« Un point commun entre eugénisme et transhumanisme est qu’ils sont tous deux l’émanation d’esprits obsédés par la compétition. »
Olivier Rey
(Leurre et malheur du transhumanisme, Paris, Desclée de Brouwer, 2018, p. 120)
Les facettes de l’homme augmenté sont multiples. Il peut s’agir tout d’abord d’augmenter l’homme, au sens d’individu, ou l’Homme, au sens de l’humanité. Cette diversité est celle également des différentes formes d’augmentation : quantitative grâce aux nouveaux modes de procréation ou qualitative par le développement des capacités physiques et intellectuelles. Elle est due enfin aux divers moyens possibles d’augmentation — prothèses extérieures, dopages chimiques, stimulations cérébrales, modifications génétiques… Si les hypothèses sont multiples, elles ont néanmoins un point commun : le désir de toute-puissance qui les sous-tend.
À en croire l’étymologie en effet, un homme augmenté est un homme qui se crée lui-même, le verbe augere étant l’origine commune des termes augmenter et auteur. De là, l’idée qu’augmenter l’Homme consiste à le façonner. On comprend alors immédiatement ce que ce concept a de démiurgique.
Or, si les fantasmes prométhéens ont toujours animé les Hommes, notre époque est la première qui leur laisse entrevoir la possibilité effective de les réaliser. Les découvertes scientifiques fulgurantes réalisées en génétique — domaine sur lequel nous centrerons notre propos — permettent en effet à certains scientifiques d’envisager de se prendre pour Dieu. N’est-ce pas en effet cette idée qui a animé le médecin chinois He Jiankui qui annonçait en novembre 2018 la naissance de jumelles conçues in vitro et qu’il avait génétiquement modifiées1 afin qu’elles soient prétendument résistantes au VIH dont leur père était affecté ? On sait la réprobation unanime qui avait suivi de la part de la communauté scientifique internationale. Elle semblait néanmoins beaucoup plus fondée sur les conséquences négatives possibles d’un tel acte sur le reste du génome des enfants — car la science ne les connaît ni ne les maîtrise — que sur des considérations proprement éthiques condamnant la volonté de prendre ainsi le contrôle de ce que devrait être l’humanité.
Car on comprend d’emblée que les mêmes moyens biotechniques peuvent être utilisés, non pas seulement pour soigner ou guérir, mais également afin de perfectionner l’humanité. Et qui ne souhaiterait être plus performant ? plus intelligent ? plus rapide ? jeune plus longtemps ? qui ne souhaiterait que ses enfants soient meilleurs que lui-même et les autres ?
Au soutien de cet objectif, la Science trouve par ailleurs un allié objectif de poids : le Marché. Car des désirs individuels, qu’ils soient légitimes ou non, souhaitables ou non, naissent inéluctablement un commerce si le Droit ne leur oppose pas les limites du Bien commun. Or le droit justement résiste de moins en moins à la pression combinée de ces deux Titans, ce que les réformes, toujours plus libérales, des lois de bioéthique illustrent fort bien.
Ainsi, les possibilités inédites de manipulation du génome semblent rendre accessible le fantasme d’une humanité augmentée. Or, de celle-ci, on peut se faire deux conceptions qui sont toutes deux encouragées par le droit à travers le régime auquel il soumet les embryons.
La première, déjà à l’œuvre aujourd’hui, consiste à augmenter la qualité de la société, en éliminant les individus « indésirables ». Si, en effet, le Code civil prohibe l’eugénisme, il en retient une définition si étroite qu’il laisse le champ libre à des pratiques de cet ordre via les diagnostics anténatals devant permettre la non-venue au monde d’enfants jugés non conformes à la conception que la société se fait de l’individu normal (1). La seconde, envisagée pour demain, consiste à augmenter la qualité de l’humanité, en manipulant le génome des embryons. Et, de même, si le Code civil prohibe toute pratique transhumaniste, il autorise les recherches ayant pour objet de modifier la descendance d’une personne qui permettront, à terme, de transformer les êtres humains (2).
Aujourd’hui, augmenter la qualité de la société par la sélection des êtres humains
Selon l’article 16-4 alinéa 2 du Code civil, l’eugénisme consiste à organiser la sélection des personnes ce que ce texte prohibe. En d’autres termes, il interdit l’eugénisme d’État, de sinistre mémoire. A contrario, il n’interdit pas une telle sélection si elle est souhaitée individuellement. Mais en donnant tous les moyens nécessaires à l’élimination des embryons « défectueux », via le diagnostic préimplantatoire et le diagnostic prénatal, le droit encourage bien des pratiques eugénistes.
Eugénisme et diagnostic préimplantatoire
Le diagnostic préimplantatoire (DPI) est « le diagnostic biologique réalisé à partir de cellules prélevées sur l’embryon in vitro » (CSP, art. L. 2131-4 al. 1er). Il présente donc par nature un risque de dérive eugénique2. En l’état actuel du droit français, un tel risque est maîtrisé. Néanmoins, les coups de butoir contre les digues dressées par la loi se multiplient qui risquent, à terme, de faire céder celles-ci.
