Introduction

Médiation et justice administrative

Texte

À l’origine de ce dossier, un constat réjouissant : la doctrine juridique se saisit peu à peu de la médiation administrative et de son rapport avec les juridictions. Car si la juridictionnalisation de ce processus semblait se cantonner, dans la plupart des pays, au droit civil, au droit de la consommation ou encore au droit de la famille, elle concerne désormais aussi les conflits avec une administration publique, de manière certes nuancée selon les pays. La perspective comparatiste est donc particulièrement rare, voire inédite en la matière.

Ces constats expliquent sans doute le nombre important de propositions reçues à l’issue de l’appel à contribution. Sélectionnées au terme d’une procédure ayant mobilisé une quinzaine d’évaluateurs anonymes de différents pays, les six contributions retenues illustrent l’heureuse diversité des cultures juridiques au travers d’un thème novateur. Leur compilation permet, en outre, de mettre en exergue deux fonctions particulièrement stimulantes du droit comparé.

La première est d’ordre conceptuel. On peut certes s’accorder à envisager globalement la médiation comme un processus ternaire impliquant un tiers neutre et impartial, qui amène les personnes concernées à trouver elles-mêmes – contrairement à la conciliation – une solution à leur conflit (ici, impliquant une administration publique). Mais la culture juridique influe sur la manière de concevoir de telles procédures.

À titre d’illustration, la plume aiguisée de Joaquín Tornos Mas souligne l’ambiguïté de la loi espagnole de 1998 relative à la juridiction administrative. Unanimement considérée par la doctrine de ce pays comme le fondement juridique de la médiation administrative dans le cadre juridictionnel, celle-ci n’en fait pourtant pas mention. De manière générale, malgré l’absence de loi nationale consacrant la possibilité de médiation avec une administration publique, ce processus est régulièrement mis en œuvre, non pas pour « éviter » le juge, mais précisément afin d’exécuter ses décisions.

Le contexte culturel est tout aussi prégnant dans l’analyse de Sophie Boyron, qui invite le lecteur à se garder de tout stéréotype ou conclusion hâtive. En effet, alors même que la tradition anglaise des tribunals et la fameuse catégorie des « Alternative Dispute Resolution » pouvaient laisser penser que la médiation gagnerait aisément le terrain de la justice administrative anglaise, l’autrice montre qu’il n’en est rien, illustrant du même coup l’intérêt d’enquêtes de terrain sectorielles pour déceler l’approche que l’on se fait du phénomène étudié en droit anglais.

Dans cette lignée, existe-t-il une « conception européenne » de la médiation administrative ? Audacieuse, cette question est en filigrane de l’étude de Luca de Lucia, qui décortique les quelques procédures existantes en cas de conflit avec une administration européenne, en dehors du rôle du Médiateur européen ayant déjà fait l’objet de nombreuses études. Source de données rares, cet article amène, de surcroît, à ne pas cantonner le droit de l’Union au contexte d’analyses comparatives, ou à un cadre unifiant les pratiques de médiation dans divers pays, afin de se saisir pleinement des spécificités du droit administratif européen.

Soulignant le manque de définition légale de la médiation administrative, les contributions de ce numéro illustrent ainsi la diversité des approches possibles de cette notion.

Celles-ci mettent également en lumière une autre fonction du droit comparé, qui touche davantage à la manière d’envisager la recherche « en Droit ».

Offrant une enquête de terrain inédite et particulièrement fouillée du Médiateur de la ville de Kawasaki, Shunsuke Kimura décloisonne les frontières – ailleurs encore parfois étanches… – entre science administrative et droit administratif. Aussi, les données récoltées sous forme de statistiques et de réponses aux entretiens menés permettent d’aboutir, en conclusion, à des enseignements substantiels sur la médiation en droit positif japonais. L’analyse des raisons culturelles et juridiques de l’inexistence d’un Ombudsman national au Japon montre à quel point la comparaison avec un autre système serait intéressante, même en l’absence d’« équivalences évidentes », et aux fins de montrer les limites logiques de la démarche consistant à « ne comparer que ce qui est [en apparence…] comparable ».

En tenant compte de la prégnance de la médiation dans le droit coutumier africain, Téphy-Lewis Edzodzomo Knoumou montre, quant à lui, qu’on ne saurait méthodologiquement mener une étude juridique de la « Médiature de la République » sans se saisir des conditions – selon l’auteur, peu convaincantes – dans lesquelles a été réalisée la transplantation du modèle français du Médiateur de la République au Gabon. Portant sur des procédures rarement étudiées par la doctrine, cet article illustre, par là-même, l’intérêt et les enjeux de la prise en compte de l’histoire dans les études juridiques.

Enfin, Andrés Ospina interroge la place de la prospective dans la recherche en droit. Faisant état des quelques procédures existantes de médiation en droit administratif colombien, notamment en cas de conflit entre autorités administratives nationales, l’auteur s’autorise, sans se restreindre au droit positif, à esquisser ce qu’une éventuelle loi généralisant ces usages sectoriels « pourrait » et « ne pourrait pas faire ». Cette perspective n’élude guère les réticences actuelles à l’égard de la médiation administrative, en l’expliquant en partie par l’histoire colombienne des conflits armés, particulièrement rétive à la médiation internationale.

En somme, l’intérêt de cette compilation ne se résume pas à la récolte de données précieuses, qui alimentent considérablement une littérature internationale encore naissante. L’étude des rapports entre « médiation » et « justice administrative » plonge aussi le lecteur dans l’exploration de cultures juridiques et ouvre le champ des possibles appréhensions de la normativité juridique. À ce titre, il n’apparaît pas inutile de rappeler que dans certaines traditions, la médiation est le moyen principal (et non « alternatif »…) de régler un litige.

Cette diversité nous ramène in fine à l’essentiel : en tant que concept et processus, la médiation existe, sous différentes formes, ici et ailleurs. Les tensions palpables ou avérées du monde actuel lui conféreront sans doute un intérêt particulier. Il en est de même du droit comparé, qui nourrit la curiosité des chercheurs pour l’« Ailleurs ». Par leur richesse et leur originalité, les contributions de ce dossier nous invitent à continuer de s’y aventurer, quels que soient les époques, les risques et les difficultés.

Citer cet article

Référence électronique

Rhita Bousta, « Introduction », Droit Public Comparé [En ligne], 4 | 2025, mis en ligne le 01 juillet 2025, consulté le 01 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/droit-public-compare/index.php?id=712

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Rhita Bousta

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