Introduction
Nous proposons une analyse jurilinguistique multilingue contrastive (anglais, français, roumain, portugais du Brésil) dans le domaine de la garantie des droits pour les personnes âgées, qui prend en compte les caractéristiques affectives des discours juridiques et non juridiques concernant les systèmes de protection mis en place aux États-Unis, en France, au Brésil et en Roumanie, les deux derniers étant considérés aujourd’hui comme « pays de jeunes » en plein essor mais qui connaissent un vieillissement de leur population et doivent inventer des solutions pour s’adapter à cette réalité démographique (Antonio de Freitas, 2017 ; Tarnea, 2004). Ce regard comparatif interroge aussi les discours francophones et anglophones agissant sur les systèmes juridiques de la Roumanie et du Brésil. Partageant une histoire d’influence française commune dans le domaine du droit administratif, civil et international, ainsi qu’une influence américaine grandissante dans d’autres branches juridiques comme, par exemple, le domaine du droit commercial, le Brésil et la Roumanie suivent leurs propres cours dans le domaine de la protection des aînés et emploient des stratégies lexico-discursives qui sont déterminées culturellement. La garantie de droits pour les personnes âgées a traversé des crises nationales et internationales, étant exprimée par un vocabulaire qui évolue au fil du temps et qui est le fidèle témoin des changements des sociétés ; nous nous sommes intéressées aux différentes manières de dire le concept de « personne âgée », ainsi qu’aux motivations de ces évolutions jurilinguistiques. La présente analyse relie le lexique juridique aux autres dimensions de la discursivité juridique et non juridique afin de mettre en lumière les modalités de construction des perceptions relatives aux droits des personnes âgées dans deux sociétés de langues romanes confrontées à des défis similaires, notamment à travers l’emploi de l’anglicisme senior et d’autres mots du champ sémantique de la vieillesse et du vieillisement. La réception de la signification des termes, ou ce que F. Rastier appelait la « perception sémantique », peut varier dans le temps et présenter l’inhibition ou l’activation de certains sèmes (Rastier, 1990 : 24), ce qui a comme résultat l’invisibilisation ou la mise en lumière de parties significatives des mots, influençant les réponses affectives de la part des récepteurs. Les mots ont la capacité de fonctionner comme des mémoires collectives, étant de véritables photographies des croyances et du fonctionnement d’une communauté : « Words have to be understood as snapshots of society, or rather as snapshots of the way we think of society. » (Jamet, 2018 : 3).
Notre corpus contient des textes juridiques (législatifs et judiciaires), administratifs et médiatiques, recueillis pendant plusieurs années au gré des activités d’enseignement et de recherche, que nous avons analysés dans une double perspective, discursive et lexicale, sans négliger des questions de traduction qui apparaissent au cours de notre travail. Les repérages dans ces deux corpus ont été réalisés manuellement. Ainsi, nous avons interrogé le Corpus of US Supreme Court Opinions (SCOTUS), le Corpus of Contemporary American English (COCA), Légifrance, le service public de la diffusion du droit par l’internet qui donne accès au droit français, le portail de la jurisprudence du ministère de la justice roumaine – Portalul Instanțelor de Judecată (PortalJust) –, la base de données législatives roumaines de la chambre des députés – Repertoriul legislativ –, la base de données jurisprudentielles et législatives brésilienne JusBrasil, IATE qui est la base de données terminologique de l’UE, ainsi que différents médias francophones, anglophones, roumains et brésiliens.
L’analyse discursive nous a poussées à regarder le point de vue et les postures énonciatives des locuteurs (Rabatel, 2021 ; Rodrigues, 2017, 2021), ainsi que la cohérence des discours entre les normes, les termes employés et les droits acquis et mis en œuvre dans la vie quotidienne de la personne âgée (Veleanu, 2023). Qui parle et comment parle-t-on des personnes âgées, aux personnes âgées dans le domaine de la protection de leurs droits ? Quelle est la coloration affective de ces discours créateurs et révélateurs de perceptions sociétales dont l’analyse s’inscrit dans le champ de recherche de la jurilinguistique affective1 (Veleanu, 2019, 2021), domaine de recherche pluridisciplinaire appartenant à la fois à la linguistique appliquée et aux sciences juridiques dont l’objectif est d’identifier et d’analyser les caractéristiques des environnements linguistiques et extralinguistiques (culturel, politique, social, psychologique, etc.) des actes de communication juridique et de s’interroger sur leurs motivations, leurs perceptions et leurs conséquences. Dans le domaine des droits des personnes âgées, la jurilinguistique affective propose une approche d’investigation unilingue et multilingue, notamment dans les domaines de la terminologie, de la traductologie et de l’analyse de discours juridiques, qui pourrait aider les professionnels de la langue et du droit dans leur travail avec, pour et concernant nos aînés et dans le contexte qui est propre aux « sociétés des affects » (Lordon, 2013). Les domaines de la sociolinguistique, de l’anthropologie juridique, des neurosciences affectives, de la psycholinguistique, des sciences politiques sont des sources d’inspiration privilégiées pour les jurilinguistes qui abordent cette discipline sous l’angle de l’importance des charges affectives des termes et des discours juridiques (Kerbrat-Orrechioni 2000).
Le domaine interdisciplinaire des neurosciences culturelles et affectives permet de mieux comprendre le comportement humain et la construction de nos identités, tant individuelles que collectives, en étudiant la manière dont les expériences sont exprimées par les êtres humains (Immordino-Yang 2013, Panksepp 2012). S. Thompson et P. Hoggett (2012) ont déjà discuté du « tournant affectif dans les études politiques contemporaines2 », tandis que la jurilinguistique affective s’intéresse à la manière dont les émotions et les sentiments déterminent et soulignent les modes d’expression individuels dans les situations de communication juridique et dans différents contextes linguistiques et culturels (Veleanu, 2019, 2020, 2021, 2022, 2023, 2024).
Vieillir reste un mot et un concept ambivalent, avec des colorations affectives positives et négatives réalisées contextuellement, et les dictionnaires, les textes juridiques et médiatiques, l’usage et la norme le confirment. C’est un terme évolutif, qui s’applique à plusieurs domaines de spécialité (démographie, œnologie, beaux-arts, peinture, ébénisterie, menuiserie, maçonnerie, etc.), qui comporte des synonymes métaphoriques et des euphémismes (« prendre de l’âge », « avancer dans l’âge », « prendre de la bouteille »), des sens figurés (« il ne faut pas vieillir ici », ou « s’attarder »). L’appréciation positive de ce concept remonte à des temps immémoriaux. Depuis des millénaires, l’Ancien Testament enjoint aux lecteurs « tu te lèveras devant les cheveux blancs et honoreras le vieillard » (Lévitique 19:32) car « dans les vieillards se trouve la sagesse, et dans une longue vie, l’intelligence » (Job 12: 12), cette attitude assurant une vie longue et heureuse (« Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne. » Exode 20: 12). Aujourd’hui, dans notre monde réticulaire de l’homo consumens3 ou l’homo consumericus4 soumis à l’immédiateté et à l’impératif transhumaniste d’une jeunesse parfaite et éternelle, aux euphémismes abondants qui neutralisent certaines émotions pour en créer d’autres, pour nous défendre et lutter contre le réel5, il est nécessaire de prendre en compte la dimension culturelle de l’avancement dans l’âge et du concept moderne de « bien vieillir » :
Le bien vieillir est intimement lié à l’image sociale que l’on a de la personne âgée, à la place que la société lui accorde, au type de société. Ainsi, dans les sociétés occidentales fondées sur l’individualisme, où l’indépendance et l’autosuffisance de l’individu sont prônées du début de la vie jusqu’à la vieillesse, bien vieillir exige le maintien de son autonomie fonctionnelle et cognitive. En revanche, dans des sociétés plus relationnelles, où la personne âgée fait partie intégrante du groupe, bien vieillir, c’est avant tout pouvoir tenir les rôles sociaux associés à son âge, indépendamment de son état de santé. (Gangbé et Ducharme, 2006 : 297)
Vieillir, vieillissement, vieillesse, âgé, aîné, senior construisent un champ sémantique ambivalent, évolutif, applicable à plusieurs domaines de spécialité (juridique, économique, politique, psychologique, sociologique, culturel, etc.), créateur de néologismes et récepteur d’emprunts reflétant des modes de pensée. Cela prouve aussi que « le contexte politique se révèle aussi parfois dynamisant pour la néologisation » (Pruvost et Sablayrolles, 2016 : 26) et que la néologie peut être « un instrument de politique linguistique et un instrument politique tout court » (Humbley, cité par Pruvost et Sablayrolles, 2016 : 26). Le sentiment néologique (Gardin et al., 1974) lié au sème [+personne âgée] du terme senior est diffus du fait de la pré-existence dans le cadre mental des locuteurs des sèmes [+antériorité, +plus âgé qu’un autre] présents dans les sens sportifs et patronymiques qui sont aussi constitutifs du schéma sémique du syntagme personne âgée. Ce croisement sémantique familier, doublé de la bonne maniabilité du terme grâce à sa forme courte, ainsi que du prestige de l’anglais comme lingua franca de la modernité, de la démocratie et des affaires explique l’incorporation de ce nouvel élément dans le lexique des langues étudiées (Humbley, 2006 : 91) et justifient l’acceptation rapide de ce terme par les usagers, ce critère psycholinguistique étant important dans l’évolution d’un néologisme (Dubuc, 2002 : 140-141).
Les gros titres de la presse française actuelle mettent en avant un « bouleversement démographique » en Europe susceptible d’atteindre le reste du monde et qui suscite de nouvelles questions au sujet de la protection juridique des personnes âgées : « L’OMS a prédit ce mercredi que les plus de 65 ans seraient plus nombreux que les moins de 15 ans en Europe d’ici un an. Une tendance qui devrait se généraliser au reste du monde à l’horizon 2064, et qui alerte les autorités sanitaires sur une prise en charge de la vieillesse en bonne santé. » (Bouzouina, 12 octobre 2023). Le discours journalistique, fondé sur les statistiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a une charge affective ambivalente, tablant sur une coloration anxiogène donnée par des mots connotés appartenant au champ sémantique de la peur (« bouleversement », « alerte », « limiter l’impact ») qui est complété par le ton positif présent dans la citation de l’OMS (« permettre aux personnes âgées de préserver et d’améliorer leur santé physique et mentale, leur indépendance, leur bien-être social et leur qualité de vie ») (ibid.). Le discours journalistique roumain (Popa, 15 novembre 2012 ; Digi24, 11 juillet 2023) adopte aussi un ton alarmiste, introduit dans les textes par des mots simples (« grijă », fr. inquiétude, « perturbații », fr. perturbations, « afectați », fr. affectés, « izolarea », fr. l’isolement, « abandonul », fr. l’abandon), des syntagmes (« accente îngrijorătoare », fr. accents inquiétants, « semnal de alarmă », fr. signal d’alerte) et des questions (« cine ne va plăti mâine pensia? », fr. qui paiera notre retraite demain ?) qui créent une expérience de lecture chargée en émotions négatives, menant à une perception négative du phénomène décrit. Cette ambivalence qui évolue vers une recherche d’équilibre tout en étant fondée sur les deux aspects de l’argumentation, directe et indirecte6, sur des affirmations journalistiques claires mais également sur des inférences que le lectorat fera par lui-même à partir de textes médiatiques qui transmettent des messages de manière insidieuse, ne se retrouve pas dans les discours journalistiques brésiliens (Rodrigues, 22 juillet 2022 ; Pinhoni, 28 octobre 2023) ou américains, qui présentent la question du vieillissement d’une manière plus neutre, plus proche de l’objectivité juridique, ancrée dans les données officielles et sans avoir systématiquement recours de manière très visible7 à des éléments sémantiques du champ affectif.
