Fécondité de l’entre-deux

  • Fertility of the In-Between

DOI : 10.35562/iris.1437

p. 109-120

Résumés

L’auteur donne un bref survol de la notion d’entre-deux comme dynamique où émergent, se croisent et évoluent les interactions entre deux pôles différents ou opposés. Cette dynamique va à l’encontre du clivage, si fréquent dans les discours et les pensées quand on a peur d’intégrer deux termes antinomiques, ne voyant pas que l’entre-deux offre un tiers ou une ligne de fuite pour échapper au blocage. L’auteur montre que cette dynamique a porté et fécondé l’ensemble de son œuvre.

The author gives a brief flying over the notion of in-between as dynamics where emerge, cross and evolve the interactions between two different or opposite poles. This dynamics goes against the cleavage, so frequent in the speeches and the thoughts when one is afraid of integrating two paradoxical terms, not seeing that the in-between offers a third or a base line to escape the blocking. The author shows that this dynamics has carried and fertilized his whole work.

Texte

Les mots de l’entre-deux en donnent quelques images : le col (entre-deux montagnes), la crête (entre-deux versants), la fente (sexe féminin), la faille ; j’en ai explorés quelques-uns : l’entre-deux-langues, incluant la traduction et aussi l’entre-deux-langues du baiser, où les deux cherchent leurs racines dans le vertige où absence et présence rivalisent ; l’entre-deux-amoureux ; l’entre-deux-lieux du voyage, l’entre-deux-morts, ou deux-cultures ou deux-générations. On imagine l’enfant qui passe dans l’entre-deux parental, ou pour qui cela fait impasse, ce dont plus tard il fera sa névrose ; notamment l’obsessionnel coincé entre deux choix qui deviennent absurdement équivalents ; et l’entre-deux de la simple rencontre ou de la rencontre en analyse ; la prison comme entre-deux-périodes de la vie ; l’entre-deux adolescent, l’entre-deux des chômeurs (entre deux places, dont l’une puis l’autre peut rester vide) ; l’image, entre réel et fantasme. Et d’autres effets de frontière, quand celle-ci n’est pas un simple trait mais toute une bande où deux territoires s’influencent, où deux « cultures » s’entremêlent, voire deux identités1.

1. Le livre Entre-deux (Sibony, 1991) était sous-tendu par un manuscrit, Question d’être (Sibony, 2015), où je montrais que la pensée de l’être chez Heidegger était calquée, consciemment ou non, sur celle qui est à l’œuvre dans la Bible hébraïque (où le nom du divin YHVH est l’anagramme de l’être), mais qu’il y manquait l’idée de transmission, centrale dans le texte hébreu ; l’idée de l’être, non pas comme essence mais comme passage du possible en-travers de ce qu’il y a ; du possible transversal à ce-qui-est. On peut même dire que le divin, dans ce texte, n’est autre que la transmission infinie du lieu d’être, de l’avoir lieu d’être ; d’où le rapport immédiat avec le temps. J’indiquais qu’en hébreu, le mot comprendre se dit byn, c’est-à-dire entre ou entre-deux ; comprendre c’est faire de l’entre-deux, lire entre les lignes, passer entre l’apparence et le réel. (L’intelligence elle-même est une dynamique d’entre-deux, qui relie ce qui est séparé et sépare ce qui est trop lié ou compacté ; c’est un processus entre le lisible et l’illisible.) Si deux personnes cherchent à se comprendre, ce n’est pas tant que chacune fouille dans l’autre pour voir ce qu’elle peut prendre avec elle, c’est que leur rencontre produit de l’entre-deux comme potentiel jouable où peuvent émerger des surprises, espace ouvert au jeu de l’être, où l’amour, le hasard et leurs contraires mènent la partie2.

Quand je parle de l’être, ce n’est pas de l’essence platonicienne, où le monde des Idées est durement idéalisant ; on dit qu’il révèle les choses telles qu’elles sont « réellement », admettons-le, mais rien ne nous est dit sur leurs interactions, les recoupements entre leurs champs, les effets de leurs gravitations, les transmissions de l’une à d’autres, les passages de l’une par l’autre. L’entre-deux vient de ce que l’être, aux prises avec la transmission, produit de l’évènement d’être, de la secousse d’être, où apparaît autre chose que ce-qui-est, autre chose qui est transverse ou transversal ; en un sens, ce serait l’être des philosophes mais cassé. Par on ne sait quoi, peut-être par la poussée de la vie. L’être tel que je l’entends porte et traverse ce-qui-est. Dans l’étant, il y en a juste assez pour que ça tienne, mais l’être le traverse, il fait être la chose mais il est lui-même marqué d’une faille, celle de son passage par la chose. L’être est en dissension interne avec lui-même, donc aussi en devenir. Les choses et les « êtres » sont par transmission d’être. Du coup, toute identité est partagée, même si elle dénie ce partage pour s’afficher assez complète3. Et si l’être c’est l’origine, c’est l’être partagé par la transmission. L’identité qui s’ensuit est aussi en dissension avec elle-même même si, en général, elle répare cette faille interne sur le dos des autres.

