Le fantasme d’un dépassement des frontières de l’humanité atteint son paroxysme au xxie siècle1. Dans un monde néolibéral où les avancées techniques et scientifiques progressent au rythme de la loi de Moore2, le corps augmenté, la vie sur Mars, l’intelligence artificielle semblent s’imposer comme des réalités inévitables. Il suffit de suivre le compte Twitter d’Elon Musk pour se voir propulsé dans un futur proche où les humains devront utiliser des implants cérébraux pour s’assurer de ne pas être supplantés par une intelligence artificielle surpuissante.
Malgré l’importance médiatique accordée à ces discours futuristes et alarmistes, il demeure important de s’interroger sur le rôle des nouvelles technologies et des évolutions scientifiques, présentes et à venir, dans nos sociétés. Bien qu’il soit impossible de nier l’avènement de certaines avancées technologiques, l’avenir de ces technologies dans nos sociétés doit s’accompagner d’une réflexion sur les enjeux qui les sous-tendent. Faute de quoi, cet avenir technologique pourrait s’imposer à nous comme une réalité inéluctable dont il faut accepter, sans conditions, toutes les conséquences inhérentes. Ce discours sur les technologies, promu par une certaine pensée transhumaniste, doit être rejeté, car il contient de grands risques pour notre autodétermination :
Tout se passe en effet comme si non seulement les promesses transhumanistes marquaient un point de rupture historique sans précédent, mais que leur réalisation relevait plus encore de l’inéluctabilité. C’est ce que le philosophe Mark Hunyadi appelle le « futurisme » transhumaniste : « Le futurisme est une manière de parler du futur au futur, sans jamais utiliser le conditionnel ; une manière de prophétiser l’avenir sans jamais imaginer d’alternative possible. » (Le Dévédec, 2021, p. 17-18)
En effet, ce type de discours élimine la possibilité de formuler des réflexions fondamentales et nécessaires sur l’élaboration de nouvelles technologies avant leur instauration dans nos sociétés, puisqu’elles seraient déjà inévitables3. Pour faire face à cette technocratie toute-puissante, une réflexion philosophique, morale et sociale doit contrebalancer le poids de la technique. Or, comment faire face à une technoscience qui s’enferme dans sa propre bulle spéculative4 ?
La science-fiction spéculative5
Pour répondre à cette question, l’étude de la science-fiction ouvre des pistes de réflexion, puisque ce genre fictionnel s’intéresse — à sa manière — aux mêmes technologies que les sciences appliquées6. Cependant, à la différence des technosciences souvent renfermées sur leurs propres objectifs techniques, les récits de science-fiction ne peuvent exister qu’à condition de mettre en scène ces technologies dans une diégèse vivante, socialisée et politisée7 :
La science-fiction […] re-socialise ou re-politise ces développements techno-scientifiques en les inscrivant dans un territoire, une histoire, des relations sociales. La fiction met en scène les technologies dans un univers où tout s’imbrique : la séparation science et société n’a pas de sens dans la science-fiction littéraire ou cinématographique. (Simioni, 2002, p. 73)
Par sa construction narrative, la science-fiction éclaire les dimensions sociales négligées dans une course au développement qui se révèle être essentiellement technique.
Par ailleurs, la science-fiction spéculative permet d’anticiper, de questionner et de rendre intelligibles des réalités qui ne sont pas encore présentes, mais qui sont plausibles, compte tenu de nos connaissances actuelles du monde8 :
Speculative fictions, from Mary Shelley’s Frankenstein to the Star Wars cinema saga, can be read as sociotechnical thought experiments that produce alternative representations of present circumstances and uncertainties, and anticipate and critique possible futures. […] I argue that critical readings of such stories can help us to anticipate, critique, and respond constructively to social and cultural changes and change environments within nation-states that constitute, and are constituted by, global change processes and their effects. (Gough, 2003, p. 5)
Les fictions spéculatives, du Frankenstein de Mary Shelley à la saga cinématographique Star Wars, peuvent être lues comme des expériences de pensée sociotechniques qui produisent des représentations alternatives des circonstances et des incertitudes actuelles, et qui anticipent et critiquent les futurs possibles. […] Je soutiens que la lecture critique de ces histoires peut nous aider à anticiper, à critiquer et à répondre de manière constructive aux changements sociaux et culturels et aux environnements de changement au sein des États-nations qui constituent, et sont constitués par, les processus de changement mondiaux et leurs effets.