Quant au cadre juridique, les quatre pays qui font l’objet de notre analyse ont prêté une attention particulière à la protection de leurs aînés au cours du xxe siècle, ainsi que pendant la première moitié du xxie siècle. La préoccupation législative française pour les personnes âgées dans le monde du travail au xxe siècle remonte à la loi du 5 avril 1928 sur les assurances sociales qui crée une assurance vieillesse pour tous les salariés. La loi du 30 avril 1930 sur les assurances sociales couvre l’ensemble des salariés contre les risques de maladie, d’invalidité prématurée, de vieillesse et de décès. Le Code de la sécurité sociale de 1956 créé « un fonds national de solidarité en vue de promouvoir une politique générale de protection des personnes âgées par l’amélioration des pensions, retraites, rentes et allocations de vieillesse. » (Livre IX, Article 684) Plus récemment, la préoccupation des autorités françaises pour les conditions de vie et de travail des seniors a mené à la proposition de loi no 1051 visant à lancer un grand plan pour l’amélioration de l’emploi des seniors en avril 2023. Les établissements d’hébergement pour personnes âgées augmentent leur capacité d’accueil depuis 20078. Au Brésil, la loi no 10 .741 du 1er octobre 2003 avait déjà créé le Statut de la personne âgée, devenu la base de plusieurs normes qui orientent les politiques publiques ayant pour but la protection de la personne âgée. En Roumanie, le cadre législatif pour la protection des aînés est protéiforme, composé de textes nationaux (la Constitution, la loi 17/2000 concernant l’assistance sociale pour les personnes âgées, la loi 448/2006 concernant la protection des personnes handicapées, etc.) et européens (la Charte sociale européenne de 1961, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000, etc.). Les politiques de l’Union européenne concernant la protection des personnnes âgées ont connu un renouveau visant l’établissement d’un socle européen des droits sociaux ayant comme but :
la convergence vers le haut des droits sociaux des européens, selon les 20 principes du socle européen des droits sociaux dans trois grands domaines : l’égalité des chances et l’accès au marché du travail, des conditions de travail équitables et la protection et l’inclusion sociales. (Représentation en France de la Commission européenne, « Le Socle européen des droits sociaux »)
Dans ce contexte jurilinguistique, où les facteurs linguistiques et extralinguistiques à prendre en considération sont nombreux et variés, le travail des traducteurs peut être complexe et nécessiter une recherche documentaire approfondie et périodique, doublée d’un vif intérêt pour l’évolution sociopolitique, économique, juridique des sociétés des langues-sources et cibles. Ainsi apparaît la nécessité d’un travail assidu de recherche pluridisciplinaire, d’analyse et de sélection, à la manière décrite au début du xxe siècle par Henri Capitant dans la préface de son Vocabulaire juridique :
Il ne suffira pas, en effet, de donner les équivalents étrangers pour chaque mot de chaque langue. Souvent cet équivalent n’existe pas. Souvent aussi les contenus des mots ne coïncident qu’en partie. C’est pourquoi il faudra se livrer à un travail d’analyse très minutieux pour relever les chevauchements et les dépassements exacts de sens entre les mots de chaque langue. De plus, bien des mots ont plusieurs significations, et c’est chacune de leurs significations qu’il faudra traduire. (Capitant, 1936 : 8)
1. Senior – Les évolutions en anglais
Le terme senior d’origine latine est le comparatif de l’adjectif senex, « vieux » ; il était employé au pluriel dans le latin du Bas-Empire pour désigner les hommes âgés les plus respectés, à savoir les membres du sénat romain et les dirigeants et les juges des communautés hébraïque et chrétienne (Corominas et Pascual, 1980 : 531). Il est entré dans la langue anglaise avec cette signification adjectivale au xiiie siècle, étant apposé aux noms propres masculins pour différencier le père du fils lorsqu’ils avaient les mêmes noms. Au xvie siècle apparaît le sens « rang plus élevé, ancienneté dans le travail ». Le nom senior est attesté à partir du xive siècle comme substantivation de l’adjectif, avec le sens de « personne d’autorité », « personne qui est plus âgée qu’une autre », qui devient « étudiant de niveau supérieur » au xvie siècle, pour aboutir au xixe siècle aux sens d’« étudiant en quatrième année, étudiant de niveau supérieur dans un college » et « personne âgée, un des habitants plus âgés ».
Le syntagme senior citizen apparaît comme un euphémisme9 susceptible de remplacer le syntagme older persons aux États-Unis pour dénommer une personne âgée (elderly person) qui est à la retraite (cf. Etymonline) à la fin des années 1930. Le Social Security Act de 1935 n’utilise pas le terme senior, le législateur américain employant l’expression aged individuals ou le nom commun individual accompagné d’une explicitation dans un contexte où le nom commun représente une reprise endophorique de l’expression aged individuals10. Les débuts du syntagme senior citizens dans le discours juridique législatif américain sont marqués par la volonté politique de lutter contre l’appauvrissement des personnes âgées en leur assurant des pensions de retraite équitables et un pouvoir d’achat. La néologisation sémantique s’appuie sur des fondations solides, le mot senior ayant déjà étymologiquement le sens « plus vieux ». Le projet de loi sur les pensions de retraites présenté devant le Sénat des États-Unis en décembre 194111 emploie le syntagme senior citizens seul ou accompagné par le participe passé adjectivé aged (aged senior citizens)12, à côté du syntagme old people.
Les connotations positives du syntagme senior citizens sont mises en valeur par l’expression « Super Senior Citizen » employée comme titre d’un article paru dans Telegram & Gazette le 13 juillet 2008 pour parler de Superman, le héros de la pop culture le plus connu et le plus apprécié. L’écrivain Jerry Siegel et le dessinateur Joe Shuster avaient créé le personnage de bande dessinée Superman dans la série Action Comics lancée en 1938, qui deviendra un symbole de lutte et de résistance contre le nazisme. À la même époque, le syntagme senior citizen voyait le jour en anglais américain, d’abord dans les domaines politique et juridique. Cette innovation jurilinguistique semble avoir eu lieu pendant la première moitié du xxe siècle, période marquée par la crise sociopolitique sans précédent représentée par la montée de l’antisémitisme, du fascisme et du nazisme en Europe, mais aussi aux États-Unis. Le premier usage connu du syntagme senior citizen remonte à 1918 selon le Merriam-Webster Dictionary, alors que le Collins COBUILD Advanced Learner’s Dictionary en situe l’origine entre 1935 et 1940. Le célèbre caricaturiste américain d’origine juive Al Hirschfeld, décédé en 2003 à l’âge de 100 ans, avait affirmé que son père, Isaac Hirschfeld, avait inventé le syntagme senior citizen. Bien qu’il n’existe pas de lien évident entre ces innovations lexicales, artistiques et juridico-politiques, il est possible de déceler en filigrane, grâce aux éléments extralinguistiques comme la temporalité et le contexte sociopolitique national et international, une volonté de lutter contre la déshumanisation des personnes âgées organisée par les politiques génocidaires à l’œuvre dans les pogroms et dans l’Holocauste.
Une recherche des occurrences du syntagme senior citizens dans la partie « newspapers » du corpus COCA a donné 1066 entrées dans 600 textes extraits de journaux américains (USA Today, Chicago Tribune, Washington Post, Boston Globe, Los Angeles Times, New York Times, San Franscico Chronicle, Atlanta News, etc.) de 1990 à 2019. Les contextes, explorés manuellement, montrent un mélange de « hard news » et « soft news » (Turow, 2020 : 7), des actualités traitant des sujets sérieux, politiques, juridiques, économiques, sociaux qui font aussi appel aux émotions du lectorat, ce qui est partiellement justifié par le contexte de l’économie de l’attention (« attention economy », voir Jones, Jaworska et Aslan, 2021 : 41) qui caractérise la société contemporaine, mais aussi par la qualité affective intrinsèque du syntagme senior citizens dans « une démocratie laïque, mais une société très religieuse » comme celle des États-Unis d’Amérique (Lacorne, 2016), une société sous le signe de la présence divine jusqu’aux inscriptions sur les billets de banque (« In God we trust ») et aux discours présidentiels qui finissent par « God bless America », « que Dieu bénisse l’Amérique », profondément marquée par la culture judéo-chrétienne dont une des valeurs les plus importantes est le respect dû aux aînés (Weaver, 1997 : 18). Les références au domaine juridique sont variées et comprennent le domaine de la protection par les forces de l’ordre, celui des allègements fiscaux, le droit du travail, les aides sociales, les assurances santé, les initiatives législatives. Le syntagme senior citizens a été retrouvé dans des domaines de spécialité variés : santé, droit, immobilier, loisirs, noms de centres d’accueil et d’aide sociale, différentes aides aux personnes âgées. Les deux champs sémantiques prédominants sont la vulnérabilité et la protection, déclinés sur différents domaines d’activités : les aides apportées aux personnes âgées (initiatives, réductions et promotions, etc.), la santé, les infractions ciblant les personnes âgées, l’immobilier, les noms de centres de loisirs, d’accueil et de santé pour les personnes âgées, les loisirs (annexe 8). Ces domaines et ces univers sémantiques vont se retrouver dans les textes juridiques américains analysés, à l’exception du domaine des infractions.
Observés en diachronie, les textes juridiques américains ont été interrogés afin d’identifier les usages et les sens avec lesquels ce terme apparaît dans son environnement d’origine, pour ensuite vérifier si ces usages et ces sens se retrouvent dans les langues romanes étudiées, tout en gardant à l’esprit le fait que le terme juridique senior, tel qu’il est employé aujourd’hui en français, roumain et portugais du Brésil, est un néologisme sémantique emprunté à l’anglais américain. Une interrogation à l’aide de Sketch Engine, gestionnaire de corpus et logiciel d’analyse textuelle, du corpus SCOTUS contenant des arrêts de la Cour suprême des États-Unis avec le terme senior a donné 1479 d’occurrences dans 709 textes à partir du xixe siècle et jusqu’à nos jours, reparties sur plusieurs catégories identifiables grâce à la recherche spécifique de collocations.
Ainsi, au xixe siècle, le terme senior est déjà un terme qui appartient à plusieurs domaines de spécialité. Il apparaît dans des discours portant sur la question de l’antériorité caractéristique à des objets et à des êtres humaines, tout en endossant les rôles juridiques et non juridiques suivants : élément d’un nom propre indiquant la personne du père (ex. Thomas Ewing Senior, Riggs v. Johnson County, 73 U.S. 166 [1867]), substantif dénommant une personne plus âgée qu’une autre (who was 16 years his senior, Irvine v. Irvine, 76 U.S. 617 [1869]), adjectif déterminant d’un nom commun indiquant l’ancienneté dans une fonction (senior Associate Justice, Veazie Bank v. Fenno, 75 U.S. 533 [1869] ; senior partner, Michigan Bank v. Eldred, 76 U.S. 544 [1869] ; senior counsel, Chaffee v. Hayward, 61 U.S. 208[1857]), adjectif déterminant un terme juridique non animé pour indiquer son antériorité (senior patent, Bagnell v. Broderick, 38 U.S. 436 [1839] ; senior encumbrancers on the lands, Canal Bank v. Hudson, 111 U.S. 66 [1884] ; senior divisional mortgages, Humphreys v. McKissock, 140 U.S. 304 [1891] ; senior survey, Clement v. Packer, 125 U.S. 309 [1888]).
Au xxe siècle senior continue d’être un terme à double appartenance (Cornu 2005) et à jouer plusieurs rôles liés à l’ancienneté : adjectif déterminant un terme juridique indiquant l’ancienneté dans une fonction (senior judge, US, Ex parte United States, 226 U.S. 420 [2013] ; Senior Circuit Judge, Johnson v. Manhattan Ry. Co., 289 U.S. 479 [1933]), adjectif déterminant un terme juridique non animé et exprimant son antériorité (senior location, Lavagnino v. Uhlig, 198 U.S. 443 [1905] ; senior appropriations, Wyoming v. Colorado, 259 U.S. 419 [1922], adjectif déterminant un substantif non juridique avec une visée sociopragmatique et empathique qui souligne la faiblesse de l’homme âgé qui devrait avoir des tâches moins lourdes physiquement dans son travail : « the reassignment reflected co-worker's complaints that, in fairness, a “more senior man” should have the “less arduous and cleaner job” of forklift » (Burlington Northern & Santa Fe Railway. Co. v. White [05-259], 548 U.S. 53 [2006]). Au début du xxe siècle, l’âge est différencié de l’ancienneté par une explicitation du sens du terme entre parenthèses : the senior (in years) judge (Atherton v. Atherton, 181 U.S. 155 [1901]). L’opposition entre junior et senior apparaît aussi : whether junior or senior (Ewing v. Fowler Car Co., 244 U.S. 1 [1917]). Le sème [+importance] est relié au sème [+ancienneté, +antériorité] : « Is such lien senior and paramount to the lien of the trust deed » (Moore-Mansfield Constr Co. v. Electrical Co., 234 U.S. 619 [1914]).
La structure senior to apparaît dans les textes de 1945 : « that all those Nebraska appropriations for that purpose be adjudged senior to those four reservoirs » ; « Thereafter they would store no water except such as is needed for appropriations having priorities senior to Seminoe. » (Nebraska v. Wyoming, 325 U.S. 589 [1945]) et suivants : « in positions senior to them » (Reconstruction Finance Corporation v. Denver & R.G.W.R. CO., 328 U.S. 495 [1946]).
Plusieurs sous-domaines de spécialité juridiques comprenant le terme senior sont identifiés dans les opinions des juges américains. Ainsi, le terme senior apparaît dans le domaine des obligations dès 1943 : senior creditors, senior claimants, senior debtors, senior lienors, senior rights (Group of Institutional Investors v. Chicago, M., ST. P. & P. R., 318 U.S. 523 [1943]). En 1946 sont recensés les syntagmes senior bondholders, senior security holders, senior bonds, senior obligations, senior debt, senior capital (Reconstruction Finance Corporation v. Denver R.G.W.R. Co., 328 U.S. 495 [1946]). Le syntagme senior mortgage est retrouvé dans un arrêt de 2015 (Bank Of America, N. A. v. Caulkett [2015]). Dans le domaine des professions juridiques et judiciaires, parmi les fonctions et les positions mentionnées dans les arrêts, ont été identifiés de manière récurrente : senior trial attorney (Morris v. Slappy, 461 U.S. 1 [1983]), Senior Assistant Attorney General (Illinois v. Abbott & Associates, Inc., 460 U.S. 557 [1983]), Senior Judge (Arizona v. California, 460 U.S. 605 [1983]), the most senior legal officers (Florida Dept. of State v. Treasure Salvors, Inc., 458 U.S. 670 [1982]), Senior Deputy Attorney General (Kansas v. Utilicorp United Inc., 497 U.S. 199 [1990]), senior law enforcement officer (Wilson v. Layne, 526 U.S. 603 [1999]), senior prosecutors (Connick v. Thompson, 563 U.S 51 [2011]). Dans le domaine du droit du travail en 1980 on peut lire : senior worker, senior temporary employees, the more senior temporary employees (California Brewers Assn. v. Bryant, 444 U.S. 598 [1980]). Dans l’arrêt Coffy v. Republic Steel Corp., 447 U.S. 191 (1980) une gradation est à remarquer : a senior employee, a more senior employee rate, more senior workers, less senior employees, the most senior employees, very senior employees. Dans le même domaine, le syntagme senior full-term strikers, « les grévistes ayant de l’ancienneté », a été trouvé (TWA v. Flight Attendants, 489 U.S. 426 [1989]).
