À la recherche de la médiation « administrative » dans la justice administrative anglaise

DOI : 10.35562/droit-public-compare.614

Abstracts

La médiation peine à trouver sa place au sein de la justice administrative en Angleterre. Le manque de conceptualisation de la notion de médiation administrative et la concurrence d’autres modes alternatifs de règlement des conflits dans le paysage administratif et juridictionnel expliquent en partie la place marginale de ce mode de résolution des différends administratifs.

Une étude préliminaire de la médiation concernant les besoins éducatifs spéciaux tente de susciter une réflexion sur la notion de médiation administrative. Cette conceptualisation pourrait faciliter un meilleur ancrage de la médiation dans la justice administrative.

Mediation is struggling to find a place within administrative justice in England. The lack of conceptualisation of the concept of administrative mediation and the competition of other forms of alternative dispute resolution in the administrative and judicial landscapes explain partly the marginal place that mediation occupies therein.

A pilot study of SEND mediation attempts to trigger a reflection on the concept of administrative mediation. This conceptualisation could facilitate a better anchoring of mediation in administrative justice.

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En Angleterre, la médiation administrative peine à se faire une place et même un nom. Cette constatation peut surprendre : les modes alternatifs de règlements des litiges (MARL) font partie de l’arsenal de résolution des différends administratifs depuis longtemps. Deux des piliers du système anglais de justice administrative sont des MARL : les Ombudsmen du secteur public et les administrative tribunals. Ils résolvent bien plus de litiges administratifs que les juridictions ordinaires1 ; la justice administrative anglaise est une justice « alternative ». D’ailleurs, la procédure civile exige qu’un litige soit réglé d’une manière équitable et proportionnelle et que le mode de résolution soit adapté à la valeur, la complexité ou l’importance du litige2. L’ancrage difficile de la médiation administrative va à l’encontre de ces constatations et justifie que l’on s’y intéresse.

Un premier obstacle à cet ancrage réside certainement dans le défaut de conceptualisation de la médiation administrative. En Angleterre, la doctrine, la jurisprudence ou la législation ne font pas référence à cette notion. Cela reflète un certain scepticisme quant à la différentiation conceptuelle public-privé de la résolution des litiges. Certes, la procédure de judicial review contrôle la légalité des décisions administratives, mais elle est rattachée à la procédure civile et située, pour une grande part, au sein des juridictions ordinaires.

Un deuxième obstacle à cet ancrage vient du fait que la médiation est concurrencée à tous les stades de la résolution alternative des différends. Bien qu’il n’y ait pas d’effort de recensement de la médiation dans le secteur public, cette dernière est un mode de résolution marginal. Le manque de conceptualisation peut s’expliquer par cette réalité empirique : la médiation tient une place si limitée dans l’organisation de la justice administrative anglaise que sa conceptualisation n’est pas un besoin pressant. Ce vide conceptuel ne peut qu’affecter la légitimité et la croissance de la médiation administrative et susciter des questions quant à la pertinence de son utilisation en droit public. Il y a donc un besoin pressant de l’étudier : pour ce faire, nous tenterons d’expliquer sa présence marginale dans le paysage administratif (1) et d’analyser sa croissance contrariée dans le procès administratif (2).

Pour cette étude, la médiation est comprise comme un processus de résolution par lequel les parties aidées d’un tiers neutre et indépendant, tentent de trouver une solution à leur différend3. Pour qu’une médiation soit administrative, un des médiés doit être une personne publique. Les Ombudsmen du secteur public anglais ne relèvent pas de la médiation administrative stricto sensu : ils ne sont pas qualifiés de médiateurs institutionnels et leur mode normal de résolution est éloigné de la médiation. Par contre, leur importance pour la résolution alternative des litiges administratifs justifie leur inclusion dans l’étude.

1. La place restreinte de la médiation dans le paysage administratif anglais

Pour saisir le rôle de la médiation dans la résolution des différends administratifs, il est nécessaire de commencer par analyser la conceptualisation de la justice administrative avant d’expliquer l’importance de la réparation dans le paysage administratif anglais.

1.1. La conceptualisation de la justice administrative

Auparavant, le droit administratif anglais se limitait en grande partie à la procédure de judicial review et considérait les juridictions comme étant le premier, si ce n’est l’unique, mode de résolution des litiges. Cette vision descendante et étriquée de la justice administrative est maintenant largement dépassée4.

La doctrine anglaise reconnaît depuis longtemps la place des MARL dans la justice administrative, mais elle conceptualise cette justice d’une manière large5 : elle inclut la performance des services publics, réfléchit sur la structure administrative mise en place pour l’édiction des décisions ou explore le vécu des agents et des usagers6. Cette conception a d’ailleurs été entérinée par le législateur dans le Tribunal, Courts and Enforcement Act de 20077.

Débuter la réflexion sur cette justice dès l’édiction de la décision peut surprendre, mais elle relève d’une certaine logique : ainsi, le rejet illégal d’une demande ou la performance défectueuse d’un service public portent atteinte à l’idée même de justice8 et vont être la cause de différends. La justice administrative commence bien avant la phase de résolution ; elle se doit d’imprégner les décisions et les actions des personnes publiques pour que ces dernières soient « justes » (légales, équitables, etc.). Cette vision est aussi reflétée dans la réalité administrative : il existe un véritable enchevêtrement des processus d’édiction et d’action avec ceux de la réparation au sein de la structure administrative.

1.2. L’importance de la réparation dans le paysage administratif anglais

Administrations et services publics possèdent tous des mécanismes de réclamations et des procédures de révisions internes des décisions. Dans la majorité des cas, les administrés ou les usagers ont accès en dernier lieu à un Ombudsman du secteur public, s’ils ne sont toujours pas satisfaits. Tous ces mécanismes créent un véritable foisonnement de procédures et de structures alternatives, à tel point que l’on parle d’un véritable « secteur de la réclamation9 ».

Notons que la justice ordinaire a un coût élevé qui n’est pas à la portée de beaucoup de requérants10. Des alternatives ont été déployées pour établir une justice administrative plus accessible, c’est-à-dire moins chère, plus rapide et plus simple. Cela a facilité la résolution « alternative » à grande échelle et a entraîné la création de structures hiérarchisées de la résolution des différends au sein des administrations, les Ombudsmen du secteur public en en formant souvent le sommet.