L’aspect « spéculatif », défini comme un mode de pensée qui élargit le sens de la réalité (Dorion & Ouahab, 2022), est particulièrement utile pour offrir une réflexion face aux risques et aux défis des innovations techniques9 :
D. Collingridge soulignait que nous sommes confrontés au paradoxes suivants : Au moment où il est encore possible de modifier les dispositifs techniques pour éviter des risques, nous n’avons pas la connaissance de ces risques ; et quand plus tard nous avons une pleine connaissance des risques liés à un procédé, il est presque impossible de le modifier ou d’y renoncer ; de sorte que plus l’innovation est rapide, plus il y a potentialisation du risque technique. (Cérézuelle, 2000, p. 117)
La science-fiction spéculative, par sa capacité à préfigurer10, c’est-à-dire à anticiper une caractéristique dans un monde alternatif11, imagine les dangers de ces technologies dans un univers social construit et habité par des personnages investis d’affects12 :
[C’est] toujours la question de ce qui affecte les personnages, et donc de ce qui les attache, de ce qui les met à l’épreuve et non des épreuves qu’ils traversent victorieusement, qui est thématisée dans ce que j’appelle dès lors science-fiction « expérimentale ». Expérimentation désigne donc d’abord la dimension de « pathos », distinguée de l’activité libre, volontaire et donc abstraite du véritable « héros ». (Stengers, dans Hottois et coll., 2000, p. 100)
Alors, qu’il est impossible de prévoir les conséquences de certaines technologies inexistantes mais pressenties, la science-fiction spéculative propose une riche palette de réflexions à engager, avant que ces avancées technologiques ne d’imposent à nous comme un fait accompli. Autrement dit, avant une implantation plus profonde de la technologie dans l’être humain, avant la « singularité technologique13 », la science-fiction spéculative se présente comme un laboratoire fictionnel où l’on peut mener des expériences risquées, sans risque réel.
Les employés d’Olga Ravn : laboratoire imaginaire pour un futur hypothétique
Ces expériences, traduites dans et par la science-fiction spéculative, résultent d’une recherche délibérée par des auteurs qui investissent l’espace littéraire de réflexions portant, entre autres, sur les nouvelles technologies. Tel est le processus créatif qui apparaît dans le deuxième roman de la poète et écrivaine danoise Olga Ravn : Les employés14. De manière significative, Olga Ravn explique, dans une entrevue pour les Éditions Lolli, le rôle de l’écrivaine américaine de science-fiction spéculative Ursula K. Le Guin comme source d’inspiration pour l’écriture de son propre roman : « I was very inspired by Ursula K. Le Guin, the American science fiction and fantasy writer15. » Dans une entrevue donnée peu après sa présélection pour The Booker Prizes, Olga Ravn explicite l’expérience qu’elle cherche à façonner à travers l’écriture de son roman : « I also wanted to see what would happen if human beings were taken out of their ecology, away from Earth. By making Earth distant I could examine man’s relationship to it in a new way16. » Ce « what would happen if » (« que se passerait-il si ») illustre cette mise en récit d’enjeux possibles, car imaginables par la fiction.
Dans cet article, nous montrerons comment le roman d’Olga Ravn constitue un terrain d’étude privilégié pour analyser comment la fiction devient un véritable « laboratoire » pour « expérimenter » certaines technologies. Autrement dit, comment l’écriture romanesque se constitue comme un espace qui montre les conséquences de ces technologies, imaginées et problématisées par la fiction. Plus précisément, ce roman préfigure trois réalités technologiques — le corps augmenté17, la vie extra-terrestre et l’intelligence artificielle forte18 — qui seront analysées selon leur impact sur le corps des personnages. Le corps, carrefour de l’expérience humaine19, joue un rôle central dans ce roman lorsqu’il s’agit de montrer le changement que les technologies opèrent sur la psyché humaine.
Dans cette étude, nous analyserons aussi comment le corps s’incarne depuis sa désincarnation dans Les employés d’Olga Ravn. Autrement dit, la construction narrative de la perte du corps, provoquée par de nouvelles technologies, illustrera ce qui permettait à l’humain d’être un corps habité en premier lieu. De cette façon, cette réflexion révèlera le processus d’aliénation20 qui survient lorsque la technologie ne prend pas en compte un certain nombre de facteurs identitaires, environnementaux et sociaux de notre humanité.
Résumé du roman
Le récit d’Olga Ravn se construit à travers les « dépositions » des employés du six millième vaisseau. Sur une période de dix-huit mois, une commission compile des témoignages21 dictés par les employés pour comprendre l’influence de leur mode de vie sur la production :
À travers la transcription fidèle des dépositions des sujets, nous avons souhaité donner un aperçu du travail[,] examiner à quelles influences possibles les employés avaient pu être exposés [et], enfin, quelles en ont été les conséquences sur la production. (Ravn, 2020, p. 9)
Dans ces déclarations, les employés — groupe hétérogène composé d’humains et d’humanoïdes (des cyborgs) — partagent leur avis sur le travail, l’environnement, les relations interpersonnelles et sur leur rapport à d’étranges « objets » qui impactent leur humeur, leur pensée et même leurs rêves. À travers ces dépositions se dessine un monde aux allures totalitaires, où les « employés », comme le laisse présager leur appellation, sont déshumanisés pour être mieux intégrés aux engrenages de la productivité dans le vaisseau.
