le Conseil des affaires de l’État (国务院 guowuyuan, gouvernement populaire central), est officiellement « l’organe suprême du pouvoir administratif » (art. 85 de la Constitution) et l’organe exécutif de l’organe suprême du pouvoir d’État, c’est-à-dire de l’APN.

L’APN élit le président et les vice-présidents de la République, le Premier ministre, le vice-premier ministre, le président de la Commission militaire centrale, le responsable du Comité de surveillance (la nouvelle institution introduite dans la constitution en 2018), ainsi que les présidents de la Cour populaire suprême et du Parquet populaire suprême. Elle est en outre chargée de l’adoption des lois fondamentales.

Il n’est donc pas question de séparation des pouvoirs, ni entre l’APN et le Conseil des affaires de l’État (gouvernement populaire central), ni entre l’APN et le pouvoir judiciaire. Et ainsi que nous l’avons souligné plus haut, au-dessus de ces organes, le PCC gouverne le pays. Le secrétaire général du PCC, Xi Jinping, a souvent l’occasion d’« interpréter pour notre époque » – selon l’expression chinoise – le sens d’un régime d’assemblées populaires. Il rappelle par exemple en 2015, à l’occasion des soixante ans de l’APN : « Un régime d’assemblées populaires, c’est un régime organisé fondamentalement comme un tout unifiant le leadership du Parti, la souveraineté du peuple (ou le peuple comme maître du pays) et la conduite du pays en s’appuyant sur la loi »38. Il ne fait que reprendre, en des termes identiques, le leitmotiv qui figure au début des statuts du PCC, dans le programme général : « le Parti communiste chinois maintient un tout unifiant le leadership du Parti, la souveraineté du peuple et la conduite du pays en s’appuyant sur la loi »39.

Il y a un lien particulier entre l’APN dans sa fonction législative et la Cour populaire suprême (ci-après CPS). Cette dernière peut adopter des « interprétations judiciaires (词法解释 sifa jieshi) » qui, visant plus ou moins formellement un article d’une loi existante qu’il faudrait « interpréter », sont en réalité de nouvelles dispositions législatives ad hoc, qui ont force de loi40. Cette procédure permet finalement de court-circuiter l’APN, en particulier lorsqu’il faut agir vite : si l’adoption d’une loi prend du temps et doit respecter un certain formalisme, l’« interprétation judiciaire » est rendue rapidement. Quoiqu’il en soit de la légitimité de ces « interprétations judiciaires » adoptées par des juges, il n’est pas possible de séparer la loi de son « interprétation judiciaire » ; ainsi par exemple, le 15 mars 2021, le comité de jugement de la CPS dispose, dans une « interprétation judiciaire » sur l’application du Code civil (entré en vigueur le 1er janvier 2021) par les tribunaux, que le juge doit maitriser de façon précise les anciennes et les nouvelles lois ainsi que les « interprétations judiciaires » correspondantes41. L’autorité suprême du pouvoir judiciaire, la CPS, peut donc aussi « faire la loi », et même d’une certaine façon primer sur l’APN lorsqu’elle adopte des « interprétations judiciaires » de la loi. On peut également considérer que la CPS « coiffe » l’APN lorsque, appliquant les politiques du PCC, elle met en place des plans quinquennaux sur la réforme des tribunaux judiciaires, faisant ainsi finalement œuvre de législateur.

La CPS est à son tour supervisée et contrôlée par l’APN et son comité permanent devant lesquels elle est responsable42. Il en est de même pour le Parquet populaire suprême (article 138)43. Dans ces conditions, il ne peut y avoir d’indépendance judiciaire, ni sur le papier, ni dans les faits.

En outre, le juge fait l’objet d’un contrôle et politique et hiérarchique, ce qui limite encore davantage son action. En effet, la commission politico-judiciaire du Parti supervise l’activité de la Cour populaire suprême et du Parquet populaire suprême (ainsi que du ministère de la Justice, du ministère de la Sécurité publique, du ministère de la Sécurité d’État). Au niveau local, tribunaux et parquets sont contrôlés par les commissions politico-judiciaires du Parti aux échelons correspondants44.

Néanmoins, la notion de séparation des pouvoirs telle que pratiquée en Occident et celle, liée, d’indépendance judiciaire ont été l’objet de nombreux débats en Chine. Le 14 janvier 2017, Zhou Qiang (周强), à la fois président de la CPS et secrétaire de la cellule du Parti de la Cour, tente d’y mettre fin. Il déclare :

Nous devons résister résolument à l’influence des idées occidentales fausses, telles que la démocratie constitutionnelle (宪政民主 xianzheng minzhu), la séparation des pouvoirs (三权分立 sanquan fenli) et l’indépendance du pouvoir judiciaire (司法独立 sifa duli). […]

Zhou Qiang considère ces idées comme des « erreurs de l’Occident », des « pièges ». Les réactions à cette déclaration sont vives ; elles soulignent, à juste titre, que « sans indépendance de la justice, il n’y a pas de justice »45. Le président de la CPS est alors contraint de rappeler :

L’organe suprême du pouvoir en Chine est l’Assemblée populaire nationale, et l’article 3§3 de la constitution dispose que les organes de l’administration de l’État, les organes judiciaires et les organes du ministère public sont tous créés par l’Assemblée populaire nationale, devant laquelle ils sont responsables et par laquelle ils sont supervisés.
[…]
Dans le cadre constitutionnel existant, les pouvoirs exécutif et judiciaire ne peuvent être indépendants par rapport aux assemblées populaires. Et il n’est pas possible que les pouvoirs exécutif et judiciaire soient au même niveau et de même rang que le pouvoir des assemblées populaires.

Zhou Qiang en vient alors à évoquer le pouvoir judiciaire aux États-Unis, et il souligne la position centrale et supérieure de la Cour suprême américaine, pour réaffirmer qu’en Chine il ne peut en être de même puisque la Constitution établit que les organes du pouvoir judiciaire doivent être en dessous des assemblées populaires (司法机关地位必须在人民代表大会之下 sifa jiguan diwei bixu zai renmin daibiao dahui zhi xia).

Il y a donc bien comparaison, mais ordonnée à la conclusion que ces idées occidentales à propos du système judiciaire sont des erreurs, qu’il n’est pas possible de les importer ou de se laisser influencer par elles, à aucun prix : ce serait saper le système politique chinois.