1.2.1. Une organisation complexe : réclamation et révision interne

Les administrations et les services publics ont adopté des mécanismes pour que l’usager puisse faire une réclamation concernant la prestation d’un service public ou que l’administré puisse demander qu’une décision soit réexaminée. Par exemple, l’établissement public de la santé publique de la ville de Birmingham a adopté des processus de réclamation pour tous les aspects de ce service11. Si un patient veut faire une réclamation concernant un établissement hospitalier de la ville, il aura la possibilité de recourir à une procédure interne à deux échelons12. Au premier, se trouve la réclamation informelle (et orale) à la personne responsable de la prestation de service ou à son supérieur hiérarchique ; à l’échelon supérieur, le patient dépose une réclamation écrite au service responsable de l’hôpital13. Au sein du service public de la santé, des procédures existent pour chaque problème, chaque service, chaque établissement. Parfois, celles-ci se chevauchent, créant une prolifération dans laquelle les patients (ou leurs représentants) ne s’y retrouvent pas toujours.

De même, l’administré qui veut contester une décision administrative le concernant, pourra souvent faire une demande de révision interne ; la révision est une demande formelle de réexamen d’une décision administrative. Les procédures de révision interne sont de plus en plus courantes au sein des administrations14. Ainsi, pour contester le refus de l’aide complémentaire à la retraite15 ou l’application de pénalités de retard par l’administration fiscale, il faut commencer par introduire une telle demande. Les domaines qui, traditionnellement, sont sources de contentieux important, tel le domaine social, fiscal et le droit des étrangers, ont imposé quasi-systématiquement le recours obligatoire à ces procédures de révision.

La révision peut s’organiser en véritable hiérarchie. Ainsi, un contribuable qui conteste une décision de l’administration fiscale – telle une imposition ou des pénalités de retard –, doit suivre obligatoirement la procédure de révision à trois échelons16 : au premier, la décision contestée est réexaminée par l’agent qui l’a prise, s’il n’y a pas satisfaction, le contribuable transmet la décision au deuxième échelon (où un autre agent réexamine la demande) ; si le contribuable n’est toujours pas satisfait, il peut soumettre sa demande à l’agence de l’adjudicateur17. Cette structure, indépendante de l’administration fiscale, fera un troisième examen. Il n’est pas possible d’y introduire directement une demande de révision.

Les procédures de réclamation et de révision ont pour mission de résoudre les différends d’une manière rapide, efficace, économe et proportionnelle. Cela a pour conséquence la concentration de cette résolution au sein des administrations et des services publics et crée un problème de légitimité de ces mécanismes : ils ne sont pas toujours perçus comme participant à la justice administrative mais plutôt comme imposant des obstacles à son accès. De fait, les recherches empiriques effectuées montrent que certaines procédures de révision ne constituent pas une résolution optimale pour l’administré18 ; elles auraient aussi pour effet de détourner une partie des réclamants19. De fait, les administrés ont du mal à comprendre cette profusion et stratification procédurale. D’ailleurs, l’Ombudsman parlementaire et de la santé publique reçoit un très grand nombre de demandes d’information et d’orientation des administrés vers la procédure appropriée (162 000 demandes en 2023-202420) ; cela est indicateur de ce manque de lisibilité. Enfin, les rejets à répétition risquent de conduire les réclamants lassés à abandonner de leur demande.

Pour remédier au manque de légitimité, les administrations ou services publics établissent parfois en dernier lieu des structures externes indépendantes, telles que l’agence de l’adjudicateur de l’administration fiscale ou l’agence de l’adjudicateur indépendant de l’enseignement supérieur21. Ce dernier qui a le statut d’Ombudsman spécialisé, s’est vu confier les réclamations des étudiants, une fois épuisées les procédures au sein de leur université. D’ailleurs, il est souvent possible de poursuivre une réclamation devant un des Ombudsmen du secteur public.

1.2.2 Les Ombudsmen du secteur public

Les Ombudsmen du secteur public tiennent une place importante dans le paysage anglais de la résolution des différends administratifs. Ils peuvent former l’échelon ultime des procédures de réclamation ou de révision ; une fois épuisées ces procédures internes, les réclamants peuvent s’adresser à l’Ombudsman compétent. Ainsi, le contribuable toujours insatisfait après la procédure de révision de l’administration fiscale peut demander à un parlementaire de transmettre sa réclamation à l’Ombudsman parlementaire et de la santé publique.

L’Ombudsman parlementaire fut le premier des Ombudsmen du secteur public à être introduit en 196722. Il avait pour mission de corriger les cas de maladministration perpétrés par l’administration centrale, palliant ainsi à une lacune23 dans le système de justice administrative24. D’autres Ombudsmen du secteur public suivirent, tel l’Ombudsman des collectivités locales et de l’assistance sociale25, l’Ombudsman du logement social26 et l’Ombudsman du milieu carcéral et de la libération conditionnelle27. En général, ils sont bien ancrés dans le paysage de la justice administrative, même si cette fragmentation rend leur tâche plus difficile. Il a été envisagé de les fusionner28, mais seul l’Ombudsman parlementaire a été réuni avec celui de la santé publique29.

Avec les années, le rôle des Ombudsmen a évolué considérablement. De nos jours, ils remplissent deux missions principales : une mission de réparation des cas de maladministration et une mission de la prévention de celle-ci. Pour ce faire, les Ombudsmen du secteur public ont transformé leur approche et leur travail. Pour remplir leur mission de prévention, un grand nombre d’Ombudsmen surveillent le bon fonctionnement des mécanismes de réclamations et des procédures de révision des administrations ou des services publics relevant de leur juridiction. Ils émettent des directives et collaborent avec ces administrations et services publics pour élaborer les mécanismes et en améliorer la pratique. Ainsi, l’Ombudsman parlementaire et de la santé publique a publié des normes de référence pour le traitement des réclamations30 et il organise régulièrement des formations pour les agents concernés. Il a aussi entrepris une véritable réflexion sur le principe de bonne administration pour encadrer ses recommandations et guider le travail des administrations. De plus, la majorité des Ombudsmen du secteur public entreprennent des enquêtes systémiques ciblées pour examiner un problème particulier : une pratique administrative inadéquate, une procédure dysfonctionnelle ou une directive discutable. Ces enquêtes permettent à l’Ombudsman de faire des recommandations détaillées. L’idée est d’aller au-delà des réclamations individuelles et d’émettre des conseils pour aider les administrations et les services publics à rectifier leurs pratiques, réformer leurs procédures et à amender la directive de manière à prévenir des différends et promouvoir une meilleure administration. Ainsi, l’Ombudsman des collectivités locales recourt fréquemment à ces enquêtes et a un net succès auprès des collectivités locales31. Cela lui a permis d’accroître son efficacité : en augmentant les enquêtes systémiques, il identifie et corrige les exemples de mauvaise administration pour tous les administrés présents et futurs. Il demande d’ailleurs à la collectivité concernée de revoir (et si nécessaire d’amender) les décisions individuelles déjà prises au vu des conclusions de l’enquête. Ce travail de prévention permet aux Ombudsmen d’avoir un impact à la fois plus large et plus approfondi.