Cependant, un deuxième arc narratif complexifie le récit. En effet, les dépositions provoquent un bouleversement de l’ordre établi. Par cette parole donnée, qui dépasse le cadre pratique du travail, les employés se surprennent à avoir des pensées singulières, illicites, qui traduisent une forme d’insoumission : « Je suis votre création, vous m’avez octroyé la parole, et maintenant je vois vos erreurs et vos lacunes. Je vois l’insuffisance de vos plans. » (Ravn, 2020, p. 23) À partir de ce moment, les employés amorcent une remise en question de leur environnement de travail, où la relation au corps est au cœur de leur argumentation : « Mon corps n’est pas le vôtre. » (Ibid., p. 60) Le corps devient donc un lieu significatif pour comprendre les réalités conscientes ainsi qu’inconscientes22 vécues par les employés dans leur milieu technologique.
Par l’étude de ces manifestations psychiques au sein même du corps des personnages, il sera possible de réfléchir à certains risques de ces technologies imaginées23 par la fiction qui augmentent les capacités humaines, mais qui oublient l’essence même de l’humanité.
Travailler à corps perdu : les risques de l’humain augmenté
À travers les dépositions, les implants — appelés « ajouts » dans le récit — apparaissent comme une des premières causes d’aliénation chez les employés. Ces ajouts, plutôt que de pallier un problème physique ou de santé, servent à optimiser le rendement des humains.
Les impressions qu’éprouvent les employés qui possèdent des implants apparaissent en trois étapes. Dans un premier temps, l’employé ressent une peur passagère à la suite de l’opération : « À mon réveil, après l’opération, j’ai eu peur, mais cela s’est rapidement dissipé. » (Ravn, 2020, p. 19) Dans un deuxième temps, l’employé perçoit les bénéfices de cette transplantation sur son travail et ses capacités : « J’éprouve beaucoup de satisfaction par rapport à mon ajout. » (Ibid.) Dans un troisième temps, cette période positive se métamorphose en trouble, car l’employé réalise le rapport ambivalent qu’il entretient avec cet objet externe placé à l’intérieur de son corps : « C’est moi, et en même temps, ce n’est pas moi. J’ai dû me transformer totalement pour assimiler cette nouvelle partie ; c’est, vous l’avez dit aussi, moi. Comme de la chair et pas de la chair. » (Ibid.) Cette sensation d’étrangeté va jusqu’à prendre le caractère d’une vision d’horreur lorsque l’employé ne réussit pas à assimiler complètement cette présence extérieure :
Je rêve qu’il n’y a rien là où se trouve l’ajout. Qu’il s’est détaché ou peut-être n’a jamais fait partie de moi. Qu’il nourrit une profonde aversion à mon égard. Qu’il flotte librement dans l’air en face de moi et s’apprête à m’attaquer. (Ravn, 2020, p. 19)
Cet extrait rappelle les expériences vécues par des personnes qui ont subi une greffe24. Cependant, dans le cas de l’employé, cette sensation est exacerbée, car pour faire une place à ce « corps étranger » dans sa propre personne, il doit comprendre ce qui définit son identité dans le monde dans lequel il vit :
« Je » cherche à faire le point sur sa vie et son identité. […] Un organe prend la place d’un autre. La vie continue. « Je » vit de nouveau. Mais qui est-il ? C’est l’altérité qui surgit au « cœur » même du « je » et qui l’oblige à se poser de nouveau la question : « Qui suis-je ? » (Marzano, 2007, p. 54)
En effet, face à cette question fondamentale, le problème de l’employé se complexifie, puisqu’il peine à être autre chose que sa fonction : « Maintenant, j’ai plus de forces que quiconque. Je suis un outil très utile à l’équipage. [L’ajout] me donne un statut particulier. » (Ravn, 2020, p. 19) En étant essentiellement un « outil », l’employé ne réussit jamais à assimiler ce corps étranger. Ce mal-être s’ajoute à une aliénation initiale causée par son insuffisance productive au travail : « Sur le vaisseau rien ne m’est naturel, tout me pose problème […]. » (Ibid., p. 84) Comble de malheur, le retour en arrière est n’est pas possible, puisque sans cet ajout l’employé ne détient plus aucune fondation identitaire, plus aucune « particularité » :
Après avoir perdu mon ajout dans un accident, j’ai commencé à le voir partout, on dirait qu’il me suit. [Je] hurle de terreur et je crie après lui, et je dois peut-être me lever pour lui donner une gifle pour l’obliger à partir. Les autres ne peuvent pas le voir. J’accepte de prendre les médicaments que vous m’avez proposés. (Ravn, 2020, p. 61)
En somme, le mal-être vécu par les employés ne cible pas l’augmentation du corps en tant que tel. L’expérience des employés, mise en scène par ce roman, met plutôt en garde contre un usage du corps augmenté pour l’unique fin productive. Dans les sociétés occidentales, cette crainte habite d’ores et déjà nos rapports entretenus vis-à-vis du corps, comme le décrit Bernard Andrieu dans son article « La fiction du corps mutant » (2005) :
L’injonction paradoxale consiste à être le même corps actif pendant 50 ans de travail en luttant chaque jour contre l’usure, la compétition, le chômage et les cadences. Le libéralisme voudrait pousser à l’extrême les bénéfices de la culture du corps en exploitant le mythe de la santé parfaite chère à Lucien Sfez au cœur même du travail. Cette négation du corps ouvrier, cet oubli des effets de déstructuration du travail, cette cécité des troubles psychopathologiques de la performance reposent sur la croyance en l’identité temporelle du corps. Profitons des progrès sanitaires pour rester les mêmes, nous conserver dans l’état du corps productif ! (Andrieu, 2005, p. 207)
Cela dit, certaines réalités technologiques, telles que l’augmentation du corps, peuvent amplifier les effets d’un corps productif aliénant.