Mais j’ai publié Entre-deux4, à partir d’une critique de la différence, et de l’identité conçue comme identique à soi, alors que l’identité est fêlée, marquée d’une faille qui inaugure un processus où l’identité c’est la séquence ouverte de ses écarts à elle-même. C’est l’entre-deux-identités ou entre deux faces de la même identité, qui en comporte une longue série, selon la transmission qui la parcourt. Du reste, le portrait en couverture du livre est un tableau de Rembrandt brisé, représentant Isaac et Rebecca comme parents fondateurs du peuple qui se transmettait cette faille de l’identité, grâce à laquelle cette transmission a perduré, toujours changeante et toujours présente. D’où l’idée de l’identité comme processus qui appelle à l’existence où il peut se mettre en acte.

Dans Entre-deux, je donne beaucoup d’images réelles de la manière dont il fait travailler la faille, partant de cette entorse à la logique d’Aristote où a = a. Ce principe est cassé et en même temps maintenu ; c’est même une forme de l’entre-deux : identité à soi et différence d’avec soi. J’avais parlé d’une tradition selon laquelle un tribunal unanime à condamner l’accusé doit le relâcher. Si on l’applique à un seul individu, il s’ensuit que : s’il est unanime avec lui-même sur une idée, il doit lâcher prise et se poser des questions ; il risque d’avoir perdu sa dissension interne, son écart à soi-même ou son jeu d’exister ; son « je », si l’on pose que c’est l’ensemble des jeux où l’on peut être partie prenante.

2. Quand je retrouve chez d’autres un des trajets de l’entre-deux, qui en comporte tant d’autres, cela me rappelle qu’une idée n’appartient pas à celui qui l’a trouvée, car une fois découverte, elle appartient à tout le monde ; mais s’il continue à l’explorer, la pratiquer, s’il l’a fréquentée avant de l’avoir trouvée, alors il a avec elle des liens de complicité tels qu’il est chez lui dans le champ de cette notion, et l’idée de propriété devient inutile. C’est mon cas avec l’entre-deux, cette idée a insisté dans mes ouvrages antérieurs, et je m’en suis beaucoup servi dans la vingtaine qui ont suivi, par exemple aujourd’hui, quand j’étudie l’entre-deux Islam-Occident5.

Tout cela semble nous éloigner de l’intuition immédiate de l’entre-deux comme écart ou comme entre… Je n’ai pas gardé l’entre tout seul, car il faut du deux pour faire l’entre-deux ; deux montants de porte pour entrer, deux cuisses pour l’entre-deux où entre le sexe et d’où sort l’enfant — qui plus tard fera des siennes dans l’entre deux parents… Mais la faille, je l’ai gardée, elle traverse toute mon œuvre, et a fini par résonner avec la faille essentielle entre l’être et ce-qui-est, entre l’origine et l’actuel. Elle se décline toujours en effet de frontière.

La sensation de l’entre-deux s’est imposée à moi à partir de l’entre-deux-femmes, notion que j’ai créée pour repenser « l’hystérie » (Sibony, 1978), et introduire l’espace où se joue la transmission du féminin entre la mère et la fille, entre une femme et l’autre femme, dans une scène où l’homme est souvent secondaire, bien qu’il soit un possible catalyseur. Mais l’entre-deux provenait de trois autres sources ; l’une mathématique, où quand on a deux structures, l’important c’est l’ensemble des transformations qui font passer de l’une à l’autre, ou de l’une dans elle-même, et leurs singularités6. L’autre source est la psychanalyse, où entre patient et thérapeute se déclenche une dynamique qui, grâce au transfert réciproque, ouvre un champ d’interprétation, d’intervention symbolique qu’on espère libératrice, qui devrait même présentifier l’instance du tiers, seule capable de conjurer les emprises imaginaires. La troisième source est la transmission hébraïque, partant de la Bible, traversant quelques millénaires, qui élabore et fait tenir un peuple de l’entre-deux, entre ciel et terre, entre l’origine et l’actuel, entre ici et ailleurs (la fameuse « terre promise » et l’errance pour y arriver), instaurant elle aussi l’interprétation, comme pratique quotidienne entre deux sens7. D’autres sources ont dû agir, plus personnelles, par exemple le fait d’être immigré, venu d’un pays arabe, d’avoir vécu plusieurs entre-deux-langues et deux cultures, d’avoir vécu l’exil chez soi, dans son lieu natal, au cœur de son origine.

L’entre-deux, certains l’imaginent mince, intersticiel ; mais il peut être vaste ; le ciel en hébreu est un entre-deux : immense comme il est, il désigne deux-fois-là-bas ; le là-bas du là-bas ; le ciel, c’est, une fois que vous êtes là-bas, la possibilité d’entrevoir d’autres là-bas, partant du là où vous êtes ; c’est une succession infinie de limites reportées, un accordéon céleste de limites ; avec toujours des points d’appui terrestres.

Et comme « le ciel » s’écrit aussi comme « les noms » (shémim), disons que le nom est un potentiel d’entre-deux ; nommer quelqu’un c’est l’assigner à une place avec l’espoir de déplacements et de trajets qui sont d’abord des entre-deux, entre l’origine manquée et la fin à venir ; trajets qui, après-coup, peuvent devenir les siens et enrichir son nom comme force d’appel. Plus généralement, un symbole est un entre-deux ; symboliser implique souvent l’entre-deux-corps ; sinon, on imagine qu’on symbolise, mais cela n’a pas d’effet réel.