En 1943, le terme senior est employé dans le domaine académique, d’abord sous sa forme monoterme de substantif avec le sens d’« étudiant des cycles supérieurs » (« at the time of his arrest was a senior in the University of Washington », Hirabayashi v. United States, 320 U.S. 81 [1943]), emploi qu’il va conserver jusqu’aujourd’hui (« a senior's desire to attend her own graduation ceremony », Santa Fe Independent School District. v. Doe, 530 U.S. 290 [2000]), sous sa forme adjectivale dans des collocations contenant le substantif students (senior law students, Johnson v. Avery, 393 U.S. 483 [1969], senior high school students, Doe v. Renfrow, 451 U.S. 1022 [1981], en tant que substantif déterminé par un épithète précisant le domaine de spécialité (a college senior, Snyder v. Louisiana, 552 U.S. 472 [2008]). Le terme est aussi utilisé pour nommer l’ancienneté des enseignants (senior members of its faculty, Perry v. Sindermann, 408 U.S. 593 (1972), senior professors, NLRB v. Yeshiva Univ., 444 U.S. 672 [1980]) et les établissements offrant des parcours sur quatre années d’étude, en opposition avec les junior colleges (senior colleges and universities, Bd. of Regents v. New Left Education Project, 404 U.S. 541 [1972]). Quant aux questions raciales à l’école, le terme discriminatoire Negro employé encore en 1973 (Negro senior high pupils, Keyes v. School Dist. No. 1, 413 U.S. 189 [1973]) est remplacé par le terme politiquement et juridiquement correct black à la fin des années 1979 : the most senior qualified black employee, the most senior black trainee (Steelworkers V. Weber, 443 U.S. 193 [1979]), the most senior black employee (Procter & Gamble Mfg. Co. v. Fisher, 449 U.S. 1115 [1981]).
Le terme senior est employé dans les noms de professions et de fonctions dans des domaines de spécialité variés. Dans le domaine des professionnels de la politique et de l’administration, on trouve senior aides and advisers of the President of the United States, senior Presidential aides, senior staff aides (Harlow v. Fitzgerald, 457 U.S. 800 [1982]). Dans l’industrie aéronautique il est question d’une gradation de l’ancienneté : less senior flight engineers (Trans World Airlines, Inc. v. Thurston, 469 U.S. 111 [1985]), the most senior qualified attendant (TWA v. Flight Attendants, 489 U.S. 426 [1989]). Dans le domaine de l’organisation de l’entreprise, les fonctions mentionnées le plus souvent appartiennent aux « cols blancs » senior manager (Price Waterhouse v. Hopkins, 490 U.S. 228 [1989]), senior accountant (Arthur Andersen LLP v. United States, 544 U.S. 696 [2005]), senior public relations manager (Heimeshoff v. Hartford Life & Accident Ins. Co. 571 U.S 99 [2013]) ; il arrive aussi qu’une fonction d’emploi manuel soit citée : senior elevator mechanic (Vance v. Ball State University et al. (2013). Dans le domaine de la médecine et de la santé on retrouve l’adjectif senior dans l’intitulé de fonctions : senior physician at the University Hospital (New York City Transit Auth. v. Beazer, 440 U.S. 568 [1979]), senior supervising social workers (NLRB v. Health Care & Retirement Corp., 511 U.S. 571 [1994]). Dans le domaine de la protection du public, le même fonctionnement est visible au sein de la catégorie professionnelle des pompiers : a senior fire officer (Ricci v. Destefano, 557 U.S. 557 [2009]). Le domaine des professions de la marine utilise aussi l’adjectif senior : senior Navy officers, some of the Navy's most senior officers (Winter v. Natural Resources Defense Council, Inc., 555 U.S. 7 [2008]). Dans le domaine du sport, l’adjectif senior apparaît avec le sens implicitement opposé à junior, dans l’intitulé d’une association de joueuses de golf en 2001 : Senior Women’s Golf Association (PGA Tour, Inc. v. Martin, 532 U.S. 661 [2001]). Le domaine des travaux publics et des logements d’aide aux personnes vulnérables fait l’objet d’un arrêt de 1972 par lequel on apprend l’existence d’une organisation à but non lucratif pour la construction de logements pour les personnes âgées sous la forme d’un « Senior Village », un « village pour seniors » (United States v. General Douglas MacArthur Senior Village, Inc., 470 F.2d 675 [CA2 1972]).
Dans le domaine juridique, le syntagme senior citizen(s) est employé dans les discours portant sur les droits des personnes âgées et des politiques publiques concernant les personnes âgées, reliés au champ sémantique de la protection et de l’aide. Les contextes sont laudatifs ou montrent la vulnérabilité, le besoin de protection : « It is not unreasonable to expect price regulations requiring private businesses to give special discounts to senior citizens (no matter how affluent), or to students, the handicapped » ; « A legislative category of economically needy senior citizens is sound, proper and sustainable as a rational classification. » (Pennell v. City of San Jose, 485 U.S. 1 [1988]) Le rapprochement entre les structures eligible senior citizens and disabled residents (Brown v. Dept. of Law & Pub. Safety, 468 U.S. 491 [1984]) positionne aussi le concept de senior citizens dans le champ sémantique de la vulnérabilité. À noter que, dans certains discours moins soutenus, le syntagme peut être abrégé et se retrouver avec une forme monoterme substantivée au singulier ou au pluriel, senior(s). Cette forme raccourcie étant polysémique, l’appartenance au domaine de spécialité doit impérativement être identifiée contextuellement afin d’éviter toute confusion avec le sens « étudiant des cycles supérieurs ». En général, la forme de pluriel est présente dans un nombre plus grand d’occurrences. La recherche du syntagme au singulier senior citizen a eu comme résultat 3 occurrences dans 3 textes différents : senior citizen center (Pga Tour, Inc. v. Martin, 532 U.S. 661 [2001]), senior citizen discounts (California Dental Assn. v. FTC, 526 U.S. 756 [1999]), a senior citizen couple (California v. Cabazon Band of Indians, 480 U.S. 202 [1987]). La recherche du syntagme au pluriel senior citizens a montré 31 occurrences dans 23 textes. Ce syntagme apparaît dans les noms de diverses associations et sociétés de bienfaisance et d’assistance : California League of Senior Citizens (Department of Mental Hygiene Dept. v. Kirchner, 380 U.S. 194 [1965]), National Council of Senior Citizens (Vance v. Bradley, 440 U.S. 93 [1979]), Texas Senior Citizens Association (Friedman et al. v. Rogers et al., 440 U.S. 1 [1979]), Coalition of Senior Citizens, Inc. (Schweiker v. Mcclure, 456 U.S. 188 [1982]), Action Alliance of Senior Citizens (Dole v. United Steelworkers, 494 U.S. 26 [1990]), National Senior Citizens Law Center (Crawford v. Marion County Election Bd., 553 U.S. 181 [2008]). Une image positive est ainsi donnée par une épithète superlative : highly motivated senior citizens (Lawrence v. Bauer Pub. & Printing Ltd., 459 U.S. 999 [1982]).
Des innovations législatives portant sur l’aide aux personnes âgées sont fréquentes. Des aides sous la forme de réductions des prix de vente imposées par la loi aux entreprises pour les personnes âgées sont présentées comme attendues (« It is not unreasonable to expect price regulations requiring private businesses to give special discounts to senior citizens » (Pennell v. City of San Jose, 485 U.S. 1 [1988]), ce qui ouvre la voie à la création d’une nouvelle loi pour les personnes âgées confrontées à des difficultés financières : « A legislative category of economically needy senior citizens is sound, proper and sustainable as a rational classification. » (Pennell v. City of San Jose, 485 U.S. 1 [1988]). Le concept de senior citizen discounts (California Dental Assn. v. FTC, 526 U.S. 756 [1999]) est popularisé. Des programmes pour accorder des facilités fiscales aux personnes âgées sont mentionnés : Senior Citizens Property Tax Assistance, Senior Citizens Property Tax Postponement (Nordlinger v. Hahn, 505 U.S. 1 [1992]) L’assistance médicale sous la forme d’un programme d’assurance santé a été votée en 1965, connue sous le nom de Medicare, mot-valise souvent associé avec le substantif senior désignant les personnes âgées : « In 1965, Congress elected to nationalize health coverage for seniors through Medicare. », « Medicare for seniors' health care » (National Federation of Independent Business v. Sebelius, 567 U.S. 519 (2012).
Le domaine de la discrimination et du droit à la liberté d’expression est représenté par un arrêt de 1987 où il est question de « denial of use of “Olympic” to senior citizens group », refus de l’emploi du terme « olympique » pour les groupes de personnes âgées (S. F. Arts & Athletics Inc. v. USOC., 483 U.S. 522 [1987]) : la loi sur le sport amateur (Amateur Sports Act) viole le premier amendement parce qu’elle restreint la liberté d’expression et distingue certains groupes auxquels un traitement préférentiel est accordé pour l’emploi du terme « olympique ». Le Congrès des États-Unis a encouragé l’utilisation du mot « olympique » dans les compétitions sportives organisées pour les jeunes (Junior Olympics et Explorer Olympics) et les personnes handicapées (Special Olympics), sans se prononcer sur la question de savoir si d’autres groupes peuvent l’utiliser, comme les groupes de personnes âgées. Les personnes âgées sont implicitement catégorisées comme minorités : « because they are senior citizens or members of racial minorities » (Romer v. Evans, 517 U.S. 620 [1996]).
Nous remarquons par ailleurs une synonymie partielle entre les termes et syntagmes senior citizen(s), elderly, et retired age (citizens) dans un arrêt de 1987 : « The middle table was shared with a senior citizen couple. The aisle table had 2 elderly women, 1 in a wheelchair », « A goodly portion of the crowd were retired age to senior citizens. » (California v. Cabazon Band of Indians, 480 U.S. 202 [1987])
Les termes faisant référence aux personnes âgées sont absents du nom donné à l’équivalent des établissements pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) : le syntagme nursing homes rappelle l’allaitement des nourrissons, les soins et l’exercice de la profession d’infirmier. Dans la définition de ce concept, le dictionnaire Merriam-Webster indique qu’il s’agit d’un établissement résidentiel public ou privé offrant un niveau élevé de soins personnels ou infirmiers de longue durée à des personnes (telles que les personnes âgées ou les malades chroniques) qui ne sont pas en mesure de s’occuper d’elles-mêmes de manière appropriée13. Établissements privés créés suite au Social Security Act de 1935, les nursing homes ont fait l’objet de nombreuses réglementations14 visant l’amélioration des conditions offerts aux personnes âgées, comme le Nursing Home Reform Act de 1987 dont l’objectif était de corriger la qualité des soins dans les maisons de repos grâce à une plus grande réglementation gouvernementale (Committee on Nursing Home Regulation, 1986 ; Zhang et Grabowski, 2004). Aujourd’hui, la financiarisation des maisons de repos, rendue possible par les achats massifs des nursing homes par des fonds d’investissement (France Culture, 2022 ; Taylor-Rosner, 2022) n’a pas porté ses fruits et la qualité des soins est toujours médiocre (Harrington et al., 2024) dans un système de protection de droits des personnes âgées en crise. L’importance accordée à la religion aux États-Unis n’est pas confirmée par le nombre réduit de références aux saints de l’église ou à d’autres notions chrétiennes dans les noms des maisons de repos ; une recherche effectuée avec le substantif saint sur la page « Nursing Homes » du site U.S News Health qui répertorie les maisons de repos pour personnes âgées a donné 44 résultats signifiant des noms de nursing homes (ex. Saint-Therese at Oxbow Lake, Brooklyn Park, MN, Saint Vincent Healthcare, Pasadena CA, Saint Joseph Care Center, Louisville, OH, etc.) parmi lesquels une partie étaient les noms des villes où se trouvent ces maisons de repos (ex. Heritage Care Center, Saint Louis, MO).
À la fin de cette brève incursion dans le discours juridique américain, il est intéressant d’observer que le terme senior avec le sens de « personne âgée » et le syntagme senior citizen(s) ont une double visée, à la fois informative et esthétique (Oustinoff, 2003 : 65), cherchant à créer une nouvelle perception et à obtenir des réactions positives, à provoquer l’apparition d’un cadre mental ou frame (Lakoff, 2014) positif appartenant au champ sémantique du respect, de la dignité, de l’appréciation de l’expérience, de statut, de l’ancienneté et de l’âge avancé comme valeurs sociales et morales : « The expression senior citizen (itself a euphemism) is generally now abbreviated to senior. In comparison to senior citizen, which has been around longer, senior retains more positive associations to do with higher rank or standing » (Burridge, 2012 : 76). Ces sens et ces valeurs affectives se retrouvent dans les emplois du terme senior dans les langues romanes étudiées.
