Imaginaires post-apocalyptiques réunit dix-sept contributions, en français ou en anglais, de chercheurs rattachés à des universités françaises, belges, canadiennes, américaines, allemande et japonaise. Plusieurs sont des experts confirmés dans le domaine du post-apocalyptique ; d’autres, de jeunes chercheurs ; un article est signé par un auteur et traducteur de bandes dessinées.
Comme son titre l’indique de manière on ne peut plus explicite, l’ouvrage se propose d’étudier les imaginaires post-apocalyptiques. L’introduction, de la plume du coordonnateur, précise que l’étude porte aussi bien sur des textes littéraires que sur un spectre large de productions culturelles : le cinéma, la bande dessinée, les jeux vidéo, le dessin animé, les séries télévisées. L’imaginaire post-apocalyptique est défini comme un genre qui trouve son origine dans la Bible, et plus particulièrement dans l’Apocalypse, mais qui se démarque de son modèle : il s’attache certes — mais pas toujours — à décrire les violences et les désordres qui accompagnent la fin du monde mais sans postuler pour autant la restauration du monde ancien, ni l’instauration d’un monde nouveau. Il s’intéresse principalement à ce qui se passe juste après l’apocalypse. À la fin de l’introduction sont posées plusieurs questions auxquelles les contributions vont proposer des réponses : l’écriture post-apocalyptique, cette littérature de l’après, est-elle un moyen efficace pour interroger le présent et alerter l’opinion publique sur l’état de notre société actuelle ? comment dépeint-elle l’homme d’aujourd’hui, ainsi que son rapport au monde ? quel est le lien de cette littérature à l’Histoire des xxe et xxie siècles ? Ces contributions composant l’ouvrage sont ingénieusement regroupées en trois parties, ce qui en accentue la cohérence et permet de le lire comme un véritable livre et non une juxtaposition de contributions indépendantes. La première partie, intitulée « Lire et appréhender le réel », réunit des contributions portant sur l’immanence de l’apocalypse dans différentes productions culturelles où l’imaginaire de la fin devient un instrument pour interroger le réel. La deuxième, « Anéantir par la toile blanche, annuler la caritas, suspendre l’apocatastase », se compose d’études consacrées à des œuvres où aucun renouvellement après l’apocalypse ne semble possible. La dernière partie, enfin, « Représenter le corps et l’oikos post-humains », s’intéresse au motif de la post-humanité. Ces contributions réalisent bien l’objectif défini dans l’introduction. Elles s’emploient à repérer, décrire et analyser les enjeux d’un corpus important de productions culturelles qui ont pour dénominateur commun de camper un décor post-apocalyptique dans ses nombreuses variantes : un monde en déliquescence où une élite vit dans un luxe démesuré ; un monde transformé en vaste désert où la survie suppose une violence extrême des uns vis-à-vis des autres ; un monde en proie à un hiver éternel où la mort est inscrite au cœur de la nature ; un monde, enfin, où quelques survivants s’efforcent de recréer un nouveau mode de vie. La majorité des contributions envisage un corpus comparatiste, principalement francophone et anglophone. Une contribution porte sur les fictions latino-américaines. Les approches sont variées. Alors que certaines contributions considèrent un empan temporel très large (deux siècles pour celle, par exemple, qui fait un parallèle entre The Last Man de M. Shelley et Sleeping Beauties de S. et O. King, paru en 2017), d’autres se concentrent sur une période réduite. Dans la plupart des cas, les corpus s’échelonnent sur la deuxième moitié du xxe siècle et les deux premières décennies du xxie. Si l’échantillon des ouvrages ou productions culturelles est vaste, certains titres reviennent tout au long du volume : Ravage de R. Barjavel, The Road de C. McCarthy, MadMax de G. Miller (et ses continuations), la série télévisée The Walking Dead (premier épisode diffusé en 2010), les romans de M. Atwood ou ceux d’A. Volodine. Quelques contributions proposent une approche intermédiale.
Le volume n’est certes pas la première étude à explorer l’imaginaire post-apocalyptique. Les contributeurs sont dans l’ensemble parfaitement conscients qu’il existe déjà une bibliographie foisonnante sur le sujet et dialoguent souvent avec leurs prédécesseurs. Les noms de Jean-François Chassay, Danièle Chauvin, Bertrand Gervais, Jean-Paul Engélibert, Christian Chelebourg ou Pierre Schoentjes reviennent à plusieurs reprises. D’autre part, l’ajout d’un nouvel ouvrage sur le post-apocalyptique à ceux qui existent déjà est justifié par plusieurs aspects du volume. Parmi ceux-ci, le plus évident tient au constat de la vitalité actuelle du genre post-apocalyptique qui, bien que pratiqué depuis le début du xixe siècle, a connu son plein essor dans la deuxième moitié du xxe et ne semble connaître aucun essoufflement à l’heure actuelle. Il convenait donc d’étudier les productions culturelles extra-contemporaines, ce que font plusieurs contributions abordant des œuvres produites en 2017-2018. Une autre originalité du volume Imaginaires post-apocalyptiques réside dans l’important élargissement du domaine de définition. Celui-ci ne se limite pas à la littérature ni même à la fiction, longtemps demeurées formes d’expression privilégiées du post-apocalyptique. Ainsi, deux contributions traitent du post-apocalyptique en poésie. Mais surtout, plusieurs s’intéressent à des productions culturelles considérées comme mineures mais dont la popularité actuelle réclame une prise en charge. C’est le cas des séries télévisées (The Walking Dead), des séries télévisées pour enfants (Il était une fois… l’Homme), des jeux vidéo, ou encore des vidéos amateurs tournées lors d’événements violents par des témoins, avec leurs téléphones portables, et mises en circulation sur les réseaux sociaux.
Enfin, le volume rend manifestes certains infléchissements des approches du post-apocalyptique par rapport aux études des années passées. Longtemps considéré comme une affaire d’imaginaire par opposition au réel, ou comme prétexte à la spéculation philosophique, l’imaginaire post-apocalyptique se fait désormais instrument permettant de lire et d’appréhender le réel. Plusieurs contributions démontrent que les œuvres où il se déploie et l’esthétique du désastre qui le caractérise résultent d’une rencontre entre des imaginaires de la catastrophe et le sentiment croissant d’un risque global imminent, qui n’est plus essentiellement nucléaire mais environnemental. Celui-ci s’accompagne du sentiment renforcé de la nécessité d’un changement de modèle de développement. Le post-apocalyptique est ainsi susceptible d’être mis en rapport avec plusieurs tendances actuelles des études littéraires et, plus largement, culturelles, telles l’écocritique et l’approche éthique. Plusieurs contributions envisagent par exemple les fonctions réparatrices des productions post-apocalyptiques, s’inscrivant clairement dans ce débat. On note également la possibilité de nouer le post-apocalyptique avec les études postcoloniales, comme le propose la contribution sur la Black Science Fiction (où l’imaginaire post-apocalyptique se fait allégorisation de l’esclavage et du colonialisme), ou encore avec les gender studies, comme le suggèrent deux contributions mettant en évidence tout un courant post-apocalyptique centré sur la question du féminin.
Imaginaires post-apocalyptiques ne manquera pas d’intéresser non seulement les spécialistes mais aussi un public élargi, d’autant plus que les contributions sont rédigées dans une langue claire et fluide et que le jargon de spécialité y est exceptionnel.