Un risque eugénique maîtrisé
La maîtrise du risque d’eugénisme passe logiquement par les conditions très strictes posées par la loi pour avoir recours à un DPI.
La réalisation d’un tel diagnostic n’est tout d’abord possible que dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation (AMP) dont il faut remplir les conditions (CSP, art. R. 2131-22-1). Il est vrai néanmoins que celles-ci ont été plus qu’assouplies par la dernière loi bioéthique3. On le sait, le nouvel article L. 2141-2 du Code de la santé publique (CSP) a rompu avec la logique thérapeutique de l’AMP : alors qu’auparavant, elle ne pouvait avoir pour objet que « de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité », le « caractère pathologique de l’infertilité [devant] être médicalement diagnostiqué », la dernière réforme en date a ouvert ce mode de procréation à « tout couple, formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou [à] toute femme non mariée » qui le désirent. La seule condition physique qui demeure est celle de l’âge : il faut que la femme inséminée ait moins de 45 ans au moment du transfert d’embryons (CSP, art. R. 2141-38)4. Nous verrons que cette libéralisation quasi-totale du recours à l’AMP n’est pas sans incidence sur les risques de dérives eugénistes.
La maîtrise d’un tel risque passe donc désormais exclusivement par les conditions posées à l’article L. 2131-4 CSP qui n’ont pas été modifiées depuis leur adoption. Ce texte précise d’emblée que le DPI « n’est autorisé qu’à titre exceptionnel » (al. 2), avant d’énoncer les conditions très strictes exigées pour qu’il puisse être effectué. Il faut qu’« un médecin exerçant son activité dans un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal tel que défini par l’article L. 2131-1 » atteste « que le couple ou la femme non mariée, du fait de sa situation familiale, a une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d’une maladie génétique d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic » (al. 3). On reconnaît là les termes de l’article L. 2313-1 qui pose les conditions du recours à une interruption médicale de grossesse (IMG)5. De même, « le diagnostic ne peut être effectué que lorsqu’a été préalablement et précisément identifiée, chez l’un des parents ou l’un de ses ascendants immédiats dans le cas d’une maladie gravement invalidante, à révélation tardive et mettant prématurément en jeu le pronostic vital, l’anomalie ou les anomalies responsables d’une telle maladie » (al. 4). Enfin, ce qui est essentiel, seule cette maladie sera recherchée lors du DPI, à l’exclusion de toute autre (al. 6)6.
Ces conditions sont primordiales car le DPI ne débouche pas sur une thérapie — les maladies génétiques qu’il est permis de rechercher doivent être incurables — mais conduit à la sélection des embryons et à la destruction de ceux affectés par la maladie. Étendre l’objet du DPI ne pourrait dès lors qu’encourager les pratiques eugénistes. C’est pourtant ce qui est proposé désormais à chaque révision des lois de bioéthique.
Une dérive eugéniste annoncée ?
C’est le CCNE lui-même qui plaide pour l’extension du domaine du DPI, malgré les dérives eugénistes qui en découleraient inévitablement. Ainsi, dès 2009, il recommandait que la trisomie 21 puisse être recherchée dans ce cadre, reconnaissant néanmoins que cette proposition ne faisait pas l’unanimité en son sein7. En revanche, il préconisait que cette recherche soit réservée au DPI, sans être autorisée en cas de fécondation in vitro (FIV) classique. Néanmoins, peu de temps plus tard, en 2018, adoptant une position nettement plus libérale, il recommandait que le dépistage s’étendît à d’autres anomalies chromosomiques et pût être effectué également au bénéfice de « certains couples infertiles », c’est-à-dire même en l’absence de toute maladie génétique héréditaire8. Il ne se prononçait pas toutefois sur « la population cible, la technique utilisée, ainsi que le type d’anomalies chromosomiques ou géniques recherchées » qui restaient à discuter (ibid.).
Au soutien de sa position, le CCNE invoque les considérations classiques suivantes. Pour justifier l’extension des recherches génétiques dans le cadre du DPI, ce comité met en avant le lien, qu’il considère comme indissociable, entre ce dépistage et les hypothèses permettant de recourir à une IMG9. Nous le verrons, l’interruption médicale de grossesse suppose que l’embryon ou le fœtus soit atteint « d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic » (CSP, art. L. 2213-1). C’est pour éviter le recours à cette hypothèse d’avortement, nettement plus traumatisante pour la femme que la destruction d’un embryon, que le comité est favorable à l’extension du DPI à d’autres affections que celles visées par la loi à ce jour10.