Quant à son évolution sémantique, le terme senior emprunte au xxie siècle divers chemins dénominatifs (Aymerich Freixa, Fernández-Silva et Cabré Castellví, 2008) tout en acquérant des charges émotionnelles (Kerbrat-Orecchioni, 2000 ; Veleanu, 2019) motivées contextuellement par des facteurs extralinguistiques qui peuvent aller jusqu’à influencer la pérennité de certains sens. Ainsi, en 2006, un journal canadien dédié aux personnes âgées, The Senior Times, s’interrogeait sur l’évolution du sens du terme senior qui s’éloignait peu à peu du domaine des euphémismes pour acquérir des sens plus spécialisés, scientifiques et médicaux, dans des syntagmes comme senior moment, perte temporaire de mémoire provoquée par l’âge avancé, ainsi que sur le besoin de trouver de nouveaux euphémismes pour décrire la vieillesse, suggérant deux néologismes, l’un formé avec une préposition intensificatrice allemande et le substantif mature, über mature, et l’autre représentant une résurgence de polygenarians, néologisme créé en 1856 par un médecin de Richmond en Indiana15, et encore présent en 2014 dans une chronique de film publiée par le Financial Times16. Il est, néanmoins, étonnant de découvrir la perte d’intérêt actuelle pour le terme senior connotant le respect et la dignité telle qu’elle apparaît dans des ouvrages portant sur la clarification de l’anglais qui émanent de la Plain Language Commission au Royaume-Uni qui reprend les lignes directrices indiquées par l’International Council on Active Aging (ICAA) du Canada et qui liste le terme senior parmi les mots et les phrases à éviter ou à utiliser avec parcimonie, car considéré comme désuet et stéréotypé, ou seulement approprié pour des personnes âgées de plus de 70 ans dans certaines circonstances, ainsi que le syntagme senior citizens au sujet duquel aucune explication n’est donnée qui justifierait son bannissement. Les groupes nominaux construits avec le comparatif older (older adults, older persons, older people, older population, adults aged 60 and older, people aged 55 and older) y sont préférés (Carr, 2020 : 30), y compris par les spécialistes de la gérontologie américains, ces recommandations étant destinées, entre autres, aux juges dans leur pratique de la rédaction des arrêts17. En 2017 le Journal of the American Geriatrics Society avait déjà adopté les règles de rédaction de l’American Medical Association selon lesquelles les termes (the) aged, elder(s), (the) elderly, seniors, porteurs de connotations discriminatoires et stéréotypées, devraient être remplacés par older adults, older Americans pour dénommer des personnes âgées de 65 ans ou plus (Lundebjerg et al., 2017 : 1387).
Pour le traducteur, comme pour le rédacteur, le besoin d’être au courant de l’actualité juridique, politique, économique, culturelle est doublé de la nécessité de prendre en considération les règles du « langage clarifié ou simplifié », plain language, inscrites dans la législation américaine de longue date. Ces règles évoluent en fonction des changements de mentalités et des courants dans divers domaines de spécialité, mais elles varient également d’un pays à l’autre. Ainsi, il sera utile de connaître les exigences actuelles en termes de plain language au Royaume-Uni dans le domaine de la terminologie et du discours du vieillissement, par exemple, afin d’éviter tout impair et de pouvoir, au besoin, expliciter dans une glose, les différentes perceptions et acceptations d’équivalences.
2. Senior – Les évolutions en français
Dans le dictionnaire Larousse, l’entrée senior, en tant qu’adjectif et nom, est orthographiée à l’anglaise, les formes sénior, séniore y étant aussi mentionnées. L’étymologie en est double, anglaise et latine (« plus âgé ») et les sens vont de la désignation des personnes de plus de 50 ans aux sportifs qui ont dépassé l’âge limite des juniors, via le champ sémantique de la professionnalisation (« confirmé, sur le plan professionnel : ingénieurs seniors. »), du simple constat temporel aux capacités et compétences acquises avec l’âge. Le domaine privilégié de ce terme est le sport. Le Dictionnaire de l’Académie française indique l’euphémisme « personne âgée, retraitée. Le tourisme des seniors », ainsi que le sens familier « celui, celle qui est en fin de carrière. L’emploi des seniors. ». FranceTerme enregistre une entrée pour le terme senior dans le domaine des relations internationales, à savoir « partenaire principal », équivalent de l’expression anglaise senior partner (Journal officiel du 15 septembre 2013), ainsi que dans le domaine de l’économie et de la gestion d’entreprise, à travers le syntagme « économie des seniors18 » dont le synonyme proposé est « économie des personnes âgées » et qui traduit l’expression hybride anglo-française « silver économie » et l’expression anglaise « silver economy » qui sont à proscrire (Journal officiel du 28 mars 2018).
Le discours médiatique en français emploie généralement l’anglicisme avec une charge affective positive et valorisante, seul ou dans des collocations néologiques comme jeune senior, montrant une tolérance de l’antonymie, de la contradiction (Peyronel, 12 février 2023) et grand senior (Seni-France.fr, 22 septembre 2020), prouvant une re-sémantisation de l’adjectif « grand » qui reçoit le sens d’ancien, à ne pas confondre avec « grand seigneur », qui est un titre de noblesse, accompagné de l’anglicisme pluriterme Baby-Boomers (Bentata, 2 juin 2024) ou des groupes nominaux hybrides anglo-français construits avec le nom silver, argent, comme Silver Économie (Les Échos Solutions, 30 mai 2023), silver santé (Ouest-France, 26 avril 2017), à côté des équivalents français aînés, personnes âgées. Le terme est aussi rencontré dans des contextes chargés d’émotions négatives, comme « féminicides des séniors », solution explicative pour l’euphémisme « drame de vieillesse » employé par des représentants officiels français qui refusent d’utiliser le terme « féminicide »19 :
« Atteinte aussi d’une maladie osseuse, la victime souffrait beaucoup. Ce devait être difficile pour Monsieur de l’entendre crier de douleur », pense l’ex-maire de 84 ans, qui se refuse à employer le terme de « féminicide ». Il s’agit pour lui d’un « drame de la vieillesse », « inéluctable », « le résultat de leur souffrance et d’une profonde solitude » (Hochberg, 24 novembre 2023).
Dans le champ sémantique de la protection des personnes âgées, le terme EHPAD, acronyme du syntagme « établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes »20 a connu, depuis sa création en 2002 qui a signifié l’aboutissement d’un processus de transformation des hospices en maisons de retraite, une évolution de ses caractéristiques sémiques qui vont du positif au négatif. Déjà la loi no 75-535 du 30 juin 1975 opère un changement terminologique fondé sur la charge affective et sur la perception publique :
Tout est d’abord question d’appellation. Organisant la filière sociale et médico-sociale, la loi de 1975 a ainsi commencé par faire entrer le concept de « maison de retraite » dans le langage législatif, « écartant définitivement le terme d’hospice, devenu trop péjoratif », note Gérard Brami, docteur en droit et directeur d’EHPAD pendant près de 40 ans. » (Ehpadia, 14 juin 2022)
L’acronyme ne manque pas de susciter des réactions, qui vont des remarques lexicales de la part des non-linguistes comme les médecins sur le danger déshumanisant de sa concision qui occulte le sens des mots21, aux réflexions neutres affectivement des juristes spécialisés dans l’immobilier sur la définition évolutive de ce terme juridique22, pour aboutir aux discours chargés en émotions négatives des journalistes qui rendent compte des maltraitances subies par les personnes âgées dans les maisons de retraite qui deviennent synonymes de mouroirs (Combis, 2023). La création des EHPAD en France représente le résultat d’un long processus de modernisation de l’administration de la vulnérabilité des personnes démunies, y compris des vieillards23, commencé avec la Révolution française qui avait laïcisé la charité chrétienne en la transformant dans un objet de gestion collective confiée aux autorités de l’État sous la forme du Conseil général des hospices civils de Paris24 fondé en 1801 (Ermakoff, 2012, 2014). Même si elle se fait rare, l’onomastique chrétienne se retrouve encore de nos jours dans certains noms d’EHPAD (ex. EHPAD Sainte-Marie, EHPAD Notre-Dame, EHPAD Résidence Notre-Dame des Champs, EHPAD Sainte-Monique, EHPAD Saint Augustin, etc.) Le passage de l’amour chrétien du prochain à la solidarité sociale, avec toutes les imperfections inhérentes à la vie en société, n’a pas signifié la disparition de la relation affective à l’Autre. La longue marche de la conceptualisation et des réactions affectives qui ont accompagné l’organisation des soins et de la protection apportés aux personnes âgées en France depuis la fin du xviiie siècle reste marquée discursivement par l’ambivalence, les sèmes négatifs relatifs à l’indigence, à la souffrance, aux dénominations devenues péjoratives côtoyant les sèmes positifs de la solidarité, de l’attention, de l’aide, du respect, de la fraternité et de l’égalité. La recherche de l’amélioration des conditions de vie des aînés, signe de l’évolution de la sensibilité et de l’éthique de la société, mais aussi d’une crise dans le domaine de la garantie des droits des aînés, passe aussi par une évolution terminologique.
Aujourd’hui, le syntagme juridique personne âgée est employé dans le discours législatif français du domaine du travail et de l’emploi, mais l’anglicisme apparaît aussi dans des propositions de projets de loi, comme dans la proposition de loi no 1051 du mois d’avril 2023 visant à améliorer l’emploi des seniors. Les auteurs du texte législatif sont conscients de la valeur affective ambiguë de l’anglicisme en français, qui peut être conçu comme « péjoratif », « réducteur et dévalorisant ». Les autres syntagmes utilisés dans le texte (« les plus de cinquante ans », « salariés âgés de 50 ans et plus », « salariés âgés de cinquante-sept ans et plus », « les assurés partis à la retraite », « les travailleurs expérimentés ») sont des euphémismes ; ils sont aussi marqués affectivement par cette ambiguïté et le champ sémantique auquel ils participent est caractérisé par les sèmes [+précarité, +exclusion, +risque] :
Le terme « senior » est déjà en lui‑même péjoratif. Il induit dans les esprits l’idée du passage d’un « cap de productivité », renvoyant à la pyramide des âges du monde professionnel ; cap à partir duquel l’efficacité du travailleur n’irait qu’en déclinant jusqu’à sa mise en retraite ou son licenciement. Au contraire, l’emploi du terme « travailleur expérimenté », comme le préfèrent les rapports de 2020 et 2021, permet de valoriser toute l’expérience de ces travailleurs, leur savoir‑faire et la kyrielle de compétences qu’ils ont acquises au fil de leurs carrières. » (Exposé des motifs, Proposition de loi no1051, p.2)
On observe l’emploi médiatique et politique de l’anglicisme, ainsi qu’une forte charge émotionnelle dans le discours et les débats parlementaires au Sénat, étymologiquement « conseil des anciens » et partageant la même racine latine senior. Les structures techniques et neutres affectivement telles que CDI senior, l’embauche des seniors25 apparaissent dans le même contexte discursif que le groupe nominal connoté négativement « le bourreau des seniors » et la locution verbale « mettre les seniors au travail » qui a comme implicitation « les seniors sont paresseux alors qu’ils devraient travailler26 ». D’autres discours normatifs et de doctrine font usage de l’anglicisme, comme le rapport intitulé « Tableau de bord Seniors : Activité des seniors et politiques d’emploi avril 2022 » et l’analyse « Les seniors au travail. La durée du travail est-elle plus faible à l’approche de la retraite ? » publié par C. Letroublon dans DARES Analyses (août 2017), journal de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, ou encore le rapport « Les seniors, l’emploi et la retraite » publié par France Stratégie, dans lequel la valeur connotative du terme est perçue comme négative :
Le terme même senior peut être perçu comme péjoratif. Le rapport de Sophie Bellon met en évidence cet aspect, ce terme peut être perçu comme réducteur et dévalorisant pour les personnes désignées. Ainsi, le rapport retient la notion de travailleur expérimenté, qui reconnaît davantage la valeur de ce public. « L’Homme jeune marche plus vite que l’ancien. Mais l’ancien connaît la route. » Ces travailleurs expérimentés sont sources de connaissances et de transmission des savoirs. Ils représentent un avantage pour le collectif en entreprise et notamment pour les jeunes qui entrent sur le marché du travail. » (Proposition de loi no 1051)
À noter également l’utilisation d’un proverbe dans un discours politique pour nourrir une réflexion politique et juridique, avec un ancrage éthique dans l’histoire des mentalités.
Une recherche du terme senior sur Légifrance, le site web du gouvernement français pour la diffusion des textes législatifs et réglementaires et des décisions de justice de droit français, a donné 14 523 résultats ; ces occurrences sont réparties comme suit sur la liste des fonds juridiques : codes (3), textes consolidés (20), Journal officiel (1175), circulaires et instructions (59), jurisprudence constitutionnelle (2), jurisprudence administrative (329), jurisprudence judiciaire (653), accords de branche et conventions collectives (473), accords d’entreprise (11 787), CNIL (15), jurisprudence financière (7). On observe que les accords d’entreprise et la jurisprudence judiciaire contiennent le plus grand nombre d’occurrences. Les trois codes identifiés sont le Code de la sécurité sociale, dont la section 1 traite de l’emploi des seniors (Articles R138-25 à R138-31), le Code du sport où le terme senior est écrit avec majuscule (Senior) et désigne une catégorie de sportifs de haut niveau (Articles R221-3, R221-5, R221-7), et le Code de l’action sociale et des familles, dans ce dernier le terme senior apparaissant en tant que substantif dans le nom de l’association « Groupe SOS Seniors » (Article D141-2).
Les deux décisions de la jurisprudence constitutionnelle portent sur des utilisations avec le sens « personnes âgées » : l’emploi des « seniors »27 et « banquet des seniors »28. Dans les arrêts de la jurisprudence financière, les occurrences portent sur des aides subventionnées pour les personnes âgées – cartes senior29, ainsi que de sur des noms de fonctions : membres senior30 senior manager31, consultant senior32, médecin senior33, des seniors de neurologie34, les experts seniors35. Dans les arrêts qui constituent le corpus de la jurisprudence judiciaire, le terme senior(s) se trouve rattaché à différents domaines de spécialité, juridiques et non juridiques, avec les sens « personnes âgées », « ancienneté dans la fonction », « importance », « catégorie sportive ». Dans la catégorie des emplois avec le sens « personnes âgées » (annexe 1), le terme senior a été retrouvé, dans l’ordre de la fréquence des occurrences, dans les domaines suivants : travail et droit du travail, aides accordées par les entreprises aux personnes âgées salariées, l’immobilier, tourisme et loisirs, noms d’entreprise, santé, noms de produits pharmaceutiques et de compléments alimentaires, assurances, la solidarité et les noms d’associations, la presse et les intitulés de magazines, les relations avec les clients, les pénalités. Dans la catégorie des emplois avec des sens autres que « personnes âgées » (annexe 2), le terme senior a été retrouvé, dans l’ordre de la fréquence des occurrences, dans le domaine des noms de fonctions (entreprise, médecine, enseignement), ainsi que dans les domaines du sport, de la finance, du commerce, de l’enseignement, du divertissement à la télévision. Dans les arrêts de la jurisprudence administrative, les domaines dans lesquels le terme senior a été retrouvé avec le sens « personne(s) âgée(s) » (annexe 3) sont, dans l’ordre de la fréquence des occurrences : l’immobilier et les travaux publics, la radio, le droit du travail, les loisirs et la solidarité, le commerce, le nom de magazines, le domaine de la sécurité, l’aide aux personnes âgées, les compléments alimentaires. Le souci pour le bien-être et l’amélioration des conditions de vie des personnes âgées se fait sentir dans la majorité des textes analysés.