Cela étant, la mission première de ces Ombudsmen continue d’être le traitement des réclamations individuelles32. Ce traitement, qui se fait le plus souvent par le biais d’une enquête et d’une décision finale, n’est pas sans critique. Non seulement l’enquête dessaisit les réclamants de tout lien avec la résolution de leur différend mais ce mode de résolution est chronophage. La plupart des Ombudsmen ont donc instauré un traitement différencié des réclamations selon la complexité du problème soulevé. L’Ombudsman parlementaire et de la santé publique qui traite en moyenne 35 000 réclamations par an33 distingue les réclamations qui demandent une enquête approfondie, de celles qui n’ont besoin que d’une enquête préliminaire. La dernière évaluation parlementaire de cette institution a jugé les résultats trop lents pour les dossiers nécessitant une enquête approfondie34. Elle a aussi noté que le pourcentage des enquêtes approfondies (1.7 %) a encore baissé depuis 2018, bien que le nombre des réclamations soit en hausse. La place croissante accordée aux enquêtes préliminaires conclues plus rapidement soulève des questions quant à la performance de l’institution.

Ce « secteur » de la réclamation n’est pas sans critique, mais il a établi un système à grande échelle de la résolution alternative.

1.3. La place restreinte de la médiation administrative

Le paysage administratif anglais n’est pas favorable au développement de la médiation administrative : elle peine à s’établir au sein de cette prolifération de mécanismes et de structures de résolution alternative.

1.3.1 La médiation administrative dans les interstices de la résolution alternative

Il n’existe pas de législation ou de réglementation instaurant la médiation administrative. Malgré cela, cette dernière s’est établie dans les interstices de cette résolution alternative. Seul un petit nombre d’exemples ont été identifiés, mais comme il n’existe aucun inventaire du recours à la médiation administrative, il se peut que d’autres exemples existent ou qu’il y ait une utilisation sporadique de la médiation qui n’est pas recensée. Seule une enquête empirique de grande envergure permettrait d’obtenir des données fiables sur cette pratique.

L’administration fiscale a mis en place une procédure de médiation pour résoudre les litiges avec les contribuables. Pour ce faire, cette administration a formé et emploie des médiateurs en interne qui agissent en toute impartialité. Le contribuable ou l’agent en charge du dossier fait la demande initiale du traitement par la médiation et l’administration fiscale décide si le litige est susceptible d’une telle résolution35. Ainsi, la demande de médiation sera rejetée si le litige concerne un problème d’évasion ou d’évitement fiscal. La médiation peut intervenir à tout moment du déroulement de la procédure de révision ou même du litige. Il n’existe pas d’information quant à l’ampleur du recours à la médiation ou à son succès, mais cette possibilité de résolution par la médiation existe en marge des procédures internes, comme une option supplémentaire.

Depuis 2019, il existe une initiative intéressante par l’Ombudsman parlementaire et de la santé publique qui propose de trouver une solution à certaines réclamations par le biais de la médiation36. La médiation est perçue comme un processus de résolution rapide des réclamations qui s’y prêtent et de permettre la participation des réclamants. Bien que l’Ombudsman estime que 25 % des réclamations qui lui sont soumises pourraient faire l’objet d’une médiation, celle-ci reste marginale. En 2022-2023, seules 72 médiations ont eu lieu, représentant 0.2 % des réclamations, un pourcentage loin du potentiel détecté. L’Ombudsman a cherché à développer la médiation dans le service public de la santé, bien qu’il reconnaisse avoir rencontré la résistance du personnel médical. Il s’est aussi donné pour but d’étendre la pratique de la médiation aux administrations centrales. Cette proposition est importante : elle pourrait faciliter l’acculturation et le développement de la médiation au sein du secteur public. D’ailleurs, la commission parlementaire chargée de l’évaluation de l’Ombudsman soutient cette initiative.

Ces exemples soulignent le développement de la médiation administrative en marge d’un autre mécanisme de la résolution alternative, proposant ainsi une alternative à l’alternative. Pour autant, cette manière d’intégrer la médiation administrative au secteur de la réclamation rend encore plus complexe cette organisation de la résolution des différends.

1.3.2 Les raisons d’un recours limité à la médiation administrative

Les changements d’orientation et de stratégie expliquent en partie le manque d’engouement actuel pour la médiation au sein du secteur public. Ainsi, elle a fait l’objet d’une brève promotion en 2001, lorsque Lord Irvine, Secrétaire d’État à la Justice, annonça l’engagement du Gouvernement à recourir aux MARL37. Pour un temps, cela s’est traduit par un recours croissant à la médiation au sein des administrations centrales. Un bulletin détaillant le nombre et le type de médiations entreprises au sein de chaque ministère était publié régulièrement. Une dilution de l’engagement gouvernemental a suivi. Bien que le Ministre de la Justice ait réaffirmé son soutien à la résolution alternative en 2011, l’accent était plutôt sur la prévention des différends et la résolution proportionnelle des litiges que sur la promotion de la médiation administrative. Le texte de cet engagement suggère d’ailleurs l’intégration de la résolution amiable aux procédures de réclamations internes. La volonté d’évitement des juridictions est toujours claire mais la manière de l’accomplir a changé. Depuis, cet engagement n’a pas fait l’objet d’un renouvellement officiel, mais la volonté d’une résolution non-juridictionnelle des litiges existe toujours38.

D’autres limites expliquent son manque d’utilisation. Tout d’abord, la médiation est peut-être simple et flexible, mais elle n’est pas adaptée au traitement à grande échelle. Le recours systématique à la médiation requiert le recrutement ou la formation de médiateurs indépendants. Dans les deux exemples cités ci-dessus, des agents ont a été formés à la médiation, aussi bien au sein de l’Ombudsman que de l’administration fiscale. Il faut aussi s’assurer qu’ils soient déployés en toute indépendance. C’est un mode de résolution qui peine à traiter des flux importants sauf à former ou à recruter une armée de médiateurs indépendants. Au sein des administrations ou des services publics, le traitement des réclamations ou des révisions se fait à une échelle trop importante pour que ces dernières puissent être résolues par la seule intervention de la médiation. La comparaison fait presque de la médiation un traitement artisanal de la résolution alternative. Elle ne pourra pas remplacer les procédures internes sauf investissement considérable. Pour cette raison, la médiation est le plus souvent une alternative à un autre MARL. Cette position marginale complique la promotion et la croissance de ce mode de résolution.

