Sur la piste des dragons celtiques

  • On the Trail of Celtic Dragons

DOI : 10.35562/iris.3080

Résumés

Au-delà du dragon des contes, réduit à sa fonction d’adversaire, la plupart des dragons celtiques sont liés à un site, le plus souvent en rapport avec le régime des eaux : zones inondables, confluents, torrents (le Drac). Dans les versions christianisées, un saint, plutôt que de les exterminer, se charge de les reconduire à leur origine maritime ou souterraine.

Les princes en usent différemment. Leur affrontement avec le dragon est un combat qualifiant qui leur permet de s’approprier la force du monstre. Représenté sur leur épée ou leur bouclier, voire intégré dans leur nom (Uther Pendragon), le dragon devient talisman. Des cités, des nations (le Pays de Galles) en font leur emblème.

Dans le temps, les dragons sont liés aux quatre grandes fêtes calendaires celtiques. Le combat de deux dragons, ouroboros scindé, symbolise les deux saisons de l’année, alternativement sombre et claire. Dans l’espace, le dragon entretient des rapports privilégiés avec la notion de lieu central, ce qui renvoie au problème des omphaloi (Delphes) ou des Mediolanum gaulois.

Au plan astronomique, la constellation du Dragon, où les Grecs voyaient la métamorphose du dragon (et de la rivière) Ladon, devient en breton Avank Du, « le Castor noir », permettant d’imaginer un castor monstrueux bloquant les eaux à l’image du Vrtra védique. Actif dans les trois fonctions, présent aux trois niveaux du monde en verticalité, le Dragon celtique rejoint ainsi ses congénères d’autres mythologies, attestant son origine immémoriale.

Beyond the dragon of the tales, reduced to its function as an adversary, most Celtic dragons are linked to a site, most often in relation to the water regime: flood plains, confluences, torrents (the Drac). In Christianised versions, a saint, rather than exterminating them, is responsible for leading them back to their maritime or underground origin.

Princes use it differently. Their confrontation with the dragon is a qualifying fight wich allows them to appropriate the monster’s strength. Represented on their sword or their shield, or even integrated into their name (Uther Pendragon), the dragon becomes a talisman. Cities and nations (Wales) make it their emblem.

In time, dragons are linked to the four great Celtic calendar festivals. The fight of two dragons, split ouroboros, symbolises the two seasons of the year, alternately dark and light. In space, the dragon maintains a privileged relationship with the notion of central place, leading back to the problem of the omphaloi (Delphi) or the Gallic Mediolanum.

At the astronomical level, the constellation of the Dragon, where the Greeks saw the metamorphosis of the dragon (and the river) Ladon, becomes in Breton Avank Du, “the black Beaver”, allowing us to imagine a monstrous beaver blocking the waters as the Vedic Vrtra. Active in the three functions, present at the three levels of the world in verticality, the Celtic dragon thus joins its congeners from other mythologies, attesting to its immemorial origin.

Plan

Texte

Comment définir un dragon ? Par quel bout le prendre ? Le corpus des histoires de dragons, même à s’en tenir à la tradition occidentale, et plus spécifiquement celtique, est presque illimité.

Quand j’ai commencé à travailler sur le sujet, il y a de nombreuses années, je suis parti des contes populaires, du type T 300, « La Bête à sept têtes », dans le catalogue de Delarue et Tenèze. Dans ces contes, l’affrontement entre le héros et le dragon est simple et sans merci : le dragon répond entièrement à la fonction propienne de l’adversaire. Le héros doit en venir à bout et l’exterminer — après quoi il peut conquérir la Princesse, c’est-à-dire à la fois richesse et pouvoir. Point final.

Mais avant d’être un conte populaire, cette histoire dérive assurément d’un ensemble mythique dont le mythe de Persée et d’Andromède, dans la tradition grecque, fournit un bel exemple. On se souvient que Persée tue un dragon à qui le roi Céphée a livré sa fille Andromède pour sauver sa cité. À côté du Héros et de la Princesse, la cité est un actant essentiel dans la logique du mythe, car le dragon ouvre une alternative, donnant au roi le choix : voir sa cité ravagée, ou lui donner sa fille. Dans le conte populaire, la cité n’est plus qu’une ville quelconque, un simple décor. De même, si le conte mentionne un délai d’un an et un jour avant que le héros ne revienne dans la ville pour épouser la princesse, cet élément calendaire n’est justifié par rien, alors que dans le mythe ancien il renvoie à un arrière-plan cosmologique fondamental.

Le dragon à tout faire du conte, réduit à sa fonction d’adversaire (et dans les formes christianisées, d’adversaire spirituel, autrement dit le diable), s’oppose donc à bien des égards aux dragons liés à un site, à une cité, en un mot aux dragons topiques : objets de légendes, de traditions, parfois de rituels propres à un lieu. Il m’apparaît maintenant que c’est par là qu’il faut commencer.

Dans d’innombrables traditions, le dragon représente le premier occupant d’un territoire sauvage, le genius loci qu’un conquérant humain, ou divin, doit d’abord vaincre avant de pouvoir s’établir. Le serpent Python à Delphes, vaincu par Apollon, fait figure d’exemple canonique. Dragon unique ou serpents multiples, exterminés par un dieu ou un héros dans l’Antiquité — Phorbas à Rhodes, Cadmos à Thèbes —, par un saint à l’époque chrétienne. Le haut Moyen Âge connaît le combat mené par le pape Sylvestre, à l’époque de Constantin, contre un serpent géant échoué lors d’une inondation du Tibre. Grégoire de Tours (1965, livre X, chap. 1) relate un exploit semblable du pape Grégoire le Grand en 589-590, c’est-à-dire, comme le note Jacques Le Goff, au moment où il « devient évêque de Rome et inaugure son pontificat en protégeant la population romaine des calamités naturelles » (Le Goff, 1999, p. 242-243). Des traditions analogues concernent saint Patrick en Irlande et à Guernesey, saint Honorat dans l’île de Lérins ; saint Colomba annonce à ses disciples que nulle vipère ne nuirait plus aux habitants de l’île d’Iona (Drioux, 1930). Dans la région de Thouars, saint Jouin [de Marnes], aidé de saint Hilaire, combat le dragon des marais de la Dive, et saint Hilaire lui-même celui des marais de la Boivre (Le Quellec & Dumerchat, 1994, p. 40). La liste serait sans fin. Sans oublier Arthur au Mont-Saint-Michel, qu’il délivre d’un géant anthropophage bien proche d’un dragon.

Dans les légendes hagiographiques, le dragon vaincu par le saint représente l’état du pays antérieur à la christianisation, aveugle à la lumière spirituelle. Dragons et serpents figurent, si l’on veut, d’un mot trop rapide, le paganisme.

Cette bête peut revêtir bien des formes. C’est le plus souvent un gros serpent (c’est le sens de draco en grec), parfois gigantesque (le dragon vaincu par le gallois saint Carantec avait une encolure grosse comme les cous de sept taureaux, celui du pape Grégoire le Grand, accompagné d’une multitude de serpents, était au dire de Grégoire de Tours « aussi haut que les plus grands arbres »). Mais on connaît aussi des dragons quadrupèdes, ou à six pattes comme la Tarasque, ou en boule avec des poils épineux comme la Velue de La Ferté-Bernard (sur cette dernière, voir Borges & Guerrero, 1965, p. 146-147). Ce peut être la Bête à sept têtes de nos contes, évidemment dérivée des images de l’Apocalypse. Il peut avoir une tête humaine : c’est le cas du dragon de saint Efflam, étudié par Bernard Sergent qui y retrouve le mythe hittite d’Illuyanka (Sergent, 1998).

Il est en rapport avec les quatre éléments : avec l’eau, très souvent — profondeurs marines (notamment sur les côtes bretonnes), rivières ou torrents de montagne (on y reviendra) ; avec le feu, qui est parfois son habitat naturel, ou qu’il crache par sa gueule ; avec l’air (dragons volants) ; avec la terre enfin, et en particulier les cavernes dans lesquelles il aime se tapir : il faudrait ici poser le problème des vouivres ou voivres, connues surtout dans l’Est de la France, et dont un bel exemple est la Vouivre du mont Beuvray, énorme rocher qui a probablement contribué à la sacralisation du site.

