Introduction
L'objectif de cet article est d'analyser la place juridique de la médiation intra-juridictionnelle dans le contentieux administratif espagnol1. Avant d’aborder cette question, il est nécessaire d'exposer brièvement les problèmes plus généraux soulevés par la médiation, en tant que mécanisme de résolution des conflits en présence d’une administration publique2.
En Espagne, la principale raison de l'intérêt suscité par la médiation, et plus généralement par les solutions alternatives aux solutions juridictionnelles, réside dans la prise de conscience de l’insuffisance des mécanismes existants, à savoir le recours administratif préalable (sous ses différentes formes, notamment obligatoires et avec des spécificités en matière fiscale) et le recours contentieux. Certes, théoriquement, ces deux voies permettent aux citoyens, qui estiment que leurs droits ou leurs intérêts légitimes ont été lésés par l’action ou l'inactivité de l'Administration, de présenter leurs réclamations et d'obtenir satisfaction si celles-ci sont garanties par une règle de droit. Mais cette protection n’est pas toujours effective3. En effet, les recours administratifs devant l'Administration n’aboutissent pas toujours – ceux-ci sont très rarement accueillis4 – et les recours portés devant des organes distincts de l'Administration (en matière fiscale, devant le Tribunal économique et administratif national ou ses homologues régionaux) sont résolus dans des délais excessifs5. La création récente des cours administratives d'appel compétentes en matière contractuelle6, qui demeurent des organes administratifs en dépit de leur appellation, fait, pour l’instant, exception en présageant d’une expérience positive.
Le processus juridictionnel est, quant à lui, lent7 et coûteux. L'imposition de frais et la condamnation aux dépens pour cause de « défaite objective » (appel intégralement rejeté) limitent l'accès effectif à cette voie8. En conséquence, de nombreux litiges restent de facto sans véritable garantie juridictionnelle, en dépit de l'article 24 de la Constitution consacrant le droit à une protection juridictionnelle effective. Pour toutes ces raisons, le recours aux modes alternatifs de résolution des conflits, et en particulier à la médiation, a acquis une importance particulière.
Qu’entendre alors par médiation en droit espagnol ?
D'une manière générale, la doctrine qualifie la médiation de « méthode » dont l'objet est la recherche d’une solution efficace à certains litiges, et dont la procédure consiste en un dialogue dirigé9. Il s'agit d'une procédure d’« auto-composition » dans laquelle les parties ne délèguent pas la solution de leur conflit à un tiers (arbitre ou juge), malgré la présence d’une tierce personne. Dans le cadre de la médiation, les parties intéressées demeurent maîtresses de leur situation, de leurs intérêts et des solutions ou alternatives envisageables pour surmonter le conflit.
Ainsi, l'article premier de la loi no5/2012 relative à la médiation en matières civile et commerciale dispose que « la médiation est entendue comme un mode de résolution des litiges, quelle que soit sa dénomination, dans lequel deux ou plusieurs parties tentent volontairement de parvenir à un accord par elles-mêmes avec l'intervention d'un médiateur10 ».
De cet ensemble de définitions, on peut extraire une série de critères qui doivent être validés pour reconnaître l'existence d'une médiation en droit espagnol11.
Tout d’abord, la médiation est une procédure ou une méthode visant à résoudre un conflit. Selon le dictionnaire de la Real Academia de la Lengua, « méthode » et « procédure » sont des mots interchangeables. Plus précisément, la méthode désigne une manière d’agir de manière systématique et organisée afin d'obtenir un résultat ; la procédure est une méthode juridique consistant en l'action ordonnée au travers d’étapes successives afin d'émettre une résolution. Dans ce contexte, l’accord entre les parties est une issue possible à la médiation, mais celle-ci peut aussi se terminer sans accord.
Ensuite, la médiation est une formule d’« auto-composition » de résolution des litiges touchant aux droits subjectifs. Elle est donc volontaire pour les parties. Certes, il peut être convenu de se soumettre à la médiation en tant qu'étape préliminaire et, dans ce cas, elle sera obligatoire avant l'arbitrage ou la procédure juridictionnelle. Mais les parties peuvent abandonner la médiation à tout moment. De même, la participation à une réunion d’information peut être imposée, mais en aucun cas la médiation elle-même12. Enfin, la médiation doit respecter l'égalité des parties : elles doivent avoir la possibilité de participer pleinement et sur un pied d'égalité au processus.