2. La longue réception de la médiation dans le procès administratif

Jusqu’à présent, la médiation administrative n’a figuré qu’en pointillé dans notre étude. Elle acquiert une certaine centralité dès que l’on se tourne vers le procès administratif et ses composantes. La médiation est souvent citée comme une alternative à la procédure juridictionnelle, que cela soit devant les juridictions ordinaires ou les administrative tribunals.

2.1. L’émergence contrariée de la médiation dans la procédure de judicial review

Hormis les administrative tribunals, le procès administratif en Angleterre repose principalement sur la procédure de judicial review. Cette procédure tente d’établir un équilibre entre la protection des droits des administrés et la continuité de l’action administrative. Pour ce faire, elle impose une restriction essentielle : le requérant doit obtenir l’autorisation du juge avant d’introduire une requête39. Entre autres, le requérant doit avoir épuisé au préalable toutes les voies de recours disponibles (comme les procédures de réclamation ou de révision interne40). Cette obligation reflète l’idée que la procédure de judicial review est un dernier recours. Ainsi, cette procédure a toujours favorisé la résolution alternative.

2.1.1. La réception progressive de la médiation dans la procédure de judicial review

L’émergence de la médiation auprès des juridictions ordinaires reflète une évolution contemporaine de la procédure civile anglaise. La médiation y entre suite au rapport de Lord Woolf sur l’accès à la justice41. Il préconise une justice plus simple, plus rapide et moins coûteuse et fait des MARL une pierre angulaire de sa vision. Mises en œuvre par une loi42 et par une refonte de la procédure civile43, ces réformes encouragent la résolution des litiges en amont des juridictions grâce au protocole précontentieux44. Dès 2002, ce protocole oblige les parties à s’informer de leurs positions par l’échange de lettres explicatives et de rechercher une résolution amiable. Le but est de limiter les coûts pour le justiciable et pour l’Etat et de donner une réponse proportionnelle à chaque litige. Le non-respect du protocole peut entraîner un refus d’autorisation de la requête ou une répartition défavorable des dépens.

À présent, le protocole réserve un titre aux MARL. Il précise que les parties doivent apporter au juge la preuve d’une recherche de résolution amiable et énumère la négociation, les procédures de réclamations et de révisions internes, l’Ombudsman et la médiation, tout en spécifiant que cette liste n’est pas exhaustive, donnant aux parties une grande liberté de choix45. Durant une réunion de mise en état, le juge peut ordonner aux parties d’aller en médiation.

Le droit anglais met clairement l’accent sur la nécessité d’explorer une résolution amiable. La médiation étant considérée comme la méthode alternative privilégiée dans le contexte juridictionnel, cela explique son importance dans la régulation du procès administratif. Elle est au cœur des décisions formant la jurisprudence.

2.1.2. Une jurisprudence s’affirmant avec le temps

Dès le début, la jurisprudence renforce les dispositions contenues dans le protocole. Dans la décision Cowl46, Lord Woolf explique ses réformes et souligne les avantages de poursuivre une résolution à l’amiable. Le litige opposait les résidents d’une maison de retraite bénéficiant d’une promesse d’hébergement à vie à la ville de Plymouth, qui souhaitait fermer l’établissement. Dans son jugement, Lord Woolf explique que la ville acceptait l’interprétation avancée par les résidents et qu’elle avait maintes fois proposé une résolution amiable. Lord Woolf demande aux parties d’en accepter la mise en œuvre. Il désigne une commission indépendante de trois membres47 et ordonne à la ville de fournir le lieu de réunion, un agent pour le suivi administratif, un moyen de transport et un conseil juridique indépendant pour les résidents. Il énumère aussi les points que la commission doit aborder. Cette décision représente peut-être une promotion de la résolution amiable, mais elle en souligne aussi les limites : elle a un coût qui peut vite devenir un obstacle. Il faut aussi s’inquiéter de son bien-fondé : de par leur âge et leur état de santé, les résidents formaient une catégorie de justiciables vulnérables, qui bénéficient de garanties importantes dans la procédure juridictionnelle. Dans une affaire similaire jugée trois ans auparavant, la Cour avait décidé que la violation de la promesse d’hébergement à vie faite aux résidents constituait un abus de pouvoir violant l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits humains48.

Les règles sur les dépens contenues dans le protocole ont aussi été appliquées par la jurisprudence. Dès la décision Dunnett49, la Cour d’appel50 s’appuya sur le paragraphe 12 du protocole pour juger que la partie ayant gagné au fond, n’aurait pas forcément ses dépens payés si elle avait rejeté sans raison une demande de résolution amiable de la partie adverse.

Récemment, le message du protocole a été renforcé par une évolution jurisprudentielle capitale. Auparavant, la Cour d’appel jugeait qu’il n’était pas possible d’obliger les parties à recourir à la médiation, de peur de violer l’article 6 de la CEDH51 ; seul un « fort » encouragement était autorisé. Dans la décision Churchill52, la Cour d’appel est revenue sur cette jurisprudence : désormais, les juges peuvent obliger les parties à entrer en médiation et utiliser la réunion de mise en état pour édicter une ordonnance à cet effet53. La procédure civile vient d’être amendée pour refléter cette évolution54. Cette réforme participe à tout un mouvement qui favorise la médiation préalable obligatoire.

2.1.3 La réalité du procès administratif

Malgré les réformes, la jurisprudence et l’attitude des juges, la médiation a une place limitée au sein du procès administratif.

D’après une étude empirique de 200955, les réformes de la procédure civile ont pourtant eu l’effet escompté : l’examen du déroulement des litiges au sein de la procédure de judicial review montre l’ampleur de la résolution préalable. En effet, 60 % des litiges potentiels (pour lesquels l’intention d’introduire une requête a été exprimée) sont réglés en amont de l’introduction d’une requête. De plus, si l’on examine le déroulement des requêtes une fois introduites, 34 % sont résolues avant le stade de l’autorisation et 56 % de celles ayant reçu l’autorisation, sont résolues avant l’audience. Ainsi, la grande majorité de ces litiges n’arrive pas devant un juge. Selon cette étude, la résolution préalable s’est faite grâce au dialogue et à la négociation classique. La médiation est superfétatoire.