La base de données terminologique de l’Union européenne, IATE, a montré que dans le domaine du monde professionnel, et notamment dans les titres de postes, les adjectifs supérieur, principal, haut, supérieur, premier, dirigeant, chevronné, confirmé, expérimenté (« cadre supérieur », « commis principal », « associé principal », « conseillère principale en ressources humaines », « haut fonctionnaire », « officier supérieur », « professeur principal », « vice-président principal », « premier vice-président », « cadre dirigeant de la haute direction », « un traducteur chevronné », « un traducteur confirmé », « un traducteur expérimenté », « un traducteur principal ») sont préférés et les groupes nominaux prépositionnels (« secrétaire de direction », « technicien en chef ») sont recommandés à la place des groupes nominaux contenant l’anglicisme (« cadre sénior », « commis sénior », « associé sénior », « fonctionnaire sénior », « officier sénior », « professeur sénior », « secrétaire sénior », « technicien sénior », « vice-président sénior », « un traducteur sénior »).
Au Canada, une liste avec les emplois fautifs et des solutions peut être consultée dans les Ressources du Portail linguistique du Canada, et plus spécifiquement dans la partie « Clés de la rédaction » où des équivalents sont proposés pour les expressions françaises construites avec cet anglicisme. Dans le domaine du vieillissement, il est préférable de remplacer le terme sénior par personne âgée, aîné ou jeune retraité. Le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française contient l’entrée sénior comme nom masculin équivalent de l’anglais senior, appartenant au domaine du sport. Le même dictionnaire justifie la graphie accentuée par la règle de l’adaptation graphique des emprunts acceptés, à savoir le rajout d’un accent aigu sur la lettre « e » des mots étrangers lorsque ce son est prononcé [é] et observe l’influence anglaise ainsi que la préférence française pour les qualificatifs premier, principal, supérieur, en chef36. Dans la base de données terminologiques du gouvernement canadien TermiumPlus, le terme senior se retrouve dans les domaines de spécialité du sport et du vieillissement, ainsi que dans le vocabulaire général. Dans le domaine du sport, la traduction conseillée de l’anglais senior est « vétéran » ou « maître ». Dans le domaine de la sociologie de la vieillesse et de la famille, le terme anglais est traduit contextuellement par « aîné », « vieillard », « citoyen âgé ». Dans le domaine de la procédure judiciaire, le terme senior est traduit par l’adjectif « principal » et détermine le terme juge (senior judge, fr. juge principal), ou bien il fait partie d’un syntagme qui indique un titre de profession et une réalité culturelle spécifique et alors est rendu par une expression équivalente (senior counsel, fr. conseil de la Reine). Dans le domaine de la sociologie de la vieillesse, les linguistes canadiens listent les termes personne âgée, aîné, vieillard, citoyen âgé comme équivalents des termes anglais elderly, elderly person, elderly people, elder, older person, older adult, senior, aged, aged individual.
Dans le domaine de la traduction il est important de distinguer entre les différentes variantes d’anglais et de français et être conscient des nuances et des emplois existants afin de résoudre les ambiguïtés sémantiques. Aussi, il convient de se tenir au courant des évolutions législatives, normatives et des tendances d’usage afin de comprendre les évolutions sémantiques et affectives des termes. Une connaissance des exigences du lectorat-cible sera un atout, et l’on pourra, ainsi éviter d’employer le terme senior pour traduire des intitulés de fonctions et de postes dans des textes traduits à l’intention des instances européennes, par exemple ; pour un public canadien, le traducteur vers le français privilégiera des mots autres que senior dans le domaine de la vieillesse et du vieillissement.
3. Senior – Les évolutions en roumain
En roumain le terme senior fait partie des mots à étymologie multiple (Graur, 1950 ; Hristea, 1968 ; Sala 1999) ayant une double étymologie, latine avec le sens d’aristocrate et maître, seigneur du Moyen Âge, et française pour le sens sportif, signifiant une catégorie d’âge opposée aux juniors et qui va au-delà de 18 ans, ainsi que le sens de personne âgée (voir DEX). C’est un anglicisme qui ne fait pas partie du discours législatif, restant un terme normatif et administratif. Les textes législatifs utilisent le syntagme terminologique juridique persoană vârstnică, personne âgée, dont la définition est établie sur la base de l’âge légal de départ à la retraite (Legea nr.17 din 6 martie 2000, Legea nr. 19/2018).
Dans les textes normatifs, ce syntagme se retrouve dans des contextes marqués par des charges affectives négatives (risque, vulnérabilité, fragilité, limitations physiologiques) et positives (soin, prestations de sécurité sociale, mesures d’assistance sociale). Cette coloration affective est confirmée par des collocations construites autour des sèmes [+soin, +agir pour, +aider, +prévenir, +social, +réunir, +marginalisation] dans les discours administratifs et normatifs qui emploient le syntagme juridique législatif (Serviciul Asistenţă Persoane Vârstnice (fr. le Service Assistance Personnes Âgées), Unitate Îngrijiri la Domiciliu pentru Persoane Vârstnice, (fr. Unité Soins à Domicile pour Personnes Âgées), Centrul pentru persoane vârstnice (fr. le Centre pour personnes âgées), Serviciul prevenire marginalizare socială, (fr. le Service de prévention de la marginalisation sociale) mais aussi l’anglicisme (Clubul Seniorilor (fr. le Club des Seniors), Centrul pentru Seniori (fr. le Centre pour Seniors) qui apparaît dans l’appellation des structures accompagné d’autres syntagmes comme persoane în vârstă, fr. personnes *dans l’âge, ou dans le corps du texte de présentation du service en question et qui est ressenti comme valorisant et positif. Dans les textes de loi roumains le terme senior est employé dans le domaine des sports.
La recherche avec le substantif féminin pluriel vârstnice, « âgées », dans le titre des textes législatifs de la base de données législatives du Conseil législatif roumain, a donné 515 résultats représentant 515 textes législatifs contenant le syntagme persoane vârstnice, « personnes âgées », tous dédiés au sujet de la protection des personnes âgées. Les textes recensés sur le Portail couvrent la période 2000-2015. Les titres des 47 textes législatifs37 recensés par le Portail entre 2000 et 2011 parlent de plusieurs sous-domaines appartenant au domaine de la protection des personnes âgées : la création du Conseil national des personnes âgées (Consiliului Naţional al Persoanelor Vârstnice, D. nr.54/03-03-2000, L. nr.16/06-03-2000, O.U.G. nr.184/03-11-2000, D. nr.610/17-07-2001, L. nr.457/18-07-2001, D. nr.764/07-10-2004, L. nr.405/11-10-2004, D. nr.427/07-04-2008, L. nr.71/08-04-2008, D. nr.268/10-03-2011, L. nr.27/11-03-2011, D. nr.920/02-12-2011, L. nr.255/05-12-2011), la loi regardant l’assistance sociale des personnes âgées (Legea privind asistenţa socială a persoanelor vârstnice, D. nr.55/03-03-2000, L. nr.281/06-07-2006, D. nr.907/06-07-2006, D. nr.1.082/06-11-2008, L.nr.270/07-11-2008), la création d’une grille nationale d’évaluation des besoins des personnes âgées (Grila naţională de evaluare a nevoilor persoanelor vârstnice, H.G. nr.886/05-10-2000), les allocations de nourriture pour les établissements d’assistance sociale pour adultes et personnes âgées (« alocaţiile de hrană pentru consumurile colective din unităţile bugetare de asistenţă socială pentru adulţi şi persoane vârstnice », H.G. nr.991/26-10-2000), le coût d’entretien moyen mensuel dans les unités d’assistance sociale pour adultes et personnes âgées (« costul mediu lunar de întreţinere în căminele pentru persoanele vârstnice », H.G. nr.1.021/26-10-2000, O. nr.418/04-09-2003 [M.M.S.S.F.], O. nr.687/28-09-2005 [M.M.S.S.F.]), l’entretien, la construction, la réparation, l’aménagement et la modernisation de certains foyers pour personnes âgées (Căminul pentru persoane vârstnice din comuna Tărtăşeşti, judeţul Dâmboviţa, H.G. nr.1.144/25-09-2003), la création de comités de dialogue civique pour les problèmes des personnes âgées dans les préfectures (« comitetelor consultative de dialog civic pentru problemele persoanelor vârstnice, în cadrul prefecturilor », H.G. nr.499/07-04-2004), la création de la Stratégie nationale de développement du système d’assistance sociale pour les personnes âgées 2005-2008 (Strategia naţională de dezvoltare a sistemului de asistenţă socială pentru persoanele vârstnice în perioada 2005-2008, H.G. nr.541/09-06-2005), le soutien pour les activités de volontariat dans le domaine des services de soins à domicile pour les personnes âgées (« activităţile de voluntariat în domeniul serviciilor de îngrijire la domiciliu pentru persoanele vârstnice », H.G. nr.1.317/27-10-2005), l’approbation des programmes d’intérêt national dans le domaine de la protection des personnes avec handicap, et dans le domaine de l’assistance sociale des personnes âgées, des personnes sans abri, des personnes victimes de la violence familiale (« programe de interes naţional în domeniul protecţiei drepturilor persoanelor cu handicap, precum şi în domeniul asistenţei sociale a persoanelor vârstnice, persoanelor fără adăpost şi persoanelor victime ale violenţei în familie », H.G. nr.197/09-02-2006, O. nr.325/27-04-2006 [M.M.S.S.F.], H.G. nr.1.293/20-09-2006, H.G. nr.1.726/06-12-2006, H.G. nr.1.359/12-11-2007, H.G. nr.743/09-07-2008, H.G. nr.629/20-05-2009, H.G. nr.1.171/24-11-2010), les normes minimales spécifiques de qualité pour les services de soins à domicile et dans les centres résidentiels pour personnes âgées (Standarde minime specifice de calitate pentru serviciile de îngrijire la domiciliu pentru persoanele vârstnice şi pentru centrele rezidenţiale pentru persoanele vârstnice, O. nr.246/27-03-2006 (M.M.S.S.F.), l’approbation du Programme d’intérêt national « Le développement du réseau national des foyers pour personnes âgées » (Programul de interes naţional "Dezvoltarea reţelei naţionale de cămine pentru persoanele vârstnice", H.G. nr.212/09-03-2011, O. nr.1.156/17-03-2011 [M.M.F.P.S.], H.G. nr.366/06-04-2011, H.G. nr.376/07-04-2011, O. nr.1.836/06-07-2011 [M.M.F.P.S.]), la redistribution du personnel médico-sanitaire des établissements en voie de transformation en foyers pour les personnes âgées (« redistribuirea personalului de specialitate medicosanitar şi auxiliar sanitar din cadrul unităţilor sanitare propuse a fi reorganizate în cămine pentru persoane vârstnice », O. nr.232/22-03-2011 [M.S.], O. nr.272/29-03-2011 [M.S.], O. nr.385/06-05-2011 [M.S.], O. nr.698/25-05-2011 [M.S.], O. nr.1.064/23-06-2011 [M.S.]).
Ces contextes montrent que le terme-concept personnes âgées est intégré dans le champ sémantique des personnes vulnérables et de la protection.
À noter qu’en Roumanie il a existé entre 2012 et 2018 un ministère dédié au travail, à la famille, à la protection sociales et aux personnes âgées : Ministerul Muncii, Familiei, Protecţiei Sociale şi Persoanelor Vârstnice (H.G. nr. 10/9-01-2013, H.G. nr. 344/30-04-2014). L’intitulé de ce ministère a subi plusieurs changements en 2019, lorsque le syntagme personnes âgées a disparu, ainsi que les termes famille et protection sociale, étant remplacés par « justice sociale », pour réintégrer en 2019 le syntagme protection sociale (voir le Raport anual de activitate 2019, Ministerul muncii și protecției sociale). Aujourd’hui le Ministère s’intitule Ministerul muncii și solidarităţii sociale, le ministère du Travail et de la Solidarité sociale. Les titres des textes législatifs entre 2012 et 2015 mentionnent tous le Ministerul Muncii, Familiei, Protecţiei Sociale şi Persoanelor Vârstnice et la référence aux personnes âgées apparaît uniquement dans cet intitulé.
Une recherche avec le terme senior dans les titres des textes législatifs de la base de données législatives du Conseil législatif roumain, qui contient 194 527 actes normatifs, individuels et internationaux sur une période allant de 1864 au 30 mai 2024, a donné 9 résultats pour la période 2003-2022 et dans les domaines de spécialité suivants : sport, plus précisément karaté, natation et catégories « senior/junior » (Campionatul Mondial de Karate SKDUN pentru seniori, H.G. nr.1.380/27-11-2003 ; Campionatul Mondial de Natatie - Înot Seniori, H.G. nr.833/29-06-2022, H.G. nr.826/27-06-2022 ; « la nivel de seniori şi tineret » O. nr.500/23-06-2022 [M.SP.]), militaire en anglais (“NATO Senior Defence Group on Proliferation – DGP”, O. nr.M.110/10-11-2008 [M.A.], O. nr.M.64/12-06-2009 [M.A.N.]), noms d’entreprise dans le domaine des assurances, avec une structure hybride anglo-roumaine (S.C. Senior Broker de Asigurare - S.R.L. Decizie nr.556/02-03-2016 [A.S.F.], Decizie nr.345/17-05-2011 [C.S.A.]).