Quant au médiateur, il doit être impartial. Si la médiation est institutionnelle, l'organe de médiation ne peut être lié à l'administration impliquée dans le processus de négociation. De plus, le médiateur ne doit pas s'immiscer dans les négociations des parties (neutralité). Le résultat de la médiation doit être le fruit de la collaboration des parties. Le point de vue du médiateur ne doit pas conditionner le contenu des accords. De même, le médiateur et les parties ne peuvent pas divulguer les informations obtenues au cours de la procédure de médiation (confidentialité).
Par ailleurs, la procédure de médiation doit être rapide et, en tout état de cause, ne doit pas excéder un délai raisonnable, qui est généralement fixé à trois mois.
En dernier lieu, rappelons que l'accord conclu lie les parties et possède la valeur d'un contrat. Il peut être aussi converti en titre exécutoire.
Une fois défini, il convient de replacer le processus de médiation dans un contexte d’analyse plus général.
Comme mentionné précédemment, la résolution des conflits en droit administratif espagnol relève, en premier lieu, de l'Administration elle-même, par l’intermédiaire des recours administratifs ; en second et dernier lieu, le recours s’effectue devant une chambre spécialisée du Tribunal suprême, à savoir la section du contentieux administratif (sala de lo Contencioso-Administrativo).
Plus généralement, on peut distinguer deux moyens de résoudre les conflits qui peuvent surgir entre l'Administration et les citoyens. D’une part, l'auto-composition. Il s'agit de trouver une solution au travers d’un accord amiable entre les parties. Il n'y a alors pas de « gagnant ». C’est le cas de la conciliation et de la médiation. Dans le cadre de la médiation, nous noterons la distinction entre la médiation extra-juridictionnelle et la médiation intra-juridictionnelle. D’autre part, l'hétéro-composition. La décision du conflit est remise entre les mains d'un tiers, et il y a bien un « gagnant » et un « perdant ». Il s’agit de l’arbitrage, du recours administratif auprès d'organes internes ou indépendants et du recours juridictionnel.
La médiation, moyen d’auto-composition, ne cherche pas à corriger les irrégularités juridiques, mais à rechercher l'application de la règle qui satisfait le mieux les parties dans une situation de conflit. Elle ne peut certes pas conduire à une décision contraire à la loi, mais son objectif principal n'est pas d’aboutir à une application correcte de cette dernière. Il s’agit d’essayer de parvenir à un accord entre les parties opposées dans le cadre juridique applicable.
C'est là que résident sa spécificité et la difficulté de son application aux relations régies par le droit administratif, puisque l'administration doit agir dans un but premier d'intérêt général tout en respectant le principe de légalité. Par conséquent, la défense de la médiation dans ce domaine doit se fonder sur la prise de conscience que la conclusion d'un accord avec les citoyens concernés est un bon moyen de résoudre un conflit et, en même temps, de parvenir à la meilleure satisfaction de l'intérêt général.
Face à cette difficile reconnaissance juridique d’une possibilité de médiation avec une administration publique (1), la loi espagnole demeure timide et ambiguë (2) ; un vide que les juges et d’autres acteurs-clefs tendent de combler (3).
1. La difficile reconnaissance juridique d’une possibilité de médiation avec une administration publique
1.1 Contexte général d’analyse
Après avoir précisé le sens du concept et la justification de la médiation pour les relations entre les citoyens et les administrations publiques, il semble nécessaire de différencier trois manières possibles de l’utiliser13. Tout d’abord, la médiation peut viser à coproduire des normes juridiques et, ainsi, à réduire les risques de conflits postérieurs. Ensuite, la médiation peut être utilisée comme mécanisme extra-juridictionnel visant à résoudre un conflit. Enfin, celle-ci peut être intra-juridictionnelle14 (mediación intrajudicial).
Les deux premiers cas sont des formes de médiation intra-administrative. Dans le premier, la médiation est mise en place lorsque le système administratif permet de s’accorder sur le contenu de l'acte avec les personnes directement concernées, ce qui signifie qu'un éventuel litige peut être évité, en cas d’accord. Celui-ci doit impliquer la participation d'un médiateur et pour cette raison, ce cas se distingue de la transaction. En effet, la transaction, quant à elle, est un contrat régi par les articles 1809 et suivants du Code civil par lequel les parties, chacune concédant, permettant ou renonçant à quelque chose, évitent un procès ou mettent fin à celui-ci. Ici, l'administration conserve sa position prééminente dans le processus décisionnel, mais cherche à connaître l'avis des parties concernées afin de définir, avec le plus d'informations possible, l'intérêt général, au travers d’un accord15.