Nous verrons que ce sont des cas singuliers de l’entre-deux fondamental, entre l’être et ce-qui-est, entre le possible et l’advenu, tous deux liés et séparés par le devenir.

3. Ma critique de la différence, comme concept insuffisant et non pas faux, tient au fait qu’on imagine la différence comme un trait séparateur ; mais le trait est de dimension nulle. Il faut plus d’épaisseur, de densité, de dimension pour décrire l’entre-deux ; même s’il est mince, spatialement, ou fugace (dans l’entre-temps). Avec l’entre-deux, la différence entre deux entités n’est plus un trait mais un treillis, qui se redouble d’un réseau, d’une trame, où ça zigzague d’un terme à l’autre, où ça se tresse.

Voici d’ailleurs deux autres images de l’entre-deux vues récemment, qui me semblent assez parlantes. L’une est un rectangle lumineux8, avec à gauche des grains bleutés sur fond noir, à droite des grains rouges sur fond noir. La masse bleue avance de gauche à droite, la masse rouge de droite à gauche, et chacune se dissout dans son mélange avec l’autre. La forme rouge constellée se perd dans la bleue, la bleue dans la rouge, d’où un mouvement permanent où les deux flux s’intriquent ; pourtant c’est presque immobile, c’est invariant, droite et gauche ne changent pas mais la frontière de leur rencontre est chaotique, et son chaos reste assez stable. Dans une autre œuvre du même, la masse jaune granuleuse part d’une ligne vers le haut et vers le bas, et elle rencontre ou elle bute sur le mouvement de deux masses bleues en haut et en bas. C’est clairement métaphorique ; l’homme se perd dans la femme, la femme se perd dans l’homme, mais la mise en tension de leur rapport est permanente ; l’ailleurs se dissout ici, l’ici va s’échouer ailleurs, et l’entre-deux est un voyage.

L’autre image est une sculpture d’Edgar Cappellin (Sibony, 2013) qui représente une Échelle de Jacob : c’est une échelle métallique dont les montants sont en béton, l’un couleur de terre, l’autre couleur bleu ciel, le reste des montants ainsi que les marches sont en métal. De sorte qu’en avançant sur l’échelle, on a le ciel à droite et la terre à gauche, ou l’inverse ; à chaque pas on est entre ciel et terre. Ici l’artiste a transformé l’échelle du rêve biblique, qui était posée sur la terre avec son sommet dans le ciel ; l’écart est bien trop grand. Il a resserré l’entre-deux « ciel et terre », préférant ressentir cet entre deux, non pas en allant vers les hauteurs ou en plongeant dans l’abîme, mais dans la marche ordinaire ou la démarche de sa vie. Cela devient une métaphore de la pure traversée où l’on cherche un support à chaque pas, entre deux repères essentiels. L’entre-deux est cette recherche.

Donc, ne pas rejeter la différence, mais la prendre comme degré zéro de l’entre-deux ; et pour peu qu’on l’analyse, qu’on la déploie, elle laisse apparaître le réseau interactif, la double hélice des passages de l’un par l’autre. Or une identité vivante est faite d’un ensemble de différences et d’identifications qui s’opposent, s’intriquent, se compliquent, se déplient dans une série d’entre-deux en principe infinie.

C’est sur la différence que l’entre-deux, comme dynamique, se déclenche ; il faut bien que les deux termes soient placés pour que l’entre-deux les déplace, et décale chacun d’eux vers ses autres possibles9.

Une « culture », c’est-à-dire une identité collective (un fonds commun d’identifications) est vivante par son pouvoir de faire vivre les entre-deux qui la travaillent. Le fonds d’identifications peut s’enrichir de ses contraires, de ses transgressions, et produire ainsi de nouveaux entre-deux. En général, il se donne comme défini, voire étanche, même s’il comporte beaucoup de « fuites ».

Toujours selon mon approche, dans l’entre-deux, les deux sont devant l’être, ils donnent sur l’être, par une de leurs faces, souvent inconnue. L’entre-deux, c’est ce par quoi l’un et l’autre des deux pôles donnent sur l’infini des possibles. Dans cet espace, mince ou béant, se tracent les relations, les liens incluant la réflexion de l’un à travers l’autre (avec le risque d’en rester aux effets de miroir). C’est là que prennent place les croisements, les allers-retours, et les passages de l’un par l’autre ; et que se produit du tiers entre l’un et l’autre, dans un « travail » qui entame chacun des termes ou qui le révèle déjà atteint par cet autre, entamé par lui. L’entre-deux de la différence sexuelle en est un parfait exemple, dont on peut dire qu’il est fécond ; y compris en ruptures symptomatiques, en passages névrotiques, qui ont aussi leur part dans sa richesse infinie, à l’échelle de la vie même.

