Le droit public comparé en Amérique latine

DOI : 10.35562/droit-public-compare.168

Résumés

L’Amérique latine est indéniablement une terre de comparatisme. Ce constat est particulièrement vrai en droit public, dans la mesure où, dans les différents pays de la zone, cette branche du droit s’est souvent construite à travers l’importation d’objets juridiques étrangers. Malgré cette historicité, la pratique de la comparaison y demeure hétérogène, compliquant toute entreprise de systématisation. Pour contourner cet obstacle, l’article propose une approche plus exploratoire, à travers l’analyse des cinq grands traits de ce droit public comparé. Celui-ci apparaît congénital (c’est-à-dire, intrinsèquement lié à son contexte de naissance), total (dans le sens où tout y est comparé car tout est comparable), instrumental (dans la mesure où la comparaison y a des finalités claires), mais aussi, à certains égards, pathologique (puisqu’il a pu conduire à des impasses), expliquant les efforts plus récents de renouvellement (avec une prise en compte accrue des cultures juridiques nationales).

Latin America is undeniably a stronghold for comparative law. This is particularly true of public law. Indeed, in the various countries of the region, this part of law has often been built up through importation of foreign legal ideas. Despite this historicity, the practice of comparison remains heterogeneous, which makes difficult any attempt at systematization. In order to overcome this obstacle, the article proposes an exploratory approach, through the analysis of the five main features of Latin American comparative public law. The latter seems to be congenital (i.e., intrinsically linked to the context in which it was born), total (in the sense that everything is compared because everything is comparable), instrumental (insofar as comparison has a clear purpose), but also, in some respects, pathological (since it may have led to dead ends), explaining more recent efforts at renewal (with greater consideration of national legal cultures).

Plan

Texte

L’Amérique latine et le droit comparé ont longtemps vécu une histoire d’amour à sens unique. Alors que les juristes latino-américains clamaient leur passion pour l’étude du droit étranger, les recherches comparatives ont, quant à elles, eu tendance à ignorer cette région du monde. Si, depuis la seconde moitié du xxe siècle, cette indifférence n’est plus de mise1, elle reste parfois encore visible. En 2006, la première édition de l’Encyclopédie de droit comparé dirigée par Jan M. Smits consacre plusieurs entrées aux pays européens, ainsi qu’au Japon, à l’Australie et à l’Afrique du Sud, mais aucune à un pays latino-américain ou même à l’Amérique latine dans son ensemble2. Ce désintérêt a généré de l’incompréhension de l’autre côté de l’Atlantique où la vision était toute autre, puisque, dès 1909, Alejandro Álvarez (un internationaliste chilien), affirmait déjà que « l’entrée de l’Amérique latine dans la communauté des nations est un des plus importants faits de l’histoire de la civilisation »3, laissant ainsi entendre qu’il serait tout naturel que ces nations s’intéressent au droit qui y était produit. D’autant que les juristes latino-américains ont toujours été extrêmement attentifs aux autres systèmes juridiques, en particulier à l’Europe et aux États-Unis. L’influence de ces droits est telle qu’elle invite à s’interroger sur les méthodes de droit comparé utilisées en Amérique latine : ont-elles suivi les mêmes évolutions qu’en Europe ou aux États-Unis ou présentent-elles des singularités ?

L’enjeu de cette question est important au regard du renouveau de la discipline de manière générale. L’état des lieux critique fait par Mathias Reimann en 2002 résonne encore dans les consciences. Selon lui, le droit comparé se trouve dans une impasse du fait de son incapacité à mûrir, à devenir une véritable discipline scientifique, notamment parce que depuis plus d’un demi-siècle, il se trouve engoncé dans un modèle orthodoxe établi par des universitaires européens duquel il ne parvient pas encore totalement à sortir4. Or examiner la pratique comparative des juristes latino-américains permettrait sans doute de déceler des pratiques dissonantes et innovantes.

Aussi intéressante soit-elle, cette étude n’en est pas moins redoutable tant elle recèle de difficultés. La première réside dans l’ampleur de la tâche liée au champ géographique considérable à couvrir. Certes, il est possible de le réduire à l’Amérique latine hispanophone, mais en réalité ce critère ne permettrait d’éliminer qu’un nombre très réduit de pays5. Il serait à l’inverse possible de restreindre l’étude à un ou deux pays, mais ce choix présenterait l’inconvénient de masquer les influences réciproques entre les doctrines latino-américaines, ou, en tous les cas, de ne pas pouvoir les mettre suffisamment en relief. Dès lors, le choix critiquable, mais assumé, qui a été fait est celui d’analyser la pratique du droit comparé dans l’ensemble de l’Amérique latine, en se cantonnant toutefois au droit public. Ceci implique malgré tout de devoir s’adonner à une pratique honnie par les spécialistes de droit comparé les plus rigoureux, celle du cherry-picking en prenant ici et là quelques exemples. Avant que les comparatistes passionnés, à qui précisément s’adressent ces lignes, ne prennent les mesures appropriées pour punir cette infamie méthodologique, il convient de souligner le caractère très rudimentaire de la recherche ici effectuée ainsi que sa portée intrinsèquement exploratoire. Loin d’être un état des lieux précis et complet de la recherche en droit public comparé dans l’aire latino-américaine, cet article vise principalement à fournir aux lecteurs quelques clés d’entrée et de compréhension du droit public comparé en Amérique latine, mais aussi d’en donner les principales caractéristiques et évolutions. En outre, afin de garder une cohérence au sein de cette exploration, l’étude puisera principalement ses exemples dans trois pays en particulier, les plus souvent examinés par les comparatistes occidentaux (le Mexique, l’Argentine et le Chili), permettant ainsi d’éviter le sentiment d’éparpillement.

La deuxième difficulté réside dans l’approche extensive de l’expression « droit comparé ». Il serait tout à fait possible de réduire l’analyse aux seules recherches mettant en œuvre une méthodologie spécifique à la comparaison des droits. Pour autant, une telle approche n’aurait pas véritablement de sens dans le cadre d’une étude visant à retracer la pratique de la comparaison des droits dans une vaste zone géographique. En gardant une conception large du « droit comparé », vu comme outil épistémologique6, et donc comme outil de connaissance du droit étranger, il est alors possible d’examiner un ensemble plus étendu de pratiques et de revenir notamment aux origines du comparatisme, lorsque celui-ci ne s’était pas encore doté de méthodologie spécifique.

Enfin, la dernière difficulté tient à l’identification de la doctrine publiciste latino-américaine en droit comparé, car analyser le droit comparé en Amérique latine et analyser le droit comparé de l’Amérique latine sont deux choses totalement différentes. Dans le premier cas, il s’agit d’étudier comment est effectuée la comparaison des droits par les juristes latino-américains. Dans le second, il s’agit de s’intéresser à la manière dont l’Amérique latine est traitée comme objet de comparaison, que cette étude soit faite par des auteurs latino-américains ou non. Si l’on souhaite se focaliser sur le droit comparé en Amérique latine (et non de l’Amérique latine), il est important de s’appuyer uniquement sur des auteurs latino-américains, donc ayant la nationalité d’un pays d’Amérique latine et/ou ayant enseigné dans une université de la région. Ce choix du critère de la nationalité ou du lieu de profession des auteurs est encore peu utilisé et explicité dans les analyses de la doctrine comparatiste. Il s’agit cependant d’un choix clair et assumé de la part de l’auteure de ces lignes dans le but de parvenir à avoir une vision idoine de ce qu’est le droit comparé en Amérique latine.