Est-il néanmoins possible pour le juge de prendre en compte une législation ou une jurisprudence étrangère ? On aurait pu le penser à un certain moment. L’action du juge est en effet régulièrement cadrée par des réglementations d’origines diverses. En 2009 par exemple, le comité de jugement de la CPS en adopte une qui a l’autorité d’une « interprétation judiciaire ». Il est précisé dès le premier article quel doit être le fondement des jugements judiciaires, et comment il doit lui être fait explicitement et précisément référence : « Les jugements rendus par les tribunaux populaires doivent citer les documents juridiques normatifs, notamment les lois et les règlements, comme fondements du jugement. »

Et la Cour spécifie qu’il faut indiquer « le titre de la loi, le numéro de l’article, et s’il est nécessaire de citer un article précis, alors il faut citer tout l’article46 ». Il n’y a donc a priori pas de place pour une source étrangère.

Mais en 2018, un avis directeur de la CPS élargit considérablement le champ des fondements possibles d’un jugement judiciaire et évoque même la possibilité d’une méthode comparative d’interprétation :

En dehors des lois, règlements et interprétations judiciaires, pour renforcer la légitimité et l’acceptabilité de ses conclusions, le juge peut fonder sa décision sur : les cas directeurs (指导性案例zhidaoxing anli) publiés par la Cour populaire suprême ; […] les principes communément acceptés, le légitime et le raisonnable (情理 qingli), les règles tirées de l’expérience, les pratiques commerciales, les conventions populaires, l’éthique professionnelle ; les ressources législatives comme l’explication de l’élaboration de la loi ; la théorie du droit et les opinions académiques courantes utilisés pour adopter des méthodes historiques, systématiques et comparatives d’interprétation […].47

Toutefois, dans le même temps, les « douze valeurs centrales du socialisme aux caractéristiques chinoises », préconisées lors du XVIIIe Congrès national du PCC en 201248, doivent être pratiquées et cultivées comme le déclare le XIXe Congrès du PCC en 2017. En 2018, le nouvel article 24 alinéa 2 de la Constitution amendée dispose : « Le pays promeut les valeurs centrales du socialisme, et prône les morales publiques – aimer le pays, aimer le peuple, aimer le travail, aimer la science, et aimer le socialisme ». Depuis lors, les douze valeurs sont omniprésentes dans la société chinoise. Il est requis qu’elles aient aussi une influence certaine sur la loi, le législateur, le juge : elles doivent « assister » la loi – selon la terminologie officielle –, et être prises en compte par le juge. Progressivement les lois de l’APN et de son comité permanent ainsi que les « interprétations judiciaires » de la CPS prennent donc en compte les douze valeurs.

Et le 19 janvier 2021, la CPS réduit encore la liberté d’évaluation du juge. Elle adopte, le jour même de l’entrée en vigueur du code civil, un « avis directeur » afin d’améliorer l’application des valeurs centrales dans les décisions judiciaires49. Il est notamment fait référence, une fois encore, à l’attente du peuple dans le domaine de la justice et de l’équité. La Cour détermine six types d’affaires dans lesquelles les valeurs centrales doivent obligatoirement être le fondement du jugement, notamment les affaires susceptibles de générer une réaction populaire importante, et celles qui touchent à de nouvelles questions ou situations.

Finalement, nous sommes toujours dans la même cohérence et le même mot d’ordre : « 良法善治 liang fa shan zhi », littéralement « bonne loi (ou bon droit), bonne gouvernance ». Tout est ordonné à la gouvernance du pays, sous le leadership du Parti. La bonne loi, c’est celle qui est « assistée » par les douze valeurs. Et il faut entendre loi dans un sens large qui inclut notamment l’application de la loi par le juge. Ce dernier, aussi, est appelé à rester dans le monde chinois.

2.2. Le recours à des législations administratives étrangères dans des domaines techniques, celui de la sécurité biologique par exemple

Le Parti-État, grâce aux universitaires mais aussi grâce aux experts chinois des domaines concernés, a une longue habitude des traductions en chinois de pans entiers de législations étrangères50. C’est parfois un premier pas vers la comparaison des droits, c’est-à-dire l’étude de différentes réglementations pour éventuellement s’en inspirer. Mais c’est aussi souvent le début d’un processus d’une simple importation de dispositions étrangères traduites en chinois, puis insérées parfois telles quelles dans l’ordre normatif chinois. L’applicabilité et l’effectivité de ces législations en partie « venues d’ailleurs » est variable…

Habituellement, le Parti-État calque des dispositions étrangères lorsqu’il y a une volonté d’affichage vis-à-vis de l’extérieur ou dans des domaines techniques ou pointus pour lesquelles une législation propre fait défaut, et qui ne remettent en cause ni la suprématie du PCC, ni l’organisation du pouvoir : tel est le cas par exemple du droit aérien, du droit de la cyber sécurité, en partie du droit de l’environnement, et en grande partie du droit de la sécurité et de la sûreté biologique sur lequel nous nous arrêtons maintenant à titre d’illustration.

Dans le domaine de la sécurité et de la sûreté biologique, et en particulier au niveau des laboratoires biologiques de haute sécurité, la Chine cherchait dans les années 2009 et 2010 à compléter et perfectionner son propre système ; elle s’est attelée à un travail considérable de traductions de législations étrangères, notamment françaises et de l’Union européenne, mais ne semble pas avoir emprunté ou copié de dispositions conséquentes à cette époque. En réalité, il lui était particulièrement difficile d’apprécier une réglementation juridique étrangère, et de comparer avec le « droit » chinois, même dans un domaine réduit à celui portant sur la sécurité d’un laboratoire biologique de haute sécurité. Plusieurs raisons peuvent être rapidement avancées ici.

Peut-être du fait des limites de son « droit » et de son système législatif en particulier, la Chine privilégiait, dans le domaine de la sécurité et de la sureté biologique, une réglementation sur la base de normes techniques et non pas juridiques. Et a contrario des normes techniques françaises, les normes chinoises dans ce domaine étaient pour la plupart d’application obligatoire. En outre, sur certains points, elles étaient plus restrictives que les normes techniques françaises ou européennes, et étaient de ce seul fait considérées comme meilleures.

Une règlementation juridique existait néanmoins. Mais, dans ce champ de la sécurité biologique comme dans beaucoup d’autres, les normes juridiques étaient nombreuses et disparates ; fragmentées entre le niveau national et le niveau local, elles étaient élaborées ou appliquées par des ministères ou des agences étatiques différentes (ministère de l’Environnement, de l’Industrie, de l’Agriculture, des Sciences et technologies, de la Santé) avec le risque que les domaines de compétence de ces autorités se chevauchent, ou soient concurrents, ou se contredisent ou, pire s’agissant d’un domaine particulièrement sensible et dangereux, qu’aucune agence ne soit compétente pour édicter, adopter ou appliquer certaines mesures.