4. Plus tard, mes recherches sur Les trois monothéismes (1992) étudiaient les trois entre-deux que définit leur triangle ; avec au centre du triangle, le vide de l’être et de l’origine que chacun d’eux tente d’apprivoiser ou de s’accaparer. Elles se poursuivent dans Nom de Dieu, par delà les monothéismes (2002) avec ce curieux entre-deux entre religieux et athées10 ; puis l’entre-deux Islam-Occident, si riche de leçons cliniques et culturelles, puisque l’un des termes, l’islam, a une forte définition, l’autre restant indéfini, ce qui fait sa force et aussi sa faiblesse s’il ne maintient pas cette indéfinition, autrement dit ses « valeurs de liberté », et il a beaucoup de mal à le faire, à cause des résidus massifs de masochisme chrétien et de ce que j’appelle la « culpabilité perverse ».

En fait, tout est marqué d’entre-deux, ne serait-ce qu’en mettant la chose face à l’un de ses opposés, faisant ainsi apparaître ce qui les sépare et les relie (car l’entre-deux relie en même temps qu’il sépare). Par exemple, la religion et sa négation, la place et sa perte (le chômage, la « galère », etc.). La vraie question, on l’a dit, est de savoir comment travaille cet entre-deux et ce qu’on peut en tirer. Force est de remarquer que ce travail est souvent compromis par le déni de ladite faille, et par le dialogue convenu pour annuler les « tensions ». C’est ce qui tend à prévaloir dans nos cultures. On nous assure que « vivre ensemble » est à ce prix.

Le contraire de l’entre-deux, c’est le clivage : c’est a ou b, pas les deux ; or ça peut être l’entre-deux. Exemple, la plus vieille critique contre la psy : depuis son émergence, on reproche au point de vue psy de pouvoir dire une chose et son contraire, donc de vouloir gagner à tous les coups. En fait, c’est la notion d’entre-deux et d’indécidable qui résout ce paradoxe : quand une chose est dite, si cela mobilise un de ses contraires, c’est tout un jeu qui s’engage entre ces deux pôles, un jeu au départ indécidable mais qui se décide par à-coups et après-coup ; c’est ce qui laisse la plus grande liberté au patient, à sa façon de se mettre en acte et pas seulement en discours (c’est même ce qui distingue après-coup parole et discours). Le sujet est entre son capital de symptômes et le redéploiement dans le possible. Plus généralement, il est entre l’identité et l’existence. Il s’agit moins de trouver « son identité » que de la passer à l’existence, que d’exister avec son fonds d’identifications face auquel on a pu, grâce au travail de l’idée psy, acquérir un certain jeu. C’est dire que l’analyse est proche des brisures d’identité, qu’elle doit souvent tenir ensemble deux pôles opposés, non pour « gagner à tous les coups », mais pour rester proche d’une certaine réalité, dont le jeu plutôt ouvert ne se referme qu’après-coup.

Toute identité repose sur un entre-deux, qu’elle refoule ou qu’elle reconnaît ; qu’elle fige ou qu’elle laisse travailler. C’est ce que j’appelle l’entre-deux identitaire. Déjà l’identité familiale, fondée sur l’entre-deux parental, lui-même ancré dans l’entre-deux féminin, celui du corps, avec ses seins et son bassin où ça converge entre deux cuisses vers l’« origine du monde » (Courbet), etc.

Les cultures aussi sont des traînées identitaires d’autant plus riches et fécondes qu’elles permettent le processus d’entre-deux plus que l’identité à soi, et que ce procès reflète et reporte la faille originelle (au lieu de la projeter sur les autres). Certaines se veulent universelles, d’autres tiennent à leur être singulier ; les plus inspirées maintiennent la diagonale singulièrement universelle. Le singulièrement universel est un mouvement transverse qui émerge dans l’entre-deux, et il agace les prétentions universelles qui refoulent leur singularité11.

L’humain est donc habité par tant d’entre-deux, que face au risque de se sentir écartelé, trop divisé, il développe les mécanismes du clivage et du déni qui annulent — en pensée — la tension des entre-deux.

5. Il ne s’agit donc pas d’échapper à l’être mais de s’y exposer. Toute entité consciente se joue entre son intérieur déterminé et sa face qui donne sur l’être, sur l’indétermination ; entre sa face désidentifiée et sa construction identitaire.

Si deux entités sont déterminées, voire terminées en apparence, l’entre-deux serait le déploiement de leurs frontières latentes, leur champ d’indétermination. L’entre-deux est l’ouverture des deux sur l’être, ou ce par quoi chaque entité donne sur l’infini des possibles (qui peut lui apparaître vide, dans les cas de « déprime »). Je n’oppose donc pas la pensée de l’être et celle de l’entre, puisque l’être est ce sur quoi donne l’entre-deux. Autrement dit, l’entre-deux est ce par quoi les deux s’exposent à l’être, et ce qui compte, ce sont les singularités de cette « exposition ». L’entre-deux actif peut permettre à chacun des deux d’échapper à l’emprise identitaire et de s’engager avec l’autre dans l’espace-tiers de la surprise et de la rencontre.