Une recherche avec le terme senior dans les textes de la même base de données a donné 20 résultats pour la période 1992-2009 dans les domaines de spécialité suivants : le sport (H.G. nr.151/27-03-1992, H.G. nr.343/09-07-1993, H.G. nr.280/16-06-1994, L. nr.69/28-04-2000, L. nr.472/04-11-2004, D. nr.331/25-04-2005), la ratification des conventions internationales dans le domaine de la lutte contre l’évasion fiscale (L. nr.10/21-03-1996) et de l’Organisation internationale du travail (O.G. nr.16/27-01-2000), la chambre des Auditeurs (O. nr.1.004/13-09-1999 (M.F.), le fonds de réserve budgétaire du gouvernement (H.G. nr.1.132/15-11-2001, H.G. nr.1.150/29-09-2005), la prévention et lutte contre l’utilisation du système financier-bancaire pour financer des actes de terrorisme (O.U.G. nr.159/27-11-2001), les exceptions d’inconstitutionnalité (Code de procédure civile, D.C.C. nr.116/11-04-2002 ; Code pénal, D.C.C. nr.1.213/24-09-2009), la constitutionnalité de la loi du budget (D.C.C. nr.664/14-12-2005), la situation juridique des biens ayant appartenu à l’ex-souverain de Roumanie, Mihai I (D.C.C. nr.600/09-11-2005), l’approbation de la composition d’une commission parlementaire (H.P. nr.50/20-12-2006), l’environnement d’affaires (H.G. nr.305/19-03-2008), le Statut de l’Académie roumaine (Statut. 14-09-2009), l’attribution de décorations (D. nr.1.501/20-10-2009).
Une recherche sur la page « Jurisprudence pertinente » (annexe 4) du portail Jurisprudence du ministère de la Justice roumain avec le terme senior a donné comme résultat 117 arrêts sur 12 pages. La période couverte par ces arrêts s’étale de mai 2013 à 2024. Les occurrences du terme senior prennent différents sens. Le sens « personne âgée » est absent du discours de la jurisprudence roumaine numérisée dans cette partie du portail. La majorité des occurrences (101) se trouvent dans le domaine onomastique, après un patronyme pour indiquer la personne du père ou du frère aîné (ex. R.G. senior, Sentinţă civilă, nr. 11165/2012, 23.09.2013, Judecătoria Bistriţa). Le deuxième domaine dans lequel une fréquence importante du terme a été identifiée (10) est le domaine des noms de fonctions dans l’entreprise, où la forme de singulier est employée à côté du pluriel lexicalisé seniori (specialist comunicare marketing senior (Decizie, nr. 3501, 19.09.2018, Curtea de Apel Bucureşti ; seniori team leader, Sentinţă civilă, nr. 649C, 31.03.2017, Tribunalul Neamţ). Les autres domaines de spécialité contenant le terme senior dans ce corpus sont les noms de fonctions dans la presse (2) Senior Contributor (Sentinţă civilă, nr.1, 04.01.2023, Judecătoria Buzău), Jurnalist TV Senior (Sentinţă civilă, nr.135, 04.02.2019, Tribunalul Iaşi) et le domaine des noms de fonctions forces de l’ordre : Senior Expert de Investigaţii (Sentinţă penală, nr. 530, 18.09.2017, Tribunalul Dolj), où il s’agit d’une traduction de l’anglais américain Senior Investigation Specialist car dans le texte il est question d’un ressortissant américain. Il est intéressant de remarquer que dans le domaine du droit foncier le terme d’origine latine idos, largement employé dans le portugais juridique du Brésil, apparaît à côté de son explication entre parenthèses montrant sa synonymie avec le terme senior : « pentru a sugera cuvântul „idos” (care înseamnă „senior” – s.n.) », en traduction : pour suggérer le mot « idos » (qui signifie « senior ») (Judecătoria Sighişoara, Sentinţa Civilă nr. 751, 29.05.2009)
Une interrogation du portail Jurisprudence du ministère de la Justice roumain (annexe 5) avec le terme senior a donné 1 155 résultats sur 116 pages. La période couverte par ces arrêts s’étale de mai 2013 à 2024. Les occurrences du terme senior prennent différents sens. Comme dans le corpus précédent, la majorité des occurrences ont le sens de distinction d’un patronyme indiquant la personne du père ou du frère aîné. Le deuxième domaine de spécialité où les occurrences apparaissent avec une fréquence élevée (46) est le domaine des noms d’entreprise où senior peut avoir les sens de « personne âgée » (PRIVATE SENIOR CENTER SRL, Tribunalul Bucureşti - dosarul nr. 19 410/3/2023), « expérimenté (s) » (MMS SENIOR TEAM S.R.L., Tribunalul Bucureşti - dosarul nr. 15 478/3/2024) ou bien indiquer le père ou le frère aîné (SC SENIOR ALBU COMPANY SRL, Curtea de Apel Timişoara - dosarul nr. 2819/115/2016/a8). Le domaine des noms d’associations compte 12 occurrences faisant référence exclusivement aux résidences pour personnes âgées ; le terme senior apparaît au singulier ou au pluriel lexicalisé, dans des intitulés en roumain (ASOCIAŢIA UMANITARĂ SAMARITEANUL SENIORILOR, l’association humanitaire Le Samaritain des Seniors (Judecătoria Buftea, 4 ianuarie 2021) ou hybrides roumain-anglais (ASOCIATIA SENIOR RESIDENCE, Judecătoria Târgu Mureş - dosarul nr. 5485/320/2024). Deux autres domaines de spécialité sont représentés : les noms de fonctions dans l’entreprise, où l’on trouve Director Senior (Tribunalul Comercial Argeş - dosarul nr. 2579/216/2020), et les noms de fonctions dans la presse écrite où le syntagme Senior Editor al ziarului (Curtea de Apel Bucureşti - dosarul nr. 28 028/3/2020), en traduction « Senior Editor du journal », est une formation hybride anglo-roumaine.
Le discours journalistique utilise l’anglicisme senior avec son sens néologique de personne âgée, mettant un accent particulier sur les sèmes positifs de valorisation et de divertissement (HotNews, 26 janvier 2022) comme les vacances et le tourisme (Antal, 12 novembre 2022). Les médias roumains emploient le syntagme juridique persoane în vârstă (TVR.info, 25 juillet 2023), les termes non juridiques bunici ou « grands-parents » (Cotidianul, 24 mai 2023) ou vârstnici, « aînés » (Toma, 6 mai 2023), et l’anglicisme senior(i) sur une échelle affective qui va de la neutralité du droit à la tendresse éprouvée envers les membres de la famille proche, le respect dû aux personnes âgées (Chilianu, 21 juin 2018) et le nouveau statut social de la personne âgée moderne qui pratique des activités de loisir et a une vie sociale dynamique (ProTV, 8 mai 2024), statut reflété linguistiquement par l’emprunt à l’anglais. Le nom bătrân, « vieux », est ressenti comme ayant une charge affective contextuellement ambiguë.
Les syntagmes cămin(e) de bătrâni, azil de bătrâni, « foyer pour les vieillards », « asile pour les vieillards », étaient perçus comme négatifs sous le régime communiste, quelques fois même comme des synonymes de mouroirs pour les personnes âgées pauvres et abandonnées, à cause des conditions de vie et de la qualité des services dispensés dans ce type de structures ; cependant, des entreprises privées proposent aujourd’hui des soins et de l’hébergement modernisés pour les personnes âgées, et le sens de ces syntagmes évolue, étant maintenant dotés des sèmes [+aisance, +luxe, +riche, +exclusiviste] ; de nouveaux intitulés apparaissent en roumain comme centru rezidenţial, « centre résidentiel », ou hybrides (en anglais et en roumain) comme IacobCare Senior Center. Cămin de bătrâni, (« IacobCare Senior Center, Foyer pour les vieux »). Le souci pour la création d’une image de marque passe aussi par la transformation de la perception des mots, et les nouvelles maisons de retraite roumaines privées ont compris qu’il fallait rajouter des sèmes positifs au terme azil, « asile », et se positionner sur le marché comme des entreprises qui vont apporter ce changement positif38. Des syntagmes elliptiques où la préposition pentru, pour, est sous-entendue, comme îngrijire vârstnici, soins (pour les) *âgés, îngrijire bătrâni, soins (pour les) vieux, îngrijire seniori, soins (pour les) seniors, sont synonymes mais gardent la variation de connotations, l’anglicisme étant ressenti comme l’euphémisme valorisant par excellence, à tel point qu’un centre de soins pour personnes âgées l’utilise comme nom principal, tout en employant la paraphrase roumaine comme glose : Centrul rezidențial de vârstnici – Senior. Le nombre des maisons de retraite a augmenté en Roumanie après la crise du secteur immobilier lorsque de nombreux bâtiments qui sont restés sans acheteurs ont été transformés dans des résidences privées pour les personnes âgées sans une réglementation adéquate aux besoins médicaux des aînés vulnérables, malades, souffrant souvent d’Alzheimer ou de démence39.
Dans la liste des noms des 669 foyers pour personnes âgées recensés en Roumanie au 26 juillet 2022, il y a 79 occurrences du terme senior (ex. Cămin de bătrâni Casa Seniorilor, Centrul rezidențial seniori Domnești, Casa seniorilor Premium, etc.) et 479 occurrences du syntagme persoane vârstnice, « personnes âgées », ce qui montre une nette préférence pour l’expression autochtone (ex. Cămin persoane vârstnice Pajurei, entrul rezidențial pentru persoane vârstnice, Centrul rezidențial pentru persoane vârstnice Golden Age Residence, etc.). Une partie de ces maisons de retraite portent des noms des saints chrétiens, car bon nombre des maisons de retraite roumaines sont gérées par les paroisses de l’Église orthodoxe roumaine (BOR, Biserica Ortodoxă Română) (ex. Centru pentru persoane vârstnice Sfântul Nectarie, Centrul rezidențial pentru persoane vârstnice Sfânta Maria, Centrul de îngrijire și asistență pentru persoane vârstnice Sf. Dumitru, Centrul rezidențial persoane vârstnice Așezământul Maicii Domnului, etc.) et par l’Église catholique (Cămin de bătrâni Sfântul Martin, Cămin pentru persoane vârstnice Emaus, etc.), d’autres, comme celles appartenant à la Fédération des communautés juives de Roumanie, portent les noms des bienfaiteurs et des personnalités de la communauté (ex. Cămin pentru persoane vârstnice Eeva Elisheva și Adalbert Huber - Huber Arad, Cămin pentru persoane vârstnice Amalia si Șef Rabin Dr. Moses Rosen).
À noter également qu’en Roumanie, officiellement un État laïc, unique pays de langue romane et de religion orthodoxe de l’Europe centrale et orientale, la société roumaine est fortement marquée par la foi et la spiritualité qui ont connu un vif renouveau depuis la chute du communisme en 1989, ceci étant une autre manifestation de la liberté d’expression réprimée pendant la dictature. Le rôle de la religion orthodoxe roumaine est ressenti comme étant étroitement lié à l’intérêt national et à l’identité nationale (Boaru et Niculescu, 2017 : 29). Les valeurs judéo-chrétiennes sont, ainsi, bien présentes dans la société roumaine moderne, étant soutenues par les autorités, notamment dans le contexte de l’appartenance du pays aux structures supranationales de l’OTAN et de l’UE. Ainsi, l’engouement pour le « rêve américain », l’anglais et la « vie à l’occidentale », symboles de réussite et signes de civilisation pour les Roumains libérés d’un régime totalitaire au tout début des années 1990, sont en quelque sorte contrebalancés par un fort courant identitaire qui puise ses sources dans les traditions, l’orthodoxie et les valeurs familiales.
Le traducteur vers le roumain devra faire attention à ne pas employer le terme senior avec le sens de « personne(s) âgée(s) » dans des contextes législatifs, et, au contraire, il emploiera l’anglicisme sémantique avec prédilection dans des contextes liés au marketing, notamment s’il est commissionné par des entreprises qui expriment une préférence pour ce terme40. Une attention particulière sera apportée au contexte qui éclairera le choix de traduction entre senior/vârstnic grâce à l’identification du domaine de spécialité en question qui indiquera le sens du terme : un programator senior, un programmeur senior, expérimenté/ayant une fonction hiérarchique supérieure n’est pas forcément un programator vârstnic, un programmeur âgé. Il est également conseillé d’identifier la position idéologique du public à qui la traduction s’adresse et qui peut percevoir le terme senior(s) avec le sens « personne(s) âgée(s) » comme faisant partie de la nouvelle correction politique41 décriée par une partie de la société42. Pour donner quelques exemples d’usages pratiqués par les services de traduction des institutions européennes, nous avons fait une recherche avec le terme senior dans le corpus OPUS Europarl7 en anglais, français et roumain qui a donné 117 résultats. Ce corpus porte sur les travaux du Parlement européen de 1996 à 2011 dans toutes les langues des États membres de l’Union européenne (European Parliament Proceedings Parallel Corpus 1996-2011).