Par ailleurs, à l’époque – et tel est encore largement le cas aujourd’hui –, ces normes n’étaient pas intégrées dans un corpus unique : il n’existait aucun code juridique et il n’y a aucun équivalent à un Journal officiel. La recension de tous les textes juridiques était et reste forcément laborieuse, aléatoire, et la compatibilité des diverses réglementations entre elles jamais assurée.

Enfin, si le respect des normes techniques chinoises était considéré comme incontournable puisqu’il conditionnait la certification de tout laboratoire de haute sécurité, se posait en revanche un problème sérieux d’applicabilité et d’effectivité des normes juridiques dans ce domaine, ce qui biaisait toute comparaison.

Une dizaine d’années après les traductions massives de législations étrangères, notamment françaises, sur la sécurité et la sureté biologique (2009-2010), quelques mois après le début de l’épidémie de covid-19 et la mise en cause du laboratoire de biologie de haute sécurité (P4) de Wuhan, le Comité permanent de la XIIIe Assemblée populaire nationale adoptait le 17 octobre 2020 une loi nationale d’envergure sur la sécurité biologique51. Les autorités chinoises ont-elles alors réalisé que leur système de normalisation ne suffit pas à lui seul pour assurer la sécurité biologique (une réponse positive supposerait que la nouvelle loi comble ce déficit et soit « pertinente, applicable et opérable » selon les termes de Xi Jinping) ? Dans un contexte marqué par le covid, fallait-il pouvoir montrer au monde que la Chine dispose bien d’une « bonne » et longue loi sur la sécurité biologique (notons cependant que le premier projet de loi avait été discuté et revu par le comité permanent de la 13e APN en octobre 2019, avant donc le début probable de l’épidémie à Wuhan) ? Fallait-il être plus en phase avec les traités internationaux auxquels la RPC est partie ? Fallait-il rattraper le retard pris dans ces domaines par rapport aux réglementations américaine, britannique ou européenne ?

Entrée en vigueur le 15 avril 2021, la loi compte quatre-vingt-huit articles, répartis en dix chapitres. Elle est située dans le cadre général de la sécurité nationale, un des soucis majeurs du PCC. Plusieurs points attirent l’attention, mais nous ferons seulement quelques remarques sur les dispositions dont on peut penser qu’elles ont été influencées par des législations étrangères.

Alors que contrairement à la France, l’Union européenne et l’OMS en particulier, la Chine ne distinguait pas jusque-là la dimension de sécurité biologique et celle de sûreté biologique52, s’intéressant à la sécurité, la nouvelle loi intègre clairement des aspects de sûreté biologique. Dès l’article 2, est inclus dans le domaine de la sécurité biologique le bioterrorisme qui relève pour nous de la sûreté biologique. Le chapitre VII (articles 61 à 65) est consacré à la prévention des menaces liées au bioterrorisme et y associe celles liées aux armes biologiques. La Chine lie donc aujourd’hui bioterrorisme et armes biologiques, et y inclut les biens à double usage sans toutefois reprendre l’expression telle quelle. Il demeure aussi que le titre de la loi ne fait pas référence à la sûreté biologique, et que l’expression elle-même – sûreté biologique (生物安保 shengu anbao) – n’est jamais utilisée.

On soulignera aussi qu’un chapitre entier est consacré à la « sécurité biologique des laboratoires de micro-organismes pathogènes » : le chapitre V (articles 42 à 52) est au centre de la loi. Il y est aussi précisément question de sujets relevant de la sûreté biologique, notamment dans les laboratoires sous haute sécurité dans lesquels sont menées des recherches sur des agents extrêmement pathogènes (communément appelés P3 ou P4 pour pathogènes de niveau 3 ou 4). On peut retrouver dans les articles 49 et 50 de la loi un souci d’adoption de « mesures d’ordre administratif et de gestion du personnel, en vue de réduire le risque de perte, de vol, d’utilisation à mauvais escient, de détournement ou de libération délibérée d’agents pathogènes ou de toxines ». C’est la définition de la sûreté biologique proposée par l’OMS (voir note 52) et reprise notamment par la France et l’Union européenne.

Précisons enfin que dans le dernier chapitre (chapitre X), sous l’intitulé « dispositions générales », le très long article 85 donne la définition, au sens de la présente loi, de plusieurs termes essentiels : c’était inhabituel dans les lois chinoises, contrairement à l’habitude française et surtout européenne. Sont données en particulier la définition des armes biologiques puis celle du bioterrorisme.

Notre propos ici était de relever une influence probable de législations étrangères dans la nouvelle loi chinoise et non pas de chercher à savoir si cette dernière est applicable, effective et efficace. Quelques remarques s’imposent néanmoins.

La Chine – qui n’est pas familière de la notion de responsabilité juridique – a repris sur ce point si fondamental ses schémas habituels. Sous le titre « responsabilité juridique (法律责任 falu ziren) » (titre du chapitre IX, articles 72 à 84), il n’est question en réalité que de sanctions financières et de sanctions administratives légères eu égards aux dommages potentiels aux personnes et aux biens. C’est pourtant dans ce domaine de la responsabilité juridique qu’une réglementation juridique apporte un complément essentiel par rapport à un système de normalisation.

D’une façon générale, cette loi – comme c’est habituellement le cas – manque de dispositions précises et particulières pour pouvoir être appliquée. Elle devra être assortie de bien d’autres réglementations. Nous relevons à cet égard que dans le 14e plan quinquennal adopté par l’APN en mars 2021, une brève section est consacrée au renforcement de la prévention et du contrôle des risques dans le domaine de la sécurité biologique (15e partie, article 52) ; il y est question, notamment, de renforcer la construction et la gestion des laboratoires de haute sécurité, et de promouvoir l’application de cette loi sur la sécurité biologique53.

Enfin, ainsi que tel est habituellement le cas, la loi exclut explicitement de son champ d’application toutes les activités menées par l’Armée populaire de libération ou les forces armées de la police populaire. La réglementation relève ici de la Commission militaire centrale…

Conclusion

Le recours à un site universitaire chinois comme source principale de notre première partie nous permet d’être factuels et de rendre compte d’une réalité contemporaine avec des éléments de première main. Le droit public comparé est bien une discipline académique vivante.

Pour autant, au-delà du nombre d’articles, d’ouvrages ou de thèses sur le droit comparé et le droit constitutionnel comparé en particulier, il faut entrer profondément dans la matière et considérer, aussi, le discours officiel chinois pour saisir les limites de la comparaison : le droit constitutionnel comparé, manié par de grands noms de la doctrine ou par le Parti-État, est un outil au service de la justification des systèmes politique et juridique nationaux.