L’entre-deux serait donc comme une circulation externe qui relie les deux termes, les deux parties, et qui de ce fait produit une vitalité qui leur manque, lorsqu’aucune des deux ne peut la produire seule12. Cette vitalité provient du rapport à l’être ; et le rapport d’un sujet à l’être, comme infini des possibles, en dit beaucoup sur le sujet13. Si le sujet entretient une « machine », il doit vraiment s’y impliquer, et s’entretenir — dialoguer — avec ses possibles, ses composants, son insertion dans le social. Et s’il s’agit d’un avion, les pilotes qui en font partie ne sont pas des « pièces » quelconques ; les traiter comme telles, c’est prendre le risque que l’une d’elles jette l’avion sur la montagne et sacrifie les passagers à sa seule loi narcissique, dans un flash de déprime où rien d’autre ne prime que son propre état d’âme. Donc, entretenir cette machine complexe qu’est un vol d’avion de ligne, c’est tenir le cap entre la logique du fonctionnement et celle de la jouissance humaine, incluant la souffrance. C’est tenir les deux pour veiller à l’entre-deux, qui passe aussi par chacun des deux termes. Il ne s’agit donc pas de tenir cette machine par « l’entre », mais par les deux logiques, celle de l’ordre et celle de la jouissance14 ; pour faire travailler l’entre-deux.

Entretenir quelqu’un d’un sujet, c’est faire de celui-ci un entre-deux où l’on intervient et qu’on transforme ensemble, qui finit par inclure notre désir de faire avec, de jouer avec, un jeu paisible ou dangereux. L’entre-deux, ainsi introduit, dépasse l’intersubjectif et questionne la forme du tiers qui peut le sauver de l’impasse ou de la pure répétition. Dans un entretien, on est tenu par l’entre-deux plus que par l’autre ; de même qu’un couple qui tient est tenu par l’entre-deux qui devient son lieu d’être.

J’ai bien sûr utilisé l’image de l’écart, de l’interstice, de l’objet intermédiaire ou transitionnel, mais j’ai gardé l’« entre-deux » car il inclut ces aspects et comporte plus qu’une tension, une dynamique qui en fait l’opérateur d’une transmission symbolique. Ce n’est pas seulement le lieu de l’échange ou de l’entretien. L’entre-deux parental, on peut le trouver plat, horizontal, mais il est traversé verticalement par le flux de la transmission, celle dont il est le relai et celle qu’il fait passer, par laquelle l’enfant devient transmetteur à son tour. C’est ce qui anime cette dynamique porteuse d’avenir. Lorsque l’enfant reçoit le symbole de l’entre-deux (parental), il part dans la vie avec une liberté plus forte que lorsqu’il en traîne les blocages, les grincements et les points morts. C’est par ce biais que l’identité est en principe un procès, qui la tire et la déploie dans l’existence ; et celle-ci devient une forme de création quand elle est nourrie de fantasmes symboliquement vectorisés15.

Ajoutons que deux temps d’une transmission révèlent souvent un entre-deux où se jouent bien des tensions, fécondes ou purement narcissiques (que j’ai appelées des crispations identitaires). L’une de ces tensions, c’est le Complexe du second premier : quand celui qui vient en second veut non pas maintenir l’entre-deux avec celui qui le précède, mais occuper la place de celui-ci. Le complexe d’Œdipe en est un cas particulier ; mais d’autres exemples abondent, dans la transmission des savoirs, ou dans celle du féminin, comme on l’a vu.

6. Curieusement, la veine biblique hébraïque, la veine mathématique, et celle de la psychanalyse sont bien présentes dans la culture occidentale et, en même temps, elles la pointent du dehors. La veine biblique parce qu’elle met en acte une identité fissurée, toujours entre-deux, marquée par la faille essentielle, refusant l’accomplissement autant que l’échec. De même la psychanalyse, où abondent des traces très claires de cette veine (Sibony, 2001), maintient l’unheimlishkeit (l’« inquiétante étrangeté ») qui travaille la culture, au-delà de son rapport à l’autre, dans son rapport à l’être. La veine mathématique aussi, bien qu’intégrée à cette culture dont elle contrôle la plus haute technicité, lui demeure étrange ; de fait, elle évolue entre deux pôles : l’infondé et le démontrable (la mathématique, globalement, est infondée, mais chacun de ses trajets est rigoureux ; et chaque démonstration est, elle aussi, un passage entre hypothèse et conclusion). Ce n’est pas un hasard si ces trois flux sont marqués par l’entre-deux comme dynamique et comme opérateur actif.

C’est le retour de ces flux dans la culture qui montre bien leur émergence, et à quel point ils y étaient refoulés. C’est en revenant sur elle qu’ils y révèlent la faille, celle qu’ils peuvent féconder. Du reste, quand un passage fait l’aller-retour, c’est qu’il y a de l’entre-deux au départ, dans l’origine. Et si l’on imagine que départ et retour peuvent avoir lieu en même temps, par la pensée, on voit que toute chose est habitée par l’entre-deux comme dissension interne, fissure potentielle, secousse inévitable entre ce qu’elle est et ce qu’elle peut être… d’un autre point de vue. L’idée du voyage, c’est de séduire ici par ailleurs ; c’est d’être ici autrement après le passage par un ailleurs qui serait assez averti des impasses d’ici16.