Existe-t-il un trait commun entre ces figures multiformes, qui les rendrait intelligibles et qui justifierait qu’on les nomme toutes du terme de dragon ? Il apparaît, au niveau le plus général, qu’elles représentent toutes des forces : forces élémentaires, non humaines, et par là généralement perçues comme redoutables, à l’égal de l’inondation ou du tremblement de terre1. Forces naturelles, donc, en deçà du bien et du mal. Le souverain doit les soumettre, à défaut de se les concilier. On peut essayer de les contenir, mais non les supprimer. Si elles provoquent des désastres, c’est comme le feu dans l’incendie. Le feu n’est ni bon ni méchant : il est à la fois utile et dangereux ; la méchanceté est celle de l’incendiaire. De même le dragon. S’il est devenu dans la tradition chrétienne le symbole du Mauvais, et une des figures de Satan comme dans le mythe de saint Michel, c’est par imprégnation de la pensée biblique et plus lointainement même d’un dualisme hérité de l’Orient iranien, où bien et mal deviennent des absolus, voire des puissances divines opposées l’une à l’autre (Ahura Mazda et Arihman). L’antique dragon satanique dont parle la Bible n’est pas de la même famille que les dragons celtiques qui nous occupent. Ceux-ci sont par nature étrangers à toute notion morale. Leur intelligence même, il faut bien le dire, paraît des plus limitées. Ce sont des forces qui vont, énormes, obéissant au seul déterminisme des éléments naturels.

Des lieux privilégiés ?

Dès lors que les dragons incarnent des forces naturelles, on peut s’attendre à ce qu’ils se manifestent en certains lieux et certains temps. Ils ne se répartissent pas au hasard. On les voit en effet attachés à des sites particuliers, et l’on est conduit à se demander s’il existe des lieux prédisposés, des types de sites où les légendes de dragons se trouveraient plus souvent qu’ailleurs. En attendant qu’une enquête systématique, géographico-mythique, permette de disposer de répertoires complets, on peut au moins signaler des récurrences intéressantes.

Il est entendu que les dragons en général peuvent être en rapport avec les quatre éléments. Mais les relations qu’ils entretiennent avec le régime des eaux l’emportent de très loin sur toutes les autres. Dans les régions du monde où le manque d’eau est le fléau principal, un dragon primordial peut être rendu responsable du blocage de la circulation des rivières : c’est Vrtra en Inde, assimilé à un dragon, mais conçu comme une énorme masse qui fait barrage ; il est vaincu par Indra, « qui tuant le dragon a fait couler les sept fleuves », comme le dit un hymne védique (Hymnes spéculatifs du Véda, 1956, 2, 12). En Chine, les dragons, qui passent l’hiver dans les nuages, sont invoqués pour faire venir la pluie (Diény, 1987).

En Bretagne, comme le remarque Bernard Sergent, c’est principalement dans les îles, ou dans les zones littorales que les dragons ont leur demeure et se font chasser par l’évangélisateur du lieu : saint Arnaud à l’île d’Yeu, saint Budoc à l’île Lauret, saint Maudez à l’île Maudès, saint Gildas dans la presqu’île de Rhuys (Sergent, 2000, p. 237). Sur la côte du Cotentin, une anfractuosité du Nez de Flamanville, nommée le Trou Baligan, aurait été le refuge d’un dragon mangeur de petits enfants, finalement apaisé et chassé par saint Germain de la Rouelle, arrivé là au milieu du ve siècle à bord d’un vaisseau rond où l’on reconnaît un coracle celtique (Vadé, 1992, p. 11).

Dans d’autres régions de Gaule, il est significatif que la plupart des légendes de saints vainqueurs de dragons soient situées dans des zones inondables, notamment aux confluents. Le dragon de saint Mesmin, au confluent de la Loire et du Loiret, en une zone autrefois marécageuse, en est un exemple éminent. Nous y reviendrons. Les études pionnières de Raymond Delavigne ont bien montré la corrélation entre le choix d’un saint sauroctone comme protecteur d’un lieu et le voisinage d’une zone inondable (Delavigne, 1974, 1980, 1984, 2006 et 2010). C’est ainsi que près d’Angers, la zone hautement inondable du confluent du Loir et de la Sarthe est mise en rapport avec la légende locale du breton saint Armel, à la fois sauroctone, protecteur d’un gué et créateur en ce lieu d’une fontaine guérisseuse. D’autre part, le site de l’abbaye saint Serge, dont les terrains, au confluent du Loir avec la Maine, sont sujets à des inondations presque chaque année, ne pouvait manquer de susciter une légende de dragon. C’est saint Serge, évêque gallois dont le corps avait été apporté dans une peau de cerf par le prince breton Nominoé, qui fait ici figure de sauveur. On conservait à l’abbaye l’effigie d’une Guivre saint Serge que l’on promenait, affirme Célestin Port, dans les rues de la ville d’Angers « le jour de la Saint-Marc ou des Rogations » (Port, 1965, t. I, p. 92).

D’une manière générale, les coteaux dominant une rivière sujette aux inondations offrent au monstre des repaires privilégiés : c’est le cas — un exemple parmi beaucoup d’autres — de la cave dite de Saint Nicaise dominant le Loing à Moret-sur-Loing, localité sévèrement inondée certains hivers (Pougeois, 1875, p. 80). « Plusieurs grottes de Suisse », écrivent Raymond Christinger et Willy Borgeaud, « s’appellent encore “le trou du dragon”, le Drachenloch », cependant qu’en Suisse centrale, un dragon avait son antre au Bristenstock, au-dessus d’Unterschächen, près de Bürglen (Christinger & Borgeaud, 1963, p. 124).

Toujours en rapport avec les cours d’eau, des défilés ou des passages dangereux pour la navigation peuvent être menacés par un dragon : c’est ainsi qu’à l’entrée des Portes de Fer sur le Danube, la forteresse de Golubac est le lieu d’une légende de dragon (Vadé, 1997, p. 56). À une échelle plus modeste, on citera le dragon (le coulobre) de Lalinde sur la Dordogne, en un endroit où un haut-fond rendait la navigation dangereuse pour les bateliers. Il aurait été terrassé par saint Front, évêque de Périgueux.

Plus clairement encore, des torrents peuvent être directement nommés Dragon. C’était le nom de plusieurs rivières de Grèce. L’image est particulièrement vivante dans les Alpes suisses et françaises. Un journaliste du Conservateur Suisse rappelait au xixe siècle une légende faisant honneur à saint Bernard d’avoir enchaîné un énorme dragon, lequel dépeçait gens et bêtes et rendait la montagne impraticable. Dans une partie de nos Alpes centrales, ajoutait-il, « quand on parle d’une inondation subite et désastreuse, on dit proverbialement : le dragon est descendu » (Schweizen Volskunde / Folklore Suisse, 1927, p. 13). Et l’on ne connaît que trop en Isère (rivière elle-même comparée à un serpent) le Drac, dont les inondations menacent Grenoble, conformément au dicton populaire :

Lo serpen e lo dragon
Mettrons Grenoble en savon. (Vadé, 1992, p. 19-20)2

Une miniature de 1513 illustrant une inondation de la Reuss à Lucerne est on ne peut plus explicite (Diebold Schilling, La Chronique de Lucerne, « Le dragon du pont de la Reuss ») : on y voit nager, sur la rivière qui coule entre les maisons, un énorme dragon aux oreilles semblables à des cornes, qui se précipite vers le pont de bois où la foule s’est amassée (reproduction dans Bouillé, 2006, p. 83).

