Éditeurs : Olivier Duplâtre, Fryni Kakoyianni-Doa, Pierre-Yves Modicom
ELAD-SILDA, Études en linguistique et analyse du discours, vol. 11, 2025(1).
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Les adverbes sont depuis longtemps l'objet de nombreux débats entre grammairiens et linguistes : cette notion recouvre un éventail très large et hétérogène de formes subsumées sous le même concept sur la base de l'intuition (Blumenthal 1990 : 41). Ainsi, Quirk et al. (1972 : 267) ou Gleason (1965 : 129) soulignent que l'hétérogénéité de cette classe compromet sa position dans l’inventaire des parties du discours traditionnelles. Dans une certaine mesure, la classe lexicale des adverbes est utilisée comme un expédient terminologique pour tous les lexèmes non-liés et invariables des langues européennes moyennes standard (SAE) (Rauh 2015 : 38). En outre, une étude typologique suggère que cette classe, aussi floue et englobante soit-elle, est superflue dans la description de certains (types de) langues. En tant qu'outil typologique, la notion de modifieur (englobant les adverbes et les adjectifs) pourrait bien être une catégorie plus commode (voir par exemple Hengeveld et Velsta 2010).
Même dans les langues SAE, l'étude diachronique de la dérivation adverbiale fourmille de phénomènes où des têtes nominales se transforment en affixes adverbiaux (en germanique et en roman), où des marqueurs de manière se transforment à leur tour en morphèmes formant des adverbes d'ordre supérieur (comme l'allemand -(er)weise), et où des marques flexionnelles se voient utilisées comme affixes permettant un changement de partie du discours (Haspelmath 1995). En dehors de la zone SAE, les converbes soulèvent des questions tout aussi difficiles (Haspelmath & König 1995) : les converbes doivent-ils être considérés comme des adverbes déverbaux ou comme des formes verbales à fonction adverbiale ? Cette distinction elle-même est-elle réellement pertinente ?
D'autres interfaces impliquent la distinction entre adverbes vs. prépositions, adverbes vs. marqueurs discursifs, adverbes vs. particules, adverbes vs. subordonnants, adverbes vs. quantificateurs, et (déictiques et anaphoriques, voir König & Umbach 2018) adverbes vs. pronoms (voir par exemple la littérature considérable sur le statut de l'allemand so, dont Catasso [2023] fournit un aperçu récent).
La catégorie fonctionnelle des adverbiaux a été proposée pour palier les insuffisances de l'adverbe (Nølke [1990], Pittner [1999]) ou comme concept fonctionnel primaire permettant ensuite la définition des adverbes (Maienborn & Schäfer 2019). Cependant, la notion d'adverbial se révèle aussi floue que celle d’« adverbe ».Pour certains auteurs comme Nølke (1990 :17), l'« adverbial » doit même être défini négativement. Il en résulte souvent que les adverbiaux de manière, les adverbiaux épistémiques, les adverbiaux évaluatifs et les adverbiaux circonstanciels sont regroupés sous une même macro-catégorie : est-ce bien nécessaire ? Jusqu'où peut-on réellement combiner les caractéristiques syntaxiques et sémantiques dans la définition de ces classes fonctionnelles ? Ces classes correspondent-elles réellement à des positions syntaxiques définies de manière fonctionnelle, ou s'agit-il d'airs de famille au niveau lexical ?
Ces questions sont encore plus frappantes si l'on considère le nombre d'éléments qui sont sémantiquement et fonctionnellement ambigus ou sous-spécifiés et qui peuvent être utilisés, par exemple, à la fois comme adverbe de manière et comme adverbe évaluatif orienté vers le locuteur (par exemple, en langues romanes, pour de nombreux lexèmes en -ment et -mente ; voir Guimier 1996, Molinier & Levrier 2000, Paillard 2021 sur le français, entre autres). Faut-il parler de polysémie ou insister sur l'identité sémantique et renvoyer la variation à la syntaxe, en affirmant que la différence entre un adverbe de manière et un adverbe évaluatif, ou un adverbe circonstanciel et un adverbe de domaine, est en fin de compte une question de hiérarchie syntaxique qui détermine la portée de l'adverbe ?
Mais dans le cas des adverbes et des adverbiaux, même les définitions fonctionnelles soulèvent un problème majeur pour les théories des parties du discours, en particulier si l'on considère l'opposition désormais classique entre les langues à cadrage verbal et à cadrage satellitaire, qui remonte à Talmy (1991) (voir Sarda & Fagard 2021 pour une discussion récente) : l'expression de la trajectoire vs. la manière du mouvement implique une distribution variable des rôles entre le verbe et ce qui est souvent décrit comme un satellite adverbial ; ces deux composants ou co-événements, étant sémantiquement sur un pied d'égalité, sont exprimés par des expressions syntaxiquement inégales. On peut se demander si ce recrutement d'expressions syntaxiquement inégales pour des composants sémantiquement égaux n'entraîne pas des idiosyncrasies syntaxiques qui compromettent la réduction des adverbiaux à des modifieurs. Par exemple, l'adverbe directionnel ou la particule des langues à cadrage satellitaire peuvent très bien présenter des caractéristiques hiérarchiques normalement associées au verbe, comme en allemand, où l'« adverbe » est obligatoire, contrairement au verbe lui-même :
|
Ich |
muss |
jetzt |
in |
die |
Stadt |
(allemand) |
|
Je |
dois |
maintenant |
dans |
DEF.DIR |
ville |
|
|
« Maintenant je dois aller en ville. » |
||||||
La distinction entre verbe et satellite présuppose en fait une notion comme celle d'« adverbe » ou de « modifieur ». Ces dernières années, les expressions du mouvement ont également été étudiées du point de vue des langues présentant des constructions verbales en série (CVS) : que pouvons-nous apprendre sur le statut fonctionnel du chemin et de la manière dans les langues qui expriment les coévénements ou les cofacteurs du mouvement par le biais de CVS ? Le mouvement est-il le seul domaine sémantique où l'on peut observer une certaine réversibilité fonctionnelle entre les têtes verbales et les satellites adverbiaux ?
Les implications de ces questions dépassent le domaine de la recherche sur les adverbes : La distinction entre adverbes et adjectifs, adverbes et prépositions, etc. est-elle tenable d'un point de vue interlinguistique ? L'opposition fonctionnelle entre tête verbale et modificateur adverbial est-elle vraiment plus solide que la classification traditionnelle des parties du discours ? Peut-on tracer une ligne de démarcation nette entre les catégories fonctionnelles ? Comment distinguer la polysémie fonctionnelle, l'hétérosémie et la sous-détermination sémantique ? Existe-t-il des adverbes polysémiques ? Autant de questions qui méritent un examen attentif, que ce soit dans le cadre de l'étude d'une langue donnée ou dans un cadre contrastif ou typologique.
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Le 11e numéro d'ELAD-SILDA, à paraître en mars 2025, sera consacré à ces questions. Les articles de 8 000 à 20 000 signes (espaces compris) sont les bienvenus, traitant de tout aspect de l'appel dans quelque langue que ce soit.
Les langues de publication seront le français, l'anglais et l'allemand. Les consignes auteurs et autrices sont disponibles ici :
https://publications-prairial.fr/elad-silda/index.php?id=939
Les articles peuvent être soumis à elad-silda@univ-lyon3.fr jusqu'au 15 janvier 2024. Les auteurs et autrices sont priées d'envoyer un titre provisoire et quelques lignes de présentation de leur futur article avant le 15 décembre à la même adresse.