Par ailleurs, l’extension de ces dépistages aux FIV classiques permettrait d’augmenter les chances de succès de ce mode de procréation. Le CCNE affirme ainsi que la « non-viabilité du conceptus est liée le plus souvent à des anomalies chromosomiques », ajoutant qu’il « existe une demande de l’ensemble des praticiens […] d’étendre la recherche d’aneuploïdies au DPI mais également à toutes les fécondations in vitro afin d’en accroître les chances de succès11 ». On notera à cet égard que, non seulement le comité ne se donne pas la peine d’étayer ses affirmations par de quelconques références, chiffres ou preuves, mais que, ce faisant, il a mystérieusement oublié ce qu’il écrivait neuf ans plus tôt : « […] cette extension du DPI serait de nature à affaiblir le précieux repère que le législateur a fixé pour réguler le DPI : un diagnostic exclusivement réservé aux couples pour lesquels un risque élevé de donner naissance à un enfant porteur d’une malade génétique grave et incurable, au regard d’antécédents familiaux12. »
Cet « oubli », qui ne peut être qu’intentionnel, est dû à l’incohérence de la position adoptée par le CCNE en 2009. Ces deux propositions d’extension — à d’autres anomalies chromosomiques d’une part, aux FIV hors DPI d’autre part — ne peuvent en effet être adoptées l’une sans l’autre, la première impliquant que le DPI perde sa spécificité par rapport au DPN puisque sa mise en œuvre ne serait alors plus conditionnée par l’existence avérée d’une maladie génétique héréditaire. Devenant un DPN ultra-précoce, il ne pourrait pas ne pas être étendu à toutes les hypothèses de FIV, sauf à rompre l’égalité entre les personnes ayant recours à ce mode scientifique de procréation. C’est ce qu’a souligné le Conseil d’État dans le long rapport qu’il a rédigé à propos de la dernière révision de la loi de bioéthique13. Les dérives eugénistes que dénonçaient certains membres du CCNE dans l’avis précité de 2009 seraient alors inéluctables14.
Rappelons en effet que depuis la loi du 2 août 2021, toute femme qui en fait la demande peut avoir recours à l’aide médicale à la procréation (CSP, art. L. 2141-2). Celle-ci ayant été décorrélée de tout impératif thérapeutique, elle n’est plus réservée aux seuls couples dont l’infertilité a été diagnostiquée. Si on ajoute à cela que le DPI ne pourra être qu’étendu à toutes les FIV s’il porte également sur des maladies génétiques non héréditaires15, c’est l’ensemble des personnes souhaitant un enfant qui pourra avoir recours à des tests génétiques pour s’assurer que l’enfant attendu n’est affecté d’aucune maladie considérée comme grave. Car, en effet, comment justifier, au regard du principe d’égalité si cher au Conseil d’État, que le diagnostic posé sur l’embryon avant transfert soit réservé aux seuls couples infertiles alors que l’infertilité n’est plus une condition d’accès à l’AMP ? Chacun sera tenté de recourir à ce mode de procréation afin d’être certain de donner naissance à un enfant sain.
Les seuls obstacles à cette dérive annoncée ne sont par ailleurs que conjoncturels. Il s’agit de la lourdeur de ce processus médical pour la femme qui souhaite être inséminée ainsi que des incertitudes qui demeurent sur l’innocuité des investigations que subit l’embryon lors des dépistages. Le CCNE compte d’ailleurs sur ces considérations pour que s’instaure d’elle-même « une autorégulation des demandes16 ». Le coût, que ne pourra pas supporter la Sécurité sociale si le recours à l’AMP se généralise, est également un élément déterminant qui fera réfléchir le législateur17. Mais si demain, les progrès scientifiques permettent de lever ces obstacles, dont pas un n’est d’ordre éthique, l’extension du DPI, alliée à généralisation déjà adoptée du recours possible à l’AMP, ouvrira grand les portes à l’eugénisme.
Eugénisme et diagnostic prénatal
Le diagnostic prénatal (DPN) ainsi que l’interruption médicale de grossesse à laquelle il peut aboutir sont, par nature, des vecteurs de l’eugénisme. Il est alors crucial d’en déterminer restrictivement les conditions si l’on souhaite que le sort des enfants handicapés et autres « anormaux » ne soient pas inéluctablement la mort programmée. Or c’est l’inverse que l’on observe, le recours quasi-systématique à l’IMG en présence de certaines affectations témoignant de ce qu’elle est encouragée tandis que le DPN a été généralisé à la détection de toutes les maladies ce qui favorise l’avortement hors IMG.
Une IMG encouragée
L’article L. 2213-1 I CSP prévoit que « l’interruption volontaire d’une grossesse peut, à tout moment, être pratiquée si deux médecins membres d’une équipe pluridisciplinaire attestent, après que cette équipe a rendu son avis consultatif », notamment « qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». En quoi un tel texte fait-il courir un risque d’eugénisme ?
