Introduction
Énormément sollicité et en même temps contesté1, le juge peine actuellement à réaliser son office originel, à savoir : dire le droit et trancher les litiges. Pour l’épauler dans cette tâche, la tendance est à la valorisation des modes alternatifs de règlement des différends, au rang desquels figure la « médiation ». Promu sur les scènes internationale2 et régionale3, cet outil de règlement amiable des conflits semble désormais incontournable tant il favorise la célérité de la justice, le désengorgement des tribunaux et surtout la cohésion sociale4. On conviendra avec Rhita Bousta qu’il constitue moins une alternative à la justice qu’une justice alternative5. Il importe, dans les lignes à venir, de réfléchir sur sa dimension administrativiste à l’aune de l’expérience gabonaise. Avant de souligner l’intérêt de cette orientation scientifique, il convient préalablement de clarifier l’expression « médiation administrative ».
Du latin mediare, la médiation désigne le fait d’« être au milieu ». Appliquée à la matière administrative, la médiation peut s’entendre comme tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, « par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par la juridiction6 ». Élaborée par le législateur français et partagée par la doctrine7, cette acception sera retenue pour la présente étude parce qu’elle renvoie aux deux types de médiation administrative développés au Gabon : la médiation ad hoc et la médiation institutionnelle. La première peut être menée par toute personne supposée indépendante, impartiale, choisie en vertu de ses qualités et compétences. La seconde, quant à elle, est nécessairement menée par une autorité étatique spécialement instituée pour cet office : le Médiateur de la République. Dans les deux cas, ces définitions s’articulent autour de trois grands points : l’intervention inévitable d’un tiers impartial, la volonté des « médiés8 », Administration, administrés et/ou usagers du service public, à diriger eux-mêmes les discussions susceptibles de déboucher sur une issue fructueuse, et l’absence de formalisme tant la médiation n’est pas une procédure mais un processus9. Il ne faut donc pas la confondre avec les autres procédés de règlement amiables de conflits que sont : la conciliation, la négociation et l’arbitrage. S’ils poursuivent tous un même but, le règlement amiable des conflits, les moyens qu’ils mobilisent sont cependant différents. Ainsi l’intervention d’un tiers est-elle passive lors d’une médiation, alors qu’elle est active à l’occasion d’une conciliation et d’un arbitrage. En outre, si le médiateur doit absolument faire montre d’indépendance et d’impartialité, les négociateurs, en revanche, ne sont pas tenus au respect de ces exigences.
Dès lors, réfléchir sur la médiation administrative au Gabon revient à en identifier les formes qui s’y développent tout en appréciant leur portée. Cette orientation scientifique pourrait paraître banale, voire insolite pour diverses raisons. D’abord, le Gabon retiendrait difficilement l’attention de la doctrine administrativiste parce qu’il n’est pas un modèle en matière de justice administrative10, encore moins en matière de démocratie. Puis, la faible démographie gabonaise11 rendrait peu attrayante toute étude portée sur cet état parce qu’elle ne viserait pas un public assez large.
Pourtant, trois arguments permettent de relativiser ces observations et pourraient attester du caractère crucial de cette recherche. D’abord, le choix du Gabon comme centre d’analyse permet de lever une équivoque, celle qui consiste à percevoir l’Afrique noire francophone comme un seul état, alors qu’elle en comporte plusieurs12. En effet, la tendance consistant à opérer une comparaison systématique entre plusieurs états appartenant à cette région peut être trompeuse car elle suppose qu’il y aurait un modèle africain de justice (administrative ou constitutionnelleLaurence Vialaron2025-04-16T09:31:00LV13). Or, à la vérité, il n’existe que des systèmes africains de justice (constitutionnelle ou administrative14), tant aucun État africain ne constitue à ce jour une source d’inspiration pour les autres. Il convient alors d’examiner chacun de ces systèmes, à l’instar de celui du Gabon, afin de mieux cerner leur originalité et leur portée. Ce choix n’exclut pas pour autant des éventuelles incursions dans d’autres systèmes ou modèles juridiques. Ainsi, le recours au droit comparé, surtout sud-africain, béninois et français, occupera une place non négligeable tout au long de nos développements. Cependant, cette comparaison sera sporadique dans la mesure où elle permettra uniquement d’expliquer le phénomène de transplantation de la médiation administrative au Gabon15.