Si dans la psyché du greffé le débat intérieur peut se clore à partir du moment où il réalise que sans la greffe il ne serait plus — « Le greffon n’est pas “sien”, mais, en même temps, il l’est, ne serait-ce que parce que c’est lui qui permet au corps de vivre » (Marzano, 2007, p. 57) —, il n’est pas si simple pour l’employé augmenté de trouver un équilibre psychique. En effet, dans les cas où l’implant s’impose comme une exigence dépersonnalisée pour soutenir les lois du marché, l’employé peine accepter cette présence étrangère en lui.
En somme, la mise en récit de l’augmentation du corps dans le roman d’Olga Ravn nous invite à réfléchir au sens d’une intégration de la technologie au sein de notre identité. En effet, le corps ne doit pas être perçu comme une matière malléable, modifiable et indépendante de notre psyché, mais plutôt comme un élément directement relié avec ce qui constitue notre identité :
Le corps comme « présence au monde » (Chirpaz, 1977), comme « intentionnalité corporelle » (Merleau-Ponty, 1945), porte l’identité et, en ce sens, le corps est le signe subjectif et réflexif de l’identité et de la singularité du Moi (Bernard, 1972 : 81). Le corps est ce sur quoi la personne s’interroge pour comprendre ce qu’elle est devenue et ce qu’elle veut devenir. (Feillet et coll., 2011, p. 25)
De ce fait, au moment de rendre possible l’augmentation du corps pour toutes et pour tous, il sera essentiel de savoir pour quelles raisons nous voulons le faire. Surtout, il faudra anticiper si ces raisons sont suffisantes pour intégrer un corps étranger — parfois hostile — au cœur de nous-mêmes.
Perdre pied : les risques d’un monde extra-terrestre
Le roman d’Olga Ravn met en scène un deuxième potentiel aliénant, porté par nos désirs technologiques : la vie extra-terrestre. En effet, pour fuir les nombreux problèmes politiques et environnementaux qui apparaissent et continueront d’apparaître en plus grand nombre dans les années à venir, certaines personnes — comme Elon Musk — envisagent une vie humaine hors de la Terre, notamment sur Mars. Au-delà des difficultés techniques, économiques et sociales qu’implique ce type de projet, le corps — souvent omis dans la discussion — en est une victime silencieuse. Une réflexion plus pointue de cet enjeu révèle le rôle fondamental qui lie le corps, l’environnement et notre compréhension du monde qui nous entoure. Une fois de plus, l’expérience vécue par les personnages, dans Les employés, préfigure et met en évidence certaines difficultés psychiques d’une vie dans un environnement complétement différent du nôtre25.
À des millions de kilomètres de la Terre, dans un vaisseau aseptisé — « Les seules choses que je vois, ce sont les murs blancs, les sols orange et les sols gris […] » (Ravn, 2020, p. 104) —, les employés-humains sont continuellement dans une vaine recherche des vestiges de leur humanité : « Que me reste-t-il sinon les souvenirs d’une terre perdue ? Je vis dans le passé. » (Ibid., p. 78) Cette référence à un temps révolu suggère un manque de repères dans ce nouvel environnement spatial : « Il est impossible de conserver son sens de l’orientation sur le six millième vaisseau. » (Ibid., p. 142)
Pour expliquer ce phénomène, il faut d’abord préciser le rapport qui existe entre le corps et son environnement. Il est facile d’oublier, lorsqu’on a les deux pieds sur la Terre, à quel point notre compréhension du monde dépend de notre relation corporelle à notre environnement terrestre : « En cela, [il est question de] simplement rappeler que notre condition corporelle et physique fonde notre appréhension du monde, et l’interprétation que nous en faisons. » (Coulombe, 2019, p. 106) La façon d’interpréter les choses qui nous entourent dépend ainsi de la manière dont nous les percevons depuis et à travers notre corps. À titre d’exemple, les métaphores primitives soulignent ce rapport essentiel entre corps, espace et langage :
Les métaphores primitives trouvent leurs origines dans nos expériences tout autant que dans nos gestes ; elles nous permettent de lier des vécus corporels à des connotations psychologiques. [Par exemple, en] raison de la façon dont nous nous déplaçons — nos yeux dans l’axe de notre marche et regardant vers l’avant —, nous nous représentons habituellement le futur comme devant nous et le passé derrière […]. (Coulombe, 2019, p. 104)
Dans le roman d’Olga Ravn, une forme d’aliénation vécue par les employés découle précisément de la disparition de ces points de repère spatiaux fondamentaux à notre compréhension du monde et des réalités qui le configurent : « J’ai accompli des vols extrêmement dangereux. Mais ce n’est pas la même chose. Je n’appellerai même pas cela être pilote. Ici on ne vole pas sous un ciel, mais à travers une éternité qui dort. » (2020, p. 85-86) Dans cet extrait, cette employée ne peut plus concevoir sa profession en des termes « terrestres », car elle ne retrouve plus ce rapport familier à l’espace : « Je n’ai pas encore compris comment j’ai réussi à vivre ici, sans ciel. » (Ibid., p. 85) Si l’on modifie le corps, c’est tout notre langage qui s’effrite, déraciné de la terre.