Sur les 117 résultats, seulement trois contextes présentent des occurrences du terme senior dans les trois langues, avec le sens « père » et, respectivement, « position hiérarchique supérieure » où le mot est placé entre guillemets en français pour signifier son origine étrangère : angl. George Bush senior, fr. George Bush senior, roum. George Bush senior (2 occurrences) ; angl. a senior Vice-President, fr. vice-président « senior », roum. vicepreşedinte senior. Dans le domaine de fonctions dans l’entreprise, deux occurrences ont montré une équivalence anglais-roumain sans que le français emploie le terme senior – angl. senior company executives, roum. personalului senior de conducere, fr. cadres supérieurs – et une équivalence anglais-français où le roumain a employé des ressources propres – angl. senior consultants, fr. les seniors, roum. consultanți superiori. Le sens « personnes âgées » a été traduit en français par la forme substantivée de l’adjectif senior, alors qu’il est rendu en roumain uniquement par des syntagmes construits avec des ressources propres (cetăţeni în vârstă, citoyens dans l’âge, cetățenii vârstnici, citoyens âgés), même quand le français, langue d’influence historique pour le roumain, emploie le terme senior : angl. our senior citizens, fr. nos seniors, roum. cetăţenilor noştri în vârstă ; angl. the problem of senior citizens, fr. le problème des seniors, roum. problema cetăţenilor în vârstă ; angl. senior citizens, fr. les seniors, roum. cetățenii vârstnici ; angl. the employment of senior citizens, fr. l’emploi des seniors, roum. angajarea cetăţenilor în vârstă.
Le français préfère rendre le syntagme senior citizens par diverses structures, comme personnes âgées, personnes du troisième âge, citoyens âgés, citoyens plus âgés, citoyens âgés, alors que le roumain emploie 4 solutions de traduction toutes construites autour du terme vârstă, âge, dont 3 sur le modèle français [citoyen/personne + variante de âge : âgé, dans l’âge] : cetăţeni în vârstă, citoyens dans l’âge, cetățenii vârstnici, citoyens âgés, vârstnicii, les âgés, persoanele în vârstă, les personnes dans l’âge.
Ces exemples montrent une réticence claire de la part des traducteurs français et roumains face au terme senior, tant pour le sens « personnes âgées » que pour les sens relatifs à des positions hiérarchiques dans le monde du travail, ainsi que la pérennité de l’influence française sur le roumain qui continue d’employer des schémas de construction inspirés des modèles français.
4. Senior – Les évolutions en portugais du Brésil
Le Dicionário Houaiss da língua portuguesa en ligne, portant sur le portugais du Brésil, enregistre le mot d’origine latine sênior (orthographié sénior en portugais du Portugal, voir Priberam), dont le sens a changé sous l’influence du français en 1884 dans le domaine des sports pour signifier un sportif qui n’est plus junior, et sous l’influence de l’anglais au xxie siècle qui a donné l’emprunt senior avec le sens de « le plus vieux ». Un autre sens est « celui qui a la plus grande ancienneté » dans une profession ou activité, ou encore « ce qui a été établi ou institué en premier lieu ». Les textes normatifs brésiliens utilisaient le syntagme pessoa idosa et le terme idoso avant 2022. Le portugais législatif du Brésil emploie le terme idoso dans les textes de 2003 et le remplace par le syntagme pessoa idosa au singulier et au pluriel dans les textes de 2022 (Ministério da Saúde 2003, 2007 : 5). Ce changement terminologique (Lei no 10 .741, de 1º de outubro de 2003, Lei nº 14 .423, de 2022), initialement prévu uniquement dans le titre du « statut » (Estatuto do Idoso, Estatuto da Pessoa Idosa), est justifié par le gouvernement brésilien par le souci de combattre les idées préconçues et de promouvoir l’inclusion43, ainsi que pour lutter contre la déshumanisation du vieillissement et pour le droit à la dignité et à l’autonomie. Cinq textes de loi44 sont concernés par ce changement terminologique qui a été initié par une élue membre de la chambre des députés qui considérait le terme idoso comme « extrêmement exclusif », même si sa perception et son ressenti n’étaient pas partagés par tous les députés. Le changement se veut être plus important qu’une simple évolution sémantique, les hommes et femmes politiques soulignant l’importance du sens donné aux mots qui doit être en adéquation avec les besoins de la société. Le rôle des médias est souligné dans la promotion de l’image de la personne âgée tout en incluant la dimension féminine de ce concept, absente dans l’ancienne version législative. La charge affective de ces deux termes, positive et négative, devient évidente grâce au nouveau regard posé sur les textes législatifs à la lumière de l’évolution de la société brésilienne. La vulnérabilité de la personne âgée est doublée par la vulnérabilité de la femme et les deux catégories sont recoupées afin d’augmenter la visibilité de la majorité des personnes âgées qui sont des femmes au Brésil. L’évolution de la connotation du terme idoso, d’un mot politiquement correct à un mot péjoratif et une véritable insulte verbale, montre la transformation de la perception de la personne âgée au sein de la société brésilienne, comme l’explique Oswaldo Peregrina Rodrigues qui s’interroge sur la motivation inconnue de cette métamorphose :
o termo idoso passou a ser o politicamente correto, pois denominar alguém de velho, ou mesmo ancião, sem que se saiba o real motivo, passou a ser considerado pejorativo, verdadeira ofensa verbal, conquanto, há poucos anos, foi sucesso a canção que recitava a frase “meu querido, meu velho, meu amigo...”, em referência à pessoa de um pai. (Brandão et Silveira, 27 août 2021)45
Les principaux domaines de spécialité présents dans les textes des médias brésiliens qui traitent de la thématique des personnes âgées sont les droits des personnes âgées et les politiques mises en place par les autorités. Les termes idoso et pessoa idosa sont employés comme synonymes encore aujourd’hui et souvent sans prendre en considération la distinction faite par les textes législatifs. Ainsi peut-on lire dans un même article : « O Brasil tem mais de 30 milhões de idosos. », « Le Brésil compte plus de 30 millions de personnes âgées [idosos]. » et « Garantir os direitos das pessoas idosas é garantir os direitos de todos, porque o objetivo da nossa sociedade é que todos cheguem lá. » (Fantástico, 1er octobre 2023), trad. « Garantir les droits des personnes âgées [pessoas idosas], c’est garantir les droits de tous, car l’objectif de notre société est que tout le monde y arrive. » D’autres articles emploient seulement le terme idoso : « um deles acabou matando com um tiro na cabeça um idoso de 71 anos que andava pela calçada a caminho de uma farmácia. » (Jornal do Brasil, 30 mai 2024), trad. « l’un d’entre eux a fini par tirer une balle dans la tête d’un aîné de 71 ans qui marchait sur le trottoir pour se rendre dans une pharmacie. », ou encore « Como é a Previdência do país com maior número de idosos? » (Rômulo Saraiva, 21 mai 2024), trad. « Comment se porte la sécurité sociale dans le pays qui compte le plus grand nombre de personnes âgées [idosos)] ? » Dans les articles des médias, le syntagme pessoa idosa apparaît toujours dans des contextes juridiques et quasi juridiques, en référence au « statut » de la personne âgée : « No aniversário de 20 anos de estatuto, ministro lança ações para pessoas idosas » (Rittner, 3 octobre 2023), trad. « Le ministre lance des actions en faveur des personnes âgées à l’occasion du 20e anniversaire du statut ».
Dans la société brésilienne moderne, la religion détient une place importante, la société étant caractérisée par le pluralisme religieux et le rôle majeur des religions d’origine judéo-chrétienne (catholique, protestantisme évangélique) dans la participation politique des citoyens à la vie dans la cité :
la liberté religieuse générée par la séparation de l’Église et de l’État a débouché sur un pluralisme religieux qui a conquis son espace et s’est affirmé au moment de la reconstitution démocratique de l’État brésilien après la dictature de 1964-1985. […] La pluralisation du panorama religieux et l’entrée en scène des acteurs évangéliques en politique lors de la redémocratisation de l’État, sont des caractéristiques saillantes du Brésil contemporain. » (Reina, 2018)
Ainsi, l’importance accordée aux droits et au bien-être des personnes âgées dans la société brésilienne, société fortement ancrée dans le lien social et intergénérationnel, trouve son origine à la fois dans les valeurs inspirées par la spiritualité et dans la conscience politico-sociale moderne influencée par les principes des sociétés occidentales.
Une recherche avec le terme senior/sênor dans la base de données de la législation brésilienne Jusbrasil a donné 409 résultats sur 40 pages. Le moteur de recherche n’a pas montré de sensibilité à la différence entre les formes senior et sênior, ce qui montre qu’au moins en ligne il y a une instabilité graphique dans les textes juridiques. Les domaines dans lesquels le terme senior a été retrouvé sont variés (annexe 6). La majorité des occurrences sont des noms de fonctions forgés sur le modèle anglo-américain : au sein de l’entreprise (35) (ex. Operador Sênior, Programador Sênior, Lei Complementar nº 1044, de 13 de maio de 2008), Técnico em Recursos Ambientais Senior, Decreto nº 32 721, de 18 de dezembro de 1990), dans le domaine de la santé (11) (ex. Médico do Trabalho "Senior", Cirurgião-dentista "Sênior", Médico "Sênior", Lei Complementar nº 9 de 18 de dezembro de 1990), dans le domaine de l’enseignement et de la formation (13) (ex. Educador Infantil Sênior, Lei nº 3518 de 23 de março de 2009), dans la fonction publique (5) (ex. Assessoria Sênior de Educação Ambiental, Assessoria Sênior de Captação de Recursos, Lei nº 5575 de 24 de janeiro de 2005), dans le domaine de la religion (1) : Pastor sênior da Igreja Lagoinha de Niterói (resolução nº. 76, de 2019). Dans le domaine du sport et des compétitions 9 occurrences ont été identifiées (ex. Associação Sênior de Futsal de Lages, Amizade Futsal Sênior, equipes sênior, Lei nº 3256 de 25 de novembro de 2005). Deux autres occurrences ont été trouvées dans le domaine de l’agriculture pour parler des animaux (sênior, Decreto nº 3.413, de 8 de Março de 1974) et dans le nom d’une entreprise, Senior Alimentos S.A. (Lei nº 4597 de 12 de junho de 2000).
Le sens « personne âgée » est présent dans 8 occurrences, dont cinq dénomment des tickets de transport en commun pour les personnes âgées de plus de 65 ans : RioCard Sênior e o Cartão de Estacionamento Prioritário (Lei nº 8233 de 10 de dezembro de 2018. Legislação 11/12/2018 Governo do Estado do Rio de Janeiro), Cartão Sênior (Artigo 4 da Lei nº 1.175 de 28 de Março de 2008 do Munícipio de São Jose dos Pinhais ; Artigo 17 do Decreto nº 19 004 de 01 de Julho de 2009 do Munícipio de Foz do Iguaçu), Bilhete Senior (Decreto nº 60.595, de 2 de julho de 2014, Legislação, 03/07/2014, Governo do Estado de São Paulo, Artigo 2 do Decreto nº 60.595 de 02 de Julho de 2014 de São Paulo), Bilhete Eletrônico Municipal Sênior - BEM Sênior (Artigo 34 do Decreto nº 10 177 de 23 de Abril de 2009 do Munícipio do Osasco), bilhete eletrônico Sênior (Artigo 22 da Lei nº 4 201 de 16 de Janeiro de 2008 do Munícipio do Osasco). Deux occurrences appartiennent au domaine des loisirs pour les personnes âgées, et plus particulièrement au domaine de la danse : Dia Municipal da Dança Sênior (Artigo 1 da Lei nº 7 284 de 13 de Maio de 2008 do Munícipio de Blumenau), Grupo de Dança Sênior Reviver (Artigo 1 da Lei nº 2 499 de 26 de Junho de 2007 do Munícipio de Ibirama), tandis qu’une occurrence parle d’un club pour les personnes âgées, O « Clube Senior de Pomerode » (Artigo 2 da Lei nº 1 464 de 09 de Dezembro de 1999 do Munícipio de Pomerode).
Une autre catégorie bien représentée est celle des noms de rue où senior est placé après un patronyme pour distinguer le plus âgé de deux hommes qui, dans une même famille, portent le même nom (ex. Rua Pedro Krauss Senior [Lei nº 2335 de 06 de abril de 1978, Câmara Municipal de Blumenau], Rua Júlio Rüdiger Senior [Lei nº 2376 de 06 de julho de 1978, Câmara Municipal de Blumenau], Rua Henrique Reuzing Senior [Artigo 1 da Lei nº 606 de 04 de Julho de 2000 do Munícipio de São Bento do Sul], etc.