Une deuxième étude menée à la même période a tenté de cerner le rôle de la médiation dans la procédure de judicial review56. Les auteurs indiquent que, dans ce contexte, il est difficile pour la médiation de trouver sa place, d’autant plus qu’elle est perçue comme plus coûteuse et plus longue que la négociation classique. Ainsi, la médiation n’est utile que pour 5 % des litiges : elle peut aider à renouer le dialogue quand les parties sont figées dans des positions irréalistes ; elle permet aussi d’explorer des solutions qui ne seraient pas envisageables devant le juge57.

Ces deux études expliquent les raisons pour lesquelles la médiation n’a que peu de place dans la procédure de judicial review : cela ne dénote pas un manque d’ancrage des MARL, mais reflète plutôt la concurrence d’autres modes de résolution plus efficaces et moins coûteux que la médiation.

2.2 La médiation auprès des administrative tribunals : l’exemple de la résolution des litiges concernant les besoins éducatifs spéciaux des enfants et jeunes personnes

Qualifiés de MARL, les administrative tribunals forment l’autre composante du procès administratif en Angleterre. Conçus comme une alternative aux juridictions ordinaires, ils sont chargés de résoudre les litiges d’une manière informelle, experte et rapide pour permettre un accès à la justice simplifié et abordable dans un domaine spécialisé (comme les droits sociaux, la fiscalité ou l’immigration). Suite à un processus de juridictionnalisation58, on peut se demander si ces tribunals continuent d’être des modes « alternatifs » à part entière59. En pratique, ils encouragent souvent le recours à la médiation dans le cadre de leur contentieux. Là encore, la médiation administrative semble servir d’alternative à un mode alternatif de résolution des litiges.

Pour tenter de cerner cette réalité, nous présenterons une étude préliminaire de la médiation semi-obligatoire préalable à l’introduction d’une requête auprès d’un de ces tribunals : le Special Educational Needs and Disability Tribunal60.

2.2.1 Le contexte de la médiation semi-obligatoire

La loi anglaise oblige les collectivités locales à garantir le droit à l’éducation des enfants et des jeunes personnes en situation de handicap ou avec des besoins éducatifs spéciaux61. Après évaluation, la reconnaissance de besoins spéciaux entraîne l’adoption d’un plan d’assistance éducative et médicale contenant des mesures adaptées, telles que l’inscription dans un établissement spécialisé, un enseignement individuel, des sessions avec un thérapeute ou l’achat d’équipements personnalisés.

Parents et jeunes personnes peuvent contester les décisions des collectivités locales au tribunal, mais doivent assister à une séance d’information préalable sur la médiation62. S’ils optent pour la médiation, la collectivité locale est obligée de s’y soumettre. La médiation est gratuite ; les collectivités locales recrutent par marchés publics des entreprises de médiateurs pour une prestation de service indépendante. Ces médiateurs recourent à la médiation classique : ils assistent les parties en vue de trouver un accord, sans faire de proposition de résolution.

Il faut souligner le contexte de crise de ce contentieux. En dix ans, le nombre d’enfants bénéficiant d’un plan a augmenté de 115 % : de 240 183 en 2015 à 517 049 en 202363. Cette croissance exponentielle s’ajoutant aux difficultés financières des collectivités locales, elle engendre de nombreuses décisions de rejet qui nourrissent une croissance vertigineuse du contentieux : les requêtes ont augmenté de 55 % en un an64. Actuellement, il faut compter plus de douze mois pour un jugement. Par contre, les requérants obtiennent une décision en leur faveur dans 99 % des cas65. Les collectivités locales vont donc au tribunal avec des dossiers indéfendables.

2.2.2. Une étude préliminaire de la médiation semi-obligatoire66

Nous commencerons par expliquer la méthodologie adoptée pour entreprendre cette étude. Puis, une fois présentés les résultats des médiations observées, nous en analyserons les traits marquants.

2.2.2.1 La méthodologie

Cette étude menée durant l’année universitaire 2023-2024 était un projet pilote. Elle contenait deux éléments : l’observation de médiations et des entretiens sur questionnaire auprès de médiateurs volontaires. Pour entreprendre cette étude, j’ai établi une collaboration avec une entreprise de médiateurs spécialisée dans le domaine des besoins éducatifs spéciaux, qui est le prestataire de service de la médiation semi-obligatoire pour plusieurs collectivités locales anglaises. Après un accord de principe des directeurs, j’ai sollicité la participation volontaire de plusieurs médiateurs.

Le choix des médiations observées a été fait à la fois par chaque médiateur participant, qui proposait l’observation aux médiés et par les médiés, qui indiquaient leur accord ou leur refus67. J’ai observé onze médiations ; cet échantillon a permis d’identifier quelques traits intéressants de cette médiation administrative.

2.2.2.2 Le résultat des médiations observées

Les résultats par catégorie de décisions sont reproduits ci-dessous :

Sept refus d’évaluation – quatre accords et trois échecs (deux dossiers étaient incomplets)
Trois contenus de plan – un accord partiel et deux échecs
Un maintien de plan – un accord

Le pourcentage de succès est proche de 50 % (selon que l’on compte ou pas l’accord partiel). Ce résultat est plutôt encourageant pour une médiation semi-obligatoire. Cela repose sur un échantillon limité, mais le prestataire de services a signalé des résultats concordants. Pour autant, il faut tempérer cette analyse au vu du pourcentage de réussite des requérants au tribunal.

2.2.2.3 Les traits de cette médiation administrative

Nous avons identifié quatre traits qui soulignent le caractère administratif de cette médiation.

Une organisation flexible et polycentrique

La médiation est souvent présentée comme étant flexible quant à son organisation et quant aux personnes qui y participent. Cet aspect est clef pour la médiation étudiée et pour la médiation administrative en général.

Certes, cette médiation est encadrée par des délais stricts : elle doit intervenir dans les trente jours de la décision de la collectivité locale. Pour autant, cela n’en a pas affecté la flexibilité. Depuis la pandémie, les réunions de médiations sont organisées en ligne, ce qui facilite la tenue de la médiation dans les délais. Par contre, ce choix demande l’usage du logiciel « Teams ». Pour nombre de parents, le passage au virtuel ne semble pas avoir eu d’incidence. Pourtant, par deux fois, un parent a participé à la médiation aux côtés du représentant de l’école, ce dernier accordant son soutien et un accès simplifié à la technologie.