L’exemple du sort réservé aux fœtus porteurs de la trisomie 21 permet de le mettre en lumière : 96 % d’entre eux en effet sont avortés. Certes, on peut faire valoir, comme le CCNE dans son avis précité du 15 octobre 2009, qu’on ne saurait y voir la mise en œuvre d’une politique eugénique dans la mesure où rien, ni le dépistage de cette maladie ni l’IMG, n’est imposé aux couples18. On retrouve ici l’approche délibérément restrictive de l’eugénisme qui permet de détourner pudiquement le regard lorsqu’il est effectivement pratiqué. D’une part en effet, et comme le souligne ce comité lui-même, la pression que subit les couples « ne vient pas forcément de l’État. Elle peut émaner du corps social lui-même », « des représentations sociales » de la maladie et du handicap, soulignant que « pour la majorité de nos contemporains […], la conduite perçue comme normale est celle qui consiste à accepter l’amniocentèse en cas de doute et l’IMG lorsque le diagnostic défavorable est posé19 ». D’autre part et surtout, comme l’a fait valoir le Conseil d’État dans un rapport de la même année, l’eugénisme « peut aussi être le résultat collectif d’une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents […] », soulignant que pour la trisomie 21, les chiffres traduisent « une pratique individuelle d’élimination presque systématique des fœtus porteurs20 ». La Haute juridiction administrative n’en conclut cependant qu’à un appel à la vigilance — sans préciser quelles formes il pourrait prendre — et ne voit pas « d’évolutions préoccupantes » du point de vue du risque d’eugénisme…
On peut ne pas partager cet optimisme au regard de la faveur indéniable du législateur pour l’élimination des fœtus « anormaux ». Ainsi, concernant spécifiquement la trisomie 21, on notera que, depuis le décret no 2017-808 du 5 mai 2017, l’article R. 2131-1 I, 3° prévoit, au titre du DPN, la mise en œuvre des « examens de génétique portant sur l’ADN fœtal libre circulant dans le sang maternel » ; or ceux-ci facilitent le diagnostic de cette maladie puisqu’ils permettent de le poser sans avoir recours à l’amniocentèse21. Le CCNE lui-même reconnaît que « l’efficacité de ce dépistage aura probablement pour conséquence de diminuer le nombre de naissances d’enfants porteurs d’une trisomie 21 […]22 ». Par ailleurs, la préférence de la loi pour l’avortement des enfants annoncés handicapés ou malades s’est exprimée encore récemment et de manière plus générale : la loi bioéthique du 2 août 2021 a en effet abrogé le « délai de réflexion d’au moins une semaine » qui devait être proposé à la femme « avant de décider d’interrompre ou de poursuivre sa grossesse » (CSP, art. 2213-1 al. 3 ancien). Il convient de souligner que l’abandon de ce délai de réflexion va à rebours de ce que préconisait fortement le CCNE dans son avis précité du 15 octobre 2009 qui insistait sur l’état de sidération dans lequel se trouvent les couples que l’on vient d’informer du diagnostic23 et, corollairement, sur « le lien indissoluble entre temps de réflexion et liberté de décision24 ». Par conséquent, précipiter la décision de la mère risque fort de favoriser le recours aux IMG, par nature irréversibles. Sans doute était-ce au demeurant le but recherché.
Cette faveur est enfin illustrée par la généralisation du recours au DPN.
Un DPN généralisé
Celle-ci date de la loi bioéthique no 2011-814 du 7 juillet 2011 et explique également certaines innovations de la loi du 2 août 2021. L’objectif est de favoriser les avortements en cas de détection d’une maladie ou d’un handicap, quels qu’ils soient.
Des évolutions législatives significatives
C’est de la loi précitée du 7 juillet 2011 que date l’article L. 2131-1 II qui dispose que « toute femme enceinte reçoit, lors d’une consultation médicale, une information loyale, claire et adaptée à sa situation sur la possibilité de recourir, à sa demande, à des examens de biologie médicale et d’imagerie permettant d’évaluer le risque que l’embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de sa grossesse ». L’expression retenue in fine tranche par sa généralité avec celle du I du même texte qui, jusqu’à la loi du 2 août 2021, ne visait que les hypothèses dans lesquelles l’embryon ou le fœtus étaient atteints d’« une affection d’une particulière gravité ». À l’inverse, l’information due à la femme enceinte porte sur toute affection, quelle qu’elle soit puisque la précision selon laquelle celle-ci est « susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de sa grossesse » est tellement vague qu’elle ne permet d’exclure aucune hypothèse. Dans cette logique, le décret no 2014-32 du 14 janvier 2014 a modifié l’article R. 2131-1 I qui précise la liste des différents examens de biologie médicale ou d’imagerie mis en œuvre dans le cadre des DPN : ils doivent permettre la détection de toute affection, quelle qu’elle soit, également, alors qu’auparavant le dépistage ne portait expressément que sur celles « d’une particulière gravité ».