Une fois ces délimitations opérées, reste maintenant à procéder à cette étude dont la nature exploratoire complique l’approche. Au moment de construire la présentation, la traditionnelle structure binaire (voire tertiaire pour les plus téméraires d’entre nous) que l’on retrouve dans les publications académiques en droit français n’est pas apparue comme la plus adaptée. Il est apparu plus judicieux de structurer cet article autour de cinq grands chapitres qui sont tout autant de traits caractéristiques du droit public comparé en Amérique latine. Cette présentation offre ainsi un aperçu de ses forces et de ses faiblesses, mais surtout de ses différentes facettes, car loin d’être univoque, le droit comparé en Amérique latine est un ensemble de voix très différentes, à l’image de celles chantées si merveilleusement par la grande interprète argentine Mercedes Sosa7.

1. Un comparatisme congénital

Bien souvent, au moment de retracer l’histoire du droit public comparé, les publicistes latino-américains décrivent l’histoire de la discipline au niveau mondial, en la faisant débuter en 1869, au moment de la création de la Société de législation comparée à Paris8. Or, ce faisant, ils omettent les véritables origines du droit public comparé en Amérique latine, et son caractère congénital, en ce sens où le penchant de l’Amérique latine pour l’étude du droit étranger est inscrit dès la naissance de son droit public. Comme l’a démontré Javier Malagón Barceló, l’Amérique est née sous le signe du droit9, puisque la colonisation espagnole et portugaise ne s’est pas seulement caractérisée par un asservissement physique, il était aussi juridique. Dans l’Amérique hispanisée, les Letrados ont joué un rôle moteur de la conquête en introduisant sur ces territoires un culte important du droit. Dès son origine, le droit latino-américain fut d’abord un droit étranger, puisque puisé dans les anciens codes castillans, peu à peu adapté aux réalités locales10. Ces relations juridiques intenses avec l’Espagne et le Portugal à l’époque coloniale ont laissé des traces importantes dans le droit public latino-américain. La Constitution de Cadix de 1812, appliquée quelques années avant les mouvements d’indépendance, a continué à produire ses effets, dans la mesure où elle a influencé la définition de nombreuses notions centrales du droit public : nation, souveraineté ou droit des personnes11. Cette influence s’est prolongée à travers les hommes, puisque les premières assemblées constituantes latino-américaines furent composées de rédacteurs de la Constitution de Cadix12. Puis, ce lien humain a perduré sous d’autres formes. La création en 1908 de l’Institut ibéro-américain de droit positif comparé en atteste. Le choix de sa localisation à Madrid et le fait que ses membres fondateurs soient tous exclusivement espagnols montrent la volonté de maintenir un lien d’influence sur le droit latino-américain. Par ailleurs, de nombreux juristes espagnols ont continué à former les juristes locaux afin de construire des réseaux d’intellectuels. De fait, l’Institut de droit comparé de l’Université nationale autonome du Mexique a été fondé par Felipe Sánchez Román, un grand juriste espagnol, arrivé en exil à Mexico en 193913.

Ces données historiques expliquent en grande partie pourquoi le regard des juristes latino-américains est traditionnellement, et même pourrions-nous dire instinctivement, tourné vers l’Espagne et le Portugal, mais elles n’expliquent pas à elles seules leur penchant atavique pour la comparaison. La raison est en réalité plus profonde. Le colonialisme porte en lui des présupposés axiologiques : l’universalisme et l’impérialisme. Le pays colonisateur affirmait œuvrer au nom d’un universalisme philosophique et religieux, tout en définissant a priori la philosophie et la religion en cause, conduisant ainsi à un impérialisme. Ces présupposés ont eu des incidences sur la conception du droit. Si le droit du pays colonisateur est mis en place, ce n’est pas uniquement parce qu’il est imposé par la force, mais aussi parce qu’il est universel car œuvre de raison. Dès lors, ce n’est pas uniquement le droit espagnol ou portugais qui doit faire l’objet de l’intérêt des juristes latino-américains mais également tous les droits européens qui sont l’expression de cette œuvre de raison universelle.

Si tout au long du xixe siècle il est possible d’identifier de nombreux emprunts juridiques au droit public européen, les premiers travaux académiques se présentant comme des études de droit comparé n’apparaissent que durant la seconde moitié de ce xixe siècle. Un des plus importants ouvrages est celui d’un juriste vénézuélien, Ricardo Ovidio Limardo, paru en 1869 visant à comparer la législation commerciale en Europe et en Amérique14. Pour autant, il est encore ardu à cette époque de parler de véritable intérêt de la doctrine latino-américaine pour le droit comparé. Les législateurs sont très férus d’études de législation comparée, mais la doctrine, quant à elle, ne produit qu’à la marge des études de droit comparé. Cette recherche n’a pris de l’ampleur qu’à l’entrée dans le xxsiècle, et peut être attestée par la multiplication des instituts, chaires ou programmes d’études dédiés à la comparaison des droits15. C’est en 1939 qu’est créé le premier institut de droit comparé en Amérique latine, sis à Córdoba, en Argentine. L’année suivante, un même institut est créé au Mexique. Il convient également de souligner qu’initialement les études de droit comparé étaient plus fréquentes parmi les civilistes. Le poids de la codification napoléonienne, impulsée en Amérique latine par la traduction et la réadaptation qu’en a fait Andrés Bello, explique l’existence d’un tel pré-carré. De fait, les premiers instituts de droit comparé mentionnés ont principalement été créés par des civilistes, comme l’était Enrique Martínez Paz, le fondateur de l’institut à Córdoba.

Du côté des publicistes, l’attrait pour l’étude du droit étranger fut, du moins au xixe siècle, plus marqué en droit administratif et en droit international public. Concernant le droit administratif, des pays comme le Brésil, la Colombie ou le Chili ont pris plus spécifiquement appui sur le droit administratif français. Au Chili, l’étude de ce droit étranger a connu un essor important après l’instauration de la Constitution de 1833, qui se caractérisait par sa très forte centralisation du pouvoir, et a perduré par la suite16. Concernant le droit international public, l’étude du droit produit entre les États européens était considérée comme cruciale par la doctrine latino-américaine, et ce dès le xixe siècle. Un des plus emblématiques membres de la doctrine fut l’Argentin Carlos Calvo (1822-1906), dont le travail de comparaison du droit international public avait pour objectif principal d’incorporer le continent américain dans l’histoire classique du droit international17. Il est intéressant à cet égard de souligner qu’à cette époque, la plupart des travaux que les internationalistes latino-américains produisaient étaient écrits en français, dans l’objectif de s’adresser à une audience européenne.