L’origine, qui est aussi l’impensé (dans la mesure où, quand on y était, on ne pensait pas, et quand on la pense, on n’y est pas), se révèle d’emblée habitée par une coupure, dont le déni et le refoulement font aujourd’hui des ravages. Le refus de l’origine partagée, ou pire, son appropriation totale, deviennent des faits cultuels et pas seulement cliniques.

7. Entre-deux m’aura accompagné dans tout ce que j’ai écrit ensuite ; la mise en acte du concept m’écartant de la métaphysique et de Heidegger, autant que du « dialogue » rituel entre Athènes et Jérusalem17. J’apprécie d’autant mieux la « sortie » vers la Chine de François Jullien18, dont je soulignerai quelques aspects. Il propose de critiquer le concept de différence et lui oppose celui d’écart. Mais l’écart (ou l’intervalle) se rapporte à la ligne droite, à la mesure ; on parle d’écart de revenus, d’écart d’âge ; on se réfère à des nombres ; quand on s’écarte d’un chemin, c’est encore du linéaire. Mais des écarts d’existence ? ou l’écart entre l’identité et l’existence ? Ce sont des entre-deux, des dynamiques singulières ; par exemple, entre l’identité comme symptôme et les trouvailles créatives où elle déborde le symptôme (Kafka était obsessionnel, mais son texte est une création symbolique puissante, dont l’écriture, justement, fait d’étranges va-et-vient entre rêve et réalité)19.

Et pourrait-on parler de « l’écart » entre perception et mémoire ? C’est pourtant dans cet « entre-deux » que s’agite toute notre vie psychique, y compris à travers des actes aussi cruciaux que fantasmer, imaginer (l’image elle-même n’est qu’un effet de frontière dans la psyché, dans la mémoire des perceptions et les perceptions de la mémoire. Mais cette frontière est elle-même tout un territoire, où l’imagination, esquif magique, fait la navette entre perception et mémoire). C’est dans cet entre-deux qu’ont lieu des actes tels que penser, aimer, en tant qu’on y implique son âme-corps, soit tout le jeu entre corps visible et corps mémoire. Aimer est une épreuve d’exister où deux corps veulent se toucher avec des mots et se parler avec des gestes ; donc mettre en jeu le quatuor où se croisent l’entre-deux-corps de l’un et celui de l’autre20.

De même l’entre-deux-femmes est clairement plus qu’un écart et il peut occuper des pans entiers de la psyché : une femme y oscille entre elle-même et l’autre part d’elle-même ; d’où ces airs de « nulle part » qu’elle a parfois, qui peuvent la rendre irrésistible aux yeux de gens très installés, y compris dans leur symptôme, et qui sont à juste titre fascinés par cette absence, ce vide qui résonne comme l’appel d’être qu’ils ignorent. En même temps, cet entre-deux est pour chaque femme l’espace de « jeu » où elle conquiert le féminin.

Autre nuance, je dis non pas que « la différence est un concept identitaire » (Jullien, 2012, p. 24), mais que l’identité est une succession d’entre-deux, en principe, même si elle les nie ou les écrase sous la notion de différence. Car l’identité n’est pas toujours ce qu’elle prétend être. Donc, la différence se révèle insuffisante non pas « parce qu’elle suppose d’abord une identité plus générale » (Jullien, 2012), mais parce qu’elle ne rend pas compte des allers-retours entre un pan et un autre de l’identité, et encore moins des va-et-vient entre une identité et une autre, ou de leur rapport au possible. La différence entre ici et ailleurs, qui implique le voyage, ou la différence entre homme et femme, ne suppose pas une identité universelle, elle ne fait que fixer deux entités sans se pencher sur les mouvements qui les distinguent et les relient ; ni sur le foisonnement de liens qui posent à la fois leur distance et leur proximité. Dans l’immense étendue de cet entre-deux, ce qui opère n’est pas le trait de la différence, fût-il symbolisé par les traits de l’Un, ou du phallus, ou par les traits tirés de ceux qu’épuisent ces longs voyages. Ce qui opère c’est la mise en jeu des mémoires et des corps, la traversée par des gestes d’aimance — des lieux physiques de la mémoire et de l’origine où l’on puise les énergies insoupçonnées de l’étreinte et de l’invention. Dans l’entre-deux homme-femme, l’un doit en passer par l’autre pour être lui-même et repasser par lui-même pour être autre que lui-même, c’est-à-dire pour désirer ; et ce désir intègre d’autres différences : d’époques, de générations, de rythmes, de peau, de mémoire ; il s’irrigue de ces différences, mais ne se reconnaît dans aucune. Et il connaît des grincements narcissiques : certains peuvent haïr l’autre d’avoir à en passer par lui (ou par elle) pour aimer, c’est-à-dire pour vivre une épreuve radicale de leur être.

J’invitais aussi à penser « l’entre-deux de type vie-mort qui est le plus éloquent : la différence entre vie et mort étant un aspect, voire un cliché du chaos entre vie et mort, fait de contacts, d’entrechocs, de relais aléatoires — fonction de mort dans la vie, vivacité des temps de mort […] ». Les débats actuels sur la fin de vie montrent qu’on est loin de cette pensée de l’entre-deux dans ce domaine et qu’on cherche le trait de la différence qui sépare vie et mort, en vain puisqu’on parvient à le situer dans le sommeil que l’on induit pour contourner ou ignorer l’indécidable passionnant de cet entre-deux.