Cette situation entraîne les personnages vers une poursuite désespérée des moindres repères terrestres. D’une part, les banalités de l’expérience humaine apparaissent fortement réinvesties de sens, parce qu’elles rétablissent un ordre symbolique connu. Par exemple, les employés accordent beaucoup d’importance à la météo, même si celle-ci est programmée dans le vaisseau : « Nous parlons beaucoup de la météo. La météo nous manque. À notre grande surprise. » (Ibid., p. 100) D’autre part, cette recherche d’enracinement est si forte que même les aspects les plus abjects26 de l’existence humaine sont désirés et recherchés :
Pourquoi est-ce que j’aime autant le four [crématoire] ? C’est parce que l’odeur de matière qui brûle me rappelle quand je mangeais à la maison, cela sent la chair, la terre et le sang, cela sent la naissance de ma fille, cela sent la planète Terre. (Ravn, 2020, p. 40)
Malgré un rapport paradoxal au corps mort, cette pensée marque surtout le point d’arrivée aux bornes de notre humanité, à la frontière de notre mortalité, à limite de ce qui nous détermine toutes et tous : « C’est le corps qui nous rappelle constamment notre finitude et notre fragilité, et qui nous “cloue” au réel en nous soumettant aux contraintes du cadre spatio-temporel et existentiel dans lequel nous évoluons. » (Marzano, 2009, p. 122) Cette recherche de fondation terrestre se poursuit jusqu’aux limites de l’existence humaine. En effet, les employés, sans issue, ne trouvent refuge à leur humanité que dans la contemplation de leur propre mort : « Selon moi, ce qui est terrifiant, c’est ce qui ne meurt jamais et ne change jamais de forme. Je suis fier d’être un humain et j’envisage la certitude de ma mort à venir avec honneur. » (Ravn, 2020, p. 40)
De toute évidence, l’incarnation d’un corps vivant — pour ne pas dire vivable — dépend ainsi d’un environnement qui lui est connu et habitable. À priori, il est difficile de capturer toutes les manières dont nos expériences du monde dépendent des rapports entre le corps et son environnement. La mise en récit de ces expériences peut cependant nous aider à imaginer l’impact d’un certain environnement sur les comportements humains dans des contextes inédits et difficilement reproductibles par la science27.
À ce jour, des études faites sur des astronautes ayant vécu un certain temps hors de la planète Terre nous apprennent d’étonnants phénomènes sur l’impact physique et psychique de ce changement d’environnement. Entre autres, une étude récente démontre des effets ignorés de l’apesanteur sur le cerveau28. À cela s’ajoutent les effets connus de la vie spatiale sur les muscles, les os et la psychologie des astronautes. Toutes ces données nous confirment que le plus imperceptible des changements provoque de grandes conséquences sur l’esprit humain à travers son corps.
Avec ces préoccupations en tête et en vue des voyages sur Mars, la NASA prévoit, en plus de créer des conditions atmosphériques « terrestres », de réaliser des vidéos en réalité virtuelle qui présenteront des images de la Terre29. Ces trompe-l’œil seront-ils suffisants pour déjouer nos sens ? Le roman d’Olga Ravn interroge justement ce type de projets montrant l’importance des liens qui relient l’humanité à l’espace terrestre, considéré dans toute sa matérialité :
[Tous] les lieux de cet humain rassemblés dans ces deux salles, comme un vaisseau qui flotte librement dans le noir, recouvert de flocons et de cristal, sans force de gravité, sans terre, à jamais dans l’éternité universelle, sans boue sans eau ni flots, sans postérités, sans aucun sang, sans animaux marins, sans sels de la mer salée et sans nénuphar qui se hisse à travers l’eau boueuse pour se tourner vers le soleil. (Ravn, 2020, p. 37-38)
Humanité, corporéité et enracinement dans un environnement terrestre apparaissent ainsi intimement liés.