Le droit administratif comparé est également cadré ; on y retrouve les mêmes handicaps qu’en droit constitutionnel comparé, aggravés par la confusion entre le politique et l’administratif mentionnée plus haut. S’il peut y avoir pour le Parti-État une comparaison avec les lois étrangères, voire de larges emprunts comme nous l’avons vu à propos de la sécurité biologique, c’est uniquement sur des points techniques précis – dont la maitrise est garante de la légitimité du Parti – qui ne mettent pas en cause la préservation ou la survie du système : « la sécurité idéologique est devenue la “tête de pont” de la sécurité nationale (国家安全的“桥头堡”guojia anquan de qiao tou bao) » explique un des plus influents juristes contemporains54.

Le maintien du Parti à la tête du pays, que le Parti soit tout et l’État pas grand-chose, n’est jamais acquis. Un tel enjeu existentiel pour le PCC passe par un contrôle fort de la loi, du 法 fa « droit » chinois et des institutions étatiques : la construction des « douze valeurs centrales du socialisme aux caractéristiques chinoises » pour « assister » la loi et orienter toute activité judiciaire, ainsi que la création de commissions étatiques amarrées à des commissions du Parti – la commission de surveillance mentionnée plus haut par exemple – sont à cet égard essentielles. Il est entendu et sans cesse rappelé que ce système « aux caractéristiques chinoises » selon l’expression utilisée par la Chine elle-même pour justifier toute spécificité chinoise par rapport à un « modèle » occidental ou même soviétique, est le seul qui convienne pour le pays. Cette rhétorique limite considérablement le regard du juriste comparatiste.

Soulignons également la continuité affichée dans l’évolution du 法 fa « droit » chinois ; chacun, secrétaire général du PCC ou universitaire célèbre, s’attache à inscrire ses propos dans la tradition, plus ou moins ancienne. En 2021, le professeur Han reprend un sujet qui date des débuts du PCC en 1921, bien avant la proclamation de la RPC en 1949, et le professeur Xu prend comme point de départ de sa réflexion un texte de Mao Zedong de 1940. Remontant dans le passé impérial du pays, le Parti explique même enraciner dans la culture juridique traditionnelle chinoise les « douze valeurs centrales du socialisme aux caractéristiques chinoises ». Il y a dans ce regard vers le passé une dimension de récupération politique, sans doute plus évidente pour un regard extérieur à la Chine. Ce n’est pas nouveau : des éléments de la tradition (juridique) chinoise sont régulièrement mis en lumière, et réinterprétés pour légitimer et même fonder des orientations inédites.

Bien au-delà des juristes, beaucoup d’intellectuels chinois sont aujourd’hui interpellés par ces comparaisons et enrichissent le débat. Toutefois, suivant en cela la propagande officielle, ils insistent sur la « sinité », c’est-à-dire ce qui est proprement chinois. Les élites intellectuelles chinoises, et les juristes en particulier, se sentent assez sûres d’elles-mêmes pour revendiquer leurs propres valeurs, les justifier, les enraciner dans la construction d’une histoire et d’une identité nationale.

Notes

1 Le caractère 法 fa  est attesté dès la haute antiquité, avec toutefois une graphie complexe : 灋 fa. On le trouve dans des épigraphes gravées sur le Dayuding (tripode de Yu le Grand) à l’époque des Zhou occidentaux (1046–771 av. J.-C.). Dans cet article, nous citons le texte original en chinois et en pinyin (romanisation officielle des caractères chinois) seulement lorsque la traduction en français ne nous paraît pas évidente. Nous reprenons systématiquement le texte original en chinois et en pinyin pour les titres d’ouvrages ou d’articles de façon à faciliter le travail du chercheur sinisant. Retour au texte

2 Cette affirmation, ainsi exprimée, est le fruit de nombreuses années de recherches sur le droit chinois, son enseignement et sa terminologie. Elle a été justifiée en particulier dans notre communication orale lors du colloque organisée à la faculté de droit de Bordeaux sur « Droit et langue », en 2019 : « La traduction du 法 fa « droit » chinois en français : l’épreuve du fondamentalement autre ». Mme Li Xiang a repris et développé ces propos dans sa thèse de doctorat en droit menée sous notre direction et soutenue à la faculté de droit d’Aix-en-Provence en 2021. Retour au texte

3 Voir par exemple W. Qu, « 和制汉语法律新名词在近代中国的翻译与传播 Hezhi hanyu falü xin mingci zai jindai zhongguo de fanyi yu chuanbo (Traduction et diffusion dans la Chine moderne de nouveaux termes juridiques à partir des caractères sino-japonais (kanjis)) », 学术研究 Xueshu yanjiu, n° 11, 2012, p. 122-129. Y. Chen, « 清末民国时期法典翻译序说 Qing mo minguo shiqi fadian fanyi xü shuo (Introduction à la traduction des codes juridiques à la fin de la dynastie Qing et pendant la période républicaine) », 法学 Faxue, 2013年8期, n° 8, 2013, p. 68-86. Retour au texte

4 Voir par ex. X. Zeng (sous la dir. de), 中国法制史 Zhongguo fazhi shi (Histoire du fa chinois), Pékin, Beijing daxue chubanshe, 2000, p. 32. Retour au texte

5 Voir par exemple D. Cai, « 关于苏联法对中国法制建设的影响 Guanyu sulianfa dui zhongguo fazhi jianshe de yingxiang (L’influence du droit soviétique sur l’édification du régime de lois en Chine », 法学 Faxue, n° 3, 1999, p. 3-7. Retour au texte

6 Voir l’article passionnant de notre collègue A. Seriaux : « L’apport de la pensée chinoise traditionnelle à la compréhension du concept occidental de droit », Revue internationale de droit comparé, n° 3, 2021, p. 503-524. Retour au texte