De plus, cette étude est digne d’intérêt parce qu’elle permet de voir comment la médiation administrative, qu’elle soit ad hoc ou institutionnelle, est expérimentée dans le contexte socio-juridico culturel africain, ce, à partir de l’exemple gabonais. À cet effet, elle permet de voir que ce mode de résolution amiable de différend est bien adapté à la logique judiciaire africaine parce qu’il recherche non pas la résolution d’un conflit individualisé mais l’instauration d’une paix sociale. Car, en droit coutumier africain, la justice a pour finalité d’assurer l’harmonie sociale, et non la répression. Ainsi, le recours à cette technique est justifié non seulement par la volonté de désengorger les prétoires des juges et de permettre une célérité de la justice mais aussi, et surtout, par le désir d’assurer la cohésion nationale lors des règlements des différends.
Dès lors, il importe de s’interroger sur la manière dont ces deux techniques de médiation sont expérimentées en droit gabonais. La résolution de cette question permettra indirectement de voir si cette technique permet de contourner ou non les obstacles qui se dressent devant la justice étatique, à savoir : la corruption, l’affaiblissement de l’indépendance et de l’impartialité des juges.
À l’analyse des textes et de la pratique gabonaise, une double tendance se dégage. Il y a d’une part une marginalisation de la médiation ad hoc (1) et, d’autre part, une valorisation de la médiation institutionnelle (2). La première tendance nous paraît paradoxale, tandis que la seconde semble relever d’un mirage.
1. La marginalisation de la médiation ad hoc : un paradoxe
Par médiation ad hoc, il convient d’entendre toute médiation non institutionnelle, c’est-à-dire celle menée par un tiers non institué par l’État. Si cette technique fut prégnante dans toute l’Afrique noire francophone à l’époque précoloniale, force est cependant de constater que son usage s’est amenuisé au fil du temps. Au Gabon particulièrement, elle est timidement consacrée par les textes (1.116). Pourtant, les autres modes de règlement des litiges s’avèrent inadaptés aux mœurs des Gabonais (1.2).
1.1. Une médiation timidement consacrée
Admis implicitement à travers la consécration des autres modes de règlement amiables des différends (1.2.1), le législateur gabonais promeut timidement le recours à la médiation administrative ad hoc. Le silence explicite des textes l’atteste suffisamment (1.1.1).
1.1.1. Le silence explicite des textes
Au Gabon, la médiation administrative non institutionnelle est quasi inexistante. Aucun des principaux textes régissant les rapports entre Administration et administrés ne la consacre expressément. En effet, ni le Code général des impôts17, ni le Code des marchés publics18, ni le statut général de la fonction publique19, ni le Code des juridictions administratives20 ne prévoient cette technique. Pourtant, ces textes ne sont pas muets sur les autres procédés de règlement non juridictionnel des litiges. En guise d’illustrations, les articles P-1104 à 1107 du Code général des impôts reconnaissent la transaction comme mode alternatif de règlement de différends, notamment entre le contribuable et l’administration fiscale21. De même, l’arbitrage est érigé en mode de résolution des conflits dans le domaine des marchés publics, précisément en cas de litige survenu lors de leur exécution22. À la différence de ces deux textes, le statut général de la fonction publique et le Code des juridictions administratives ne font aucune allusion aux modes amiables de résolution des différends.
Cette situation est différente de celle retenue en France. Dans cet état, en effet, la médiation bénéficie d’une assise législative23. En 2011, par exemple, l’ordonnance no 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 2 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale la consacre solennellement. La loi de modernisation de la justice du xxie siècle, en 2016, s’inscrit dans la même tendance. D’ailleurs, en France, la médiation est préalable et obligatoire dans les contentieux sociaux et de la fonction publiqueLaurence Vialaron2025-04-14T15:09:00LV24, ce qui n’est pas encore le cas au Gabon.
L’absence d’allusion explicite à la médiation administrative ad hoc en droit gabonais pourrait alors laisser croire que le législateur l’occulte totalement. Or, ce n’est pas le cas tant elle est subtilement prévue.