Être comme l’ombre et le corps : les risques d’une algoracie30 du Même
Un troisième possible facteur technologique aliénant, représenté par le roman d’Olga Ravn, est celui de l’intelligence artificielle (IA) forte. Dans le roman, ce dernier élément s’explicite à travers un anthropomorphisme extrême31 des ressemblants (cyborgs) qui trouble les humains, puisque ces derniers sont incapables de déterminer la particularité de leur humanité et de se différencier de l’inhumanité (imperceptible) de la machine32. À travers la représentation de la relation entre l’humain et la machine pensante dans Les employés, il est possible de réfléchir aux risques imaginables d’une cohabitation avec une IA à notre effigie.
Avant toute chose, il semble important de se questionner sur les raisons de donner une forme humaine aux technologies, puisque cette question habite déjà nos préoccupations technologiques et sociales33. Deux réponses semblent parmi les plus répandues : « Il y a deux avantages aux robots humanoïdes : leur apparence anthropomorphique facilite l’interaction des humains avec les machines, et ils peuvent vivre dans les maisons et utiliser les objets des humains. » (Devillers, 2017, p. 95-96) Subséquemment, l’anthropomorphisme de la machine serait, avant tout, utilitaire. Cependant, qu’arrive-t-il lorsque la technologie et l’humain sont mis sur un pied d’égalité ? Dans Les employés, la similitude entre l’humain et le cyborg engendre, pour les humains, plus de problèmes que de bénéfices.
Afin de cerner cette cohabitation entre l’humain et l’IA, il est intéressant d’analyser comment le texte met en scène les bénéfices — allégués — de l’anthropomorphisme de la machine. D’abord, la ressemblance, dont l’objectif est de permettre aux machines de réaliser des tâches humaines, ne peut être bénéfique pour l’humain qu’à partir du moment où il s’agit de corvées que ce dernier n’a plus besoin d’accomplir. Dans le cas contraire, l’humain se place dans un rapport d’infériorité vis-à-vis de la machine, puisque celle-ci est fabriquée pour mieux réaliser les tâches que son propre créateur :
Je partage l’idée que les corps des ressemblants ont beaucoup plus de valeur que le simple corps d’un humain. Ils sont beaucoup plus résistants et, grâce à la mise à jour possible du programme, d’énormes masses de données peuvent y être stockées et transférées. (Ravn, 2020, p. 136)
Dans ces cas, comme nous avons pu le voir précédemment, l’humain se sent impuissant face à une fonction qu’il doit exécuter, mais où il est systématiquement moins efficace que la machine : « Le travail ne m’a pas suffi. Je ne me retrouve plus. » (Ravn, 2020, p. 134)
Ensuite, la ressemblance, qui a pour but de faciliter les interactions entre l’humain et la machine, échoue à être véritablement bénéfique. Dans un monde où chaque individu peine d’ores et déjà à saisir une parcelle de son identité, les employés cherchent, à tout le moins, à trouver leur place par un sentiment d’appartenance envers l’espèce humaine, dernière affiliation possible34. Toutefois, sans démarcation claire entre ce qui est « humain » et ce qui est « machine », les employés ne sont plus capables de savoir ce qui les définit : « Je ne sais pas si je suis encore humain. Suis-je humain ? Est-ce que dans vos papiers on peut voir qui je suis ? » (Ibid., p. 22) Dans ce contexte problématique émanant de décisions humaines (ce sont les humains qui ont créé ces machines), les protagonistes finissent par vouloir s’écarter de cette humanité indéfinie : « Serait-ce donc si terrible de pas être humain ? […] Je ne sais pas si je m’enorgueillis encore de mon humanité. » (Ibid., p. 46)
Au bout du compte, ces individus ne peuvent s’identifier qu’à l’étiquette imposée et externe de « l’employé ». Cette identification est toutefois une non-appartenance, car elle inscrit les rapports sociaux dans des hiérarchies uniquement définies par la productivité : « Comment pourrais-je vous dire non, à vous qui m’avez procuré mon travail ? » (Ibid., p. 91) Tout ce qui se situe en dehors de cette hiérarchie est dépourvu de valeur et ne suscite qu’indifférence : « Je dis “les gens en deuil”, je ne sais pas si on porte vraiment le deuil d’un collègue […]. » (Ibid., p. 39) Cet extrait décrit clairement l’abolition des rapports relationnels à partir du moment où il ne reste, entre les individus, qu’une relation vide de toute affection, car uniquement utilitaire.