De même l’entre-deux-langues, où ce qui travaille c’est le jeu qui met en acte leurs différences et leurs croisements ; où l’impossible langue d’Origine joue un rôle par son absence, et tient lieu de faille essentielle. Cette métaphore vécue par chacun : s’il veut penser et vivre en langues, même dans sa langue, il doit y inventer l’autre langue et soutenir l’entre-deux qui ainsi se déclenche. Tout écrivain authentique fréquente les entre-deux niveaux de sa langue apparente ; comme entre un rêve ou un fantasme et son interprétation. J’en ai déduit une autre approche de la traduction, en même temps que de cet acte étrange qui s’appelle « apprendre à lire ».

Je parlais aussi de la quête de place (et du chômage), sujet majeur aujourd’hui où la peur pour la place saisit toute la trame sociale, et peut produire de réelles mises en péril de la dignité (via la phobie de transgresser une censure qui ne peut même plus s’avouer).

Cela me fit considérer « les mouvements plus ou moins riches où une identité tente de recoller ses morceaux, de s’intégrer à elle-même (en croyant s’intégrer à d’autres), de s’assumer comme une tenue d’arlequin dans le cirque du monde ». Là aussi, question très actuelle, partout remise à l’ordre du jour. Nous parlons d’« intégration », alors que l’entre-deux concerne l’articulation à l’« autre » et à soi-même. Aujourd’hui, faute de cette pensée de l’entre-deux, en tant qu’il est intrinsèque à nos cultures, la présence européenne face à l’autre qu’est par exemple l’Islam semble risquer de se défaire, de se déliter, affirmant sa pluralité et intégrant ce qui la récuse. D’où une certaine passivité, voire une mortification — curieusement concomitante avec une réelle impuissance quant à la création de places.

Il y aurait tant d’autres choses à évoquer, dans ces quarante ans de travail, que je m’en tiendrai à ce rappel sur la frontière chaotique et increvable « entre le bien et le mal ». Là-dessus, il faut rendre hommage à la Bible de n’avoir pas dit « la différence », comme si ces vieux scribes connaissaient l’entre-deux où le bien tourne mal et où le mal produit du bien ; d’autant que ce qui tient lieu de divin dans ce texte, à savoir l’être parlant ou plutôt la transmission d’être qui se fait parlante, a fait dire par la bouche du prophète Isaïe (45) : « Je façonne la lumière et je crée l’obscurité, je fais la paix et je crée le mal. » Aux humains de choisir, de traverser l’indécidable, sachant que dans cet entre-deux, n’en déplaise aux religieux et aux idéologues, il n’y a pas de mode d’emploi.

Bibliographie

Jullien François, 2012, L’écart et l’entre. Leçon inaugurale de la Chaire sur l’altérité, Paris, Galilée.

Sibony Daniel, 1974, Le nom et le corps, Paris, Seuil.

Sibony Daniel, 1978, La haine du désir, Paris, Christian Bourgois.

Sibony Daniel, 1989, Entre dire et faire. Penser la technique, Paris, Balland.

Sibony Daniel, 1991, Entre-deux. L’origine en partage, Paris, Seuil.

Sibony Daniel, 1992, Les trois monothéismes. Juifs, chrétiens, musulmans entre leurs sources et leurs destins, Paris, Seuil.

Sibony Daniel, 2001, Psychanalyse et judaïsme. Question de transmission, Paris, Flammarion.

Sibony Daniel, 2002, Nom de Dieu. Par-delà les trois monothéismes, Paris, Seuil.

Sibony Daniel, 2005, Création. Essai sur l’art contemporain, Paris, Seuil.

Sibony Daniel, 2012, De l’identité à l’existence. L’apport du peuple juif, Paris, Odile Jacob.

Sibony Daniel, 2013, Islam, phobie, culpabilité, Paris, Odile Jacob.

Sibony Daniel, 2014, Fantasmes d’artistes, Paris, Odile Jacob.

Sibony Daniel, 2015, Le Grand Malentendu. Islam, Israël, Occident, Paris, Odile Jacob.

Sibony Daniel, 2015, Question d’être. Entre Bible et Heidegger, Paris, Odile Jacob.

Notes

1 Pour en rester à l’imagerie, l’entre-deux d’une femme, ce n’est pas seulement sa fente, c’est tout ce par quoi celle-ci implique l’autre, au regard du sexuel ou de son refus, de la mise au monde, etc. On voit tout ce que suggère dans ce cas « l’imaginaire de l’entre-deux »… Retour au texte

2 Plus précisément, deux personnes cherchent à se comprendre, chacune tente d’inclure l’autre ; si chacune y arrivait, les deux seraient identiques (du point de vue ensembliste, si A inclut B et B inclut A, alors A = B ; or ce ne sont pas les mêmes structures). Donc l’incompréhensible demeure. Retour au texte