7 Une grande partie des termes juridiques chinois qui expriment des techniques juridiques ou des concepts juridiques fondamentaux chez nous sont (seulement) des traductions à partir de langues occidentales (allemand, français, anglais) ; certains d’entre eux sont d’abord passés par une traduction en kanjis japonais. Ce n’est donc pas une terminologie née dans le terreau chinois, portée par la tradition et la culture juridique propres à la Chine. Traduire ces termes juridiques chinois dans une langue occidentale, c’est traduire des traductions. Quant aux termes du droit chinois authentique, ils ne devraient pas toujours être traduits. Mieux vaudrait par exemple parler du 法 fa chinois que du droit chinois, de la même façon que nous parlons de la common law anglaise. Voir notre communication sur « La traduction du 法 fa « droit » chinois en français : l’épreuve du fondamentalement autre », supra note 2. Si une traduction en français s’impose néanmoins, alors il est bien souvent nécessaire d’y ajouter une explication. Tel est le cas à notre sens pour le terme 宪政 xianzheng (habituellement traduit par constitutionnalisme) évoqué plus loin. Voir aussi les remarques du professeur Li-Kotovtchikhine à propos de la notion de 错案cuo’an, dans son article sur « Pragmatisme juridique et contrôle de l’activité judiciaire en Chine post-Mao », RIDC, n° 1-2016, p. 145. Retour au texte

8 D. Han, « 苏俄宪法在中国的传播及其当代意义 Su e xianfa zai zhonguo de zhuanbo ji qi dangdai yiyi (La diffusion de la constitution soviétique en Chine et sa signification contemporaine) », 法学研究 faxue yanjiu, Études juridiques, n° 5, 2018, p. 198. On notera que dans le programme général des statuts du PCC, révisés en 2017, la pensée de Xi Jinping représente le dernier acquis de la sinisation du marxisme : « En tant que continuation et développement du marxisme-léninisme, de la pensée de Mao Zedong, de la théorie de Deng Xiaoping […], la pensée de Xi Jinping sur le socialisme à la chinoise de la nouvelle ère représente le dernier acquis de la sinisation du marxisme ainsi que la cristallisation de l’expérience et de la sagesse collective du Parti et du peuple. » La traduction en français est de l’agence officielle Xinhua. Retour au texte

9 Puisque le Parti est premier, et l’État sa créature, nous parlons du Parti-État. Dans les documents officiels, le Parti est toujours mentionné avant l’État. Retour au texte

10 La traduction du terme 领导 lingdao par « direction [du PCC] » nous paraît ambiguë : il pourrait s’agir de l’organe de direction du PCC ; or il s’agit de la direction du pays, par le PCC. La traduction par leadership (du PCC), n’est pas non plus satisfaisante puisqu’il s’agit d’un terme anglais. Nous l’adoptons toutefois habituellement parce qu’elle est parlante et permet en outre des constructions de phrases en français proches de l’original en chinois. Par leadership du PCC, il faut comprendre que la Parti est un moteur, qu’il a la capacité, le rôle, la fonction de conduire, guider, influer, orienter le pays, telle une locomotive qui tracte, conduit les wagons de l’État fermement maintenus entre les deux rails du développement économique et de la stabilité du pays, garants essentiels et sine qua non du maintien du leadership du PCC. Étant données la vigilance, la force, la toute-puissance de la locomotive, un déraillement semble peu probable. Les aiguillages sont également bien maîtrisés et contrôlés. Toutefois, une accumulation tenace de petits cailloux résistants pourraient – un jour – désolidariser le train de sa locomotive. Retour au texte

11 Voir le « Programme général » des statuts du PCC : « Le maintien des quatre principes fondamentaux – voie socialiste, dictature démocratique du peuple, leadership du Parti communiste, marxisme-léninisme et pensée de Mao Zedong – est le fondement de notre nation. […] Le leadership du PCC est la caractéristique la plus essentielle du socialisme aux caractéristiques chinoises et le plus grand atout du régime socialiste aux caractéristiques chinoises. Tout doit être placé sous le leadership du Parti : les organisations du Parti, le gouvernement, l’armée, le peuple, à l’Est, à l’Ouest, au Nord et au Sud. » On peut trouver les statuts du PCC, en chinois, par exemple sur le site suivant : https://www.12371.cn/2017/10/28/ARTI1509191507150883.shtml Retour au texte

12 Voir l’article 36 de l’amendement de la Constitution de la RPC du 11 mars 2018. On peut trouver le texte amendé de la Constitution, en chinois, sur le site gouvernemental suivant :
http://www.gov.cn/guoqing/2018-03/22/content_5276318.htm
L’expression « socialisme aux caractéristiques chinoises » signifie que le socialisme n’est pas d’origine chinoise, mais que mis en pratique en Chine il revêt des spécificités liées au pays. Retour au texte

13 Steve Tsang est directeur de l’Institut sur la Chine au sein de l’École d’études orientales et africaines à Londres (School of Oriental and African Studies, SOAS, université de Londres). Retour au texte

14 « It is of course a positive step that the Chinese government feels that it must take such a challenge seriously but passing a law in a Leninist system does not usually bring about the intended changes. » Voir le South China Morning Post du 17 février, disponible sur https://www.scmp.com/news/china/politics/article/3051045/china-fast-track-biosecurity-law-coronavirus-aftermath Retour au texte

15 Voir par exemple le document adopté au plus haut niveau du Parti, lors du 4e plenum du comité́ central du 18e Congrès national du PCC en 2014, dont le titre est : « Décision du comité central du parti communiste chinois portant sur plusieurs questions importantes posées par l’avancement dans tous les domaines du gouvernement du pays en s’appuyant sur la loi ». Le texte orignal en chinois est disponible sur http://cpc.people.com.cn/n/2014/1028/c64387- 25926125.html, consulté pour la dernière fois en janvier 2022. Retour au texte

16 Voir la « Décision » de 2014 citée dans la note précédente. Déjà le 15 mars 2004, le président Hu Jintao avait utilisé exactement les mêmes termes dans une déclaration officielle : « Actuellement, il y a des lois mais on ne s’y conforme pas, il y a une application de la loi mais elle n’est pas rigoureuse, les violations de la loi ne font pas l’objet de poursuites, et tout cela perdure dans certains endroits et certains secteurs » (当前,有法不依、执法不严、违法不究的现象在一些地方和部门仍然存在, dangquian, you fa bu yi, zhi fa bu yan, wei fa bu qiu de xianxiang zai yi xie difang he bumen renran cunzai). Disponible sur http://news.sohu.com/20040915/n222053741.html. Retour au texte

17 Voir http://cpc.people.com.cn/n1/2021/1103/c64036-32272807.html. Retour au texte

18 Par exemple, le 29 avril 2022, l’APN a adopté une loi contre le gaspillage alimentaire, considérée comme une loi réactive, une petite « incision », rapide, agile : il y a seulement 32 articles et aucun chapitre. Elle est entrée en vigueur le jour même de son adoption ! Voir http://www.npc.gov.cn/npc/kgfb/202205/674e3dc21630438a960ae54c38c91094.shtml Retour au texte