En tant que forces naturelles, ces dragons sont ambivalents. C’est pourquoi, contrairement à ce qu’on voit dans les contes, leur adversaire les dompte plus qu’il ne les détruit. Dans nos légendes de saints, il peut arriver que l’évêque venu évangéliser la contrée tue le dragon qui la ravageait : ainsi saint Bienheuré à Vendôme débarrasse la ville d’un effroyable dragon en l’étendant mort sur place ; saint Julien, premier évêque du Mans, étrangle le dragon avec son étole au confluent de la Sarthe et de l’Huisne, à moins que ce ne soit à Artins, dans la vallée du Loir3. Mais la mort de la bête n’est pas la règle générale4. Le plus souvent, le prélat se contente de contraindre le dragon à vider les lieux, il le fait fuir dans un marais ou dans le lit de la rivière, ou il le fait disparaître dans un gouffre, en d’autres termes il le ramène d’où il vient, dans son milieu naturel. On a vu que dans le Cotentin le dragon du Trou Baligan était apaisé mais non exterminé par saint Germain de la Rouelle, qui lui passe l’étole au cou avant de le précipiter dans le gouffre marin de la Chiranne. Bien d’autres exemples peuvent être cités :

  • à Paris, le dragon de saint Marcel, qui occupait le tombeau d’une femme pécheresse dont il dévorait les restes du côté de la Bièvre (on verra plus loin l’intérêt de ce détail), obéit à l’ordre du bienheureux Marcel qui lui intime d’aller habiter les déserts ou de se replonger dans la mer, « et depuis on n’en a plus vu aucune trace » (Gueusquin, 1981, p. 100) ;

  • saint Clément, premier évêque de Metz, arrive dans l’amphithéâtre de la ville infesté de serpents, qu’il entraîne au bord de la Seille en leur ordonnant de disparaître dans un lieu désert où ils ne pourront plus nuire5 ;

  • l’énorme dragon de saint Carantec est envoyé au loin, mais non détruit ;

  • la Grand-Goule de Poitiers, monstre ailé qui dévorait les habitants, est domptée par saint Hilaire ou par sainte Radegonde, selon les versions, mais elle devient dans l’esprit populaire une protection contre les animaux nuisibles, d’où son nom de « Bonne Sainte Vermine » ! (Gueusquin, 1981, p. 91) ;

  • l’histoire la plus savoureuse est encore celle du dragon de saint Efflam (« dragon hédoniste », selon le titre de l’étude de Bernard Sergent), que le saint envoie dans un trou du rivage en lui promettant qu’il pourra y jouer du biniou (ou, selon une variante, de la trompette) !

Renvoyer le dragon dans ses profondeurs natales, plutôt que de le tuer, c’est peut-être sagesse : on n’abolit pas les forces élémentaires, pas plus que celles de l’inconscient, sous peine de désastreux retours. Le siècle actuel n’a pas fini de s’en rendre compte.

Il est même des dragons (ou des serpents) protecteurs. Le médiéviste René Louis rapporte une légende de la région d’Auxerre faisant état d’un serpent qui protégea un saint contre ses persécuteurs et fut gratifié pour cela d’un collier de perles (cité dans Renardet, 1970, p. 265).

Dragons et chevaliers

On ne soulignera jamais trop l’écart qui séparait, sur tous les plans — conceptuel, rituel, symbolique, et naturellement social — les représentants de la deuxième fonction et ceux de la troisième, ou plus simplement les militaires et les paysans. Chez Chrétien de Troyes, lorsque le jeune Perceval, élevé comme un petit paysan, voit pour la première fois des chevaliers, il les prend pour des êtres surnaturels, diables, anges ou Dieu même. Cet écart se retrouve dans la façon de traiter le dragon, ou de traiter avec lui. Les princes — en termes plus sociologiques la caste royale et militaire, et en termes duméziliens les représentants des deux premières fonctions — n’envisagent pas le dragon comme un fléau dont il faut se garder. Ils ne font pas seulement alliance avec le dragon, ils se l’incorporent.

Disons, pour faire vite, que la chose se passe en deux étapes. Dans un premier temps, le prince affronte le dragon. Il se mesure à lui au cours de combats que l’on peut qualifier d’initiatiques, et dont les scénarios sont bien connus. Puis, une fois sorti vainqueur de ces combats qualifiants, il exhibe le dragon comme emblème de sa force, et s’identifie à lui symboliquement. Déjà dans l’Iliade, le bouclier d’Agamemnon est orné d’un dragon bleu tricéphale — dans le double espoir, sans doute, de s’assurer la force protectrice de l’animal et de terroriser l’ennemi. Dans la tradition germanique, c’est Siegfried qui, après avoir tué le dragon Fafnir, devient invincible en se baignant dans son sang, et acquiert en outre, en dévorant son cœur, la capacité de comprendre le langage des oiseaux.

Dans la tradition celtique ancienne, en l’absence de documents écrits, l’archéologie révèle l’existence et le rôle de dragons singuliers qui apparaissent dans l’armement, plus précisément sur les fourreaux d’épées. Leur importance a été mise en lumière par Venceslas Kruta, à qui nous empruntons cette description :

Il s’agit de monstres au corps de serpents formant une esse dont la tête peut ressembler à celle du griffon, caractérisée par un bec de rapace, des oreilles et une sorte de mèche spiralée sur le sommet du crâne […]. Ils apparaissent généralement par paires, disposées de part et d’autre du symbole de l’Arbre de Vie. Cette paire de dragons, réalisée souvent de manière très schématique, devient à partir de la deuxième moitié du ive siècle av. J.-C. un motif très répandu sur les fourreaux d’épées. Il est actuellement attesté sur plus de deux cents exemplaires, disséminés depuis le bassin de la Tamise jusqu’à la chaîne des Karpates. (Kruta, 2000, p. 581)

Des ensembles en ont été trouvés notamment dans la région parisienne chez les Sénons, dans la vallée du Rhône, en Bosnie, en Autriche… Il pourrait s’agir de l’emblème de confréries guerrières, conformes à la propension des Celtes à se regrouper en hétaïries ou confréries, dont les compagnons de la Table Ronde sont comme un lointain souvenir.

Un écho précis de ces paires de dragons se retrouve dans un texte tardif6 de la littérature arthurienne, Le Songe de Rhonabwy. « Le conte hérite des traditions arthuriennes galloises », note Pierre-Yves Lambert (Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen Âge, 1993, p. 187). Mais ces traditions pourraient perpétuer des souvenirs singulièrement plus anciens, puisque l’épée d’Arthur est ornée de cette fameuse paire de serpents, ou de dragons, remontant au début de la Tène :

Puis ils entendirent appeler Cadwr, comte de Cornouailles. Il se leva, tenant à la main l’épée d’Arthur. L’épée portait l’image de deux serpents en or, et quand on la dégainait, on croyait voir deux flammes de feu sortir de la gueule des serpents. C’était si terrifiant qu’il n’était pas facile d’en supporter la vue. (Ibid., p. 197-198)

L’étude de ce thème symbolique est actuellement poursuivie par Nathalie Ginoux, qui en a fait le sujet de sa thèse (2007).

L’accointance du guerrier et du dragon apparaissait déjà dans plusieurs passages de Geoffroy de Monmouth, à commencer par la vision de l’étoile, ou plus vraisemblablement de la comète, à laquelle Uther devra son nom de Pendragon (Tête de Dragon) :

Elle brillait d’un unique rayon. Mais ce rayon était prolongé par une boule de feu en forme de dragon et de la bouche de ce dragon sortaient deux rayons ; l’un semblait s’étendre au-delà des Gaules tandis que l’autre était tourné vers la mer d’Irlande et se partageait en sept rayons plus petits. (Geoffroy de Monmouth, 1993, § 133 ; les indications de paragraphes dans la suite du texte renvoient à cette édition)

Merlin, chargé d’élucider la signification de l’étoile, y voit l’annonce de la mort d’Aurèle Amboise, de la victoire de son frère Uther, de son accession au trône et de la puissance de son futur fils, « dont le pouvoir rayonnera sur tous les royaumes où l’étoile apparaît ». Ce fils, chacun le sait, sera Arthur. Uther, devenu roi, fait fabriquer « deux dragons en or semblables à celui qu’on avait aperçu sur le rayon de l’astre ». Il dépose l’un dans la cathédrale de Winchester, « et il conserva l’autre pour l’emporter avec lui dans les combats. C’est depuis ce temps-là qu’on l’appela Uther Pendragon ce qui signifie en langue bretonne “tête de dragon” » (ibid., § 135). D’oraculaire qu’il était au départ, ce dragon céleste devient donc talisman et emblème du pouvoir conféré à Uther et à son futur fils Arthur. Il est également, si l’on peut dire, directionnel, puisque de sa gueule partent deux rayons indiquant l’un la Gaule et l’autre la mer d’Irlande. Dans la suite du texte, la figure du dragon ne cesse de symboliser le pouvoir d’Arthur :

  • § 147 : On voit Arthur, à la veille d’une bataille décisive contre les infâmes Saxons, se coiffer d’un « casque en or, gravé d’une figure représentant un dragon », cependant que son bouclier porte l’image de « sainte Marie, mère de Dieu ». Deux protections valent mieux qu’une. Pour un homme du Moyen Âge, il n’est pas incompatible de s’affirmer dragon dans le combat et de demander à la Vierge sa protection.