La doctrine constitutionnaliste a, quant à elle, connu un important déclin entre le xixe siècle et le début du xxe siècle18, expliquant le faible nombre de travaux sur ce sujet pendant cette période. Pour ne donner qu’un exemple, entre 1924 et 1989, moins de cent ouvrages furent publiés en droit constitutionnel au Chili, alors que l’on compte plus de 300 publications dans cette discipline entre 1989 et 200919. Aujourd’hui, et depuis une quarantaine d’années, le droit constitutionnel a regagné ses lettres de noblesse en Amérique latine. Les recherches menées dans cette discipline ont fréquemment recours au droit comparé, comme méthode d’analyse, ou aux citations de droit étranger, comme éléments d’illustration, de sorte qu’aujourd’hui, le droit constitutionnel est devenu la discipline privilégiée de la comparaison parmi les publicistes latino-américains.

Comme on a pu le voir, ce penchant pour le droit étranger est dans les gènes du droit public latino-américain et il perdure encore aujourd’hui. Ce caractère atavique de la comparaison se double également d’une tendance à l’omni-comparaison, c’est-à-dire à des comparaisons à très grande échelle, en multipliant le nombre de systèmes étrangers étudiés.

2. Un comparatisme total

Le droit public comparé latino-américain ne se distingue pas par sa modération. Le recours à l’exemple étranger ou à l’argument tiré de la doctrine étrangère est non seulement omniprésent, mais il est aussi pluriel, dans le sens où la doctrine opère rarement une étude comparative limitée à deux systèmes juridiques (le national et un autre). Au contraire, elle multiplie les doctrines et ordres juridiques de référence. Ainsi, à la lecture de la littérature comparative latino-américaine émerge une sensation de comparatisme total : tout est comparable et tout peut être comparé20. Pour autant, il faut admettre que certains pays ou ordres juridiques sont davantage privilégiés. Si tout est théoriquement comparable, dans les faits tout n’est pas comparé ou pas avec la même intensité.

Dans le cas du droit constitutionnel, la doctrine se focalise sur l’étude de quatre grands modèles : les États-Unis, l’Espagne libérale, la pensée française des Lumières et dans une moindre mesure la pensée anglaise21. Si cette affirmation peut relever de l’évidence, dans la mesure où le constitutionnalisme moderne a été conçu par la doctrine de ces pays, il importe de revenir quelque peu sur leur influence en Amérique latine, car il est possible de déceler quelques spécificités nationales.

En droit constitutionnel, l’intérêt pour la comparaison avec le droit des États-Unis s’explique en grande partie par le fait que ce pays a été le premier à obtenir son indépendance sur le continent. Puis, cette influence fut entretenue par les juristes nord-américains eux-mêmes qui, conformément à la doctrine Monroe exposée en 1823, ont cherché à contrôler le développement politique et juridique des pays du Sud du continent. De fait, la Constitution des États-Unis a eu une très forte influence sur les libéraux latino-américains dans la seconde moitié du xixe siècle22. À ces raisons s’ajoute également la prévalence généralisée pour le régime présidentiel en Amérique latine23. Cependant, cette influence ne fut pas uniforme sur tout le continent. Certains pays, pour des raisons géographiques mais aussi pour des choix d’organisation étatique, ont été plus enclins à s’appuyer sur l’exemple des États-Unis. C’est le cas du Mexique où la Constitution des États-Unis a été la référence étrangère la plus influente24. Ce texte sert de point de référence pour analyser les règles du fédéralisme et les compétences du président mais aussi pour analyser le traitement juridique des communautés autochtones25. Alors que certaines doctrines latino-américaines étaient plus hermétiques à ce droit, un changement s’est opéré à partir des années 1970, pour des raisons en partie sociologiques. Les États-Unis et les pays anglophones étant devenus des lieux d’études privilégiés pour les juristes latino-américains, ces derniers sont ensuite revenus enseigner et écrire sur leurs terres natales, en gardant les cadres de pensée nouvellement étudiés. L’ouvrage écrit par Carlos Santiago Nino26, un universitaire argentin qui a fait sa thèse à l’université d’Oxford et a entretenu d’importantes connections avec la Yale Law School, marque ce tournant en contribuant à la diffusion massive en Amérique latine d’auteurs encore peu connus dans cette région à cette époque, comme Ronald Dworkin, Bruce Ackerman, Robert Dahl ou H. L. A. Hart.

L’intérêt pour l’étude du droit européen est quant à lui plus ancien mais aussi plus diffus. L’Europe est une source d’inspiration naturelle pour la doctrine publiciste latino-américaine, notamment à travers le rôle d’intermédiaire joué par l’Espagne dans le transfert des idées juridiques27. Toutefois, à nouveau, il est possible de percevoir des préférences plus marquées pour certains auteurs ou certains droits. Bien évidemment, pour des raisons historiques, le Brésil se tourne plus naturellement vers le droit portugais que ses voisins latino-américains. Mais la doctrine publiciste brésilienne, et en particulier constitutionnaliste, est aussi extrêmement attentive au droit italien. La Constitution de 1947 y est fréquemment prise comme point de repère28, et les écrits de Luigi Ferrajoli29 y sont abondamment cités. Hormis le Portugal et l’Italie, il convient surtout de mettre en avant l’influence jouée par le droit public français. On l’a vu concernant le droit administratif, qui est considéré comme « une des contributions majeures de la culture juridique française à l’histoire du droit »30, mais la Constitution de la Ve République a également pu servir de source d’inspiration. Un des mécanismes les plus repris est la réglementation du second tour pour l’élection présidentielle, que l’on retrouve dans les Constitutions costaricaine, chilienne ou uruguayenne. Concernant l’Allemagne, son droit et sa doctrine ont longtemps connu un succès très confidentiel au sein de la doctrine publiciste latino-américaine. Puis, progressivement l’intérêt a été de plus en plus marqué. Aujourd’hui, en droit constitutionnel, le travail de Robert Alexy fait l’objet d’une attention particulière. Enfin, si l’on s’intéresse à la place qu’occupe le droit espagnol, il convient de souligner qu’après la Constitution de Cadix, l’influence de l’Espagne au sein des comparatistes latino-américains fut plus modeste. Par la suite, du fait des expériences dictatoriales, les juristes latino-américains ont suivi avec grand intérêt le processus espagnol de négociation qui a abouti à la Constitution de 1978. Aujourd’hui, Jorge Carpizo voit des influences de cette Constitution dans les textes constitutionnels colombien et paraguayen, notamment dans l’importance accordée au pluralisme politique, vu comme une valeur supérieure31.