Cette flexibilité se retrouve aussi quant aux participants à la médiation. La participation est très souvent tripartite : on y retrouve les parents ou jeunes personnes, l’agent de la collectivité locale et le représentant de l’école68. D’autres personnes peuvent rejoindre la médiation : un ami comme porte-parole des parents, l’assistante sociale qui suit la famille, un membre du corps médical (plus rare). Cette participation variable reflète les intérêts multiples en jeu. D’ailleurs, un principe de collaboration des parties prenantes en vue de garantir l’intérêt supérieur de l’enfant sous-tend ce régime juridique69. La médiation est particulièrement bien adaptée à cette collaboration et à la nature polycentrique de ces litiges administratifs.

Le rapport de force

Compte tenu de la disparité entre personne publique et administré, la médiation administrative reflète souvent un rapport de force en faveur de la personne publique ; ce déséquilibre peut avoir un effet délétère sur le bon déroulement de la médiation. Cette disparité est marquée dans le cadre de la médiation qui nous concerne : les enfants et les jeunes personnes concernées sont particulièrement vulnérables (et parfois les parents qui les représentent70). D’autre part, la pratique décisionnelle des collectivités locales n’aide pas à rétablir cet équilibre.

Cela dit, la situation n’est pas si tranchée qu’il y paraît. Les médiateurs font de leur mieux pour instaurer un processus équitable et y sont parfois aidés par la configuration tripartite de ces médiations. Il est fréquent que deux des trois participants s’alignent d’une manière informelle durant la médiation : l’association la plus courante regroupant parent et représentant de l’école face à la collectivité locale. Dans les médiations observées, les parents ou la jeune personne qui étaient soutenus par l’établissement d’enseignement ont obtenu la décision recherchée dans cinq cas sur sept. A contrario, les trois fois où l’établissement d’enseignement n’a pas soutenu les demandes des parents ou a adopté une position ambiguë quant à cette demande, la médiation a échoué. Certes, l’échantillon de ces observations est restreint pour tirer des conclusions définitives, mais cette dynamique des rapports de force joue un rôle clef dans le déroulement et l’équilibre de ces médiations.

La place du droit

D’une manière générale, la place du droit dans la médiation administrative est complexe et « l’ombre du droit71 » y est particulièrement étendue. Pour autant, le droit semble avoir un rôle limité dans la médiation des besoins éducatifs spéciaux. La législation sur laquelle les droits des enfants reposent n’a jamais été mentionnée durant les médiations observées. Cela reflète l’idée de la médiation classique, selon laquelle une argumentation juridique n’est pas propice à une résolution amiable et s’explique aussi par l’absence de professionnel du droit. Les médiations se sont focalisées sur les besoins éducatifs de l’enfant ou de la jeune personne, la médiation servant à explorer la réalité de leur vécu dans le milieu scolaire, à analyser leurs progrès éducatifs et à examiner les pièces du dossier pour déterminer les besoins et les mesures à prendre. Ces médiations adoptent une approche factuelle de la résolution qui est bien adaptée à ce domaine. Les solides connaissances dans le domaine de l’éducation spécialisée des médiateurs observés étaient un élément crucial au bon déroulement et au succès de ces médiations.

Le droit n’en est pourtant pas absent : il en encadre la tenue, et les représentants de la collectivité locale continuent d’être liés par les interprétations et les directives de leur service72. Dans la grande majorité des médiations observées, le recours au droit n’aurait rien apporté de plus. Pour une seule médiation, la référence au cadre légal aurait permis de questionner la position de la collectivité locale. Ainsi, le droit joue un rôle limité, ambigu et surtout asymétrique dans ces médiations. Au vu du pourcentage de réussite des requérants au tribunal, cette place « asymétrique » du droit mériterait une évaluation minutieuse.

Une continuation de la procédure administrative

La médiation est souvent rattachée à la phase contentieuse. La médiation étudiée vise d’ailleurs à éviter que les litiges ne progressent au tribunal.

En réalité, les médiations observées se rattacheraient plutôt à la phase administrative. Les médiateurs font tout un travail important de préparation en amont de la réunion de médiation. Ils prennent contact avec les représentants de la collectivité locale et de l’établissement d’enseignement et rencontrent les parents. Ce travail préparatoire est typique de la médiation, mais il est particulièrement développé dans le cadre de la médiation étudiée et en détermine souvent le succès. Il est assez fréquent que le médiateur fasse suivre un complément d’information à la collectivité locale et que cela conduise la collectivité à réviser sa position. Dans une médiation observée, la collectivité locale a amendé sa décision au vu de l’information circulée en avance de la médiation. La médiation a servi à l’annoncer, à renouer des relations entre toutes les parties prenantes et à rappeler les procédures à suivre. La décision initiale est prise sur dossier par des agents, qui n’ont aucun contact avec l’enfant ou la jeune personne concernée. Il n’est pas rare que ces derniers soient présents (brièvement pour les enfants) durant la médiation qui permet de réintroduire une dimension humaine dans la procédure décisionnelle.

De même, si on est parvenu à une résolution, l’accord de médiation contient un échéancier et des engagements précis de la collectivité locale et/ou de l’établissement d’enseignement, ce qui peut nécessiter un véritable suivi administratif. Ainsi, il est tentant de comprendre cette médiation comme une continuation de la procédure décisionnelle.

Compte tenu des décisions contestées, le recours à la médiation (administrative) est un choix pertinent et réfléchi, qui s’harmonise bien avec ce domaine de droit et avec les objectifs législatifs.

3. Conclusion : conceptualisation et conception

Cette étude explique les raisons pour lesquelles la médiation ne tient qu’une place restreinte au sein de la justice administrative anglaise : non seulement elle est en concurrence avec d’autres modes de résolution des litiges mieux ancrés dans le paysage administratif et juridictionnel, mais le manque de conceptualisation de la notion de médiation administrative freine sa reconnaissance, son développement et son acculturation dans le secteur public.

Un recensement de la médiation administrative et une exploration de ces caractéristiques en permettraient une meilleure reconnaissance et pourraient faciliter sa conceptualisation au sein de la justice administrative anglaise.

L’étude souligne aussi le besoin de repenser les principes qui encadrent la conception et l’introduction des modes de résolution des litiges au sein du secteur public anglais. L’ajout et l’entrelacement des divers mécanismes ont créé un paysage de la résolution à la lisibilité et l’effectivité discutable. Les réformes des mécanismes de la résolution des litiges auraient besoin de mettre en place vision plus large de l’organisation de la résolution du contentieux administratif73.