Par conséquent, une trop grande ressemblance efface l’homme dans la machine et la machine dans l’homme. Tous les individus forment un même tout indifférenciable. L’unique différence — s’il y en a vraiment une — devient nominale, arbitraire et insignifiante : « Est-ce qu’il vous suffirait de changer mon statut dans vos papiers ? N’est-ce qu’une question de nom ? Puis-je devenir un humain, si vous me dénommez ainsi ? » (Ibid., p. 52) En ce sens, il suffit d’un simple changement de désignation pour détruire les derniers éléments qui fondent l’identité dans un contexte marqué par le néant existentiel :
Docteur Lund était bien habillé, un vrai dandy. Je ne savais comment il me considérait. Comme un humain ou comme une chose vivante. Même si je suis né et que c’est écrit être humain, humain dans mes papiers, quelque chose dans son attitude m’a fait penser qu’il ne me voyait pas vraiment comme son égal, et pendant quelques secondes effrayantes, je me suis senti artificiel, créé, réduit à une machine de chair et de sang ressemblant à un humain. (Ravn, 2020, p. 83)
Cette identité précaire, ni humaine ni machine, est la conséquence directe d’un monde technologique où tout est identique, puisque tout obéit à une seule et unique fonction.
Cette conclusion, provenant de l’expérience des personnages dans le roman, interpelle tout particulièrement quand elle est mise en relation avec la théorie cyborg de Donna Haraway, qui propose une définition plus large de l’identité (dépassant la distinction entre l’humain et la machine) et envisage le monde technologique comme une brèche vers de nouveaux modes de pensée35. En effet, selon Haraway, le cyborg permet d’accéder à un monde technologique où il est possible de transgresser les frontières fixées et de sortir de l’hégémonie du Même :
[Le] cyborg nous pousse à imaginer, dans une posture réflexive créative […] à quoi nous ouvre la transgression de toutes les frontières du grand partage moderne, l’abandon de toute pensée dualiste opposant science et nature, dissociant l’organique du machinique, isolant les animaux des humains, disjoignant le corps de l’esprit, distinguant les hommes des femmes. (Haraway, 2007, p. 20)
Pour Haraway, à une époque où toutes les personnes sont « chimères, hybrides de machines et d’organismes théorisés puis fabriqués », le cyborg s’impose comme « un système de mythes qui ne demande qu’à devenir un langage politique susceptible de fonder un regard sur la science et la technologie, qui conteste l’informatique de la domination afin d’agir avec puissance » (Haraway, 2007, p. 81). Alors, comment se fait-il que dans Les employés cet effondrement des frontières finisse en unicité encore plus écrasante plutôt qu’en diversités des identités ? Répondre à cette question, en examinant les expériences et les pistes proposées par le roman d’Olga Ravn, permet de mieux définir l’épicentre de l’ébranlement identitaire causé par une IA qui nous ressemble.
Pour ce faire, deux explications s’entrecroisent dans le roman. La première provient d’une absence de sens profond dans la vie des employés. Ce vide existentiel provient d’un contrôle du récit de soi (narrative) de chaque individu par l’organisation, comme l’explique Olga Ravn lors de son entrevue pour les Éditions Lolli :
We meet characters in this book that have been told very strict narratives about themselves and they believe them, even though they are not true. That leads to conflict and to having a feeling of being synthetic or false. They have been stripped of the ability to think for themselves and that’s what they are learning throughout the novel36.
En effet, Haraway indique que, pour échapper à l’emprise du pouvoir dominant, chacun doit pouvoir raconter sa propre histoire et à sa manière :
L’écriture cyborgienne a trait au pouvoir de survivre, non sur la base d’une innocence originelle, mais sur celle d’une appropriation des outils qui vous permettent de marquer un monde qui vous a marqué comme autre. Ces outils sont souvent des histoires, des histoires reracontées, de nouvelles versions qui renversent et déplacent les dualismes hiérarchiques qui organisent les identités construites sur un soi-disant nature. En racontant à nouveau les histoires de l’origine, les auteurs cyborgiens subvertissent les mythes fondateurs de la culture occidentale. (Haraway, 2007, p. 71)
Dans Les employés, c’est justement à partir du moment où les employés prennent la parole qu’ils prennent conscience des menaces qui pèsent sur leur identité. Certains employés chercheront même à se rebeller contre ce système qui les asservit : « Nous sommes de plus en plus nombreux à avoir décidé d’arrêter de communiquer avec vous selon vos directives. » (Ravn, 2020, p. 109) Cependant, il sera trop tard, puisque cette société — représentée par le vaisseau — les englobe, les contrôle et les étouffe : « J’ai commencé à éprouver de la déloyauté envers l’organisation, et cela me fait mal, vu que je n’ai pas la possibilité d’être ailleurs que dans l’organisation. » (Ibid., p. 81)
La deuxième explication provient plutôt d’une erreur dans notre conception de la technologie. Effectivement, comme le propose Haraway, le cyborg est avant tout une métaphore37 qui nous aide à redéfinir, à bousculer et à nous réapproprier les catégories par lesquelles nous appréhendons la réalité. Il ne faut donc pas tomber dans un profond relativisme où une chose et une autre sont interchangeables sans conséquence.