La dernière loi bioéthique en date poursuit la même logique par l’ajout qu’elle a effectué à l’article L. 2131-1 I. Il y est prévu désormais que « la médecine fœtale s’entend des pratiques médicales, notamment cliniques, biologiques et d’imagerie, ayant pour but le diagnostic et l’évaluation pronostique ainsi que, le cas échéant, le traitement, y compris chirurgical, d’une affection d’une particulière gravité ou susceptible d’avoir un impact sur le devenir du fœtus ou de l’enfant à naître25 ». L’expression ainsi ajoutée est tellement vague qu’elle ne renvoie à aucune hypothèse précise. Elle rejoint donc celle du II et confirme la généralité de l’objet du DPN. Cette modification de la loi a néanmoins pour objectif de l’affirmer plus solennellement, en l’énonçant à titre de principe gouvernant « la médecine fœtale » puisqu’elle est désormais exprimée à propos du diagnostic lui-même et non plus subrepticement au sujet des informations dues à la femme enceinte.
Allant même plus loin, la loi du 2 août 2021 a également ajouté un 3e alinéa au paragraphe VI de l’article L. 2131-1 qui dispose que « la femme enceinte est également informée que certains examens de biologie médicale à visée diagnostique mentionnés au IV peuvent révéler des caractéristiques génétiques fœtales sans relation certaine avec l’indication initiale de l’examen et que, dans ce cas, des investigations supplémentaires, notamment des examens des caractéristiques génétiques de chaque parent, peuvent être réalisées dans les conditions du dispositif prévu à l’article L. 1131-1 ». Ainsi, les investigations menées sur le fœtus peuvent-elles aller au-delà de ce que prévoyait l’examen initial : les possibilités de détecter toute anomalie génétique sont par conséquent multipliées. Dans quel but ?
Les objectifs du législateur
Le but poursuivi par le législateur en permettant de détecter toute maladie ou tout handicap chez l’embryon ou le fœtus n’apparaît pas d’emblée clairement dans la mesure où, à l’inverse, l’IMG demeure possible uniquement en cas d’« affection d’une particulière gravité » (CSP, art. L. 2213-1 I). Or c’est à ce type d’avortement que le DPN est censé éventuellement conduire. Pourquoi alors généraliser l’objet du second si les hypothèses de recours au premier demeurent limitées ? On peut y voir deux objectifs, l’un immédiat, l’autre différé.
L’objectif immédiat est logiquement d’inciter la femme à pratiquer une interruption volontaire de grossesse (CSP, art. L. 2212-1s.). Il faut au demeurant mettre la généralisation du DPN en parallèle avec l’allongement progressif du délai pour avorter. Porté récemment à quatorze semaines de grossesse par la loi no 2022-295 du 4 mars 2022 et allié à des diagnostics prénataux de plus en plus fiables, les possibilités de se faire avorter dès que l’enfant sera affecté d’une maladie, d’une malformation ou d’un handicap quelconques sont démultipliées. On peut y déceler, sans trop de doutes, une volonté d’encourager les avortements d’enfants annoncés « anormaux » et donc bien une politique eugéniste.
Par ailleurs, il est possible que l’objectif soit également, à terme, d’élargir, voire de généraliser, le recours à l’IMG qui, contrairement à l’IVG, n’est pas limité dans le temps. Il faut en effet noter que les textes sur le DPN ont évolué progressivement et souvent subrepticement. Ainsi, en 2011, la loi bioéthique généralise son objet mais ne le prévoit qu’indirectement, au sujet des informations délivrées à la femme enceinte ; puis cette généralisation est plus clairement exprimée mais dans un simple décret, celui précité de 2014 ; en 2017, c’est un autre décret qui favorise et systématise la détection de la trisomie 21, question qui échappe donc aux débats parlementaires ; enfin la dernière loi bioéthique de 2021 permet de rechercher les anomalies génétiques affectant le fœtus au-delà de ce que prévoyait l’objet de l’examen initial mais ne l’affirme que dans l’alinéa 9 d’un article qui en comporte quinze… On le voit, il s’agit, à chaque fois, de faire passer le plus discrètement possible des réformes essentielles en termes de bioéthique afin de limiter les oppositions éventuelles de ceux qui pourraient légitimement s’inquiéter de leur logique eugéniste.
On peut dès lors penser que préside à ces évolutions aux procédés si contestables la volonté à terme d’autoriser le recours à l’IMG dès que sera détectée « une affection […] susceptible d’avoir un impact sur le devenir du fœtus ou de l’enfant à naître » (CSP, art. L. 2131-1 I), sans plus exiger qu’elle soit « d’une particulière gravité ». Il suffira de plaider la nécessaire cohérence avec les textes relatifs au DPN. Viendra également vraisemblablement au soutien de cette démarche la mise en avant de la subjectivité de la notion d’affection d’une particulière gravité — qui n’a jamais été définie par la loi — et qu’on laissera à l’appréciation souveraine de la mère, comme ce fut le cas de son état de détresse pour les avortements sans cause médicale, pour, en définitive, plaider son abandon comme condition de l’IMG.