  • § 164 : Arthur voit en songe un ours venu d’Occident, volant dans les airs, « mult lai, mult fort, mult gros, mult grant et de mult orrible façun », et « un dragon terrifiant qui éclairait le pays par l’éclat de ses yeux ». Le dragon crache des flammes et consume le corps de l’ours. Malgré l’affinité étymologique d’Arthur et de l’ours, c’est bien le dragon qui représente Arthur : « il esteit de lui significance » (Letellier & Hüe, 2003, p. 38-39). Son rêve annonce le combat terrible qu’il va mener contre un géant installé au sommet du Mont Saint-Michel.

  • § 168 : Plus tard encore, dans la région d’Autun, désireux de marcher sur Rome, Arthur dispose ses troupes avant la bataille et fait installer vers l’arrière « le dragon d’or qui lui servait d’enseigne ». Une miniature d’un manuscrit de la fin du xiiie siècle (Paris, BnF, ms. fr. 95) représente Merlin portant dans la bataille un dragon-étendard (reproduite dans Loomis, 1959, ill. 7, p. 320).

Le dragon-étendard était connu des Grecs et des Romains. Isidore de Séville y voit la commémoration de la victoire d’Apollon sur le serpent Python. Selon Jacques Le Goff, que je suis ici, le dragon-étendard des xie-xiie siècles serait plutôt l’héritier des étendards asiatiques parvenus en Occident par les Anglo-Saxons et les Vikings au nord, par les Arabes au sud (Le Goff, 1999, p. 240 et suiv.). Mais, poursuit l’historien, « le dragon-étendard développe, au cours du xiie siècle, un symbolisme propre qui aboutit à faire du dragon un emblème de communauté militaire, puis national. Le Draco Normannicus, qui donne son titre à un poème d’Étienne de Rouen, c’est tout simplement, en une métaphore, le peuple normand, les Normands, selon un usage mis à la mode par Geoffroy de Monmouth ». On voit par ces différents exemples comment le dragon, d’ennemi qu’il était au départ, devient l’allié, voire l’emblème non seulement du chevalier, mais d’un peuple tout entier, et comme un gage de victoire.

Les dragons sous la tour : calendrier et points centraux

La référence à Geoffroy de Monmouth nous invite à relire une scène centrale pour notre propos : celle du combat des deux dragons sous la tour du roi Vortigern. On en connaît plusieurs versions qu’il faut rappeler chronologiquement.

  1. La première, à ma connaissance, se trouve aux chapitres 40-42 de la compilation intitulée Historia Brittonum de Nennius (un moine qui se qualifiait lui-même de « petit oiseau babillard » — mais tout ce qui le concerne fait objet de débats), sans doute au début du ixe siècle. On connaît l’histoire : le roi Vortigern ne parvient pas à se faire construire une tour, qui lui servirait de refuge contre les Saxons. La tour s’écroule sans cesse. Le roi fait appel à ses mages. Ceux-ci, très embarrassés, préconisent de trouver un enfant sans père, puis d’arroser les pierres et le mortier avec son sang. L’enfant sans père, dénoncé par ses camarades, n’est autre que Merlin. L’enfant révèle que sous les fondations de la tour se trouve un lac avec deux vases où se cachent deux serpents (duo vermes), « l’un blanc, l’autre rouge », enveloppés dans un tissu. Sitôt mis au jour, les serpents commencent à se battre ; le rouge d’abord plus faible finit par repousser le blanc hors du tissu ; puis ils se poursuivent à travers le lac et la tenture disparaît. L’enfant donne alors son interprétation du combat : le tissu figure le royaume, le lac est l’image du monde, le dragon rouge représente les Bretons et le dragon blanc les Saxons. Rappelons par anticipation que le dragon rouge, devenu emblème national brittonique et choisi par les Tudor, « figure sur les armoiries royales d’Angleterre et sur celles du prince de Galles jusqu’en 1603. […] La prophétie de Merlin, “le dragon rouge sera le premier”, est la devise de la ville de Cardiff » (Arlaux, 2000, p. 21). En Petite Bretagne, il est l’emblème du Trégor.

  2. Vers 1134 apparaissent des prophéties de Merlin traduites du breton en latin (voir la chronologie dans le Livre du Graal, 2001, vol. 1, p. LVII). Elles sont reprises par Geoffroy de Monmouth dans son Histoire des rois de Bretagne quelques années plus tard. L’interprétation du combat des dragons par Merlin est le début d’un long épisode où Merlin, en larmes, « s’abandonne à l’esprit prophétique » (Geoffroy de Monmouth, 1993, § 111). Prophéties terribles qui prédisent la victoire finale des Saxons, à travers de multiples vicissitudes : « Malheur au dragon rouge car sa mort est proche. Le dragon blanc, qui signifie les Saxons que tu as invités, occupera ses cavernes. Quant au dragon rouge, il représente la nation bretonne opprimée par le dragon blanc. C’est pourquoi les monts de Bretagne, tout comme les vallées, seront aplanis et les fleuves de ces vallées deviendront des fleuves de sang […]. » (ibid., § 112)

  3. À partir du Merlin de Robert de Boron au tout début du xiiie siècle, dans l’Estoire de Merlin qui en est la suite, et dans les différentes versions cycliques des romans arthuriens, jusqu’au gigantesque Livre du Graal, l’histoire des dragons et de la tour de Vortigern figure comme un épisode obligé, mais perd de son importance, puisque ce qui est en cause n’est plus le destin des Bretons face aux Saxons, mais l’histoire générale de la Rédemption, symbolisée par la quête du Graal.

  4. Il faut attendre le milieu ou la fin du xive siècle pour que soit rédigé le texte qui nous importe ici le plus directement : le conte de Lludd et Llevelys, recueilli dans le Mabinogi gallois. J’en rappelle l’essentiel : trois fléaux s’abattent sur l’île de Bretagne, jusque-là sagement gouvernée par le roi Lludd, frère du roi de France Lleuelys. Le premier est une invasion par des êtres dont l’ouïe est si fine qu’ils entendent tout ce qui est dit sur la surface de l’île. Le deuxième est un cri poussé la nuit des calendes de mai, si épouvantable que les hommes en perdent leur couleur et leur force, les femmes leur grossesse et que tout le pays devient stérile. Le troisième, enfin, se traduit par la disparition de toutes les provisions dans les résidences royales. On a montré depuis longtemps que ces fléaux se répartissent selon les trois fonctions duméziliennes : le premier concerne la parole, la diffusion immédiate de ce qu’on appellerait de nos jours des data, entraînant l’impossibilité de toute discussion privée ou de toute tractation secrète (dans la suite du conte, les deux rois, qui sont frères, utilisent une corne en bronze destinée à empêcher que leur conversation ne soit divulguée, mais un démon dans la corne transforme toute parole en déclaration haineuse). Problèmes donc de la connaissance et de la vérité, qui appartiennent à la fonction royale. On pourrait être tenté de rattacher le deuxième fléau — le cri stérilisant — à la troisième fonction, mais on apprend qu’il est provoqué par le combat de deux dragons luttant pour la possession du royaume, ce qui ramène à l’affinité des dragons et de la guerre. Quant au troisième fléau, la disparition des réserves de nourriture et de boissons, il appartient à l’évidence à la fonction de prospérité. Mais le texte révèle encore autre chose, et c’est ce qu’il nous faut examiner maintenant.

Pierre-Yves Lambert, dans son édition du Mabinogi, affirme en note que le thème des deux dragons « est inspiré par la légende de Merlin », et renvoie à Geoffroy et à Nennius (Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen Âge, 1993, note 16, p. 385). Mais deux données au moins ne figurent ni dans les récits de Nennius, ni dans l’Histoire des rois de Bretagne ou les textes subséquents, et ce sont celles qui nous intéressent le plus directement. Dès lors, de deux choses l’une, ou bien elles ont été ajoutées par le rédacteur tardif du conte, ou bien — et c’est le plus vraisemblable — elles viennent d’un très ancien passé.