Dans le second cas, la médiation tend à résoudre un conflit causé par l'action ou l'inaction de l'administration. Dans ce contexte, les parties au conflit se retrouvent dans une position inégale. En effet, l'Administration est protégée par le privilège du préalable et la force exécutoire de ses décisions, mais elle doit se conformer au droit et ne dispose pas d’une pleine liberté de conclure un accord. À titre d’exemple, l’Administration dispose du pouvoir d’exiger le paiement d’un impôt. Le particulier peut alors proposer différentes alternatives pour procéder au paiement. Toutefois, l'Administration ne pourra accepter que les formulaires prévus par la loi.
Le recours à la médiation est donc particulièrement complexe dans le cas d'un conflit régi par le droit administratif, en raison de la position singulière de l'Administration, qui rend difficile l'application de ce mécanisme juridique, tel qu'il a été conçu et réglementé pour résoudre les conflits entre personnes privées.
À cet égard, il convient de noter que l'exposé des motifs de la loi précitée no 5/2012 sur la médiation en matières civile et commerciale indique que « le deuxième axe de la médiation réside dans la dépénalisation ou l’atténuation du rôle central de la loi au profit d'un dispositif qui régit, de manière égale, les relations qui font l'objet du conflit ». Les personnes privées, habilitées par ce dispositif, peuvent se mettre d'accord sur tout ce qui n'est pas contraire à la loi et qui entre dans le cadre des droits dont elles disposent. Elles peuvent donc rechercher un accord par l'intermédiaire d'un médiateur, sans aucune autre limite que celle du caractère disponible du droit négocié.
Ce qui est dit dans l'exposé des motifs susmentionné n'est pas applicable à l'Administration. En effet, dans l'activité de l'Administration, le rôle central de la loi ou de la règle ne peut être effacé au profit d’un accord de volontés tendant à résoudre un conflit donné. Les personnes privées peuvent convenir de mettre fin à un différend contractuel en établissant librement la contribution de chaque partie. L'Administration n'a pas cette liberté. Elle doit avant tout s’assurer de la satisfaction de l’intérêt général et du bon usage des fonds publics.
Le recours à des formules d’auto-composition pour les conflits présente donc une première limite majeure lorsque l'une des parties est une administration. La soumission de l'Administration aux règles d'attribution des pouvoirs réduit considérablement la capacité d'en moduler l'application afin de parvenir à une solution concertée.
De plus, le recours à la médiation dépend en tout état de cause de la volonté des parties. Par conséquent, pour que les parties décident de recourir à la médiation, elles doivent comprendre que cette procédure alternative aux procédures juridictionnelles leur offre des avantages significatifs. Ces avantages peuvent être liés à la solution finale du conflit (participation à l'élaboration de la décision finale, offre de renonciations en échange d'une compensation qui peut être plus pertinente sur le plan personnel, modulation de la rigueur de la règle d'application adaptée au cas particulier, etc.), mais aussi à la procédure de conclusion de l'accord (plus rapide, moins coûteuse).
Mais ce qui est certain, c'est que la culture administrative majoritaire en Espagne reste celle de la stricte soumission aux dispositions de la règle, ainsi qu'à la présomption de validité de l'acte adopté en application du droit. Il n'est donc pas nécessaire, pour l’Administration, de négocier.
Toutefois, la doctrine soutient de manière croissante l’intérêt de la médiation dans les conflits relevant du droit administratif16. En particulier, des efforts sont faits pour promouvoir l'utilisation de la médiation dans le cadre de la procédure juridictionnelle, médiation intra-juridictionnelle qui est l’objet principal de cet article.
1.2. Le cas de la médiation intra-juridictionnelle en droit administratif espagnol
De manière générale, la médiation intra-juridictionnelle n'est pas, à proprement parler, une alternative. En effet, « ce mode de résolution des conflits n'est pas un moyen de réduire le volume des litiges devant la juridiction administrative17 » car le problème est déjà « judiciarisé ». Ainsi, cette médiation, qui se déroule dans le cadre du processus juridictionnel, ne dispense pas les juges et les tribunaux de mener à bien le processus puis, le cas échéant, d'homologuer l'accord auquel sont parvenues les parties ou, en l'absence d'accord, de reprendre le cours de l’instance. Et, en dernier ressort, de faire respecter l'accord s'il n'est pas exécuté.