Politique-fiction ? Procès d’intention ? L’avenir nous le dira mais on ne peut nier que l’ensemble des réformes législatives ici décrites vont dans le même sens : favoriser l’élimination des embryons et des fœtus atteints d’une anomalie quelconque. Nous sommes donc bien en présence d’une tendance législative de fond et, par conséquent, d’une politique délibérément eugéniste, contrairement à ce que continue d’affirmer le CCNE26.
Demain, augmenter la qualité de l’humanité par la transformation des êtres humains
L’eugénisme dit « positif27 » consiste, non plus à éliminer les personnes considérées comme indésirables mais à transformer les êtres humains afin qu’ils correspondent à un idéal que se fixe la société. On reconnaît là le fantasme du transhumanisme. Les progrès scientifiques dans le domaine de la génétique deviennent alors rapidement des revendications que le législateur s’empresse de contenter tant il a foi en la science.
En témoigne l’article 16-4 alinéa 4 du Code civil qui dispose qu’« aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ». La seule condition posée par ce texte — ne pas modifier la descendance — explique que le CSP autorise de manière quasiment illimitée la manipulation du génome humain dans le cadre des recherches sur les embryons ou les cellules souches. Les limites que le Code civil appose en principe aux dérives transhumanistes possibles paraissent alors bien théoriques.
Le CSP ou les moyens pratiques du transhumanisme
Les recherches scientifiques sur les embryons et les cellules souches respectent l’interdit de l’article 16-4 alinéa 4 précité. Il est en effet expressément prévu que « les embryons sur lesquels une recherche a été conduite en application du présent article ne peuvent être transférés à des fins de gestation. […] » (CSP, art. L. 2151-5 IV). Dans la même logique, l’article 2141-3-1 CSP précise que dans le cadre des recherches « réalisées sur des gamètes destinés à constituer un embryon ou sur un embryon conçu in vitro avant ou après son transfert à des fins de gestation », « aucune intervention ayant pour objet de modifier le génome des gamètes ou de l’embryon ne peut être entreprise ». La modification du génome d’un embryon ayant vocation à devenir un enfant ne pourrait en effet qu’être transmise à sa descendance. La combinaison de ces deux textes laisse clairement apparaître néanmoins que du moment où l’embryon n’a pas vocation à être transféré in uterum, la modification de son génome est autorisée28.
L’encouragement ainsi donné aux recherches en matière de génétique se traduit alors de deux manières : d’une part, elles ne sont bornées par aucune finalité particulière ; d’autre part, les moyens que la loi autorise à mettre en œuvre pour les mener ne sont plus limités que par un seul interdit éthique.
Les fins
Il n’est pas exigé que les recherches génétiques menées sur les embryons poursuivent une finalité précise. L’article L. 2151-5 I CSP énonce certes les conditions auxquelles elles sont soumises mais en des termes si larges qu’en réalité, il ne leur fixe aucune limite.
Ainsi, au 2° de ce texte, est-il prévu que « la recherche, fondamentale ou appliquée, s’inscrit dans une finalité médicale ou vise à améliorer la connaissance de la biologie humaine ». Cette seconde précision a été ajoutée par la loi du 2 août 2021. Il faut reconnaître que, sur le fond, elle ne modifie pas le texte de manière essentielle : une recherche fondamentale vise déjà en elle-même à améliorer les connaissances scientifiques tandis que la référence à une finalité médicale ne signifie pas grand-chose puisqu’elle ne renvoie pas à un but strictement thérapeutique. Néanmoins, la précision que les recherches sur les embryons, inclusivement celles impliquant la manipulation de leur génome, peuvent être menées dans le seul but d’« améliorer la connaissance de la biologie humaine » indique de manière claire et expresse que de telles recherches n’ont pas à poursuivre de fin particulière pour être autorisées29. Il s’agit d’un véritable blanc-seing.
Ce fut au demeurant un des reproches avancés au soutien du recours contre la loi de 2021 devant le Conseil constitutionnel, ses auteurs soulignant qu’une telle finalité ne fixait en réalité « aucune limite opératoire à ces recherches » ; partant, « le législateur ne garantirait pas la prohibition de l’eugénisme ». Le Conseil a balayé ce point d’un revers de plume, se contentant de relever que « le législateur a entendu permettre que de telles recherches puissent être entreprises y compris lorsqu’elles ne présentent pas un intérêt médical immédiat30 ». Certes, mais en quoi le cadre fixé par le législateur permet-il d’éviter les risques d’eugénisme, le Conseil ne le précise pas31. Et pour cause puisque, les recherches menées en matière de transformation du génome humain n’étant pas limitées par un objectif thérapeutique, elles peuvent avoir pour objet d’améliorer les êtres humains, laissant libre cours au fantasme d’une humanité augmentée.
Les limites apposées aux manipulations génétiques sur les embryons ne tenant pas aux fins poursuivies, elles étaient dressées par les moyens qu’il était possible d’y consacrer. Or, à rebours, la loi du 2 août 2021 en a accordé de nouveaux, repoussant très loin les limites d’ordre éthique qu’il est possible d’opposer aux investigations des chercheurs.