Une question de temps

La première est la donnée calendaire : le fléau des dragons frappe le royaume de Lludd « la nuit des Calendes de mai, chaque année », autrement dit au moment de Belteine, à l’articulation de l’année, quand la saison sombre fait place à la saison claire7. Ainsi le combat des dragons, que l’interprétation de Merlin ramène à l’opposition politique de deux peuples, renverrait au fait beaucoup plus général de l’alternance des deux saisons de l’année celtique, que Venceslas Kruta retrouve notamment dans les deux dragons de la cruche de Brno (Kruta, 2007). Que le dragon annulaire, l’ouroboros, représente l’année, le temps cyclique, est une chose bien connue et que l’on trouve explicitement chez Isidore de Séville (Le Goff, 1999, p. 240). La particularité celtique résiderait en la scission de ce dragon annulaire en deux dragons se dévorant mutuellement (ou se faisant suite), conformément à la bipartition de l’année en deux saisons, alternativement sombre et claire. Ce n’est donc pas pour rien que les dragons du Mabinogi se manifestent le 1er mai et que tout le mois de mai, où le temps redoutablement instable menace les cultures, a pu être qualifié de « mois des dragons ». À l’époque chrétienne, il est marqué par les multiples processions de dragons qui doublent, dans les villes, les processions des Rogations (sur les Rogations, voir Walter, 1993).

Un sceptique pourrait en tirer argument pour voir dans la notation calendaire du conte de Lludd et Llevelys un ajout tardif. Mais ce ne serait que reculer le problème. En effet, l’origine et la chronologie des dragons processionnels continuent d’embarrasser les historiens. On le voit bien dans les travaux de Le Goff sur « Culture savante et culture populaire », en particulier sur « Saint Marcel de Paris et le Dragon » (Le Goff, 1999, p. 215-268) : « Les dragons processionnels ont dû apparaître vers le milieu du xiie siècle » (ibid., p. 261) ; « […] beaucoup [de dragons] ne doivent la vie qu’aux processions des Rogations », où ils avaient une place officielle (ibid., p. 257). On ne possède pas de témoignage écrit avant l’époque romano-gothique et ce que l’historien nomme « la grande vague folklorique des xiie-xiiie siècles » (ibid., p. 223). Et Jacques Le Goff d’énumérer : la Grand Gueule de Poitiers ; le dragon crocodile de Niort ; la Gargouille de Rouen ; dans la Flandre-Hainaut, le dragon de Douai et celui de Mons ; en Champagne, le dragon de la Chair salée de Troyes, celui de Provins et le Kraulla ou Grand Bailla de Reims ; en Lorraine, les dragons de Toul, Verdun et surtout Metz avec son célèbre Gawly ou Graouilly. En Provence, à côté de la célèbre Tarasque de Tarascon, « un relevé minutieux fait surgir presque en chaque ville (ou site célèbre) les dragons, à la Sainte-Baume, à Arles, à Marseille, à Aix, à Draguignan, à Cavaillon, à la fontaine de Vaucluse8, dans l’île de Lérins, à Avignon » (ibid., p. 256-257).

Mais d’autre part « certains [de ces dragons], sont issus de légendes hagiographiques et liés à un saint » remontant souvent « au haut Moyen Âge ». Pour les plus anciennes, ces légendes remontent au ve siècle. C’est également au ve siècle que saint Mamert, évêque de Vienne (mort en 474), aurait institué les processions des Rogations pour lutter, écrit Grégoire de Tours, contre « de nombreux prodiges » qui jetaient la terreur dans la ville : tremblements de terre, divagations de cerfs et de loups sauvages, incendie du palais royal la veille des fêtes de Pâques, etc. (Grégoire de Tours, 1963, livre II, chap. 34, p. 127). Ces cérémonies se répandirent rapidement dans toute la chrétienté. Elles avaient lieu en principe les trois jours précédant le jeudi de l’Ascension.

Il faut donc supposer une très longue persistance souterraine, suivie de résurgences. En vérité l’image du dragon est permanente, entretenue par une multitude de contes et légendes, même si elle s’actualise par des représentations plastiques ou des rituels à certaines périodes plutôt qu’à d’autres.

Même lorsqu’il est tué, le dragon demeure une force et, comme souvent dans la pensée traditionnelle, la puissance maléfique peut se renverser en pouvoir bénéfique. Je retiendrai seulement pour l’instant ce que dit Louis Dumont dans la conclusion de sa grande étude sur la Tarasque : « Les services qu’on demande à l’effigie rituelle ne sont pas d’une nature différente de ceux qu’on peut attendre de la sainte protectrice. […] La sainte participe dans une certaine mesure du monstre qu’elle dompte. » À Tarascon du moins, « la Tarasque est avant tout la bête éponyme, le palladium de la cité » (Dumont, 1951, p. 225 et 227)9. L’Antiquité romaine connaissait ces cités mises sous la garde d’un antique dragon : une élégie de Properce (IV, 8, v. 3-14) nous apprend que c’était le cas de Lanuvium, au sud-est de Rome ; chaque année, raconte Properce, il réclame sa pâture, qu’une jeune vierge vient lui apporter dans une corbeille d’une main tremblante. Puis « elle s’en retourne se jeter au cou de ses parents et les paysans s’écrient : l’année sera fertile » (cité par Le Quellec & Dumerchat, 1994, p. 56). On n’est pas loin de la légende du serpent de Villedieu-lès-Bailleul en Normandie : pour calmer sa fureur, on lui offrait « les prémices des moissons et le lait le plus pur », mais il exigeait en outre, annuellement, une jeune fille (Moricet, 1963, p. 166-169).

À lui seul, le regroupement des processions de dragons au mois de mai, donc à la période de Belteine, parallèlement aux Rogations, serait un indice insuffisant pour affirmer une filiation celtique (dont certains ne veulent pas entendre parler). Mais si l’on examine les dates des fêtes des saints vainqueurs de dragons, on constate que la majorité d’entre elles se situent dans la zone des quatre grandes fêtes irlandaises. La démonstration en a été faite par Bernard Sergent (1990, voir aussi Sergent, 1997b et 2018). Ne citons que les exemples les plus flagrants :

  • Pour la période de Samain : Saint-Marcel de Paris, 1er ou 3 novembre ; Saint-Vigor (Bayeux), 1er novembre ; Saint-Efflam (Côtes d’Armor), 2 novembre (selon Sergent, 2018 : le 6 novembre dans les calendriers de Tréguier et de Vannes) ; Saint-Véran (Cavaillon et Fontaine-de-Vaucluse), 11 novembre (Sergent, 2018 : 19 octobre ou 14 novembre) ; auxquels on peut ajouter Saint-Romain (Rouen), 23 octobre ; Saint-Clément de Metz, 23 novembre.

  • Pour la période d’Imbolc : Saint-Julien du Mans, 28 janvier ; Saint-Amand (Tournay, Hautes-Pyrénées), 6 février ; Saint-Armentaire (Antibes), 16 février.

  • Pour la période de Belteine : Saint-Neventer (saint breton semi-légendaire qui aurait débarrassé le pays d’un dragon qui dévorait bêtes et gens10), 7 mai ; Saint-Bienheuré de Vendôme, 9 mai ; Saint-Lambert, 12 mai.

  • Enfin pour la période de Lugnasad : Saint-Pavace (compagnon et successeur de saint Julien au Mans), 24 juillet ; Saint-Mesmin, 26 juillet ; Sainte-Marthe (Tarascon), 29 juillet ; Saint-Loup (Troyes), 29 juillet ; Sainte-Radegonde (Poitiers), 13 août ; Saint-Armel (né au Pays de Galles, il chasse le dragon de la forêt du Theil), 16 août ; Saint-Donat (Sisteron), 19 août.

La liste des saints sauroctones peut être complétée, les dates connaître quelques variantes, mais le fait général ne peut être contesté : c’est au moment des quatre fêtes majeures de l’année celtique que nos dragons se trouvent préférentiellement chassés et/ou célébrés.