La médiation intra-juridictionnelle est donc une manière différente de mettre fin à un conflit, ou encore une alternative à sa résolution traditionnelle au travers d’une décision de justice. Sa raison d'être est de parvenir à une meilleure décision, c’est-à-dire à une résolution du litige qui prenne en considération les raisons de la persistance du conflit. Elle vise ainsi à l'obtention de la meilleure solution possible pour toutes les parties, dans le respect de la loi. Elle sert également à résoudre des affaires complexes, dans lesquelles il faut parfois tenir compte de questions techniques ou économiques au sujet desquelles les juges et les tribunaux n'ont pas de connaissances suffisantes18. Cette médiation implique, en outre, que l’homologation de l’accord ne puisse pas être contestée devant les juridictions supérieures.
Par conséquent, la médiation intra-juridictionnelle doit être clairement différenciée de la médiation intra-administrative19. Il s'agit d'une médiation caractérisée par le fait qu'elle se déroule dans le cadre d'une procédure juridictionnelle en cours et qu'elle est initiée par le juge ou la juridiction qui doit résoudre le litige.
Enfin, il convient de noter que les parties au conflit peuvent parvenir à un accord en dehors de la procédure juridictionnelle20. Dans ce cas, le processus peut être interrompu par le simple retrait des parties.
2. La consécration timide de la médiation intra-juridictionnelle dans la Loi relative à la juridiction administrative
2.1. L’ambiguïté de la consécration du processus de médiation
La médiation intra-juridictionnelle est spécifiquement réglementée, bien que très brièvement, dans la loi no 29/1998 du 13 juillet 1998 relative à la juridiction administrative. Selon son article 77 :
« 1. En première instance ou en dernier ressort, le juge ou le tribunal peut, d'office ou à la demande d'une partie, après le dépôt de la requête et du mémoire en défense, soumettre à l'examen des parties la reconnaissance de faits ou de documents et la possibilité de parvenir à un accord afin de mettre fin au litige, lorsque l'affaire porte sur des points susceptibles d'être résolus et, en particulier, lorsqu'il s'agit de l'évaluation d'une somme d'argent. Les représentants des autorités publiques défenderesses devront obtenir l'autorisation appropriée pour signer la transaction, conformément aux règles en vigueur.
2. La tentative de conciliation ne suspend le cours de la procédure qu'à la demande de toutes les parties et peut avoir lieu à tout moment avant le jour où l'affaire est déclarée close par un jugement.
3. Si les parties parviennent à un accord mettant fin au litige, le juge ou le tribunal rend une ordonnance déclarant la clôture de la procédure, à condition que ce qui a été convenu ne soit pas manifestement contraire à l'ordre juridique ou préjudiciable à l'intérêt public ou à des tiers.
4. En tout état de cause, les actions prévues dans le présent article peuvent être effectuées par voie électronique. »
Ce bref dispositif appelle quelques commentaires critiques21. Tout d’abord, il convient de souligner le manque de rigueur de sa formulation : l’article ne se réfère pas expressément à la médiation, mais à la « tentative de conciliation » et limite le champ d'application de l'accord aux cas dans lesquels la « transaction » est possible. Or, comme déjà mentionné, la transaction se distingue de la médiation qui, elle-même, ne se confond pas avec la conciliation, qui est une procédure d'auto-composition dans laquelle le médiateur propose une solution au conflit de manière proactive22. Cependant, la doctrine ainsi que les juges espagnols se réfèrent fréquemment à l'article susmentionné lorsqu’ils évoquent la médiation administrative intra-juridictionnelle. Par conséquent, nous analyserons cette disposition en considérant qu’elle confère à cette dernière un fondement juridique.
Dans ce cadre, il convient de noter les spécificités notoires de la sphère administrative par rapport à la sphère civile et commerciale23. Ainsi, cette dernière est régie, en règle générale, par le principe du libre arbitre, qui permet la création, la modification et la cessation des relations juridiques privées. Les parties peuvent également décider librement de la manière de résoudre – par voie judiciaire ou par des moyens alternatifs au système judiciaire, tels que la médiation ou l'arbitrage – les conflits qu'elles peuvent avoir au sujet de leurs propres intérêts privés. Il est clair que ce principe de libre disposition est beaucoup plus limité en droit public, qui a pour principe directeur la légalité.