1.1.2. L’admission implicite
Si les textes gabonais n’érigent pas expressément la médiation en technique de règlement amiable des litiges, ils n’excluent pas pour autant cette hypothèse. Cette assertion repose sur l’imprécision de certains textes. C’est le cas du décret portant Code des marchés publics qui promeut un règlement pacifique des conflits. Deux dispositions crédibilisent cette déduction. L’article 244 du décret susmentionné est la première. Ce texte dispose que :
« Le titulaire d’un marché public doit préalablement introduire un recours auprès de l’Autorité Contractante. Lorsque ce recours est infructueux, il peut saisir le supérieur hiérarchique de l’Autorité Contractante aux fins de rechercher un règlement amiable aux différends et litiges l’opposant à l’Autorité Contractante en cours d’exécution du marché. »
Autrement dit, lors d’un litige occasionné par l’exécution d’un marché public, le cocontractant du ministère de l’Économie et des Participations25 peut, après l’échec d’un recours administratif préalable et obligatoire, solliciter un règlement amiable. Or, l’expression « règlement amiable » est vague en ce sens qu’elle suppose la possibilité de recourir à tous les mécanismes non juridictionnels de règlement des différends. Par conséquent, en présence d’une telle hypothèse, il est tout à fait loisible au cocontractant de l’administration de solliciter une médiation.
L’article 245 du décret précité, second moyen à l’appui de notre assertion, précise d’ailleurs l’identité de ce potentiel médiateur. Selon ce texte, cette fonction est dévolue à l’Agence de régulation des marchés publics (ARMP). Il s’agit d’une autorité administrative indépendante chargée de la mission de régulation des marchés publics et des délégations de service public26. Ce rôle est aussi octroyé à l’Agence judiciaire de l’État (AJE27). Dans la pratique, ces deux agences préfèrent recourir à la transaction plutôt qu’à la médiation. Il en est ainsi car la transaction leur permet d’échanger directement avec la partie adverse, et donc de contourner les exigences que pourraient imposer l’intervention d’un tiers, le médiateur. Certes, il n’est pas aisé d’accéder aux affaires réglées à l’amiable au Gabon pour des raisons à la fois technique et politique28, néanmoins les documents consultés témoignent d’une récurrence des accords transactionnels en la matière. En 2015, par exemple, l’AJE parvint à mettre un terme au différend qui opposait le Sieur KOMBILA François au Ministère du Budget et des Comptes Publics au moyen d’un protocole transactionnel29. Cette technique fut également utilisée par l’ARMP, en 2018, dans l’affaire Société Nationale des Bois du Gabon (SNBG) c/ Ministère de l’Économie et de la Participation (MEP)30. Cette préférence à la transaction au détriment de la médiation semble incongrue tant cette dernière semble bien adaptée à la logique judiciaire africaine.
1.2. Une médiation pourtant incontournable
L’insuffisante reconnaissance de la médiation en droit positif est paradoxale tant cette technique paraît adaptée aux mœurs des Gabonais (1.2.1), ce qui n’est pas forcément le cas des procédés juridictionnels (1.2.2).
1.2.1. La prégnance de la médiation en droit coutumier
En tant que voie amiable de règlement des différends, la médiation est bien adaptée au contexte africain31. L’affirmer peut, de prime abord, paraître discutable pour deux grandes raisons. Premièrement, la régulation des sociétés africaines se faisait non pas ex nihilo mais à l’aune des règles issues du droit coutumier32. Puis, s’agissant de la médiation qui y était menée lors des « palabres33 » au « corps de garde34 », elle ressemble plus à une conciliation qu’à une médiation contemporaine, qui suppose l’intervention d’un tiers extérieur35, dans la mesure où un notable est placé au cœur de ce processus. En effet, lors des « Palabres », le différend à régler est dirigé de bout en bout par le notable et non par les parties, ce qui en fait plus une conciliation qu’une médiation36.