19 Pendant toute l’ère Mao (1949-1976), nul ne s’embarrasse de lois. Au début du relèvement de la Chine avec les politiques de réformes et d’ouverture vers l’extérieur initiées par Deng Xiaoping, la priorité est au redressement économique et social du pays ; mais le Parti ne se donne pas encore la peine de transformer ses politiques en lois. On rappellera, par exemple, que la politique de l’enfant unique est appliquée avec sévérité à partir de 1979 (jusqu’en 2015), mais que la loi gentiment nommée « loi sur le planning familial » est adoptée en 2001 seulement, soit plus de 20 ans plus tard. Retour au texte

20 Nous nous référons ici au site officiel de l’APN https://flk.npc.gov.cn/index.html, consulté en septembre 2022. Il nous semble intéressant de nous arrêter sur la classification des lois adoptées par l’APN ; il y a 6 domaines : constitution et lois organiques, lois civiles et commerciales, lois administratives, lois économiques, lois pénales, lois sur les procédures contentieuses et non contentieuses. On notera en particulier l’importance donnée aux procédures non contentieuses, la réunion des lois civiles et commerciales, et la distinction entre lois économiques et lois commerciales.
En termes de nombre de lois, si nous mettons à part la Constitution et les lois organiques, il y a d’abord les lois administratives : 131 lois administratives depuis septembre 1958 dont 128 lois depuis 1994 seulement.
Puis viennent les lois économiques : 1 loi en 1980 et 111 lois depuis 1994 ; parmi les plus récentes, on citera les lois sur la qualité et la sécurité des produits agricoles de septembre 2022, sur la protection des terres noires de juin 2022, et la loi anti-monopole de juin 2022.
Viennent ensuite les lois civiles et commerciales : 43 lois depuis 1985 ; parmi les plus récentes, on citera les lois sur le développement de la mécanisation agricole d’avril 2022, sur le Code civil du 28 mai 2020, sur la banque populaire de Chine, sur la signature électronique.
Puis viennent les lois sociales : 37 lois depuis 1978, dont 34 depuis 2005 seulement ; parmi les plus récentes, on citera les lois sur les syndicats de décembre 2021, sur la promotion de l’éducation familiale d’octobre 2021, sur l’aide juridique d’aout 2021, sur la sécurité de la production de septembre 2021, sur la protection des mineurs d’octobre 2020.
Viennent ensuite les lois pénales : seulement 16 lois parmi lesquelles sont comptées 11 lois-amendements à la loi pénale fondamentale de la RPC ; on citera la loi sur la fraude sur les réseaux de télécommunications de septembre 2022.
Enfin, les lois sur les procédures contentieuses et non contentieuses : 11 lois depuis 1987, dont la loi sur la procédure civile amendée en décembre 2021, sur la procédure pénale amendée en 2018, sur la procédure administrative amendée en 2017, la loi de juin 2009 sur la médiation et l’arbitrage des différends relatifs à la gestion des contrats fonciers dans les villages.
Au 26 avril 2022, l’APN recensait 292 lois effectives ; dans le décompte ci-dessus sont prises en compte les lois et le cas échéant les amendements à ces mêmes lois.
Le 19 octobre 2022, dans une session d’information du centre de presse du 20e Congrès national du Parti, Yin Bai, secrétaire générale adjointe de la commission des affaires politiques et juridiques du Comité central, donnait les chiffres suivants : 293 lois, 598 règlements administratifs effectifs, et plus de 13 000 règlements régionaux. Elle ajoutait que dans la dernière décennie, 159 règlements du Parti ont été adoptés ou amendés. Voir par exemple https://news.cgtn.com/news/2022-10-19/CPC-congress-China-s-rule-of-law-is-serving-justice-to-serve-people-1efRJnbfn6o/index.html Retour au texte

21 Ce site a été consulté fin 2021 et début 2022. Nous constations en octobre 2022 qu’il n’était plus accessible ! Il n’était pas même possible d’accéder au site du département de droit constitutionnel de la faculté de droit de l’université du peuple de Chine (Renmin). C’était probablement dû au contrôle politique et à la censure exercés à l’occasion du 20e Congrès du PCC tenu à Pékin du 16 au 23 octobre 2022. Fin novembre, le site réapparaissait. Retour au texte

22 Voir par exemple notre article sur « La révision de la constitution chinoise », Nouvelles de Chine, n° 12, janvier 2004, p. 2-7. Retour au texte

23 许崇德 C. Xu, « 宪政是社会主义的必然选择 », 宪政社会主义论丛, 第二辑“政党、社会与自由”,西北大学出版社2011年12月版 disponible en chinois sur http://calaw.cn/article/default.asp?id=6451 .
Notons qu’à cette époque les débats sur le « constitutionnalisme » sont nombreux, du moins jusqu’à un rappel à l’ordre ferme à la fin de l’année 2013. Il se pourrait aussi que l’article de Xu Chongde soit une prémisse de l’intervention plus directe du Parti en 2013, ou que le discours universitaire n’ayant pas suffi, le recours à une mesure politique ait été inévitable. Retour au texte

24 立宪 Li xian a le sens d’instituer, adopter, élaborer, mettre en place une constitution ; 立宪主义 lixianzhuyi désigne donc l’idéologie, la théorie, le système, le régime basé sur l’institution d’une constitution ; quant à l’expression 宪法主义 xianfazhuyi, littéralement constitution et « isme », elle indique bien aussi qu’il s’agit d’un système, d’un régime autour de la constitution. Retour au texte

25 Rappelons la définition donnée par le professeur Philippe Raynaud : « Dans le vocabulaire juridique contemporain, la notion de « constitutionnalisme » s’inscrit en général dans une conception libérale du droit public, qui veut que les pouvoirs publics soient essentiellement limités afin que soient garanties les principales libertés de l’individu. Plus précisément, on parlera de « constitutionnalisme » pour désigner les régimes politiques qui, grâce à l’établissement d’un contrôle de constitutionnalité exercé par une instance politico-judiciaire « indépendante », rendent possible la limitation du pouvoir législatif lui-même en veillant à la conformité des lois à la constitution et à ses principes généraux, et non pas simplement à la légalité des actions du pouvoir exécutif et de l’administration. » (Dictionnaire de la culture juridique, publié sous la direction de D. Alland et S. Rials, Quadrige/Lamy-PUF, 2003). Le professeur Raynaud ajoute : « Dans un sens plus large, on parle aussi parfois de constitutionnalisme “ancien” ou “médiéval” pour désigner les freins que les régimes de l’Antiquité mettaient à l’exercice du pouvoir politique afin de substituer le règne de la loi à celui des hommes ou d’assurer le règne de la “justice” ». Il pourrait y avoir ici un écho de ce qui se passe en Chine notamment depuis 2104, étant précisé que la loi et son interprétation sont celles de Xi Jinping ou du PCC et qu’il s’agit de la justice selon Xi Jinping. Retour au texte