Cependant, il convient de souligner que la comparaison n’est pas uniquement opérée avec des systèmes juridiques situés hors de l’Amérique latine mais aussi, et devrions nous dire surtout, entre les droits latino-américains eux-mêmes. Cette comparaison intra-Amérique latine est d’autant plus aisée que l’on retrouve, tout du moins en droit public, de nombreuses institutions ou principes communs entre les pays de la région. L’exemple le plus emblématique est sans nul doute constitué par le recours à l’amparo32. Ce recours, qui permet la protection des droits et garanties constitutionnels, est apparu la première fois dans la Constitution mexicaine de 1857 et s’est progressivement implanté dans tous les pays latino-américains, à l’exception de Cuba, tout au long du xxe siècle33. Pour Allan B. Brewer-Carías, l’amparo est d’autant plus typiquement latino-américain qu’il ne possède aucune origine espagnole ou même européenne34. L’existence d’une institution similaire entre tous les pays latino-américains favorise indéniablement les rapprochements et les études comparatives35. De même, les pays de la région partagent des problématiques communes, qui elles aussi invitent à la comparaison. C’est notamment le cas des droits des populations autochtones ou originaires36. Ces dernières années, la comparaison intra-régionale a été favorisée par le développement du système interaméricain des droits de l’homme, qui, malgré des résistances37, conduit à une convergence des institutions juridiques et des pratiques38. Depuis la fin des années 80, on remarque une intensification des recherches comparatives, en particulier sur une question qui était encore peu traitée par la doctrine latino-américaine : celle du contrôle de conventionnalité des lois39. Cette évolution qui apparaît comme récente ne doit pas pour autant induire en erreur. Certes, la comparaison entre les droits publics latino-américains s’est intensifiée ces dernières décennies, mais elle a toujours existé avec des mouvements de flux et de reflux. La seconde moitié du xxe siècle marque surtout l’institutionnalisation de cette recherche. Un des événements clés fut la création en 1974 de l’Institut ibéro-américain de droit constitutionnel à Buenos Aires qui réunit les constitutionnalistes d’Amérique latine, d’Espagne et du Portugal40. Il s’agit d’une des sociétés savantes les plus actives sur cette thématique. Aujourd’hui, plusieurs revues se concentrent uniquement sur ce type de comparaison. C’est le cas de l’Annuaire de droit constitutionnel latino-américain ou de la Revue latino-américaine d’études constitutionnelles. Cette analyse fondée uniquement sur les pays latino-américains apparaît de plus en plus fructueuse et permet l’émergence de nouveaux courants ou théories. À titre d’illustration, sont à évoquer les recherches effectuées par le constitutionnaliste argentin Roberto Gargarella, à l’origine d’un courant appelé « le constitutionnalisme dialogique ». Ce dernier prend principalement appui sur une analyse comparative et historique des différents droits constitutionnels latino-américains41. Cet exemple apparaît d’autant plus topique qu’il illustre également l’intention dans laquelle les comparaisons sont effectuées en Amérique latine. Loin d’être des purs exercices épistémologiques, les travaux comparatifs latino-américains tendent bien souvent à poursuivre un but déterminé.

3. Un comparatisme instrumental

Tout comme en Europe, le droit public comparé en Amérique latine au xixe siècle consistait essentiellement en une présentation très statique des différentes législations, dans l’unique objectif de déterminer les meilleures règles. Dans l’œuvre pionnière de Ricardo Ovidio Limardo de 1869 déjà mentionnée, le but était clairement de parvenir à déterminer les règles qui permettraient de satisfaire toutes les nécessités des hommes. Cette quête du droit parfait repose sur la croyance que le droit peut changer la société42.

Mais au-delà de la recherche d’une amélioration du droit national, le recours au droit comparé a également pu constituer un moyen pour la doctrine comparatiste latino-américaine, à l’instar de la doctrine européenne, d’élaborer un droit unique. Ce désir d’unification est ancien en Amérique latine, comme en attestent toutes les tentatives infructueuses d’unification du territoire, dont les plus importantes furent celles initiées par Simón Bolívar en 1826 ou par les gouvernements du Chili et du Pérou en 1858 et 1864. L’ambition du ius commune qui a animé les comparatistes de la région a pendant un temps été abandonnée, entre la fin des années 80 et le début du xxie siècle. Bien qu’à cette période demeuraient encore quelques juristes persuadés de la nécessité d’aboutir à un droit unifié – une pensée que Rogelio Pérez-Perdomo qualifie de « pascalienne »43 – il est clair que cet objectif n’était plus celui de la majorité des comparatistes latino-américains. Toutefois, aujourd’hui dans un contexte de globalisation du droit44, cette recherche réapparait. Ces dernières années, les travaux menés entre le Max Planck Institute et l’Institut d’études constitutionnelles de Querétaro au Mexique visent à démontrer l’existence d’un « Ius Constitutionale Commune in Latin America »45. Ce nouveau droit commun serait composé de toutes les voies empruntées pour renforcer le constitutionnalisme, l’État de droit, la démocratie et les droits de l’homme. Cependant, ce courant fait l’objet de critiques. Non seulement, la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, du fait de sa jeunesse, n’a pas encore permis le développement d’un socle suffisamment large de règles communes, mais surtout il tend à masquer les divergences en droit positif et en doctrine, au sein de la région46. Le droit public commun latino-américain n’existe donc pas encore, mais il est indéniable qu’il constitue un objectif que se sont fixés de nombreux comparatistes47. Aussi noble soit-elle, cette aspiration a toutefois eu des incidences plus négatives sur la discipline elle-même, car aveuglés par la quête finale, certains comparatistes latino-américains ont parfois porté peu d’attention aux méthodes employées pour effectuer les comparaisons.

4. Un comparatisme pathologique ?

Bien que l’étude du droit étranger ait toujours été présente dans la doctrine publiciste latino-américaine, celle-ci n’a pas systématiquement abouti, à proprement parler, à une véritable comparaison des droits, faute de cadre méthodologique clairement défini. Le recours à l’argument de droit étranger par les juridictions offre un tel constat. Au Brésil – comme dans d’autres pays de la région – les décisions de justice fourmillent de références à des droits étrangers. Cette attitude est en réalité ancienne puisqu’un décret de 1890 établissait déjà que la justice fédérale brésilienne était autorisée à appliquer de manière subsidiaire « les statuts des peuples cultivés, et en particulier ceux qui régulent les relations juridiques au sein de la république des États-Unis d’Amérique du Nord »48. Malgré l’ancienneté du procédé, les recherches montrent l’absence de critère méthodologique dans cette pratique. Selon Carlos Bastide Horbach la majorité de ces références ont un fond « fonctionnaliste ». Cela signifie que les juges citent des institutions ou des règles étrangères ayant la même fonction que l’institution ou la règle nationale, mais cela reste encore faiblement articulé ou exprimé49. Les juges ne s’encombrent donc pas à recontextualiser la norme citée ni même à expliquer les choix de la citation de telle ou telle règle.