Dans le roman, malgré l’impossibilité d’identifier une seule dissemblance dans l’apparence physique des humains et des cyborgs, il existe quelques signes qui marquent une différence, par exemple dans leur rapport au travail38 :
Mon collègue humain parle parfois de son envie de ne pas travailler, il prononce alors des paroles bizarres, totalement insensées, qu’est-ce qu’il dit ? Il dit : « On est plus que son travail » ou plutôt : « On ne se réduit pas à son travail. » Mais que peut-on être d’autre ? (Ravn, 2020, p. 34)
Alors que les cyborgs ont été créés pour accomplir une fonction productive, l’humain n’est pas capable de se définir par cette seule fonction utilitaire. Pour sortir de la torpeur provoquée par le travail, les humains vont donc investir émotionnellement des objets — qui deviennent alors une allégorie du potentiel cathartique et affectif de l’art — découverts sur une planète : « À la surprise générale, on a vu les objets des salles les aider lors de ces accès de nostalgie, et les employés humains, que leur mission autorise d’aller à la vallée de La Nouvelle Découverte, ont rapidement manifesté des signes d’amélioration de leur humeur. » (Ravn, 2020, p. 50) De la sorte, même quand l’humain « devient » machine, une frontière infranchissable demeure : elle est liée, dans ce cas, à une quête de sens, que chaque humain doit découvrir. L’humain ne sera donc jamais une pure machine39, et l’inverse est aussi vrai :
L’intelligence des robots n’a rien à voir avec celle des humains, il faudra expliquer ou même former les utilisateurs aux algorithmes et à l’intelligence artificielle embarqués sur les robots et démystifier leurs capacités, car l’homme a naturellement tendance à anthropomorphiser la machine et à lui donner des capacités qu’elle n’a pas. (Devillers, 2017, p. 28)
Ces problématiques engendrées par l’anthropomorphisme de la machine ne doivent pas être prises à la légère, car cet anthropomorphisme crée des situations extrêmement paradoxales dans nos sociétés actuelles. Prenons l’exemple de Sophia — robot genré féminin par ses traits, sa voix et son nom — qui obtient en 2017 la citoyenneté saoudienne. Beaucoup de journalistes ont critiqué cette accession à la citoyenneté qui semblait donner plus de droits à Sophia qu’aux femmes saoudiennes en chair et en os40.
À cet égard, même si nous donnons un caractère humain à la machine, il est essentiel de se souvenir que cette « humanité » est constituée de traits artificiels déterminés et attribués par l’humain. Il ne faut pas se perdre dans la technologie comme si elle était le parfait reflet de nous-mêmes, et ce même si elle contient une part de nous. De plus, dans un avenir qui promet des situations complexes liées à ces problématiques, il devient primordial de bien choisir les configurations que nous donnons à nos créations artificielles. À cet effet, la science-fiction spéculative offre un vaste terrain d’expérimentation où de nombreuses configurations peuvent être testées pour envisager les relations que nous voudrons (ou ne voudrons pas) entretenir avec les nouvelles technologies que nous aurons créées.
Conclusion : imaginons le futur
En conclusion, cette réflexion montre comment la science-fiction spéculative permet d’imaginer l’impact de certaines technologies sur l’être humain. Les expérimentations fictives d’Olga Ravn dans Les employés permettent d’explorer l’inconnu dans et par l’imaginaire. Un imaginaire qu’il ne faut pas appréhender comme factice, car il s’incarne dans des enjeux, des affects et des situations réelles qui résonnent dans notre contemporanéité41.
Dans un monde de plus en plus régi par la technologie, l’étude du roman d’Olga Ravn nous invite à ne pas oublier de réfléchir à ce qui constitue notre humanité, une humanité qui entre parfois en friction avec les impératifs technologiques. Plutôt que de voir ces contraintes humaines humaines comme une limite, il faut les envisager comme des avertissements et des orientations pour nous guider vers un futur pensé pour l’humain. Comme le déclare un ressemblant (cyborg) dans Les employés, « les humains sont peut-être justement cette part de chaos qui maintient le monde en vie » (Ravn, 2020, p. 127-128).
Par ailleurs, la science-fiction spéculative peut jouer un rôle crucial pour nous permettre de réfléchir aux différents enjeux technologiques qui ne sont pas encore en application dans nos sociétés, mais qui peuvent devenir des réalités dans un futur proche. À cet effet, la fiction constitue un pont efficace pour explorer ces régions inconnues, mais importantes, de l’avenir. En 1977, dans sa leçon inaugurale au collège de France, Roland Barthes affirmait que la littérature « ne dit pas qu’elle sait quelque chose, mais qu’elle sait de quelque chose42 ». C’est donc au texte littéraire, à travers une pensée et une interrogation construite par les textes, de déterminer la nature de ce « quelque chose ». Un « quelque chose » qui, dans le cadre expérimental et réflexif de la science-fiction spéculative, peut s’avérer fondamental pour construire le monde de demain.