Une recherche avec le terme senior dans la base de données de la jurisprudence du Supremo Tribunal Federal (Jusbrasil) [STF] a donné 184 résultats sur 18 pages. Premièrement, l’on remarque l’absence du sens « personne âgée », car la majorité des occurrences [26] du terme senior et de sa variante lexicalisée sênior sont à l’intérieur des noms de fonctions dans l’entreprise [annexe 7], étant forgés sur le modèle anglo-américain [economista sênior, STF - mandado de injunção: MI 7300 DF – Districto Federal] ; Vice-Presidente Senior, STF - Medida cautelar na reclamação: MC Rcl 22328 RJ - Rio de). D’autres anglicismes apparaissent aux côtés du terme senior, comme marketing (assistente de marketing sênior, STF - execução penal: EP 4 DF - Distrito Federal). Le terme senior, écrit à la graphie portugaise ou anglo-américaine, est employé pour nommer des catégories supérieures dans les professions juridiques : juízes seniors (STF - AG.REG. no recurso ordinário em habeas corpus: RHC R), advogado sênior (STF - recurso extraordinário com agravo: ARE RJ - Rio de Janeiro), Assessores Jurídicos Sêniores (STF - recurso extraordinário: re SC), advogado Sênior da Procuradoria na Seção das Cortes Superiores do Escritório do Diretor da Procuradoria Pública (STF - extradição: Ext 1326 DF - Distrito Federal). Une occurrence a été identifiée dans le domaine politique (os elementos seniores do governo, Supremo Tribunal Federal STF - Reclamação : Rcl 19 706 BA - Bahia) et une autre dans le domaine de l’action syndicale (Assessor Técnico Sênior da Confederação da Agricultura e Pecuária do Brasil (STF - Audiência pública na ação direta de inconstitucionalidade: AUDPUB ADI 4903 DF - Distrito Federal). Deux occurrences ont été trouvées dans le domaine des compléments alimentaires : Sustap Sênior, Nutren Sênior (STF - reclamação: Rcl 45077 AL – Alagoas). Deux occurrences appartiennent au domaine des noms d’entreprises, à savoir une société de transport de personnes, Senior Táxi Aéreo LTDA (STF - EMB.DECL. no recurso extraordinário com agravo: ED ARE RJ - Rio de Janeiro) et une société dans le domaine de la santé, Prevent Senior (STF - Habeas Corpus : HC DF – Districto Federal). Trois occurrences ont été identifiées dans les domaines de l’enseignement et de la recherche : professor associado sênior, cientista sênior (STF - ação direta de inconstitucionalidade: ADI 3937 SP - São Paulo), Pesquisador Sênior (STF - mandado de segurança: MS 25091 DF Districto Federal). Le terme senior n’est, ainsi, employé pour parler des personnes âgées que dans des contextes spécifiques, associés aux loisirs des aînés et aux privilèges que la société leur accorde afin de les protéger. Dans les médias, ces emplois se retrouvent, et les seules occasions où les termes senior ou sênior font référence aux personnes âgées sont les textes qui traitent des résidences (Rede Sênior, Ribas, 29 mars 2023) et des tickets de transport en commun pour les personnes âgées (Cartão TOP Sênior, Pinheiro, 22 mai 2024).
L’absence d’exemples de noms de maisons de retraite parle d’une caractéristique culturelle brésilienne qui associe l’idée de maison de retraite aux images négatives de l’abandon, du mouroir, de la pauvreté46 (Camarano, Barbosa 2016 ; Christophe, Camarano 2010 ; Born 2001; Davim et al. 2004), suscitant de la part des familles qui sont obligées de confier leurs aînés à ce type d’institutions publiques ou privées un sentiment de faute et d’échec (Camarano, Scharfstein 2010). Les Instituições de Longa Permanência para Idosos (ILPI)47, établissements de long séjour pour personnes âgées, régies par la Resolução da Diretoria Colegiada (RDC) 502 du 27 mai 2021, une refonte de la Resolução da Diretoria Colegiada (RDC) 283 du 26 septembre 2005, étaient au nombre de 2118 au Brésil en juin 2020. Aucun des noms de ces établissements ne contient le mot senior/sênior, la majorité ayant une onomastique religieuse chrétienne, alors que les occurrences du terme idoso(s) sont au nombre de 405 : ex. Casa do idoso São Vicente de Paulo, Lar de idosos Nossa Senhora do Carmo, Lar dos idosos de Cruz das Almas, Associação Abrigo dos idosos São Vicente de Paulo de Uauá, etc. Le substantif velho(s), vieux, est employé dans 42 intitulés d’ILPIs : ex. Asilo de velhos Jesus Nazareno, Lar dos velhos Paulo De Tarso, Sociedade de Proteção e Abrigo dos velhos Monsenhor Paulo Heroncio, etc. L’émotion est présente dans les discours des ILPIs, quelques fois sur le frontispice même des bâtiments ; ainsi, à côté de la porte d’entrée de l’Abrigo dos velhos desamparados Joao Pedro Valadão, l’on peut lire le slogan et le crédo de cet établissement : « Cuidado do idoso, mais que uma profissão, um ato de amor », soit « le soin du vieillard, plus qu’une profession, un acte d’amour ».
Pour le traducteur vers le portugais du Brésil, il importe de toujours contextualiser le texte de départ et avoir les connaissances culturelles nécessaires afin d’éviter les confusions d’emploi entre les termes idoso et pessoa idosa, idoso et senior/sênior, dont l’appartenance à des domaines de spécialité est bien délimitée. Une sensibilité aux questions relatives à la discrimination sera aussi utile afin de respecter les prises de position des auteurs et du public-cible. Une fois de plus, l’évolution des systèmes juridiques est liée à l’évolution des mentalités, ceci s’exprimant à travers de nouvelles façons de dire que le traducteur doit connaître grâce à un intérêt constant pour l’actualité et à des recherches documentaires poussées.
Conclusion
À la fin de cette analyse, il ressort, suivant la réflexion de J. Aymerich Freixa et S. Fernández-Silva (2017), que le terme senior, en tant que terme d’appartenance multiple employé dans des domaines de spécialité variés, est « insaturable » (unsaturable), se trouvant dans un processus de construction auquel participent les initiés et les non-initiés, qui dépend des situations de communication exigeant différentes attitudes, comme l’adaptation à la sensibilité des interlocuteurs et aux domaines de spécialité dans lesquels les discours ont lieu. Cette « insaturabilité » caractérise aussi, d’un point de vue connotatif et affectif, d’autres termes appartenant au domaine de la vieillesse et du vieillissement, comme elderly ou older people, préférés, rejetés et de nouveau favorisés, selon les métamorphoses des perceptions et des sociétés.
Des études en terminologie diachronique approfondies enrichiront sans doute ce domaine de spécialité qui subit des mutations importantes visibles dans les mots utilisés et pourront répondre à des questions théoriques comme celle posée par P. Dury et A. Picton – « quel(s) terme(s) employer pour décrire la diachronie (doit-on parler de cycle, de cycle terminologique, de mouvement(s) terminologique(s), de changement, d’évolution, de variation, d’instabilité, de renouvellement terminologique ? ») (Dury et Picton, 2009 : 34) – à travers des exemples concrets : un exemple de cycle terminologique, comme celui du terme senior dont les sens contiennent tous le sème [+antériorité] ; un autre exemple de renouvellement terminologique, comme le démontre le terme azil en roumain dont la connotation négative est en train d’évoluer vers une image positive ; une démonstration de variation, comme dans l’exemple du français qui emploie le néologisme sémantique senior aux côtés d’autres structures plus anciennes ; l’exemplification de l’instabilité lorsque plusieurs solutions d’équivalence sont employées pour traduire l’anglais senior citizens dans le même texte et renvoient à des perceptions différentes (personnes âgées, seniors, retraités, etc.) ; un exemple d’évolution, lorsque le terme idoso est remplacé dans le portugais du Brésil par une expression ressentie comme étant non discriminatoire, pessoa idosa, grâce à un changement de mentalité dans la société brésilienne.
Dans les textes juridiques et non juridiques identifiés, ainsi que dans les corpus analysés, des points de convergence et de divergence ont été relevés concernant l’emploi du terme senior et d’autres termes utilisés pour parler des personnes âgées.
Ainsi, dans le domaine lexico-sémantique et terminologique, il a été observé :
- la coexistence dans les langues étudiées, pour le terme senior, du sens « personnes âgées » avec les sens « distinction faite entre le père et son fils ou entre le fils aîné et son frère cadet, positionné après un patronyme », « ancienneté », « catégorie sportive » ;
- la présence des sèmes [+humain] et [-humain] caractérisant le terme senior dans les quatre langues étudiées ;
- le double emploi morphologique de senior (adjectif et substantif) dans les quatre langues étudiées ;
- l’existence de champs sémantiques prédominants communs pour le terme senior, comme la vulnérabilité et la protection, déclinés dans des domaines d’activités variés : les aides, la santé, l’immobilier, les noms de centres de loisirs, d’accueil et de santé, les loisirs ;
- un sens qui a du mal à s’exporter de l’anglo-américain vers les langues latines analysées : « étudiant des classes supérieures » ;
- une évolution affective négative de la perception du terme senior qui a engendré de nouvelles recommandations par les spécialistes du plain language/langage clair visant la limitation ou le bannissement de l’emploi de ce terme, considéré comme porteur de préjugés, et son remplacement par des structures moins stéréotypées construites avec l’adjectif comparatif older ;
- une évolution dans la perception et la réaction affective au concept de « foyer pour les personnes âgées/maison de retraite » : en français le terme « EHPAD » a subi une dévalorisation, étant aujourd’hui connoté négativement ; en roumain, le terme azil a subi une valorisation, grâce aussi aux autres variantes dénominatives construites avec des anglicismes, signes de modernité dotés de charges émotionnelles positives ; au Brésil le concept de maison de retraite est connoté négativement et est relié aux notions d’abandon, de mouroir et de pauvreté.
- les noms des établissements publics et privés pour les personnes âgées en Roumanie et au Brésil appartiennent dans une grande mesure à l’onomastique chrétienne. Les noms de saints chrétiens se retrouvent aussi, dans une moindre mesure, dans les noms d’EHPAD français et dans les nursing homes américains.
Dans le domaine des langues et des discours de spécialité, nous avons remarqué :
- une forte présence dans toutes les langues étudiées du terme senior dans les noms de fonctions juridiques et non juridiques ;
- l’existence de spécificités linguistiques pour chaque langue : la majorité des occurrences en roumain ont le sens « distinction faite entre le père et son fils ou entre le fils aîné et son frère cadet » ; le portugais du Brésil emploie avec prédilection la post-position ; le français utilise parfois simultanément les anglicismes et leurs traductions ainsi qu’une graphie hésitante, suivant la forme anglaise ou francisée avec « é », au singulier ou au pluriel ;
- une préférence pour les termes et syntagmes créés avec des moyens propres dans les textes juridiques roumains et brésiliens qui règlementent la protection des personnes âgées, où le concept juridique « personnes âgées » est rendu exclusivement par les structures autochtones persoane vârstnice et, respectivement, pessoas idosas, phénomène qui contraste fortement avec l’ample usage fait en français du terme senior dans les textes législatifs, normatifs, judiciaires, etc. ;
- des pièges de traduction, notamment concernant la confusion entre différents domaines d’application et les usages des termes de spécialité : idoso/pessoa idosa/senior, sênior dans le portugais du Brésil, senior/vârstnic en roumain, les différences d’usage entre les variantes d’anglais (Royaume-Uni, États-Unis) et de français (Canada, France), les règles évolutives du plain language, le langage clarifié.
Dans le domaine discursif, il a été constaté que :
- il existe une charge affective plus importante dans les textes journalistiques français et roumains, alors qu’elle est plus réduite dans les textes journalistiques américains et brésiliens ;
- l’attention portée aux personnes âgées et aux différentes manières de les nommer subit des influences extra-linguistiques (culturelles, religieuses, sociales, politiques, psychologiques), ancrées émotionnellement et détectables dans les discours juridiques et non juridiques des quatre sociétés analysées : l’influence de la religion et de la culture judéo-chrétienne est un facteur crucial aux États-Unis, en Roumanie et au Brésil, alors qu’en France, « République indivisible, laïque, démocratique et sociale » (Constitution de la Ve République) les droits sociaux et l’État de droit constituent le pilier de la protection sociale garantie par l’État ;
- la cohérence des discours normatifs et des usages terminologiques est fluctuante ; au Brésil le syntagme pessoa idosa est employé uniquement dans le discours juridique et quasi juridique (lorsque d’autres discours parlent du droit), les discours non juridiques utilisant le terme idoso ; aux États-Unis et en France le terme senior appartient à la terminologie juridique (législative et non législative) et non juridique ; en Roumanie le terme senior appartient aux discours non juridiques ainsi qu’à la terminologie normative et administrative, sans être un terme législatif.
Dans le domaine des influences linguistiques apparues lors du contact entre les langues, il a été confirmé que :
- l’anglo-américain a une forte influence sur les trois langues latines, repartie sur des domaines différents : le domaine des noms de fonctions en français (avec un sens indiquant l’ancienneté et/ou l’expertise dans une fonction) et le domaine des noms d’entreprises et d’associations en roumain qui emploient des mots et des syntagmes en anglais ; le domaine des loisirs où le concept du « club des seniors » est présent dans les trois langues latines ; les constructions avec des ressources propres sur le modèle anglo-américain prédominent dans le domaine des noms de fonctions en portugais du Brésil ; le français continue son œuvre d’influence sur la langue roumaine : des concepts comme celui du « club pour séniors » ont été empruntés (clubul seniorilor) au sein desquels clubs est un mot d’étymologie anglaise, employé de longue date, entré dans la langue roumaine par l’intermédiaire du français ; la pérennité de l’influence française sur le roumain se manifeste aussi par les schémas de construction inspirés des modèles français (persoane în vârstă, cetăţeni vârstnici, « personnes dans l’âge, personnes âgées »).
À la lumière de ces observations, il apparaît que les mots sont les garants fidèles des droits des personnes âgées, et aussi des témoins précieux de l’évolution des systèmes juridiques et des mentalités, fonctionnant comme des rappels de l’importance du phénomène protéiforme du vieillissement dans nos sociétés qui se définissent aussi en fonction de la manière dont nous protégeons nos aînés. Ceci reste particulièrement vrai dans le contexte de la mondialisation des échanges qui a vu naître l’internationalisme sémantique senior, sur fond de multiples crises qui ont mis à l’épreuve le domaine de spécialité de la vieillesse et du vieillissement aux États-Unis comme au Brésil, en France comme en Roumanie, pour trouver de nouvelles manières d’exprimer ses métamorphoses. Le jurilinguiste, tout comme le traducteur juridique, doivent, ainsi, redoubler d’efforts pour se tenir au courant de ces évolutions tout en gardant à l’esprit les motivations affectives qui régissent les choix linguistiques et qui sont ancrées culturellement, puisque « Langue et culture sont indissociables. Le droit en est une des manifestations les plus évidentes : il incarne au plus haut point le fait culturel d’un peuple. » (Gémar, 2011 : 9)