Toutefois, l'exposé des motifs de la loi no 5/2012 précise que « les exclusions prévues par cette loi ne visent pas à limiter la médiation dans les domaines auxquels elles se réfèrent, mais à réserver leur réglementation à des règles sectorielles24 ». Il ressort de cette affirmation que l'intention du législateur, en excluant certaines matières de son champ d'application, n'est pas de refuser l'introduction de la médiation intra-juridictionnelle dans le domaine administratif, mais d’appeler à une réglementation ad hoc.
L'article 77 ici analysé prévoit alors que la médiation peut être introduite dans les procédures en première ou en dernière instance. Cette limitation peut être discutée : nous pensons en effet qu'il est également justifié que la médiation puisse être introduite au stade de l'appel25.
En ce qui concerne le moment où la médiation peut avoir lieu, l'article 77, dans son premier paragraphe, établit que le juge ou le tribunal peut renvoyer le procès à la médiation une fois que la demande et la défense ont été déposées. Le deuxième paragraphe précise que la tentative de conciliation peut avoir lieu à tout moment, avant le jour où l'affaire est déclarée close pour jugement. La règle n'est pas très précise, mais on peut en déduire que la saisine doit avoir lieu après les mémoires en demande et en défense, et en tout état de cause avant que le jour de la délibération et du jugement ne soit fixé.
Cette disposition a toutefois généré un doute : la médiation peut-elle avoir lieu après le prononcé d'un jugement, lorsque l’exécution de ce dernier pose problème ? Le doute a été résorbé dans une importante ordonnance du Tribunal supérieur de Galice datant du 8 février 201926. Celui-ci a en effet accepté la mise en place d’une médiation dans le but de parvenir à l'exécution d'une décision de justice tendant à la démolition d'un bâtiment, décision qui n'avait pas été exécutée depuis vingt ans. L'ordonnance du Tribunal, dont le contenu exhaustif est très intéressant et qui contient deux opinions dissidentes, affirme la possibilité générale de résoudre un problème d'exécution d’une décision de justice par la voie de la médiation, et souligne l'opportunité de ce processus dans ce cadre spécifique. À cet égard, il est intéressant de reproduire un passage de l'ordonnance :
« Il convient de distinguer l'institution de la médiation intra-juridictionnelle de son utilisation dans le cadre de l'exécution des jugements, puisque, contrairement à d'autres actes juridiques, tels que les accords, les pactes, ou les actions de renonciation, la médiation intra-juridictionnelle, comme son nom l'indique, est une procédure qui se déroule dans le cadre de la procédure juridictionnelle et qui est encadrée dès le départ par le juge ou le tribunal, et initiée soit d'office, soit à la demande de toutes les parties ou de l'une d'entre elles, comme c'est le cas en l'espèce. C'est ainsi que la deuxième section de ce tribunal, compte tenu de l'état d'exécution de la sentence et du nombre d'années qui se sont écoulées depuis son prononcé (presque 18) et depuis le début du processus (22), sans parvenir à aucun résultat, a décidé, à la demande de la mairie de La Corogne, d'engager ladite procédure de médiation intra-juridictionnelle. »
L'ordonnance précise également que l'accord de médiation ne consiste pas à porter atteinte au contenu du jugement, mais à déterminer la forme de son exécution27. Ainsi,
« les accords de médiation adoptés par les parties, dans les termes énoncés dans le troisième considérant de la présente décision, ne sont pas manifestement contraires à l'ordre juridique, ni préjudiciables à l'intérêt public ou à des tiers […] ; par conséquent, aucune raison ne justifie la poursuite de la procédure, et celle-ci est déclarée close, étant donné que l’accord conclu y met fin. »
Depuis cette ordonnance, il est généralement admis qu'il est possible de soumettre les conflits relatifs à l'exécution des décisions de justice à médiation. La médiation intra-juridictionnelle trouverait même une application particulière dans ces cas.