Cette absence de recontextualisation se constate également au sein de la doctrine publiciste latino-américaine lorsqu’elle fait usage de doctrines étrangères. Lorsque l’analyse est faite dans le domaine de la théorie ou de la philosophie du droit, il est évident que le croisement transnational des idées et des arguments est tout naturel50. En revanche, l’emprunt de théories ou d’analyses en droit constitutionnel sans prendre le soin de les replacer dans leur système juridique de naissance peut parfois conduire à des erreurs. Cette décontextualisation se constate, par exemple, dans les écrits de Renato Cristi et de Pablo Ruiz-Tagle, qui se sont largement inspirés de la théorie de Robert Alexy sur les droits fondamentaux51. Or comment mobiliser cette théorie dans un pays qui repose sur une organisation du pouvoir et une déclaration des droits extrêmement éloignées du système allemand ? Comment concevoir les droits fondamentaux de la même façon alors que les réalités sociales et économiques sont si différentes ? En appliquant de manière mécanique la théorie allemande, Renato Cristi et Pablo Ruiz Tagle font ce que Jorge L. Esquirol qualifie de « dévalorisation injustifiée » de leur droit national52, puisqu’ils nient la réalité de leur propre droit.

Ces mêmes problèmes de contextualisation ont pu être constatés au moment d’implanter des principes, procédures, institutions ou définitions issus d’un ou de plusieurs droits étrangers. En retraçant l’histoire constitutionnelle du sous-continent, Roberto Gargarella a mis en lumière un problème actuel : celui de l’impossibilité de tirer tous les fruits des nouveaux droits sociaux, économiques et environnementaux inscrits dans les Constitutions. Ce problème réside selon lui dans le fait que l’organisation très centralisée des pouvoirs est restée inchangée. Il pointe du doigt le décalage existant entre les catalogues des droits fondamentaux et ce qu’il appelle la « machinerie interne de la Constitution », c’est-à-dire l’organisation institutionnelle du pouvoir53. Ces contradictions apparaissent à moyen terme très perturbantes, car elles génèrent des problèmes d’interprétation constitutionnelle et de l’incertitude dans la délimitation du pouvoir ou de la portée des droits. Pour le constitutionnaliste argentin, les raisons de ces contradictions ou incohérences constitutionnelles sont difficiles à déterminer. Une de ses hypothèses est qu’il s’agirait d’un choix conscient en faveur d’une stratégie de l’accumulation afin de refléter le caractère plural de la société et de l’État54. Cette analyse intéressante du point de vue constitutionnel peut également être complétée du point de vue du droit comparé, car on peut voir dans cette stratégie de l’accumulation le simple reflet d’une pratique anarchique de la greffe juridique55. Communes à de nombreux pays et aires géographiques, ces problématiques paraissent affecter plus particulièrement l’Amérique latine. En masquant les particularités locales, la focalisation excessive de la doctrine publiciste sur le droit occidental conduit à maintenir jusqu’au bout ces incohérences, et donc à terme à un droit « failli » selon Jorge L. Esquirol56.

Or toute pathologie appelle à des remèdes. Pour Jorge L. Esquirol, le constat d’une faillite du droit doit conduire à une transformation de la culture juridique57. Appliquée au droit comparé, cette affirmation appelle donc à la mise en place d’une nouvelle méthodologie du droit comparé en Amérique latine.

5. À l’aube d’un nouveau comparatisme ?

À l’image des réflexions qui animent l’ensemble de la communauté des comparatistes, les publicistes latino-américains s’interrogent eux aussi sur leur méthode de comparaison. Actuellement, la plus utilisée est la méthode fonctionnaliste de Konrad Zweigert et Hein Kötz, qui consiste à comparer les catégories, règles ou institutions de différents systèmes juridiques qui occupent une même fonction58. Dans ce choix, rien de véritablement original. Toutefois, si le droit comparé dans ce continent ne se distingue pas véritablement par sa méthode per se, il se distingue en réalité par deux éléments, dont la prise en compte revient avec fréquence sous la plume des comparatistes latino-américains.

Le premier élément est l’importance de la culture juridique dans la comparaison des droits. Depuis sa formulation par Lawrence Friedman59, cette notion n’a eu de cesse d’être analysée et débattue par la doctrine comparatiste du monde entier. Ce débat fut particulièrement suivi par la doctrine comparatiste latino-américaine, sans qu’initialement il n’induise un changement réel des pratiques. Cependant, l’analyse de la culture juridique a connu un regain d’intérêt ces dernières années, nourrie des enseignements tirés des débats sur la globalisation du droit60. Face à ce phénomène, il est apparu nécessaire pour les comparatistes de la région de prêter davantage attention à leur propre culture juridique et à celle des pays comparés, y compris latino-américains. Précisément, c’est dans le cadre de la comparaison intra-Amérique latine que la prise en compte de la culture juridique apparaît la plus complexe, tant ce continent a connu des destinées parallèles et a semblé baigné dans une culture juridique commune. Le partage d’une langue commune, pour les pays hispanophones, a conduit à renforcer ce sentiment61, puisqu’il évite les problèmes de traduction et diminue les risques de faux amis juridiques62. Pourtant, même avec une langue partagée, ces risques peuvent exister. Un des plus notables est celui de l’amparo. Si dans la très grande majorité des États latino-américains, le terme « amparo » renvoie à une même procédure, ce n’est pas le cas partout. Par exemple, au Chili, il est appelé « recurso de protección ». Ceci ne pourrait être qu’un détail, mais le problème étant qu’il existe un autre recours appelé « amparo » dans la Constitution chilienne, qui se rapproche davantage de l’habeas corpus puisqu’il consiste à demander à un juge de vérifier la légalité d’une privation de liberté63.

De plus en plus conscients des problèmes liés à une comparaison trop statique du droit, les publicistes latino-américains insistent chaque jour un peu plus sur les différences de culture juridique pouvant exister64. Ceci implique dès lors une ouverture des publicistes vers d’autres disciplines permettant d’éclairer ce contexte. La transdisciplinarité est une aspiration qui a une quarantaine d’années. Ce n’est que très récemment qu’elle commence à porter des fruits au sein de la doctrine publiciste latino-américaine. En s’appuyant sur les travaux de Manfred Max-Neef65, David Enríquez a formulé une série de questions épistémologiques qui devrait fonder toute recherche transdisciplinaire en droit comparé66. Par exemple, avant de débuter la recherche, le chercheur devrait se demander si son objet peut être ou a déjà été défini de manière collaborative. Il devrait également s’assurer que le plan des recherches a été défini de manière collective et qu’il associe pleinement toutes les disciplines concernées. Certes, l’ouverture du droit à d’autres disciplines n’est pas encore totalement généralisée. Certains comparatistes latino-américains considèrent qu’il s’agit d’une dénaturation de la discipline et rejettent que cela puisse être considéré comme du droit, et encore moins du droit comparé67. Toutefois, il semblerait qu’un nouveau souffle comparatiste gagne progressivement les publicistes latino-américains.