Pertinentes, ces critiques achoppent cependant sur une réalité : la pérennité du critère finaliste de la fonction de médiation. Cette finalité consiste non pas à promouvoir la dimension répressive de la justice mais son caractère harmonieux. Or, en Afrique, l’essence de la justice reposant essentiellement sur la recherche de la paix sociale, alors la médiation s’y est toujours appliquée. En effet, « depuis l’époque précoloniale, la justice en Afrique est conçue comme une fonction de médiation37 ». Car, son rôle consiste non pas « à régler un litige en fonction de la règle de droit applicable au cas d’espèce mais à préserver l’équilibre de ceux des groupes sociaux impliqués dans le litige38 ». Certes, le droit coutumier y a toujours occupé une place de choix, mais son but n’a pas souvent été d’imposer ou de « dégager, à l’occasion d’un contentieux, une règle clairement explicitée et d’exécution immédiate ». En réalité, il tendait à favoriser la conciliation et, surtout, promouvoir « la réconciliation entre les parties au différend39 ». C’est donc en vertu de ce critère finaliste que la médiation contemporaine ne diffère nullement de la médiation traditionnelle.
Dominée par la philosophie du vivre-ensemble40, la justice (à travers la médiation), en Afrique, revêt alors un caractère jupitérien41. Elle a pour finalité d’assurer non pas une répression mais une cohésion sociale, un consensus national. En Afrique du Sud, par exemple, cette cohésion sociale est traduite par le terme Ubuntu42 et bénéficie d’une valeur constitutionnelle43. Quant au consensus national, il est érigé en principe à valeur constitutionnelle au Bénin44. Ces deux valeurs sont révélatrices de la place cardinale occupée par la paix sociale dans le système judiciaire africain. La médiation étant l’un des instruments permettant d’atteindre cet objectif, c’est naturellement que législateur45 et membres de la doctrine46 lui accordent de l’intérêt, d’autant plus que les modes juridictionnels de règlement de litiges peinent à s’acclimater à la logique africaine.
1.2.2. La difficile acclimatation des procédés juridictionnels
En Afrique, la médiation semble être le procédé de règlement des conflits le plus adapté aux mœurs sociales. Car, depuis la transplantation des modes juridictionnels de règlement des conflits sur les pays du Sud du Sahara, ceux-ci peinent à véritablement s’acclimater. En effet, jadis marqués par la prégnance des modes amiables de règlement des litiges, les systèmes judiciaires des états africains sont actuellement de plus en plus emprunts de modes juridictionnels de règlement des litiges. Ce changement de paradigme résulte du phénomène de mimétisme juridique47 qui s’opéra sur le continent africain pendant et surtout après la période coloniale. Les fortes ressemblances entre l’armature juridique et juridictionnelle des états appartenant à l’espace francophone et celle de la France en sont des illustrations saillantes48.
Seulement, si les procédés juridictionnels de règlement des litiges rencontrent un franc succès en France, ce n’est pas encore le cas dans de nombreux états africains. Dans cette partie du globe, la justice semble encore en proie à de nombreux défis. On conviendra avec Richard Crook que l’impression générale qui se dégage des systèmes juridiques et des tribunaux d’Afrique subsaharienne est « celle d’un état de crise : on leur reproche diverses carences, notamment leur inaccessibilité aux citoyens ordinaires […], des délais excessifs liés à l’accumulation des affaires, des coûts inabordables et des pratiques de corruption49 ». Jean du Bois de Gaudusson estime à ce propos que « la justice en Afrique serait à la fois “un service public sans services” […], une “justice sans juges” […]50 ». Autrement dit, les tares de la justice africaine, précisément celle rendue par la voie juridictionnelle, sont imputables à deux catégories d’acteurs : l’administration et les citoyens. Le faible nombre des recours soumis au Conseil d’État gabonais conforte ces deux hypothèses. Une étude menée dans ce sens révèle que cette Haute juridiction connaissait en moyenne une dizaine d’affaires par an dans la décennie 199051 et, depuis 2020, environ une vingtaine d’affaires chaque année52.
Dans tous les cas, la constance de ces vices dans les milieux judiciaires africains témoigne de la difficile acclimatation des modes juridictionnels de règlement des différends. C’est fort de cette réalité que les pouvoirs publics promeuvent une médiation administrative de type institutionnelle. Toutefois, celle-ci n’est pas exempte de critiques.