Par ailleurs, le troisième alinéa de l'article 77 dispose que
« si les parties parviennent à un accord qui entraîne la disparition du litige, le juge ou le tribunal rend une ordonnance constatant l'extinction de l'instance, à condition que ce qui a été convenu ne soit pas manifestement contraire à l'ordre juridique ou préjudiciable à l'intérêt public ou à des tiers. »
Ainsi, la décision finale revient au juge ou au tribunal, qui doit homologuer l'accord au travers d’une ordonnance (auto). Cependant, compte tenu de la brièveté de la disposition juridique, de nombreuses questions restent en suspens28… Le juge est-il tenu d’accepter l'accord ? À l’inverse, pour quels motifs peut-il le rejeter ? Comment interpréter la mention légale selon laquelle l'accord soumis au juge est « manifestement contraire à l'ordre juridique ou préjudiciable à l'intérêt public ou aux tiers » ? L'accord doit-il être converti en jugement pour lui conférer une force exécutoire ?
En ce qui concerne les parties, l'article 77 prévoit que le juge ou la juridiction puissent soumettre à leur appréciation une reconnaissance de faits ou de documents ainsi que la possibilité de parvenir à un accord pour mettre fin au litige. Cette référence aux « parties » peut paraître limitée et doit donc être comprise au sens large. En effet, le requérant et l'Administration ne doivent pas être les seuls concernés. Les tiers ou « codemandeurs » doivent également être impliqués, car leurs intérêts peuvent ne pas coïncider avec ceux de l'Administration. À titre d’exemple, s'il existe un ordre de démolition d'un immeuble, l'accord éventuel sur la manière de procéder à cette démolition ou y renoncer, affecte le propriétaire et l'Administration, mais aussi les tiers propriétaires ou locataires des appartements du bâtiment.
Plus précisément s’agissant de l'administration, le même article précise que « les représentants des administrations publiques défenderesses devront obtenir l'autorisation appropriée pour élaborer une transaction, conformément aux règles régissant la disposition de l'action par eux ».
Les matières visées et pouvant faire l'objet d'un accord entre les parties dans le cadre d'une procédure juridictionnelle sont également loin d’être précises. L'article 77 se contente d'indiquer qu'il peut être recouru à la médiation « lorsque le procès porte sur des matières susceptibles d'être résolues et, notamment, lorsqu'il s'agit de l'évaluation d'une somme d'argent ».
Cette référence juridique très large soulève de nombreux doutes. C'est pourquoi les protocoles et guides approuvés dans le cadre de certaines communautés autonomes (régions espagnoles) pour promouvoir la médiation intra-juridictionnelle en droit administratif abordent cette question et proposent des listes de matières pouvant faire l'objet d'une médiation.
Comme déjà mentionné, il est entendu que l'Administration, lorsqu'elle recourt à la médiation, est soumise au principe de légalité et qu'elle se trouve dans une situation différente de celle des particuliers. En tout état de cause, les actes d'autorité ne sont donc pas susceptibles de faire l’objet d’une médiation, alors que l'estimation d’un montant et, plus largement, les sujets faisant l’objet d'un large pouvoir discrétionnaire, peuvent relever de cette procédure.
À titre d'exemple, selon le Protocole d'action du projet pilote de médiation dans le cadre du contentieux administratif rédigé par la Cour d'arbitrage et de médiation de la Chambre de commerce de Valence :
« Sous réserve des exceptions et conditions énoncées ci-dessus, les conflits qui pourraient a priori faire l'objet d'une médiation intra-juridictionnelle seraient les suivants :
– […] la fixation du montant de l'indemnisation, de la compensation, des indemnités […].
– La législation en matière d'urbanisme, d'environnement et d'aménagement du territoire, ainsi que la spécification de grandeurs, de paramètres et de normes dans le cadre de l'application de cette législation. Les activités gênantes, malsaines, nocives, nuisibles et dangereuses.
– L'inactivité de l'administration, la voie de fait et le silence administratif.
– L'exécution des mesures relevant du pouvoir disciplinaire et de sanction de l'administration.
– […] La fonction publique.
– Certaines questions relevant des contrats administratifs et, en particulier, les demandes de paiement de sommes et d'intérêts de retard.
– Le recouvrement forcé d'impôts ou de recettes de droit public lorsque le débiteur a été déclaré en faillite. »
2.2. Le flou entourant l'exécution de l'accord
Selon l'article 113 de la loi précitée no 29/1998, « une fois écoulé le délai d'exécution fixé par l'accord visé à l'article 77.3, toute partie peut en demander l'exécution forcée. Si aucun délai n'a été fixé par l’accord, le créancier peut exiger de l'autre partie qu'elle l’exécute et, suite à un délai deux mois, il peut être procédé à son exécution forcée ».