Ce souffle se trouve prolongé par un autre mouvement qui porte plus spécifiquement sur la nécessité d’identifier la singularité des droits nationaux. En effet, le second élément qui marque le droit public comparé en Amérique latine ces dernières années est l’identification des particularismes nationaux ou locaux. Ce changement d’optique dans les finalités de la comparaison est crucial à prendre en compte dans le cas latino-américain, car il conduit à interpréter différemment les références constantes faites par les doctrines nationales aux droits et doctrines étrangères. Si pendant de nombreuses décennies, ces références étaient perçues comme une sorte d’admiration aveugle à l’égard des modèles juridiques européens ou nord-américains, aujourd’hui le regard a changé. Les références aux droits étrangers ne sont pas nécessairement perçues comme un moyen de dénigrer le droit national, mais de plus en plus comme un moyen d’en percevoir ses particularités. Ceci implique un travail d’introspection des comparatistes latino-américains sur leurs propres a priori juridiques. C’est dans ce sens que l’on peut comprendre l’appel formulé par Jorge L. Esquirol à se débarrasser de la fiction de la parenté européenne du droit latino-américain68. De son point de vue, l’objectif n’est pas de nier les racines européennes du droit public latino-américain, mais de cesser de les survaloriser. D’autres formulent le problème différemment et appellent à mettre fin au « créolisme » du droit public latino-américain. Dans la mesure où le terme « créole » peut avoir des significations historiques très différentes, il importe d’en clarifier la portée. Comme le souligne Liliana Obregón, le terme de « créole » (« criollo ») est habituellement utilisé en Amérique latine afin de faire référence aux habitants nés sur le sol latino-américain mais de descendance européenne69. Ainsi, le terme renvoie à une partie de la population, qui bien que se sentant très patriote, ne se considère pas pour autant comme appartenant à une communauté autochtone. Si les créoles se considèrent différents des Européens, ils ne s’en considèrent pas moins les héritiers70. Dès lors, le « créolisme » latino-américain contient en lui un déni des racines autochtones et une fascination, matinée par moments de méfiance, pour l’Europe71. Vu de l’extérieur, cet appel à la « décréolisation » du droit pourrait être assimilé au courant postcolonialiste impulsé par la doctrine nord-américaine. S’il est possible de voir une parenté, il est nécessaire de les distinguer nettement. Dans le cas de l’Amérique latine, du fait du métissage particulièrement marqué de la population, la catégorie de « créole » renvoie moins à une appartenance ethnique qu’à une perception de soi-même, à un état d’esprit, à une mentalité. En appelant à la « décréolisation », l’idée n’est pas ici de mettre fin à l’oppression par les colons. Il s’agit plutôt de faire admettre aux personnes nées sur ce territoire le caractère syncrétique des peuples d’Amérique latine72, en ce sens qu’ils sont le résultat d’une fusion de plusieurs origines, y compris autochtones, qui implique une superposition des conceptions des relations sociales et donc du droit.

En focalisant l’attention sur les enseignements tirés de la comparaison des droits sur le droit national, le droit public comparé latino-américain s’éloigne de plus en plus de la simple juxtaposition d’études de droit étranger. Cependant, cette évolution est récente et n’est pas encore généralisable à l’ensemble de la production doctrinale latino-américaine. Surtout, elle est encore et toujours une affaire d’individus. Comme le soulignait John Bell, le développement juridique dépend plus des personnes que des idées73. Toutefois, certains signes laissent à penser que le droit comparé en Amérique latine est sur la voie d’une autonomisation durable. Parmi ces signes de bonne augure, il y a la hausse du nombre de thèses en droit soutenues sur le continent. Bien que ce chiffre reste modeste, il laisse croire à un renouvellement de la pensée des futurs membres de la doctrine et donc du droit comparé dans son ensemble, car l’Amérique latine recèle encore en elle de nombreuses voix qui peuvent contribuer au progrès des sciences sociales74.

Notes

1 On peut par exemple évoquer l’étude réalisée par le constitutionnaliste allemand Karl Lowenstein qui a opéré les premières classifications du régime présidentiel au sein des pays latino-américains en 1949. Voir : K. Loewenstein, « La “presidencia” fuera de los Estados Unidos (estudio comparativo de instituciones políticas) », Boletín del Instituto de Derecho Comparado de México, n° 5, 1949, pp. 21-28. Retour au texte

2 J. M. Smits (dir.), Elgar Encyclopedia of Comparative Law, Edward Elgar Publishing, Cheltenham Northampton Mass., 2006. Retour au texte

3 A. Álvarez, « Latin America and International Law », American Journal of International Law, n° 3, 1909, p. 347. Retour au texte

4 M. Reimann, « The Progress and Failure of Comparative Law in the Second Half of the Twentieth Century », American Journal of Comparative Law, vol. 50, n° 4, 2002, p. 685. Retour au texte

5 On passe de 21 pays à 18 pays (Brésil, Haïti et Bélize étant mis de côté). Retour au texte

6 Sur ces questions voir : M.-Cl. Ponthoreau, Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Economica, coll. Corpus droit public, Paris, 2e édition, 2021, p. 72 et s. Retour au texte

7 Ici il est fait référence au titre « Canción con todos » écrite par Armando Tejada Gómez, mis en musique par César Isella et interprété par Mercedes Sosa. Cette chanson est un hymne à la fraternité latino-américaine et le refrain vibre avec cette phrase : « Todas las voces todas » (« Toutes les voix toutes »). Retour au texte

8 Voir par exemple : A. V. Teixeira, « El método en derecho constitucional comparado : contribuciones críticas para una metodología constitucional comparativa », Opinión Jurídica, vol. 10, 2020, p. 314. Retour au texte

9 J. Malagón-Barceló, « The Role of the Letrado in the Colonization of America », The Americas, vol. 18, n° 1, 1961, p. 1. Retour au texte

10 L. Obregón, « Completing civilization: Creole consciousness and international law in nineteenth-century Latin America », in A. Orford (dir.), International Law and its Others, Cambridge University Press, New York, 2006, p. 251. Retour au texte

11 H. Fix-Zamudio, « Influencia del constitucionalismo gaditano en la Nueva España », in J. M.  Serna de La Garza et D. A. Barceló Rojas (dir.), Memoria del seminario internacional: Conmemoración del Bicentenario de la Constitución de Cádiz. Las ideas constitucionales de América Latina, Universidad Nacional Autónoma de México, Instituto de Investigaciones Jurídicas, Mexico, 2013, p. 3. Retour au texte

12 J. Carpizo, « En búsqueda del ADN y las influencias en algunos sistemas presidenciales y parlamentarios », Boletín Mexicano de Derecho Comparado, n° spécial, 60e anniversaire, 2008, p. 188. Retour au texte

13 A. García-López Santaolalla, « Sexagésimo aniversario del Boletín Mexicano de Derecho Comparado », Boletín Mexicano de Derecho Comparado, n° spécial, 60e anniversaire, 2008, p. 419. Retour au texte

14 Le titre exact de l’œuvre est le suivant : Legislación comercial ó sea Códigos de comercio de Europa y América comparados entre sí con una introducción y apreciaciones crítico-filosóficas sobre los principios de legislación que les sirven de base. Il est intéressant de souligner que cet ouvrage fut édité à Paris. Retour au texte

15 R. Pérez-Perdomo, « El derecho comparado y la comparación de culturas jurídicas. Una perspectiva latinoamericana », Boletín Mexicano de Derecho Comparado, n° 146, 2016, p. 482. Retour au texte