Une question d’espace

Du temps, passons à l’espace : et c’est la deuxième donnée, très surprenante, que nous fournit le Mabinogi. Le remède indiqué par le roi de France à son frère pour se débarrasser du fléau des dragons est de faire mesurer l’île de Bretagne en long et en large et d’en trouver le centre. Texte précieux qui affirme, après César, les préoccupations et les pratiques des populations celtiques (et particulièrement gauloises ?) dans le domaine de la géodésie11, et confirme ce que l’on peut nommer leur obsession du centre.

À ce compte, on peut se demander si les sites à dragon ne seraient pas fondamentalement des points centraux, au même titre que les divers lieux qui portaient en Gaule le toponyme de Mediolanum. En Grèce, le site de Delphes primitivement occupé par le serpent Python était, comme chacun sait, un omphalos, un centre du monde. Si les principaux Mediolanum gaulois étaient réputés comme sites à dragon, la cause serait entendue. Mais il faut bien reconnaître que ce n’est pas le cas. Les seuls indices allant dans ce sens sont indirects. On peut noter que plusieurs Mediolanum occupent des sites de hauteur, des buttes-témoins au bord d’un cours d’eau, comme Samoreau au bord de la Seine, Meilhan-sur-Garonne dominant la Garonne, ou Montmélian au-dessus de l’Isère. Mais on n’y trouve, à ma connaissance, aucune légende de dragon.

Si l’on suit les conclusions de Bernard Robreau qui situe à Micy le fameux locus consecratus de César, le dragon de Saint-Mesmin sortant de son rocher au bord de la Loire prend un relief nouveau. On lit dans la Vie de saint Mesmin : « Auprès de la Loire se trouvait et se trouve encore une montagne pas très haute, ayant à ses pieds un rocher creux et un serpent sauvage habitant à l’intérieur de celui-ci. » Saint Mesmin en débarrassa la contrée. Faute « d’une assez grande quantité de bois pour brûler une bête si féroce », le saint homme lança « un petit morceau de tison » qui grandit et suffit à consumer « la bête effrayante et cruelle ». Puis il y fit préparer sa propre sépulture (Robreau, 1997, p. 47)12. C’est près de ce tombeau que se trouve arrêté un vicomte, Agilus (= Aigle), ce qui permet à Bernard Robreau de retrouver en ce lieu le mythe de la montagne centrale où s’affrontent un aigle et un serpent (mythe illustré par certaines monnaies carnutes). Le dragon pourrait donc coïncider ici avec un point central majeur.

À Maulain (Haute-Marne), Mediolanum important, on connaît une légende rapportée par Étienne Renardet : « Un serpent, ayant sucé le sein de la mère de saint Félix pendant qu’elle sommeillait, celle-ci obtint du ciel que la région serait débarrassée des reptiles. » Et la tradition veut que la terre du cimetière qui entoure l’église et où gît la mère de saint Félix soit capable de chasser les couleuvres. On vient en recueillir pour la répandre dans les endroits infestés de serpents. Pratique que l’on retrouve à Bouhy dans l’Yonne, près du tombeau de saint Pèlerin. Et Étienne Renardet ajoute en note qu’autour des omphaloi irlandais on recueille également de la terre pour se préserver des serpents (Renardet, 1970, p. 265). Indice intéressant, qui demanderait à être étayé.

Je ne sais ce qu’on peut tirer de traditions attachées à la ville de Milan en Italie, qui fait figure de Mediolanum princeps. L’article « Milano » de Wikipedia affirme que « le premier symbole de la ville est un animal lié à l’étymologie du nom Mediolanum et à l’histoire de la fondation de la ville : la “laie mi-poilue” (medio lanum). » Étymologie hautement fantaisiste, est-il besoin de le dire. Et l’article poursuit : « La légende de la fondation de Milan veut que le Celte Bellovesos décida de construire une ville à l’endroit où il trouva l’animal magique que la déesse Belisama lui révéla dans un rêve. La sculpture de cette “laie semi-poilue” se trouve sur un bas-relief du Palazzo della Ragione [dans l’Antiquité, bâtiment de l’administration publique sur la place marchande de Milan]. » Mais on ne peut rien conclure de sérieux à partir de ce mauvais jeu de mots13.

Revenons plutôt au roi Lleu du Mabinogi, roi de France dont le nom transpose celui du dieu Lug. Il prescrit donc à son frère de trouver le point central de son territoire et d’en faire un « lieu fort » en y fixant à jamais les deux dragons. Il y a là une donnée qui renvoie d’un côté à un passé extrêmement archaïque, par la sacralisation et la valorisation magique du centre, et qui débouche du côté opposé, celui de l’avenir, sur une exigence de mesure quantitative, par ailleurs confirmée par César, et ressortissant à cette discipline scientifique qu’est la géodésie (voir Vadé, 2011).

Mais si un point peut être central en horizontalité, marquant la croisée des points cardinaux (le texte du Mabinogi prescrit de mesurer l’île « en longueur et en largeur »), il peut également être central en verticalité. Il unit alors les trois niveaux du monde : le niveau intermédiaire (la surface terrestre), ce qui est en dessous (le monde souterrain ou sous-marin), et ce qui est au-dessus (le ciel, à tous les sens du mot). Et Lleu ne l’oublie pas : il annonce qu’après s’être battus « sous forme d’animaux horribles, à la fin, ils prendront la forme de dragons dans le ciel ; et en dernier lieu, lorsqu’ils seront fatigués de ce combat terrible et farouche, ils tomberont sur le tissu sous la forme de deux porcelets ; ils s’enfonceront dans le tissu, en l’entraînant jusqu’au fond du baquet, et ils boiront entièrement l’hydromel, après quoi ils dormiront. » (Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen Âge, 1993, « Le conte de Llud », p. 183)

Les dragons, en particulier aquatiques, circulent couramment du niveau inférieur au niveau terrestre. Fréquentent-ils également le niveau céleste ? On sait que certains dragons sont représentés avec des ailes (c’est le cas de celui de Niort). Dans la vision d’Uther, telle que la rapporte Geoffroy de Monmouth, c’est une sorte de comète à tête de dragon qui annonce le pouvoir à venir de celui que l’on appellera désormais Pendragon. Mais il y a beaucoup mieux, dans le domaine de l’astronomie proprement dite.

Le Dragon astronomique

On connaît dans la tradition gréco-romaine la constellation du Dragon. Dans la mythologie grecque, le Dragon céleste résulte de la métamorphose en étoiles (de la catastérisation) du dragon Ladon, à cent têtes, qui gardait l’arbre aux pommes d’or des Hespérides. Il aurait été tué par Héraklès. Or Ladon est aussi le nom d’un fleuve d’Arcadie, et de quelques autres rivières de Grèce (sur le Ladon, voir Sergent, 1997a, p. 132-135). Fleuve, dragon terrestre et Dragon astronomique forment donc un groupe de trois termes permutables, qui se métamorphosent les uns dans les autres (voir Hygin, 2012, no 30).

Question : quel nom les anciens Celtes donnaient-ils à la constellation que nous appelons le Dragon ? On sait qu’en l’absence de textes, il est difficile dans ce domaine d’avoir des certitudes. Je m’appuierai sur le travail effectué par Joseph Monard et publié en 2005 sous le titre Astronymie et Onomastique calendaire celtiques. On y apprend que pour la période antique la constellation du Dragon était nommé Ambis, mot apparenté à Ambes, « le fleuve », et désignant un dragon aquatique. En gaélique d’Écosse, c’est le « serpent ailé ». En breton, pour la période médiévale et moderne, on trouve à côté du latin Draco, Avank Du, le « castor noir », qu’on trouve aussi en gallois. Étonnante confirmation de l’identité du dragon et du castor dans la mentalité bretonne.