Au travers de cet article, la loi vise à donner force exécutoire à l'accord qui est « assimilé » à un jugement : les règles régissant l'exécution des jugements lui sont donc applicables.
Une interprétation de cet article a récemment été proposée par le Tribunal suprême espagnol, dans un arrêt datant du 27 février 202429. Les faits qui ont conduit à l'arrêt sont les suivants. À la suite de l'adoption d'un accord transactionnel en matière d'urbanisme, qui avait été homologué par le juge, la personne privée a invoqué l'article 113 de la loi précitée, dans le but d'amener l'Administration à mettre en œuvre l'accord. Selon la personne privée, l'Administration devait procéder à l'approbation d'un plan d'urbanisme. Le Tribunal supérieur de justice des Baléares a alors confirmé la mesure d'exécution et a ordonné à l'administration d'exécuter l'accord. L'Administration s'est pourvue en cassation, devant le Tribunal suprême en soutenant que l'article 87 de la loi précitée n'admet le pourvoi en cassation contre les ordonnances rendues qu’« en exécution d'un jugement », à l’exclusion des ordonnances rendues suite à un accord transactionnel.
L'arrêt précité rejette alors le pourvoi, en considérant que l'ordonnance d'homologation de la transaction peut être assimilée à une ordonnance de jugement. Selon le juge,
« bien que la transaction judiciaire ait un substrat consensuel ou négociable (art. 1809 CC), son approbation ou son homologation judiciaire lui confère un caractère procédural en tant qu'acte mettant fin au contentieux (art. 77.3 LJCA), doté de l'autorité de la chose jugée et ayant pour effet de rendre possible son exécution comme s'il s'agissait d'un jugement (art. 1816 CC, art. 415.2 LEC et art. 113 LJCA). »
Cette disposition établit une distinction claire entre une décision administrative et une décision de justice. Si l'accord est conclu dans le cadre de la procédure juridictionnelle et approuvé par le juge ou le tribunal, il peut être exécuté comme s'il s'agissait d'un jugement. En d’autres termes, la transaction homologuée par le juge est une forme de « fin anormale » de la procédure juridictionnelle qui, en vertu de cette homologation, peut être exécutée par le biais de l'exécution des jugements.
3. Magistrats administratifs et experts de la médiation : les acteurs-clés du développement de la médiation intra-juridictionnelle en Espagne
Du fait de l'absence d'un cadre juridique clair et précis sur le recours à la médiation intra-juridictionnelle, son développement est principalement dû à l'impulsion des juges et des magistrats administratifs eux-mêmes, avec la collaboration des associations professionnelles d'avocats et des fondations intéressées par cette question.
Dans le cadre de cet ensemble d'activités, il convient de mettre en exergue le Protocole élaboré par le Groupe d'experts de la juridiction administrative, promu par la Fondation Valsaín et approuvé par l'Assemblée plénière du Conseil général du pouvoir judiciaire le 26 juin 2011. Celui-ci justifie tout d'abord la nécessité de faire progresser la médiation intra-juridictionnelle en ces termes :
« La médiation constitue un élément de dynamisation de l'activité des tribunaux administratifs, en ce qu’elle facilite leur tâche de résolution satisfaisante des litiges entre les citoyens et les administrations publiques, par des formules procédurales basées sur l'autonomie des parties et fondées sur l'harmonie sociale. Elle constitue aussi un instrument de modernisation de l'administration de la justice, dans la mesure où l'établissement de procédures alternatives à la voie juridictionnelle classique, qui génèrent un moindre coût, peut contribuer à atténuer l’engorgement des juridictions administratives. »
Conformément à la définition communément admise et précitée, l’article premier de ce Protocole définit alors la médiation intra-juridictionnelle de « mode alternatif de résolution des conflits, complémentaire à l'administration de la justice, dans lequel deux ou plusieurs parties légitimes tentent volontairement, au cours d’un procès, de parvenir à un accord par elles-mêmes, sur la base d'une proposition élaborée par un tiers médiateur ». Il est ensuite question des principes directeurs de la médiation intra-juridictionnelle, du statut du médiateur, de la procédure de médiation et de l'exécution de l'accord.