16 P. Pierry Arrau, « Transformaciones del derecho administrativo en el siglo XX », Revista de derecho, Consejo de Defensa del Estado, n° 5, 2001, p. 25. Voir également : A. Vergara Blanco, « Panorama general del derecho administrativo chileno », in El Derecho administrativo iberoamericano, Instituto de Investigación Urbana y Territorial, Madrid, 2005, pp. 136-183. Retour au texte

17 L. Obregón, art. préc., p. 257. Retour au texte

18 Selon J. Couso, la chute du droit constitutionnel au sein de la doctrine latino-américaine a débuté aux alentours des années 1860 et 1885. Voir : J. Couso, « The Transformation of Constitutional Discourse and the Judicialization of Politics in Latin America », in J. Couso, A. Huneeus et R. Sieder (dir.), Cultures of Legality. Judicialization and Political Activism in Latin America, Cambridge University Press, New York, 2010, p. 146. Retour au texte

19 Sachant que le volume de publication pour les autres branches du droit est resté constant. Voir : ibidem, p. 149. Retour au texte

20 Comme le plaide I. B. Flores, « La cama o el lecho de Procrustes. Hacia una jurisprudencia comparada e integrada », Boletín Mexicano de Derecho Comparado, n° spécial, 60e anniversaire, 2008, p. 289. Retour au texte

21 J. Carpizo, art. préc., p. 184. Retour au texte

22 R. Gargarella, « Latin American Constitutionalism, 1810-2010: The problem of the “Engine Room” of the Constitution », in P. Fortes, L. Boratti, A. Palacios Lleras et T. G. Daly (dir.), Law and Policy in Latin America. Transforming Courts, Institutions and Rights, Palgrave Macmillan, St Antony’s Series, Londres, 2017, p. 208. Retour au texte

23 Il y a quelques rares expériences de régime parlementaire en Amérique latine. Est souvent évoqué le cas du Chili entre 1891 et 1924, même si cet exemple peut également être discuté dans la mesure où il présentait lui-même certaines particularités, comme l’absence de motion de censure contre le chef du gouvernement (l’organe législatif pouvait cependant censurer d’autres membres du gouvernement). Voir : J. J. Orozco Henríquez, « Tendencias recientes en los sistemas presidenciales latinoamericanos », Boletín Mexicano de Derecho comparado, n° spécial, 60e anniversaire, 2008, p. 794. Retour au texte

24 J. Carpizo, art. préc., p. 188. Retour au texte

25 R. P. Miranda Torres, « Análisis de los derechos reconocidos a los pueblos originarios en el Derecho Comparado (el caso de las comunidades autóctonas de México y las tribus de los Estados Unidos de Norteamérica) », Derecho global. Estudios sobre derecho y justicia, n°7, 2018, p. 91. Retour au texte

26 Fundamentos de Derecho Constitucional. Análisis filosófico, jurídico y politológico de la práctica constitucional, Astrea, Buenos Aires, 1992. Retour au texte

27 A. A.  Rodriguez Villabona, « La circulation des modèles juridiques : l’exemple de la réception en Colombie de la doctrine de Duguit au début du XXe siècle », in F. Mélin-Soucramanien (dir.), Espaces du service public. Mélanges en l’honneur de Jean du Bois de Gaudusson, t. 1, Presses universitaires de Bordeaux, Pessac, 2013, p. 619. Retour au texte

28 J. Carpizo, art. préc., p. 203. Retour au texte

29 Cet ouvrage, publié en espagnol est souvent cité : Derecho y razón. Teoría del garantismo penal (1995). Retour au texte

30 R. Pérez-Perdomo, art. préc., p. 488. Retour au texte

31 J. Carpizo, art. préc., p. 202 et 203. Retour au texte

32 Nous aurions également pu évoquer l’exemple du principe pro homine. Retour au texte

33 J. Carpizo, « Derecho Constitucional Latinoamericano y Comparado », Anuario de Derechos Humanos. Nueva Época, vol. 7, t. 1, 2006, p. 288. Retour au texte

34 A. B. Brewer-Carías, Constitutional Protection of Human Rights in Latin America. A Comparative Study of Amparo Proceedings, Cambridge University Press, New York, 2009, p. 81. Retour au texte

35 Voir par exemple : A. B. Brewer-Carías, Leyes de amparo de América Latina. Con un estudio preliminar sobre el amparo en el derecho constitucional comparado latinoamericano, Editorial Jurídica Venezolana Internacional, Caracas-New York, 2016 ; C. Landa, « El proceso de amparo en América latina », Anuario de Derecho Constitucional Latinoamericano, 2011, pp. 2017-226. Retour au texte

36 R. P. Miranda Torres, art. préc., p. 79. Retour au texte

37 A. Huneeus, « Rejecting the Inter-American Court: Judicialization, National Courts, and Regional Human Rights », in J. Couso, A. Huneeus et R. Sieder (dir.), Cultures of Legality. Judicialization and Political Activism in Latin America, op. cit., p. 112-128. Retour au texte

38 M. Torelly, « Transnational Legal Process and Fundamental Rights in Latin America: How does the Inter-American Human Rights System Reshape Domestic Constitutional Rights ? », in P. Fortes, L. Boratti, A. Palacios Lleras et T. G. Daly (dir.), Law and Policy in Latin America. Transforming Courts, Institutions and Rights, op. cit., p. 21-38. Retour au texte

39 Voir par exemple : Cl. Nash Rojas, « Control de convencionalidad. Precisiones conceptuales y desafíos a la luz de la jurisprudencia de la Corte Interamericana de Derechos Humanos », Anuario de Derecho Constitucional Latinoamericano, 2013, pp. 489-509 ; J. de Jesús Naveja Macías et J. F. Palomino Manchego, Control de convencionalidad en América latina. Desarrollo y estatus actual, Editorial Flores, Mexico, 2020 ; A. J. Martínez Lazcano, « Control difuso de convencionalidad: transición de la cultura jurídica en América latina », Revista Jurídica Mario Alario D’Filippo, vol. 12, n° 23, 2020, pp. 250-270. Retour au texte

40 Mais qui aujourd’hui comprend quelques branches nationales hors des pays mentionnés. De fait, l’Institut comprend une section française (présidée actuellement par Renaud Bourget), mais aussi une section aux États-Unis, en Allemagne et en Italie. Retour au texte

41 R. Gargarella, art. préc., pp. 205-219 ; R. Gargarella (dir.), Por una justicia dialógica: El Poder Judicial como promotor de la deliberación democrática, Siglo XXI Editores, Mexico, 2019. Retour au texte

42 En 1948, Agustín García López, le directeur de l’Institut de droit comparé de Mexico, signalait comme lignes directrices pour le bulletin de l’institut (aujourd’hui le Bulletin mexicain de droit comparé), la nécessité de « recueillir le matériel nécessaire pour élaborer une théorie jurisprudentielle ; juger les normes juridiques en vigueur au Mexico et à l’étranger ; proposer des formules d’amélioration du droit justes, belles, bonnes » (nous traduisons). Voir : A. García López, « Éditorial », Boletín del Instituto de Derecho Comparado de México, n° 1, 1948, p. VIII. Voir plus récemment : M. García-Villegas, « Law as Hope. Constitutions, courts and social change in Latin America », Eurozine, 25 février 2004. Retour au texte