En 1992, Bernard Sergent a publié un article sur le castor, nullement en rapport avec le Dragon astronomique, mais en référence à la légende de saint Marcel de Paris, qui chasse, comme on sait, un dragon qui infestait une tombe dans le quartier de la Bièvre. Or la Bièvre, c’est le castor. Et Bernard Sergent montre que « les Celtes ont eu la notion d’un monstre aquatique, maître des eaux, incarné par un castor colossal ». En tant que maître des eaux qu’un héros doit affronter, ce serait donc un équivalent de l’énorme Vrtra védique, vaincu par Indra (Sergent, 1992, p. 5-8 ; voir aussi Sergent, 1995, p. 214). De même une triade galloise mentionne les bœufs cornus de Hu Gadarn, lesquels « traînèrent l’avanc [le castor] de l’étang à terre, à la suite de quoi l’étang ne se rompit plus ». Et dans le roman gallois de Peredur, le héros arrive près d’une rivière qui marque la limite entre ce monde-ci et l’autre ; dans une grotte réside un addanc qui tue chaque jour un enfant. Peredur transperce le monstre de sa lance et lui coupe la tête (Walter, 2014, p. 28-29)14. On voit qu’on reste toujours dans la même zone sémantique où se conjoignent un monstre dans une cavité et le régime des eaux. Mais il est saisissant de constater que dans la tradition bretonne ce domaine s’étend bien au niveau céleste, s’il est vrai que l’honnête constellation du Dragon reste pour les Bretons celle du Castor noir, traînant avec lui de très vastes et très anciennes connotations mythologiques.

Ajoutons que dans cette même astronymie celtique, les deux Ourses et le Dragon peuvent être considérés ensemble : au Pays de Galles, on applique à cet ensemble l’appellation de Cadair Arthur, « le siège d’Arthur » (Monard, 2005, p. 81). En gaëlique d’Écosse, la Petite Ourse seule peut être dénommée Drag Bhod, « le pénis du dragon » (ibid., p. 74), tandis qu’en breton la Grande Ourse devient Karr Arzhur, « le char d’Arthur » (ibid., p. 69).

D’autres connexions apparaissent :

  1. D’un point de vue strictement astronomique, le Dragon, qui s’étend entre la Grande et la Petite Ourse, marque la direction du nord. Il correspond donc à l’axe des pôles. Correspondance très approximative à notre époque. Mais plus on remonte dans le passé, plus elle devient exacte : alpha Draconis (qui n’est pas l’étoile la plus lumineuse de la constellation) fut la Polaire vers – 2800, donc au iiie milllénaire avant notre ère (Le Bœuffle, 1996, p. 53-67). Il semble que certains temples égyptiens aient été construits en référence à cette étoile. Moins loin de nous dans le temps, dans la deuxième moitié du ive siècle av. J.-C., le grand Pythéas de Marseille, géographe, explorateur de l’Europe du Nord et astronome, professait que le pôle céleste était « un point vide d’étoiles près duquel se trouvent trois astres avec lesquels le signe qu’on mettrait au pôle constitue à peu près un quadrilatère » ; le propos est rapporté et approuvé par Hipparque (cité dans Aujac, 1975, p. 30 ; voir aussi Autolycos de Pitane, 2002, p. 12). Alpha du Dragon est vraisemblablement un de ces trois astres15.

  2. Mieux encore : toujours selon Joseph Monard, qui renvoie ici au folklore, cette même étoile Thuban, alpha Draconis, serait nommée en Bretagne Efflamm, dérivé d’Euflam = « bien flamboyant » ou « pétulant ». Comme saint Efflam… Comment résoudre ce paradoxe d’un Efflam(m) qui désignerait à la fois le Dragon et celui qui le combat ? S’agirait-il d’une simple homonymie entre le nom de l’étoile centrale du Dragon et celui du saint censé le combattre ? Le sens du mot (« flamboyant ») la rendrait plausible à la rigueur, encore que l’étoile Thuban, on l’a dit, ne soit pas des plus brillantes. Faut-il invoquer un manque de cohérence de la tradition folklorique, entraînant des confusions ? Pour en faire la critique, il faudrait la connaître avec précision, et Joseph Monard ne donne malheureusement aucune référence.

Mieux vaut en revenir à la signification cosmogonique et calendaire du mythe. À la nouvelle année (à Samain), le dragon de la moitié claire de l’année cède la place au dragon de l’hiver. Celui-ci dévore celui-là. Le combat, si l’on imagine un combat, n’est pas entre un héros ou un saint et un dragon, mais entre deux dragons. Plus précisément entre le dragon sombre de l’hiver — ce qui est le sens du dragon hittite Illuyanka, figure d’un mythe dont Bernard Sergent a montré la singulière parenté avec la légende de saint Efflam — et une puissance lumineuse ouvrant le printemps, qui dans le mythe hittite prend la forme du dieu (bénéfique) de l’Orage, dont on comprendrait assez bien qu’il soit qualifié de flamboyant. Dans la tradition celtique, il ne s’agit pas du dieu de l’orage mais d’un combattant qualifié soit par sa sainteté, soit par ses qualités guerrières, tel qu’Arthur, dont on a vu qu’en maintes circonstances il était lui-même symbolisé par un dragon (Sergent [1998] souligne les analogies d’Arthur avec le dieu hittite de l’orage). On connaît d’ailleurs d’autres exemples de tueurs de dragons qui finissent eux-mêmes dragons ou serpents, ne serait-ce que Cadmos à Thèbes : accablé de malheurs, selon Ovide, il demande à être transformé en serpent, et la métamorphose s’accomplit, ainsi que pour sa compagne Harmonie (Ovide, 1994, IV, v. 571-603). Sans parler, en Chine, de l’empereur Yu-le-grand, vainqueur d’une inondation, et qui s’identifie partiellement à un dragon traçant avec son corps le lit des rivières (Diény, 1987).

Conclusion

Pour conclure, on pourrait être tenté de reprendre les mots de la Jeune Parque de Valéry : « Va ! je n’ai plus besoin de ta race naïve,/ Cher Serpent… » (Valéry, 1917, p. 97). Pourtant, sous ses allures d’adversaire un peu obtus et parfois puéril, le dragon des mythes et des légendes a incarné, dans les millénaires du passé, des fonctions de grande portée. S’il n’est pas, comme dans la théologie chrétienne, la figure de l’adversaire spirituel, lequel appartient au domaine de la transcendance, le dragon celtique représente des forces immanentes qu’il vaut mieux ne pas ignorer.

1. Dans la société celtique comme dans d’autres sociétés indo-européennes, il est aisé de montrer que la figure du dragon est active aux trois niveaux fonctionnels définis par Georges Dumézil :

  • Au niveau de la première fonction, il représente les forces primitives, les puissances du sol que le prince — temporel dans le cas du roi, spirituel dans le cas de l’évêque du haut Moyen Âge — doit soumettre pour régner en paix et assurer la prospérité de son territoire. Depuis au moins les cités du Bronze — on retrouve cela en Chine —, le prince est considéré comme le garant du bon ordre de la nature, comme le responsable suprême du déroulement régulier des cycles cosmiques, à commencer par les saisons. Sa victoire sur le dragon, spécialement au moment où il entre en charge, assure sa capacité de protéger les populations contre des forces toujours capables de se déchaîner, au premier rang desquelles, dans nos régions, la rivière en crue, le torrent furieux ou les marais pestilents. J’ai développé cet aspect dans un article ancien sur « le Prince et le Dragon », auquel je ne peux que renvoyer (Vadé, 1992).

  • Dans le domaine des combats, le dragon devient un emblème, manifesté par l’ornementation des armes, voire une figure d’identification pour les guerriers. Sa présence est si constante, depuis les paires de dragons de la proto-histoire, jusqu’aux dragons-étendards du Moyen Âge (sans parler des modernes régiments de Dragons), qu’il est inutile de s’appesantir.

  • Du point de vue des producteurs et des éleveurs, donc de la troisième fonction, le dragon est toujours une menace, mais il se montre ambivalent. Si les crues sont souvent destructrices, elles sont aussi fertilisantes, et pas seulement dans la région du Nil : les champs, les pâturages que l’eau recouvre presque chaque hiver dans le Maine et l’Anjou (pour citer des provinces que je connais mieux que d’autres) ne s’en portent que mieux. Dans la région d’Angers, écrit un archiviste départemental, « chaque année, plusieurs centaines d’hectares disparaissent sous les eaux, au point que l’on ne discerne plus les confins de cette plaine liquide. Un silence impressionnant s’appesantit sur le sol inondé. […] La terre se gorge d’eau pour mieux porter six mois plus tard, l’herbe nourricière qui fait de cette région une des plus riches de 1’Anjou » (Jacques Levron cité par Delavigne, 2006, p. 49-50). Dompté, invoqué aux bons moments de l’année, le dragon peut devenir un auxiliaire, une « bonne sainte vermine ». Les processions de dragons, couplées avec les Rogations, sont assez parlantes à cet égard.