2. La valorisation de la médiation institutionnelle : un mirage ?
À la différence de la médiation ad hoc qui est timidement consacrée en droit gabonais, la médiation institutionnelle bénéficie d’une plus grande solennité. Il en est ainsi à cause de l’institutionnalisation d’une « Médiature de la République53 ». Il s’agit d’une institution originale mais très proche de l’institution classique qu’est le « Médiateur de la République » et, actuellement, du Défenseur des droits en France54. Si l’origine de cette institution est à rechercher du côté de la Suède, avec l’essor de l’Ombudsman55, et en Angleterre, dès l’avènement du commissaire parlementaire, c’est surtout la forme qu’elle prit en France, en 197356, qui inspira fortement les États africains francophones57. Au Gabon particulièrement, initialement instituée par un décret en date du 16 juillet 1992, elle est actuellement encadrée par une ordonnance du 13 septembre 2021. Si ce texte confère d’énormes attributions à la Médiature de la République (2.2), il limite toutefois son statut (2.1). On avancera alors que cette médiation institutionnelle relève d’un mirage.
2.1. Un statut mitigé
Le vocable utilisé par le législateur gabonais pour désigner l’organe habilité à exercer une fonction de médiation est celui de « Médiature ». Ce néologisme semble justifié par la composition ternaire de cet organe, à savoir l’existence d’un Médiateur de la République, d’un Médiateur de la République adjoint et des médiateurs délégués58. S’ils bénéficient de véritables garanties statutaires (2.1.1), force est de constater que leur indépendance reste illusoire (2.1.2).
2.1.1. Les garanties statutaires
Nommée par le chef de l’État et placée sous la tutelle du Vice-président de la République59, la Médiature de la République gabonaise a pour mission d’assurer, « auprès des administrations, des collectivités locales, des établissements publics et de tous autres organismes investis d’une mission de service public, les fonctions de médiation, de concertation, de protection et de promotion des droits ». Dès sa prise de fonction, qui survient après une prestation de serment60, la stabilité de l’emploi constitue la première garantie statutaire dont bénéficient les membres de cette institution. Bénéficiant d’un mandat de 5 ans renouvelable une fois61, il ne peut être mis fin à leurs fonctions avant l’expiration de ce mandat. Toutefois, le Président de la République peut ordonner la cessation de leurs fonctions par voie décrétale dans deux hypothèses, en cas de violation de serment dûment constaté par la Cour constitutionnelle et en cas d’empêchement définitif62. Dans l’hypothèse où le mandat du Médiateur n’a été écourté par aucun de ces événements, il perçoit normalement un traitement et des avantages liés à sa fonction63.
L’autre garantie statutaire est l’immunité juridictionnelle64. À l’instar des parlementaires65, les médiateurs jouissent en effet d’une immunité de fond. Encore appelée immunité fonctionnelle66, celle-ci les protège contre toute poursuite pour les actes accomplis dans l’exercice de leur mandat et par suite non détachables de leurs fonctions67. A contrario, ils sont privés de l’immunité de procédure. Son exclusion suppose d’emblée une possibilité de poursuivre les médiateurs en justice pour les actes détachables de leurs fonctions.
Outre les droits statutaires précédemment évoqués, les médiateurs sont soumis à de nombreux devoirs englobés dans le régime des incompatibilités. Trois principales activités sont concernées : la politique, la justice et la religion68. Le but de toutes ces incompatibilités est de garantir l’impartialité et l’indépendance des médiateurs. Ce qui reste illusoire tant le législateur semble avoir subtilement encadré les médiateurs en les rendant dépendants du pouvoir exécutif.
2.1.2. La dépendance de l’institution
Contrairement au Défenseur des droits, en France, qui bénéficie d’un statut renforcé69, la Médiature de la République gabonaise dispose d’un statut assoupli. À titre d’exemple, alors que le Défenseur des droits « ne reçoit et ne sollicite, dans l’exercice de ses attributions, aucune instruction70 », le Médiateur de la République au Gabon semble subtilement « ligoté ». Il en est ainsi du fait de sa dépendance à l’égard du pouvoir exécutif. Deux arguments confortent cette idée : le mode de sélection des médiateurs et la tutelle administrative et financière que l’exécutif exerce sur eux.