Il en est d’ailleurs de l’avenir de la médiation des besoins éducatifs spéciaux. Il a été suggéré que si cette médiation semi-obligatoire ne parvenait pas à arrêter ou même freiner la croissance de ce contentieux, elle pourrait être suppléée ou remplacée par une procédure préalable d’évaluation indépendante des litiges. Abolir cette médiation ou rajouter un autre MARL avant son intervention, aurait besoin d’être repensé. Il vaudrait mieux faire en sorte que les collectivités locales prennent (ou puissent prendre) des décisions initiales qui respectent le droit applicable, de préférence à l’introduction d’une étape de résolution supplémentaire. Les évaluations récentes et en cours de ce régime juridique pourront peut-être apporter une solution durable74.

Notes

1 Depuis janvier 2024, 2 260 requêtes de judicial review ont été introduites auprès de la High Court. L’année judiciaire dernière, 378 376 recours ont été introduits auprès des tribunals : en ligne <https://data.justice.gov.uk/courts/tribunals#table-tab-courts-tribunals-receipts-overall>, consulté le 02/05/2025. Return to text

2 C’est l’objectif prioritaire de la procédure civile en Angleterre : en ligne <https://www.justice.gov.uk/courts/procedure-rules/civil/rules/part01>, consulté le 02/05/2025. Return to text

3 Cette définition descriptive est inspirée de de L. Boulle et M. Nesic, Mediation: principles, process, practice, London/Dublin/Edinburgh, Butterworths, 2001, p. 5. Return to text

4 M. Adler, « Introduction », in M. Adler (dir.), Administrative Justice in Context, Oxford/Portland, Hart Publishing, 2010. Return to text

5 J. Mashaw était l’un des premiers à conceptualiser la justice administrative de cette manière : J. Mashaw, Bureaucratic Justice: Managing social security disability claims, New Haven, Yale University Press, 1983. Return to text

6 Voir, par exemple, R. Thomas, Administrative Law in Action: Immigration administration, Oxford/New York, Hart Publishing, 2022 ; N. O’Brien, Politics and administrative justice,, Bristol, Bristol University Press, 2023. Return to text

7 Voir la définition figurant à l’annexe 7 de l’article 13 § 4 de du Tribunal, Courts and Enforcement Act de 2007. Return to text

8 R. Thomas, « Administrative Justice, Better Decisions, and Organisational Learning », Public Law, 2015, p. 111. Return to text

9 Voir C. Harlow et R. Rawlings, Law and administration, Cambridge, CUP, 4e éd., 2022, chap. 13. Return to text

10 T. Hickman suggère une fourchette de coût de £ 8 000 à £ 200 000 selon la complexité de la requête et la durée de l’audience et s’offusque à bon droit de l’insuffisance de l’aide juridictionnelle : T. Hickman, « Public Law’s Disgrace », UK Constitutional Law Association blog, 09/02/2017 : en ligne <https://ukconstitutionallaw.org/2017/02/09/tom-hickman-public-laws-disgrace/>, consulté le 02/05/2025. Return to text

11 En ligne <https://www.birminghamsolihull.icb.nhs.uk/contact-us/compliments-concerns-and-complaints>, consulté le 02/05/2025. Return to text

12 En ligne <https://www.uhb.nhs.uk/get-in-touch/give-feedback/make-a-complaint/>, consulté le 20/06/2025. Return to text

13 Cette procédure interne a été introduite par voie réglementaire : Complaints Regulation, 2009. Return to text

14 R. Thomas et J. Tomlinson, « A Different Tale of Judicial Power: Administrative Review as a Problematic Response to the Judicialisation of Tribunals », Public Law, 2019, p. 237. Return to text

15 Voir le State Pension Credit Act, 2002, Sect. 1. Return to text

16 En ligne <https://www.gov.uk/complain-about-hmrc>, consulté le 02/05/2025. Return to text

17 The office of the adjudicator, [en ligne] <https://www.gov.uk/government/organisations/the-adjudicator-s-office>, consulté le 02/05/2025. Return to text

18 Voir l’analyse des procédures de révisions concernant le droit des étrangers par R. Thomas, op. cit., note n° 8. Return to text

19 T. Mullen, « Internal Review Systems and Administrative Justice » in M. Hertogh, R. Kirkham, R. Thomas et J. Tomlinson (dir.), Oxford Handbook of Administrative Justice, Oxford/New York, Oxford University Press, 2021, p. 27. Return to text

20 The Ombudsman Annual report, 2023-2024. Return to text

21 Office of the independent adjudicator, [en ligne] <https://www.oiahe.org.uk>, consulté le 02/05/2025. Return to text

22 Parliamentary Commissioner for Administration Act, 1967. Return to text

23 Le scandale de Crichel Down démontra que certains litiges ne pouvaient pas être résolus par les juridictions. Return to text

24 Le but était aussi de résoudre les litiges administratifs de moindre importance : C. Harlow, « Ombudsmen: hunting lions or swatting flies », in M. Hertogh et R. Kirkham (dir.), Research Handbook on the Ombudsman, Cheltenham, Edward Elgar Publishing, 2018, p. 73. Return to text

25 En ligne <https://www.lgo.org.uk>, consulté le 02/05/2025. Return to text

26 En ligne <https://www.housing-ombudsman.org.uk>, consulté le 02/05/2025. Return to text

27 En ligne <https://ppo.gov.uk>, consulté le 02/05/2025. Return to text

28 Voir le projet de loi : Public Service Ombudsman bill, [en ligne] <https://www.gov.uk/government/publications/draft-public-service-ombudsman-bill>, consulté le 02/05/2025. Return to text

29 Parliamentary and Health Service Ombudsman, [en ligne] <https://www.ombudsman.org.uk>, consulté le 02/05/2025. Return to text

30 En ligne <https://www.ombudsman.org.uk/organisations-we-investigate/complaint-standards>, consulté le 02/05/2025. Return to text

31 R. Thomas, « The English Local Government and Social Care Ombudsman: Systemic Administrative Justice and Bureaucratisation – Part I & Part II », Public Law, 2023, p. 240 et p. 424. Return to text

32 T. Buck, R. Kirkham et B. Thompson (dir.), The Ombudsman enterprise and administrative justice, Routledge, 2011, p. 91. Voir aussi pour l’Ombudsman parlementaire et de la santé publique : A. Abraham, « Making sense of the muddle: the ombudsman and administrative justice 2002-2011 », Journal of Social Welfare and Family Law, 2012, p. 91. Return to text

33 Ce chiffre s’explique par le domaine restreint de son intervention. Il faut aussi tenir compte des 162 000 demandes d’information et d’orientation. Return to text