Les moyens
Ainsi, l’interdiction de créer des embryons transgéniques a été levée. L’article L. 2151-2 alinéa 2 CSP ancien, qui posait cet interdit, a été purement et simplement effacé. C’est désormais le silence gardé par le législateur sur cette question qui autorise les scientifiques à opérer les manipulations génétiques qu’ils souhaitent sur les embryons.
Cette autorisation quasi illimitée vient également de ce que ce silence permet au législateur, plus encore aujourd’hui qu’hier, de ne pas définir ce qu’il faut entendre par « embryon transgénique ». On peut alors le comprendre de manière très large, à savoir comme un embryon dont le patrimoine génétique a été modifié par l’insertion d’une séquence d’ADN exogène, quelle qu’elle soit. Toutes les manipulations génétiques sont dès lors possibles.
La seule limite qui demeure, mais elle a également été repoussée par la loi de 2021, concerne la création d’embryons chimériques. Alors qu’avant la dernière réforme bioéthique, le texte précité l’interdisait de manière aussi absolue que celle des embryons transgéniques32, l’article L. 2151-2 alinéa 2 CSP nouveau dispose que « la modification d’un embryon humain par adjonction de cellules provenant d’autres espèces est interdite ».
La seule limite éthique qui demeure est donc l’interdiction de modifier le génome d’un embryon humain avec des cellules « d’autres espèces », c’est-à-dire animales. A contrario, il est désormais autorisé d’adjoindre des cellules humaines à des embryons d’animaux. C’est ce que confirment les articles L. 2151-6 III alinéa 2 et L. 2151-7 II à propos des recherches respectivement sur les cellules souches embryonnaires et sur les cellules souches pluripotentes induites humaines33. Dans les deux cas, elles peuvent avoir pour objet « l’insertion de ces cellules dans un embryon animal dans le but de son transfert chez la femelle ». Ainsi, peut-on modifier la descendance d’un animal, en prenant le risque de lui imprimer des caractéristiques humaines34.
L’objectif poursuivi est notamment de fournir des organes dont les risques de rejet immunitaire seraient ainsi diminués en cas de greffe sur une personne humaine. La frontière entre l’être humain et le monde animal n’en est pas moins dangereusement battue en brèche35 et ce, avec d’autant plus de force que la loi du 2 août 2021 a affranchi les recherches sur les cellules souches, quelles qu’elles soient, du système d’autorisation de l’article L. 2151-5 auquel sont soumises celles pratiquées sur les embryons36. Désormais, il suffit d’une déclaration préalable à leur mise en œuvre « auprès de l’Agence de la biomédecine » tandis qu’« à défaut d’opposition du directeur général de l’agence, la réalisation du protocole de recherche peut débuter à l’expiration du délai mentionné au […] premier alinéa37 ». Si l’entière libéralisation des objectifs poursuivis par les recherches en génétique ouvre la voie vers le transhumanisme, le législateur a donc également franchi le pas vers le « trans-spécisme ».
Face à ce triomphe de l’utilitarisme au service de la science, les limites juridiques prévues par le Code civil semblent bien théoriques.
Le CC ou les limites théoriques au transhumanisme
Dans son avis no 133, le CCNE affirme que la législation en France et en Europe nous protège des risques d’eugénisme par modification transmissible du génome38. On peut ne pas partager cet optimisme.
Certes, l’article L. 2151-5 I, 4° CSP prévoit, au sujet des recherches pratiquées sur les embryons, que « le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes fondamentaux énoncés aux articles 16 à 16-8 du Code civil […] ». Néanmoins, une telle référence, issue de la loi du 2 août 2021, a vraisemblablement été ajoutée dans l’unique but de rassurer ceux qu’inquiétait légitimement l’importante libéralisation des recherches admises par la réforme. Elle n’a en effet que peu de sens puisque les articles 16 et suivants du Code civil ont pour objet d’assurer « la primauté de la personne ». Or l’embryon n’est pas une personne, au sens juridique du terme. Sa protection — si nécessaire et légitime pourtant — ne peut donc pas relever de ces textes. On en veut pour preuve par exemple le fait que les recherches sur les embryons n’étant bornées par aucune fin particulière39, l’article L. 2151-5 CSP contrevient à l’article 16-3 alinéa 1er du Code civil qui n’autorise les atteintes portées au corps humain « qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ». La référence qui faite aux articles du Code civil est donc purement formelle, destinée à tranquilliser (tromper) les esprits chagrins40.
Le seul article qui fait sens en matière de recherches sur les embryons et les cellules souches est l’article 16-4 du Code civil. Néanmoins, il est à craindre que les deux alinéas de ce texte qui sont ici concernés ne permettent pas d’empêcher les dérives eugénistes des recherches autorisées par le Code de la santé publique.