43 Pour cela, il prend appui sur cette citation de Blaise Pascal : « Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au-delà » (Pensées, n° 294). Cette citation permet de souligner la croyance dans le fait que le vrai droit, c’est-à-dire le droit juste, ne peut être qu’un pour toute l’humanité, puisqu’il est conforme à la raison. Voir : R. Pérez-Perdomo, art. préc., p. 478. Retour au texte

44 Ibid., p. 495. Retour au texte

45 A. von Bogdandy, M. Morales Antoniazzi et E. Ferrer Mac-Gregor (coord.), Ius Constitutionale Commune en América Latina. Textos básicos para su comprensión, Instituto de Estudios Constitucionales del Estado de Querétaro, Max Planck Institute for Comparative Public Law and International Law, Mexico, 2017 ; A. von Bogdandy, E. Ferrer Mac-Gregor, M. Morales Antoniazzi et F. Piovesan (dir.), Transformative Constitutionalism in Latin America. The Emergence of a New Ius Commune, Oxford University Press, Oxford, 2017. Retour au texte

46 Comme le souligne clairement A. Coddou Mc Manus, « A critical account of Ius Constitutionale Commune in Latin America : An Intellectual map of contemporary Latin American constitutionalism », Global Constitutionalism, octobre 2021. Retour au texte

47 A. Ferrante, « Entre derecho comparado y derecho extranjero. Una aproximación a la comparación jurídica », Revista Chilena de Derecho, vol. 43, n° 2, 2016, p. 601. Retour au texte

48 Article 386 du décret n° 848 du 11 octobre 1890. Retour au texte

49 C. B. Horbach, « El derecho comparado en la jurisdicción constitucional brasileña », Boletín Mexicano de Derecho Comparado, n° 149, 2017, p. 608. Retour au texte

50 D. E. López Medina, « Kelsen, Hart, Dworkin en Hispanoamérica: condiciones de posibilidad de una filosofía local del derecho », in Enrique Cáceres, I. B. Flores, J. Saldaña et E. Villanueva (coord.), Problemas contemporáneos de la filosofía del derecho, Universidad Nacional Autónoma de México, Mexico, 2005, p. 426. Retour au texte

51 R. Cristi et P. Ruiz-Tagle, La República en Chile : Teoría y Práctica del Constitucionalismo Republicano, LOM, Santiago du Chili, 2006, p. 275. Retour au texte

52 J. L. Esquirol, Ruling the Law. Legitimacy and Failure in Latin American Legal Systems, Cambridge University Press, New York, 2019, p. 6. Retour au texte

53 R. Gargarella, art. préc., p. 215. Retour au texte

54 R. Gargarella, « Constitution making in the Context of Plural Societies. The “Accumulation Strategy” », in J. Elster, R. Gargarella, V. Naresh et B. E. Rasch (dir.), Constituent Assemblies, Cambridge University Press, New York, 2018, p. 21. Retour au texte

55 Pour un autre exemple de problèmes créés par un problème d’agencement de greffes juridiques en Amérique latine, cette étude revient sur les raisons de l’absence de juridiction administrative au Chili : C. Cerda-Guzman, « Importation d’objets juridiques et cohérence de l’ordre juridique administratif chilien », Revue internationale de droit comparé, 2007, n° 2, p. 307-332. Retour au texte

56 J. L. Esquirol, op. cit. Retour au texte

57 Ibid., p. 13. Retour au texte

58 K. Zweigert et H. Kötz, Introduction to Comparative Law, Clarendon, Oxford, 3e éd., 2011. Retour au texte

59 L. Friedman, « Legal Culture and Social Development », Law & Society Review, vol. 4, n° 1, 1969, pp. 29-44. Retour au texte

60 R. Pérez-Perdomo, art. préc., p. 495. Retour au texte

61 J. Carpizo, « Derecho Constitucional Latinoamericano y Comparado », art. préc., p. 271. Retour au texte

62 Sur l’importance de la maîtrise de la langue en droit comparé latino-américain, voir : A. Ferrante, art. préc., p. 601-619. Retour au texte

63 De son côté, en Colombie, ce recours est appelé « acción de tutela ». Il est à noter qu’au Mexique le terme « amparo » est, à l’inverse, bien plus large et est utilisé à la fois dans le sens premier, mais il inclut également l’habeas corpus (appelé dans ce cas « amparo libertad »), le recours de cassation (« amparo casación ») ou un recours spécifique aux droits agraires (« amparo agrario »). Retour au texte

64 J. Carpizo, « En búsqueda del ADN y las influencias en algunos sistemas presidenciales y parlamentarios », art. préc., p. 183 ; R. Pérez-Perdomo, art. préc., p. 500. Retour au texte

65 M. Max-Neef, Fundamentos de la transdiciplinariedad, Universidad Austral de Chile, Valdivia, 2004. Retour au texte

66 D. Enríquez, « Interculturalismo y transdisciplinariedad: coordenadas en el mapa del derecho comparado sustentable », Boletín Mexicano de Derecho Comparado, n° 132, 2011, p. 1119. Retour au texte

67 R. Pérez-Perdomo, art. préc., p. 502. Retour au texte

68 J. L. Esquirol, op. cit., p. 5. Retour au texte

69 L. Obregón, art. préc., p. 249. Retour au texte

70 Ibid., p. 254. Retour au texte

71 Cette citation de Simón Bolívar pourrait peut-être permettre aux lecteurs de se faire une idée plus précise : « Nous ne sommes ni Indiens ni Européens, mais une espèce de mélange entre les propriétaires légitimes de ce pays et les usurpateurs espagnols. En somme, bien que Américains de naissance, nos droits découlent d’Europe, et nous devons affirmer ces droits contre ceux des natifs, tout en nous maintenant sur le pays contre l’arrivée des envahisseurs. Ceci nous place dans la plus extraordinaire mais la plus inextricable situation » (nous traduisons). Voir : S. Bolívar, La carta de Jamaica, 6 septembre 1815. Retour au texte

72 R. P. Miranda Torres, art. préc., p. 91. Retour au texte

73 J. Bell, « The relevance of Foreign Examples to Legal Development », Duke Journal of Comparative & International Law, vol. 21, 2011, spéc. pp. 448 et 449. Retour au texte

74 Fr. Poupeau, « Ce que l’Amérique latine fait aux sciences sociales », AOC, 14 décembre 2021, https://aoc.media/analyse/2021/12/13/ce-que-lamerique-latine-fait-aux-sciences-sociales/ Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Carolina Cerda-Guzman, « Le droit public comparé en Amérique latine », Droit Public Comparé [En ligne], 1 | 2023, mis en ligne le 15 décembre 2023, consulté le 19 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/droit-public-compare/index.php?id=168

Auteur

Carolina Cerda-Guzman

Maîtresse de conférences en droit public, université de Bordeaux, CERCCLE (EA 7436)

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • ISNI
  • BNF

Droits d'auteur

CC BY-SA 4.0