Il convient également de signaler le Protocole relatif au projet pilote de médiations juridictionnelle et administrative élaboré par la cour d'arbitrage et de médiation de la chambre de commerce, la présidence de la chambre du contentieux administratif du Tribunal supérieur de justice de Valence et le Conseil général du pouvoir judiciaire espagnol. C'est dans ce même but qu'ont été approuvés le Guide méthodologique sur la médiation dans les tribunaux administratifs élaboré par le département de la Justice du Gouvernement catalan (Generalitat de Catalunya) et le Guide de questions-réponses sur la médiation et les administrations publiques rédigé par l’ordre des avocats de Madrid en 2020.
Enfin, il convient de mentionner l'ouvrage publié récemment par la section espagnole du Groupement Européen des Magistrats pour la Médiation (GEMME-Espagne) et intitulé « Médiation avec les administrations publiques », qui rend compte de quelques expériences tout en formulant des propositions pour son développement30. Outre les protocoles, guides et travaux en la matière, il est effectivement intéressant de se référer aux expériences menées dans différents tribunaux administratifs espagnols, tels que ceux de Barcelone, Burgos, Madrid, Murcie et Valladolid, qui sont décrites dans cet ouvrage.
Cet ensemble de documents encadrant la médiation intra-juridictionnelle offre un cadre de référence complet et utile pour les juges et les magistrats qui décident de recourir à la médiation en vertu des dispositions génériques de la loi no 29/1998 précitée. La pratique se met donc en place, mais reste très limitée. Ainsi, en 2022, les juges administratifs ont transféré seulement 221 affaires en vue d’une médiation : sur 190 séances d'information organisées, 72 médiations ont été entamées (dont 24 accords conclus et 31 médiations encore en cours31). Comme on peut le constater, ces chiffres sont très bas.
Conclusion
La médiation intra-juridictionnelle, en tant que mode de résolution d'un conflit relevant du droit administratif dans le cadre d'une procédure juridictionnelle, avec l'intervention d'un médiateur, est un moyen qui peut s'avérer très utile pour résoudre certains conflits entre l'Administration et les particuliers, ainsi qu'entre administrations32.
Dans le système juridique espagnol, cette médiation est très peu encadrée malgré l’existence des articles 77 et 113 de la Loi relative à la juridiction administrative. Cependant, les protocoles et les lignes directrices approuvés, avec l'intervention de représentants du pouvoir juridictionnel, et les expériences menées dans différents tribunaux administratifs, nous permettent d'espérer une utilisation croissante de cette méthode permettant d’aboutir à une décision plus rapide et plus conforme aux intérêts des parties.
Il est vrai que la culture de la médiation fait défaut dans les administrations publiques et dans une partie du pouvoir juridictionnel espagnols. Disposant d’un pouvoir lui permettant d'adopter une décision et d'en imposer le contenu, l'Administration n'a aucun intérêt à négocier. En définissant l'intérêt général, au besoin en écoutant les parties intéressées, celle-ci impose sa décision en la motivant, sans savoir besoin d’un médiateur. D'autre part, le principe de légalité et l'interprétation stricte du droit positif rendent difficile l'ouverture d'espaces de négociation. Une fois le conflit traité dans un cadre juridictionnel, l'Administration se sent d’autant plus légitime à défendre sa position.
Cependant, la culture de la médiation doit, à notre sens, se développer, car le recours à la médiation permet de raccourcir les délais des procédures juridictionnelles, d'obtenir des résolutions plus conformes aux différents intérêts en jeu dans le cadre juridique applicable, et de contribuer à ce que le pouvoir juridictionnel résolve des litiges dans lesquels les questions juridiques ne sont pas déterminantes. La présence d'un expert externe, qui sert de médiateur entre les parties et permet de parvenir à un accord soumis au juge en vue d’une homologation, devrait ainsi être une pratique plus répandue auprès des administrés.
La médiation intra-juridictionnelle offre un autre avantage, certes moins connu, à l'Administration. En effet, ces dernières années, suite aux affaires de corruption et face à la pression des médias et au travail des différents organes de contrôle interne et externe des administrations, tels que le Parquet et les offices de lutte contre la fraude, les fonctionnaires sont plutôt réticents à négocier et, plus largement, à signer des accords devenus « suspects ». Mais si l'accord est conclu dans le cadre d'une procédure juridictionnelle et homologué par un juge, il est fort à penser que cette crainte s’estompera. Loin d’amoindrir leur autorité, la médiation intra-juridictionnelle renforce ainsi les administrations publiques.