3 C’était d’ailleurs le sous-titre d’Entre-deux. L’origine en partage. Retour au texte

4 Et j’ai laissé ce manuscrit « ontologique » qui paraîtra bientôt. Retour au texte

5 Voir Islam, phobie, culpabilité (2013) et Le Gand Malentendu. Islam, Israël, Occident (2015). Entre ces deux livres s’intercale une recherche sur l’art contemporain, Fantasmes d’artistes (2014) où je montre qu’une œuvre actuelle est comme un entre deux fantasmes, multiplement répercutés chez l’artiste et le public. Retour au texte

6 J’avais, dans Le nom et le corps (1974), parlé des transfinis et du problème d’entre-deux qui a rendu fou Cantor, à savoir : entre l’infini du dénombrable et celui du continu, y a-t-il ou non un autre infini ? Il a dû se déchirer la pensée, car la réponse, on l’a su 50 ans plus tard, est que c’est indécidable. Retour au texte

7 La transmission juive n’a pu que maintenir ce désaccord où l’on est à la fois pour soi et contre soi (voir le fameux humour). La Bible déploie une dissension permanente dans le peuple et entre le peuple et son Dieu ; ainsi qu’une lutte de ce Dieu avec lui-même. C’est sans doute ce qui a fait du peuple qui inventa ce livre un objet de suspicion universelle, de la part des tenants de l’identité pleine et de l’universalité globale. Retour au texte

8 Œuvre de l’artiste Antoine Schmidt, vue à Art Paris 2015. Retour au texte

9 La logique et les mathématiques ne s’en tiennent pas à Aristote. Lui qui pensait que « de différences en différences » on parvenait à l’ultime différence, donc à « l’essence » de la chose. Déjà le calcul différentiel a subverti cette vision dichotomique en inventant de passer à la limite une différence, ou plutôt le rapport de deux différences. Un opérateur différentiel opère sur les différences, il les différencie et les stratifie, et c’est par là qu’il arrive non pas à l’essence mais au simple déploiement de la dynamique en jeu. Ce jet différentiel (c’est le terme exact) permet après-coup de la décrire et de donner les trajectoires de chaque « point » ; il décrit donc l’évolution du phénomène. Retour au texte

10 Voir le chapitre : « À quoi croient les incroyants ? » Retour au texte

11 Hormis l’identité chrétienne, clairement universelle, pourvu qu’on y croie, mais qui risque de se dissoudre dans l’air du temps — contrairement à d’autres, qui forcent la soumission, et sont très prisées par ceux qui aiment se soumettre. Quant à l’universalité abstraite, elle est tout juste intenable. Retour au texte

12 Je pense à la circulation extracorporelle qui relie le corps à lui-même sans passer par le cœur, quand on arrête celui-ci en opérant à cœur ouvert. Retour au texte

13 Bien plus que le mot de Lacan qui situe le sujet entre deux signifiants, dont l’un le « représente » pour l’autre… Retour au texte

14 C’est d’ailleurs l’un des entre-deux que j’ai introduit dès Le nom et le corps (1974) : logique de l’ordre et logique autre. Ce thème de l’entretien d’une technique, et déjà de son émergence, je l’ai approfondi dans Entre dire et faire. Penser la technique (1989). Retour au texte

15 Pour l’étude de la création, artistique par exemple, comme dynamique d’entre-deux, voir Création. Essai sur l’art contemporain, et Fantasmes d’artistes — où le fantasme, comme montage d’images, fait le va-et-vient entre corps et pensée, entre l’origine et l’actuel, entre le projet et l’objet. Retour au texte

16 Voir « Le voyage et la Transmission comme entre-deux », dans Entre-deux (1991) et De L’identité à l’existence (2012). Retour au texte

17 Car les deux, Athènes et Jérusalem, ont eu chacune leur fixation, le premier dans la métaphysique renouvelée par Heidegger et le second dans ce qui s’est appelé judaïsme, qui n’échappe à la clôture, quand il y échappe, que par un déplacement perpétuel. Retour au texte

18 Voir Jullien (2012), L’écart et l’entre. Leçon inaugurale, parue tout juste 20 ans après. Retour au texte

19 Il est vrai que, vu en termes mathématiques, l’intervalle entre a et b, est riche dans sa simplicité. Il implique le partage de l’un, car il s’écrit comme l’ensemble des points de la forme xa + x’b, où x et x’ varient de façon que leur somme, x + x’, soit égale à 1. L’entre-deux-points témoigne donc d’un 1 qui serait partagé, réparti entre les deux termes a et b. L’écart entre deux témoigne d’une partition de l’un planant sur les deux, d’un partage de l’un qui se dissémine sur les deux de façon variable. En un sens, tout ce qui se réclame de deux termes met en jeu un partage du « un », à parts inégales (sauf pour le milieu), et cela nous ramène à l’origine partagée. Retour au texte

20 Disons quatuor plutôt que quadripode, mais on pourrait faire un schéma. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Daniel Sibony, « Fécondité de l’entre-deux », IRIS, 37 | 2016, 109-120.

Référence électronique

Daniel Sibony, « Fécondité de l’entre-deux », IRIS [En ligne], 37 | 2016, mis en ligne le 15 décembre 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=1437

Auteur

Daniel Sibony

Psychanalyste et écrivain

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