26 民主 minzhu a été le terme chinois choisi pour traduire la notion occidentale de démocratie. On retraduit donc systématiquement minzhu par démocratie, sans prêter attention au fait que le terme démocratie n’a pas dans un contexte chinois le même sens qu’en Occident. Le phénomène n’est pas complètement identique à celui de 宪政 xianzheng, et surtout le terme minzhu est plus couramment employé en Chine et plus directement compréhensible que 宪政 xianzheng : il désigne l’idée selon laquelle le peuple est le maître du pays, parfois rendue par l’expression « souveraineté du peuple ». Il fait aussi probablement référence à la doctrine politique du sanminzhuyi prôné par Sun Yatsen, le « père du pays ». Retour au texte

27 中华人民共和国实行依法治国, 建设社会主义法治国家Zhonghua renmin gongheguo shixing yi fa zhi guo, jianshe shehuizhuyi fazhi guojia. Retour au texte

28 依法治国就是在宪法和法律的范围内施政,我们要努力建设的是以宪法为基础的民主政治 yi fa zhi guo jiu shi zai xianfa he falu de fanwei nei shi zheng, women yao nuli jianshe de shi yi xianfa wei tichu de minzhu zhengzhi.
Soulignons aussi qu’il n’existe pas de réel contrôle de constitutionalité, ni « aucun mécanisme spécifique visant à garantir la mise en œuvre de la constitution ». Xi Jinping le déplore lui-même. Voir par exemple son discours à l’occasion des 30 ans de l’établissement de la constitution de la RPC, en 2012, disponible sur http://cpc.people.com.cn/xuexi/n/2015/0720/c397563-27331671.html, consulté pour la dernière fois en octobre 2022. Depuis lors le propos n’a pas changé. Dans ce même discours de 2012, Xi Jinping rappelant l’essentiel du 18e Congrès du PCC reprend longuement le sens de « 依法治国 yi fa zhi guo, diriger le pays en s’appuyant sur la loi » ; il précise par exemple : « c’est la stratégie de base du Parti pour guider le peuple et gouverner le pays (依法治国是党领导人民治理国家的基本方略) ». Retour au texte

29 On peut trouver ce document en ligne, en chinois, sur https://www.cas.cn/zt/jzt/djzt/xxgcsljszqhzj/hyjy/200310/t20031015_2669555.shtml Retour au texte

30 Han Dayuan est directeur exécutif de l’Association du droit chinois, président honoraire de l’Association chinoise de droit constitutionnel, vice-président exécutif de l’Association chinoise pour l’enseignement juridique, vice-président de l’Association chinoise des études pour les procureurs, vice-président de l’Association pour la promotion des échanges juridiques entre les deux rives du détroit de Taiwan, membre du comité d’experts sur la sécurité alimentaire du Conseil des affaires de l’État, expert en chef du projet de recherche et de construction de la théorie marxiste centrale sur le droit constitutionnel, membre du comité consultatif d’experts du Parquet populaire suprême, etc. Il est également membre du comité exécutif de l’Association internationale de droit constitutionnel (AIDC). Retour au texte

31 En 2021, Han Dayuan a notamment écrit un article sur le contenu normatif des « dispositions fondamentales » de l’article 2 de la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong, ainsi que sur la connotation normative de « prospérité et stabilité » dans le préambule de la loi fondamentale de Hong Kong. Retour au texte

32 韩大元, 亚洲立宪主义研究,中国人民公安大学出版社1996年第一版,2008年第二版. Retour au texte

33 韩大元, 比较宪法学,高等教育出版社2003年第一版,2008年第二版 ,2021年第三版. Retour au texte

34 Han Dayuan est coauteur de plusieurs ouvrages, dont : 当代人权保障制度,中国政法大学出版社2000年, Systèmes contemporains de protection des droits de l’homme, Presses de l’université de droit et de science politique de Chine, 2000. 基本权利与宪法判例,中国人民大学出版社2013年版。2020 年第二版, Droits fondamentaux et jurisprudence constitutionnelle (coécrit avec Wang Jianxue 王建学), Presses de l’université du peuple de Chine, 2013, 2e éd. 2020. Retour au texte

35 « 中国共产党建党初期的人权话语及其变迁1921-1927 zhongguo gongchandang jiandang chuqi de renquan huayu ji qi bianqian : 1921-1927 », 人权, 2021年第2期. Retour au texte

36 D. Han (éd.) : Études sur l’histoire de la doctrine chinoise sur la constitution, Presses de l’université Renmin, 2012, p. 549. « La diffusion de la constitution soviétique en Chine et sa signification contemporaine », in Études juridiques, n° 5, 2018, p. 198. Retour au texte

37 J. Xi, « Lettre de félicitations lors du Forum de Pékin sur les droits de l’homme » du 16 septembre 2015, disponible sur http://www.xinhuanet.com/politics/2015-09/16/c_1116583281.htm. J. Xi, « Discours lors de la conférence commémorant le 200e anniversaire de la naissance de Marx », le Quotidien du peuple, 4 mai 2018. Retour au texte

38 « 人民代表大会制度是坚持党的领导、人民当家作主、依法治国有机统一的根本制度安排 renmin daibiao dahui zhidu shi jianche dang de lingdao, renmin dang jia zuo zhi, yi fa zhi guo youji tongyi genben zhidu anpai ». Voir http://www.npc.gov.cn/zgrdw/npc/bmzz/llyjh/2016-06/03/content_1991066.htm, consulté en janvier 2022. Retour au texte

39 « 中国共产党坚持党的领导、人民当家作主、依法治国有机统一 ». Voir les statuts du PCC, disponibles dans une version française et actualisée sur le site de l’agence officielle chinoise, Xinhua : http://french.xinhuanet.com/chine/2017-11/03/c_136726512.htm. L’agence Xinhua a traduit ce propos ainsi en français : « le Parti communiste chinois veille à intégrer de façon organique la direction du Parti, la gouvernance de l’État en fonction de la loi et le maintien du statut des citoyens en tant que maîtres du pays ». Retour au texte

40 Voir par ex. Y. Zou, M. Gu (sous la dir. de), 法学大辞典 Faxue da cidian (Grand dictionnaire des termes juridiques), p. 1278. Retour au texte