L’article 16-4 alinéa 4
À la suite du CCNE41, le législateur français a interdit la thérapie génique germinale42 à l’article 16-4 alinéa 4 du Code civil, interdiction énoncée également à l’article 13 de la Convention d’Oviedo43. Néanmoins, il a réservé in limine les recherches en ce domaine puisqu’est précisé que l’interdiction de transformer les « caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne » ne fait pas obstacle aux « recherches tendant à la prévention, au diagnostic et au traitement des maladies ». Certes, cette dérogation au principe d’interdiction de modifier le génome de la descendance est doublement limitée : d’une part, elle ne concerne que les recherches, d’autre part celles-ci doivent être menées exclusivement dans un but thérapeutique. Néanmoins, l’évolution très récente qu’a connue ce texte laisse deviner une grande faveur du législateur pour ce type d’expérimentations.
La loi du 2 août 2021 a en effet doublement étendu leur objet. D’une part, elles peuvent porter désormais sur toutes les maladies quelles qu’elles soient alors que depuis la première loi bioéthique du 29 juillet 1994, seules les maladies génétiques pouvaient être concernées. D’autre part, cette même loi a ajouté que ces recherches pouvaient porter non seulement sur la prévention et le traitement des maladies mais également sur leur diagnostic. Or cette référence au diagnostic entretient le flou entre ce qui est thérapeutique et ce qui ne l’est pas car un diagnostic ne conduit pas forcément à un traitement mais peut, plus brutalement, amener à la destruction de l’embryon, jugé « non-conforme44 ».
Par ailleurs, on devine que si, un jour, les recherches aboutissent, les pressions des scientifiques seront fortes pour qu’elles puissent être appliquées ; ils ne se contenteront pas d’avoir amélioré leur « connaissance de la biologie humaine45 »… Certes, l’article 13 précité de la Convention d’Oviedo s’y oppose et l’on sait qu’il s’impose au législateur français. Ce rempart peut néanmoins sembler fragile dans la mesure où la thérapie génique germinale ne fait l’objet d’aucune sanction pénale, contrairement à la prohibition de l’eugénisme46 (C. pén., art. 214-1) et à celle du clonage (ibid., art. 214-2) ce qui démontre que l’interdit n’est pas aussi fort en ce domaine.
L’article 16-4 alinéa 1er
L’article 16-4 alinéa 1er dispose que « nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine ». Or les embryons appartiennent à l’espèce humaine. Par conséquent, il serait interdit de modifier leur génome à des fins autres que thérapeutiques. Le syllogisme est parfait. Est-il pour autant efficace à contrer la réalisation des désirs transhumanistes ?
La réponse à cette question dépend de la valeur juridique de cet alinéa. Soit il n’est qu’un simple texte d’annonce sans caractère normatif, les seuls interdits étant alors ceux expressément prévus aux alinéas suivants (eugénisme, clonage, thérapie génique germinale). Soit il énonce un principe général du droit qui s’impose même en l’absence de texte avec, pour conséquence, que toute technique scientifique, même celles non visées expressément par le législateur car encore inconnues à ce jour, est interdite si elle porte atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine. En d’autres termes, l’alinéa 1er est‑il une norme juridique autonome des alinéas suivants ? Seule une réponse positive à cette question permettrait à ce texte d’être l’ultime rempart aux éventuelles prétentions scientifiques d’améliorer l’humanité.
Aucune réponse juridique certaine ne s’impose. Si la question du statut de ce texte venait à être clairement posée — notamment au Conseil constitutionnel — elle sera tranchée en fonction d’arbitrages strictement politiques qui, de réformes en réformes des lois de bioéthique, sont marqués de plus en plus par la volonté exclusive du législateur de favoriser la recherche scientifique française dans la compétition mondiale, au détriment de toute considération morale. La très importante libéralisation des recherches sur les embryons et les cellules souches en témoignent : alors même que les règles du CSP sont censées être soumises au respect de celles du Code civil, la préservation de l’intégrité de l’espèce humaine ne gouverne pas les dispositions adoptées en la matière — la levée de la prohibition de créer des embryons transgéniques voire chimériques le met suffisamment en lumière. Il est dès lors fort probable qu’aucune valeur juridique autonome ne serait reconnue à l’article 16-4 alinéa 1er afin qu’il ne puisse pas faire obstacle aux « progrès » scientifiques, de quelque nature qu’ils soient.
En définitive, les seules limites apposées au risque transhumaniste ne sont pas d’ordre éthique mais… scientifique. Ce qui en réalité fait obstacle à la mise en œuvre de toute thérapie génique germinale et, plus généralement, de toute manipulation génétique est qu’il est impossible aujourd’hui d’établir l’innocuité à terme des modifications apportées au génome d’un embryon47. La seule véritable limite posée à la science est donc ce qu’elle ne sait pas (encore) faire et il est rien moins que certain que l’appel du CCNE à l’humilité tant scientifique que philosophique48 suffise à protéger l’humanité de la tentation de l’hybris. La bioéthique — cache-misère de nos fantasmes prométhéens — a vécu.