Concernant premièrement la procédure de sélection des médiateurs, elle ne garantit pas suffisamment leur indépendance parce qu’elle s’opère au moyen d’une nomination et non d’une élection. En effet, il est difficile de reconnaître une indépendance à une autorité nommée car ce procédé resserre la contrainte hiérarchique sur celle-ci. C’est incontestablement le cas des médiateurs dans la mesure où ils sont sous la tutelle du Vice-Président de la République au Gabon71, ce qui n’est nullement le cas du Défenseur des droits en France72. Pour garantir cette soumission, le législateur confère par ailleurs au Président de la République le droit d’ordonner la cessation des activités des médiateurs73.
Quant à la tutelle administrative, elle est indéniable car cette institution apparaît moins comme une autorité de gestion que comme une autorité de mission74. C’est la conclusion qui s’impose pour trois principales raisons. D’abord, la Médiature de la République est créée auprès du Président de la République gabonaise ; elle a son siège à la Présidence. Puis, pour la réalisation de leur office, les médiateurs disposent d’un cabinet dont les membres sont nommés par voie décrétale en Conseil des ministres75. Enfin, l’organisation et le fonctionnement du personnel composant ce cabinet sont fixés par des textes réglementaires76. Ce faisant, la Médiature de la République est une institution qui relève du pouvoir exécutif.
L’absence d’autonomie financière qui la caractérise crédibilise davantage ce constat. En effet, à la différence d’une institution comme la Cour constitutionnelle qui bénéficie d’un budget autonome77, les médiateurs et les membres de leur cabinet jouissent des avantages financiers et traitements fixés par voie réglementaire. Cette dépendance organique de la Médiature est regrettable car elle pourrait ébranler la confiance des citoyens vis-à-vis de l’institution, alors qu’elle est investie d’un large office.
2.2. Un office étendu
Par office, il faut entendre le rôle ou l’ensemble des pouvoirs et devoirs assignés à un organe. En ce qui concerne la Médiature de la République gabonaise, ses pouvoirs sont prévus par les articles 3 et 7 de l’ordonnance susmentionnée. À l’analyse de ces textes, il ressort que cette institution bénéficie de compétences diverses et variées (2.2.1). Quant à ses devoirs, ils s’articulent surtout autour des règles procédurales à respecter lors du règlement d’un différend (2.2.2).
2.2.1. La diversité des compétences
La Médiature de la République est investie de sept principales attributions susceptibles d’être subdivisées en deux catégories, à savoir la protection des administrés et usagers du service public, et la garantie de la paix sociale78. Si la première mission est aussi dévolue au Défenseur des droits, la seconde lui échappe tout de même79. Elle constitue alors l’originalité même de la mission de la Médiature de la République gabonaise. Sans insister sur les nuances entre l’office de ces deux Médiateurs80, il convient de souligner que la protection des usagers du service public et des administrés par le Médiateur de la République gabonaise est prévue dans trois cas. Elle intervient, d’abord, lorsqu’il y a dysfonctionnement d’un service public81. Cette hypothèse peut surgir lorsqu’un organisme chargé de la réalisation d’une activité d’intérêt général assurée ou à défaut assumée par une personne publique82 méconnaît un des principes régissant ce domaine83. Elle intervient aussi en cas de dommage résultant d’un dysfonctionnement du service public. En droit de la fonction publique, par exemple, les différends résultant du non-paiement des indemnités de services rendus sont légion84 et trouvent parfois leur épilogue devant un médiateur85. Enfin, ce type de protection est envisagé lorsque le législateur évoque la nécessité pour la Médiature d’« inciter l’esprit d’équité dans l’application des textes86 ».
S’agissant de la mission de maintien de la paix sociale87, nous pensons qu’elle invite surtout la Médiature à exercer un rôle plus politique que juridique dans la mesure où elle intervient généralement lors d’une rupture communicationnelle entre les acteurs politiques. C’est généralement le cas à l’issue d’un scrutin présidentiel. En effet, souvent contestées, les échéances électorales gabonaises ne prennent fin qu’à la suite des accords de paix et de la tenue des dialogues nationaux88. Au cours de ces phases de réconciliation, le Médiateur de la République est amené à jouer un rôle crucial dans la recherche des compromis. Cette forme de médiation a donc pour finalité de dépolitiser le débat public et de renforcer l’unicité et l’indivisibilité de l’État.