2. Actif dans les trois fonctions, le dragon est également présent dans les trois mondes, ou pour mieux dire les trois niveaux du monde conçu en verticalité. Il est étroitement lié aux zones inférieures, souterraines et sous-marines. C’est généralement là que le renvoient les saints évêques qui ne se contentent pas de l’exterminer. De là, il peut ressortir périodiquement et vagabonder à la surface du sol, avec les conséquences ambivalentes que je viens d’évoquer. Mais il est également présent dans le monde supérieur, celui des astres où il se tient tout près de la Grande Ourse, c’est-à-dire, en Bretagne, près du Char d’Arthur. Cette présence aux trois niveaux du monde, pointant vers le pôle, en fait une figure toute proche de l’axe cosmique, sur lequel il s’enroule, comme on le voit sur certaines gravures anciennes. Axe ou pivot temporel, le dragon est en rapport astronomique avec les éclipses de lune (c’est un point que je n’ai pas abordé, et qui appartient à l’astronomie pure). Plus généralement, ouroboros scindé, il symbolise l’alternance des deux saisons, successivement sombre et claire, structure fondamentale du cycle annuel tel que les Celtes l’ont élaboré.

Maléfique ou bénéfique, terrifiant ou protecteur, le dragon est une figure de toutes les mythologies. Mais l’usage qu’en font les cultures est variable. Dans la famille indo-européenne, les Celtes, pour autant qu’on puisse généraliser, semblent parfois l’avoir envisagé avec faveur. Ce n’est pas l’adversaire absolu que le héros doit affronter dans les contes du type la Bête à sept têtes. On connaît des dragons hédonistes, buveurs d’hydromel ou joueurs de biniou. Les Gallois ont fait du dragon rouge leur emblème national. Et les dragons processionnels, lointain héritage de dragons locaux convertis, ont entretenu avec les populations des relations joueuses. Si l’époque moderne n’a plus besoin de cette « race naïve » pour expliquer ou conjurer certains désastres naturels, le dragon n’en reste pas moins vivant dans l’imaginaire occidental — pour ne rien dire de l’Extrême-Orient et de la Chine où, comme on sait, les dragons n’ont rien perdu de leur rôle calendaire et symbolique.

Bibliographie

Arlaux Claire, 2000, Le Dragon en Bretagne. Mythes et symboles, Gourin, Keltia Graphic.

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Notes

1 Il en va de même dans la mythologie japonaise : dans son palais sous-marin, le roi Dragon représente « la force terrifiante de la nature » et toutes les calamités naturelles (orages, tempêtes, tremblements de terre, tsunamis) qui menacent le pouvoir de l’empereur (Shinoda, 2010). Retour au texte

2 Le thème se retrouve dans la mythologie japonaise : le dieu des tempêtes du nom de Susanoo réussit à terrasser Yamata-no-Orochi, dragon à huit têtes et huit queues, qui aurait vécu sur les bords de la rivière Hi à Izumo. Connue pour ses inondations fréquentes, cette rivière a souvent été associée à Yamata-no-Orochi. Retour au texte

3 Une fresque médiévale fortement restaurée illustre le fait dans l’église de Poncé-sur-Loir, construite sur une hauteur dominant la vallée. Retour au texte

4 Nous ne dirons rien du cavalier saint Georges, le plus célèbre saurochtone de la chrétienté, qui n’a rien de celtique : sa lutte contre un dragon, absente du plus ancien récit grec de sa vie, serait une addition tardive, popularisée par la Légende dorée et dérivant du mythe de Persée (voir Le Quellec, 2013, p. 241). Retour au texte

5 L’épisode est illustré par une miniature de la Vie de saint Clément (xive siècle, Bibliothèque de l’Arsenal), souvent reproduite (Gueusquin, 1981, p. 20 ; Serpieri, 1998). Retour au texte

6 Pierre-Yves Lambert considère que ce texte, peut-être parodique, œuvre d’un lettré averti, « ne peut guère être antérieur à 1300 environ » (Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen Âge, 1993, p. 187). Retour au texte

7 Voir, dans le conte de Kulhwch et Olwen, l’opposition de deux prétendants à la main d’une illustre jeune fille, qui se battent « chaque année aux Calendes de mai, jusqu’au jour du Jugement », et la note prudente de Pierre-Yves Lambert : « La bataille des deux prétendants le jour du 1er mai est interprétée souvent comme le combat des deux saisons, hiver et été, au début d’une nouvelle année. » (Ibid., p. 374) Retour au texte

8 D’où un dragon est expulsé par saint Véran, évêque de Cavaillon (voir Sergent, 1990, p. 19-35). Retour au texte

9 Sur un plan plus anecdotique, on songe au comportement de cette bretonne allumant, devant une statue de la Vierge debout sur le globe et écrasant le serpent, deux cierges de taille différente, un grand pour la sainte Vierge et un plus petit pour le serpent (Renardet, 1970, p. 267). Retour au texte

10 Dans sa lutte contre le dragon, saint Neventer était accompagné de saint Derrien, dont l’église, note Claire Arlaux, « est bâtie sur le point culminant qui marque la limite de partage des eaux des bassins versants vers la Manche d’un côté et vers la rade de Brest et l’Atlantique de l’autre ». Peut-être Derrien est-il lui aussi un maître des eaux (Arlaux, 2000, p. 74). Retour au texte

11 L’arpentage de l’île de Bretagne est attribué, dans certaines lois galloises, à un Dyfnwal Moelmud, cité parmi une multitude d’autre noms de membres de la cour d’Arthur, dans le conte de Kulhwch et Olwen. Geoffroy de Monmouth (1993, II, 17) lui attribue par ailleurs un code de lois (Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen Âge, 1993, p. 133 et note 76, p. 371-372). Retour au texte

12 Le toponyme de Micy pourrait provenir d’un *medio-ceton, « bois du milieu ». Retour au texte

13 Pas plus que du biscione (la bissa en milanais, traduction de « vipère » ou « serpent », équivalent de la vouivre) qui dévore un enfant ou un homme, et qui n’est devenu le symbole de la ville de Milan que pour avoir été celui de la famille Visconti. Faut-il rappeler qu’il a été inséré dans le logo de l’Alfa Romeo, que cette « vipère » est un des symboles de l’Inter Milan, et qu’en 1978 ce symbole dévorateur est devenu l’emblème de la société Fininvest de Berlusconi ? Retour au texte

14 Christian-Joseph Guyonvarc’h précise de son côté qu’en vieux breton le mot avanc signifie non pas castor, mais « nain, esprit des eaux ». Dans des dialectes du sud de la France, le mot gaulois originel a survécu pour désigner des prairies humides, des oseraies ou des cavités créées par l’eau — des avens (Guyonvarc’h, 1968 ; Sergent, 1992, p. 6-7). Retour au texte

15 De nos jours, cette étoile est nommée Thuban, d’un mot arabe signifiant « le Serpent », qui désigne l’ensemble de la constellation. Mais en gallois, on lui donne le nom de Dryw, c’est-à-dire « le roitelet ». Or on sait qu’en domaine celtique des traditions bien intéressantes s’attachent au roitelet. Un jeu de mots étymologique en fait « l’oiseau-druide », ou « le druide des oiseaux ». « En Bretagne, Écosse, Galice et Irlande, il est attaché à certains rites de souveraineté. Surtout, il est associé à la fin du cycle annuel. Une chasse au roitelet avait lieu en Irlande dans les derniers jours de décembre. » (Jouët, 2012, p. 866) Et dans le Mabinogi de Math, c’est en atteignant un roitelet entre le tendon et l’os de la patte que Lleu gagne son nom de « Lleu à la Main Sûre » (Les Quatre Branches du Mabinogi et autres contes gallois du Moyen Âge, 1993, p. 109). Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Yves Vadé, « Sur la piste des dragons celtiques », IRIS [En ligne], 42 | 2022, mis en ligne le 19 décembre 2022, consulté le 16 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=3080

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Yves Vadé

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