34 Voir, par exemple, le rapport parlementaire de la Commission de l’administration publique et des affaires constitutionnelles : Parliamentary and Health Service Ombudsman Scrutiny 2022-23, HC 198, p. 9-11. Return to text

35 En ligne <https://www.gov.uk/hmrc-internal-manuals/alternative-dispute-resolution-guidance/adrg01000>, consulté le 02/05/2025. Return to text

36 House of Commons, Public Administration and Constitutional Affairs Committee, Parliamentary and Heath Service Ombudsman Scrutiny 2022-23, Third Report of Session 2023-24, HC 198, 4 mars 2024, p. 11-13. Return to text

37 En ligne <https://www.wired-gov.net/wg/wg-news-1.nsf/54e6de9e0c383719802572b9005141ed/29d6d37f28ba67e6802572ab004b3f0f?OpenDocument>, consulté le 20/06/2025. Return to text

38 Le ministère des transports a produit un guide de la résolution alternative des litiges pour le projet « HS2, la nouvelle ligne de train à grande vitesse », HS2 Alternative Dispute resolution guidance, CS1834, février 2023. Return to text

39 Art. 31(3) de la Senior Courts Act 1981. Return to text

40 Lord of Justice Sales, in R (Glencore Energy) v. HMRC [2017] EWCA Civ. 1716, § 58 : « Le principe selon lequel le recours en Judicial Review sera refusé lorsqu’un autre recours approprié est disponible ne fait aucun doute ». Return to text

41 Lord of Justice Woolf, « Access to Justice », 23/04/1996, [en ligne] <https://webarchive.nationalarchives.gov.uk/ukgwa/20060213223540/http://www.dca.gov.uk/civil/final/contents.htm> consulté le 20/06/2025. Return to text

42 Civil Procedure Act, 1997. Return to text

43 Civil Procedure Rules, 1998. Return to text

44 Pre-Action Protocol, [en ligne] <https://www.justice.gov.uk/courts/procedure-rules/civil/protocol/prot_jrv#alternative>, consulté le 02/05/2025. Return to text

45 Pour aider les parties dans ce choix, le protocole propose la consultation d’un ouvrage de référence : S. Blake, J. Browne et S. Sime, The Jackson ADR Handbook, Oxford, Oxford University Press, 2013. Return to text

46 Cowl & Ors v. Plymouth City Council [2001] EWCA Civ., 1935. Return to text

47 La commission comprenait un président nommé par la Law Society (l’organe professionnel des avoués en Angleterre, qui se distingue du Bar Council, organe professionnel des avocats), un membre représentant les intérêts des résidents et le troisième représentant ceux de la ville. Return to text

48 R v. Devon Health Authority, ex p. Coughlan [2001] QB 213. Return to text

49 Dunnett v. Railtrack Plc [2002] EWCA Civ. 303. Return to text

50 Il n’existe qu’une seule cour d’appel pour tout le territoire de l’Angleterre et du Pays de Galles. Return to text

51 Halsey v. Milton Keynes NHS Trust [2004] EWCA Civ. 576. Return to text

52 James Churchill v. Merthyr Tydfil Borough Council [2023] EWCA Civ. 1416. Return to text

53 Rule n° 28.7(1) (d). Return to text

54 The Civil Procedure (Amendment n. 3), Rules 2024, en vigueur au 01/10/2024. Return to text

55 V. Bondy et M. Sunkin, The dynamics of Judicial Review litigation, Londres,The Public Law Project, 2009. Return to text

56 La procédure de judicial review contrôle l’activité et des décisions de l’administration et des personnes publiques. Return to text

57 V. Bondy, L. Mulcahy, M. Doyle, V. Reid, Mediation and Judicial Review: An empirical Research Study, Londres, The Public Law Project, 2009. Return to text

58 Ce processus de juridictionnalisation a été achevé par l’adoption de la loi Tribunal, Courts and Enforcement de 2007. Elle regroupe la majorité des tribunals en une hiérarchie unique et les rattache aux juridictions ordinaires. Return to text

59 M. Elliot et R. Thomas, « Tribunal justice and proportionate dispute resolution », Cambridge Law Journal, vol. 72, n° 2, 2012, p. 297. Return to text

60 Tribunal pour les besoins éducatifs spéciaux et les handicaps. Return to text

61 Children and Family Act, 2014. Return to text

62 Cette séance d’information est organisée par le prestataire de services qui assure la médiation. Return to text

63 En ligne <https://www.local.gov.uk/parliament/briefings-and-responses/debate-send-provision-house-commons-5-september-2024>, consulté le 02/05/2025. Return to text

64 En ligne <https://www.gov.uk/government/statistics/tribunals-statistics-quarterly-july-to-september-2024/tribunal-statistics-quarterly-july-to-september-2024#annual-special-educational-needs-and-disability-send-statistics>, consulté le 02/05/2025. Return to text

65 Ibid. Return to text

66 J’ai obtenu l’autorisation de la commission éthique des Sciences Humaines et Sociales de l’Université de Birmingham afin d’entreprendre cette étude préliminaire. Titre original : Observing Special Education Needs and Disability mediation: A pilot, ERN-1143, juillet 2023. Return to text

67 Certains parents s’y sont d’ailleurs opposés, mais jamais les représentants des collectivités locales ou des établissements d’enseignement. Return to text

68 Je n’ai observé qu’une médiation où le représentant de l’établissement d’enseignement était absent. Cette absence s’expliquait par les questions soulevées. Return to text

69 SEND Code of Practice, Chapter 1: Principles, janvier 2015. Return to text

70 R. Thomas, « Administrative justice and vulnerable people », Public Law, 2024, p. 235. Return to text

71 Cette expression fait référence à l’idée que toute médiation opère dans un environnement juridique, qui a une influence plus ou moins grande sur le processus de résolution : R. H. Mnookin et L. Korhhauser, « Bargaining in the shadow of the law », Yale Law Journal, vol. 88, 1979, p. 950. Return to text

72 Ces interprétations et directives sont parfois d’une légalité contestable. Return to text

73 V. Bondy et A. Le Sueur Designing redress: A study about designing grievances against public bodies, Londres, The Public Law Project, 2012. Return to text

74 Education Committee (House of Commons), Solving the SEND crisis, évaluation ouverte le 20/12/2024. Return to text

References

Electronic reference

Sophie Boyron, « À la recherche de la médiation « administrative » dans la justice administrative anglaise », Droit Public Comparé [Online], 4 | 2025, Online since 01 juillet 2025, connection on 01 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/droit-public-compare/index.php?id=614

Author

Sophie Boyron

Associate Professor/Maître de conférences en droit, Université de Birmingham

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