Par ailleurs, les Médiateurs de la République exercent une médiation lorsqu’ils connaissent des « litiges opposant des personnes privées, physiques ou morales à des communautés urbaines ou rurales89 ». Mais, orientée vers la résolution des conflits, cette forme de médiation contribue, en réalité, à la restauration plus globale des rapports sociaux tant elle promeut une participation dynamique des habitants d’une localité dans la gestion directe des conflits les concernant90. De façon générale, la médiation institutionnelle apparaît alors comme un instrument de démocratie locale et un moyen de régulation des activités timidement encadrées par l’État. Mais comment est-elle mise en œuvre ?
2.2.2. La simplicité de la procédure
Pour régler efficacement un différend, la Médiature de la République suit une procédure assez similaire à celle du juge ordinaire. Articulée en trois phases, elle comprend la saisine, l’instruction et le prononcé de la (ou des) recommandation(s).
Première étape de la procédure de médiation, la saisine de la Médiature de la République est conditionnée par la satisfaction de trois exigences. La première exigence est relative à l’auteur de la réclamation. À ce propos, seules les personnes privées91 et les autorités politiques92 sont habilitées à saisir cette institution. Les premières intentent ce qu’il est convenu d’appeler une « saisine-réclamation », parce qu’elles soumettent une préoccupation à la Médiature de la République ; les secondes exercent une « saisine par délégation », car il leur est loisible de transmettre à la Médiature de la République toute réclamation dont elles auront été saisies93. En conséquence, la saisine de la Médiature de la République doit nécessairement émaner d’un organe extérieur, ce qui suppose la prohibition de l’auto-saisine.
La deuxième exigence à remplir au cours de cette première phase procédurale concerne la forme et le fond de la réclamation. Sur la forme, celle-ci doit être écrite94. Ce qui suppose, a contrario, la prohibition des réclamations orales. Sur le fond, la réclamation doit s’inscrire dans le champ de compétences de la Médiature, c’est-à-dire être en rapport avec le dysfonctionnement d’un service public ou avoir pour objectif de rétablir la paix sociale.
La troisième exigence à satisfaire se rapporte au délai de saisine. Contrairement au recours juridictionnel qui doit être intenté dans un délai de trois mois au Gabon95, après la diffusion d’un acte administratif faisant grief, la réclamation devant la Médiature de la République est recevable sans condition de délai. Toutefois, « elle ne peut être examinée que si le réclamant justifie de l’accomplissement préalable des démarches nécessaires auprès de l’administration ou de l’organisme concerné96 ».
Après ces trois étapes indéfectiblement liées à la saisine s’ouvre celle de l’instruction. Au cours de cette phase, la Médiature peut entendre les personnes dont l’audition lui paraît nécessaire. Ainsi peut-elle convoquer les agents administratifs afin de leur poser des questions dont les réponses serviront à la résolution du différend et demander au ministre responsable ou à l’autorité compétente de lui donner communication de tout document concernant l’affaire dont elle est saisie97.
Une fois l’instruction achevée, la Médiature de la République procède à la formulation des recommandations. Celles-ci ont une portée relative. Revêtues d’une autorité de la « chose médiée », et non d’une autorité de la « chose jugée », leur respect est tributaire du consentement des parties. Néanmoins, lorsqu’une partie fait montre de résistance lors de l’exécution de la « chose médiée », la Médiature peut la contraindre en saisissant le juge compétent au moyen d’une plainte98. Ce faisant, les recommandations des médiateurs sont pourvues d’effets juridiques. Simpliste, la procédure à suivre devant la Médiature de la République devrait alors motiver les citoyens à saisir cette institution.
En définitive, la médiation administrative est encore embryonnaire au Gabon. Il en est ainsi car, en marginalisant la médiation ad hoc et en feignant de valoriser la médiation institutionnelle, le législateur a subtilement étouffé son déploiement. Cette situation est paradoxale, tant la médiation est pourtant bien adaptée à la conception africaine de la justice. On espère tout de même que ce mode alternatif de règlement des conflits connaîtra bientôt un réel essor dans la mesure où le constituant gabonais de 2024 semble lui avoir accordé une place de choix dans la nouvelle loi fondamentale99.