41 Voir http://www.zgflwhw.com/m/view.php?aid=582, consulté le 10 janvier 2022. Retour au texte

42 L’article 133 de la constitution dispose : « La Cour populaire suprême est responsable devant l’Assemblée populaire nationale et son comité permanent. Les tribunaux populaires locaux aux différents échelons sont responsables devant les organes du pouvoir d’État dont ils émanent ». Retour au texte

43 Les présidents de la CPS et du Parquet populaire suprême rappellent d’ailleurs régulièrement cette soumission à l’APN. Voir par exemple le rapport de Cai Jianming, président du Parquet populaire suprême, devant la 5e session du XIIe Congrès de l’APN le 12 mars 2017 dans lequel il souligne que le Parquet « est soumis, conformément à la loi, au contrôle et à la supervision de l’Assemblée populaire nationale 依法接受人大监督 yi fa jieshou renda jiandu). http://news.xinhuanet.com/politics/2017lh/2017-03/12/c_129507806.htm Retour au texte

44 Sur ces différents points, nous renvoyons à l’article très détaillé du professeur X.-Y. Li-Kotovtchikhine, « Pragmatisme juridique et contrôle de l’activité judiciaire en Chine post-Mao », RIDC, n° 1-2016, p. 129-151. Voir aussi sa remarque si pertinente sur l’emprise croissante de l’administration sur le système judiciaire (p. 139 et note 54). Retour au texte

45 Pour un commentaire occidental de ces débats, voir par exemple l’article en ligne du 21 janvier 2017 du Washington Post : https://www.washingtonpost.com/world/a-tortured-broken-lawyer-and-a-hawkish-judge-cast-deep-pall-over-chinas-legal-system/2017/01/20/1daf0ff6-dd62-11e6-b2cf-b67fe3285cbc_story.html Retour au texte

46 Le texte original en chinois est disponible sur http://www.npc.gov.cn/zgrdw/npc/xinwen/fztd/sfjs/2009-11/04/content_1525975.htm, consulté le 5 janvier 2022. Retour au texte

47 C’est nous qui soulignons. Voir 最高人民法院关于加强和规范裁判文书释法说理的指导意见 Zuigao renmin fayuan guanyu jiaqiang he guifan caipan wenshu shuoli de zhidao yijian (Avis directeur de la CPS sur le renforcement et la standardisation de l’interprétation de la loi et du raisonnement dans les décisions judiciaires), publié le 1er juin 2018. Le texte original en chinois est disponible sur http://www.court.gov.cn/zixun-xiangqing-101552.html, consulté le 10 janvier 2022. Retour au texte

48 « [Nous] préconisons prospérité et puissance (富强 fuqiang), démocratie (民主 minzhu), civilité (文明 wenming), harmonie (和谐 hexie) ;
[nous] préconisons liberté (自由 ziyou), égalité (平等 pingdeng), justice (公正 gongzheng), gouvernement en s’appuyant sur la loi (法治 fazhi) ;
[nous] préconisons patriotisme (爱国 aiguo), dévouement au travail (敬业 jingye), honnêteté ou intégrité (诚信 chengxin), amitié (友善 youshan).
Nous cultivons et appliquons activement les valeurs centrales du socialisme aux caractéristiques chinoises  (倡导富强、民主、文明、和谐,倡导自由、平等、公正、法治,倡导爱国、敬业、诚信、友善,积极培育和践行社会主义核心价值观 Changdao fuqiang, minzhu, wenming, hexie, changdao ziyou, pingdeng, gongzheng, fazhi, changdao, aiguo, jingye, chengxin, youshan, jiji peiyu he jianxing shehui zhuyi hexin jiazhiguan »). Voir HU Jintao, « 坚定不移沿着中国特色社会主义道路前进,为全面建成小康社会而奋斗Jianding buyi yanzhe zhongguo tese shehuizhuyi daolu qianjin, wei quanmian jiancheng xiaokang shehui er fendou (Avançons sans faiblir le long de la voie du socialisme aux caractéristiques chinoises, luttons pour la construction complète d’une société de moyenne aisance) », rapport du XVIIIe Congrès national du PCC le 8 novembre 2012, Pékin, Renmin chubanshe, 2012, p. 31-32. Retour au texte

49 « 关于深入推进社会主义核心价值观融入裁判文书释法说理的指导意见 Guanyu shenru tuijin shehuizhuyi hexin jiazhiguan rongru caipan wenshu shi fa shuo li de zhidao yijian » publié par la CPS le 19 janvier 2021, entré en vigueur le 1er mars 2021. Le texte original en chinois est disponible sur http://www.court.gov.cn/fabu-xiangqing-287211.html, consulté en octobre 2021. Retour au texte

50 Parmi les grandes œuvres de traductions, citons ici les quatre volumes de Constitutions étrangères édités par D. Han et Q. Sun, « 世界各国宪法shijie ge guo xianfa (Constitutions du monde) », 全4卷,中国检察出版社2012年10月版 (Presses du Parquet chinois, 2012). Retour au texte

51 中华人民共和国生物安全法, 2020年10月17日. Le texte, en chinois, est disponible sur le site de l’APN : http://www.npc.gov.cn/npc/c30834/202010/bb3bee5122854893a69acf4005a66059.shtml Retour au texte

52 L’OMS donne les définitions suivantes : Par « sûreté biologique », on entend « la mise en place d’un certain nombre de mesures d’ordre administratif et de gestion du personnel, en vue de réduire le risque de perte, de vol, d’utilisation à mauvais escient, de détournement ou de libération délibérée d’agents pathogènes ou de toxines ». Par « sécurité biologique » on entend « la mise en œuvre d’un certain nombre de principes, de techniques et de pratiques de confinement visant à prévenir le risque accidentel d’exposition à des agents pathogènes ou à des toxines, ou encore de libération de telles substances ». Voir le Manuel de sécurité biologique en laboratoire (3e édition) de l’OMS. Retour au texte

53 Voir la version originale sur http://www.gov.cn/xinwen/2021-03/13/content_5592681.htm Retour au texte

54 Voir 张文显 W. Zhang, par exemple dans le Quotidien du Peuple du 29 juillet 2019, disponible en ligne sur http://www.dangjian.com/shouye/sixianglilun/202005/t20200522_5603631.shtml. Le professeur Zhang Wenxian a beaucoup de responsabilités politiques et académiques ; il est notamment membre du Comité central du PCC et directeur du comité académique de la China Law Society. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Christine Chaigne, « Le droit chinois peut-il se comparer ? », Droit Public Comparé [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 15 décembre 2023, consulté le 19 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/droit-public-compare/index.php?id=126

Auteur

Christine Chaigne

Maître de conférences HDR, Aix-Marseille Université

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