La dangerosité d’un placard séditieux varie en fonction du contexte politique et social1. Les mots sont importants, mais ce sont surtout les conséquences à craindre qui poussent le pouvoir politique à limiter les expressions contestataires. Sedition témoigne des désordres causés par une littérature séditieuse dans une période très troublée. John O’Brien (directeur et contributeur) est un professeur émérite de français de l’université de Durham. Ses travaux portent notamment sur les guerres de Religion en France et particulièrement sur la Boétie et Montaigne. Marc Schachter (directeur et contributeur) est également professeur à l’université de Durham. Il enseigne la culture et la littérature française du xvie siècle et la littérature italienne de la Renaissance. Les auteurs veulent, par leur ouvrage, faire explorer aux lecteurs les formes, les modes de séditions et les moyens de publication des écrits séditieux. Ils se concentrent sur les années 1560-1600 en France et en Écosse qui correspondent approximativement aux guerres de Religion. Le choix de ces deux pays s’explique par les liens très importants qu’ils entretenaient. L’ouvrage est issu d’une conférence de l’université de Durham de juillet 2017 intitulée « French Books and their Readers ».
Les différentes études renouvellent le point de vue sur la période malgré de nombreux travaux notamment en littérature (les simples ouvrages écrits par O’Brien lui-même constituent un bel exemple). Ils démontrent le lien étroit entre la France et l’Écosse pendant les guerres de Religion, alors même qu’elles sont traditionnellement conçues comme des conflits uniquement français2. L’approche très interdisciplinaire de cet ouvrage fait sa force. Il mêle une approche historique, littéraire, politiste, juridique et de genre, très complémentaire, de la sédition. En effet, les auteurs s’arrêtent sur le caractère spécifique de la sédition durant les guerres de Religion. Elle est souvent synonyme d’hérésie, utilisée alors comme un outil à l’encontre d’une forme d’opposition politique. De fait, la sédition n’est jamais traitée en tant qu’objet dans la littérature scientifique. Ce livre est l’occasion de renouveler l’historiographie des guerres de Religion aussi bien française qu’écossaise à travers le prisme de la sédition.
Ils soulignent, dès le préambule, à quel point la définition de sédition est mal aisée. La sédition est à la fois une rébellion contre l’autorité et une division de la société dans son ensemble3. Cette difficulté de saisir la sédition sert de fil directeur à l’ouvrage en jouant sur ses différents niveaux et ses divers outils de sa diffusion. Le livre est divisé en trois parties, chacune constituée de plusieurs contributions. L’introduction de l’ouvrage faite par les deux professeurs vise à redéfinir la sédition et également montrer les caractères profondément ambigus et évolutifs qu’elle présente pendant cette période.
La première partie s’intéresse au langage de la sédition. Divisée en deux chapitres, elle permet de soulever les approximations entre séditions et émotions. Le premier chapitre de Paul-Alexis Mellet développe l’idée selon laquelle la sédition existe seulement parce qu’elle est dénoncée par des écrits. Il s’appuie sur les remontrances pour étayer ses propos. La sédition est incarnée par les protestants, ces hérétiques responsables de tous les maux. Pour lui, la sédition n’est pas un évènement en particulier, mais des violences diverses qui sont qualifiées ainsi, c’est le « bouleversement des règles et des normes »4. Le séditieux devient politique dans les années 1560, car des jurisconsultes, en tentant d’apaiser cette tension religieuse, rompent avec l’obéissance au roi. Dans le deuxième chapitre, George Hoffmann se concentre sur l’aspect juridique de la question. Le terme sédition, avant les années 1660, était confondu avec l’hérésie, le blasphème5. Il prouve dans son chapitre que la sédition prend progressivement une teinte politique : elle devient l’opposition à la souveraineté par la rébellion. Cette division permet d’amnistier les crimes religieux, mais pas les crimes politiques comme la prise d’arme par exemple6. Cette première partie développe le côté éminemment politique de la sédition et sa nécessaire séparation de la religion pour retisser le lien social. Elle fait raisonner le caractère ambigu de sa définition présentée dans l’introduction.
La deuxième partie traite des sources de la sédition, comme une sorte de phénomène. Dans le premier chapitre, Adrea Frish montre le lien entre protestantisme et sédition dans le Discours de la misère de ce temps de Pierre Ronsard et dans La France divisée de Pierre Boton en écho avec les législations de François Ier à Henri III. Ces textes illustrent la « flexibilité et le dynamisme de la conception de sédition » pendant les guerres de Religion7. Si Ronsard montre de nombreuses associations entre protestantisme et sédition au xvie siècle, Boton présente la lèse-majesté comme un remède à la sédition8. Dans le chapitre suivant, Éric Durot établit le lien qu’ont choisi de montrer les directeurs de l’ouvrage entre guerres de Religion en France et en Écosse par l’influence de John Knox sur les évènements français. John Knox lui-même, et pas seulement sa littérature (qui n’a pas été traduite à l’époque), a participé activement aux guerres de Religion en France et à Genève9. La conspiration d’Amboise ou la notion de tyrannicide sont notamment analysées par l’auteur comme connecté à la révolte en Écosse. Dans le dernier chapitre de cette partie, John O’Brien revient sur l’influence des écrits de Cicéron sur les auteurs de l’époque. En effet, les écrits d’auteurs tels que Hoffman défendent l’idée protestante de rébellion contre le despote10. La conception de Cicéron, qui affirme que le bien commun doit prévaloir sur la discorde, est alors instrumentalisée pour justifier la sédition en raison du bien public. Les sources de la sédition permettent ainsi de mieux l’appréhender ainsi que son impact sur les guerres de Religion en France. Cette partie témoigne encore une fois du caractère politique de la sédition.
La troisième partie s’attaque aux méthodes et questions de sédition. Les trois chapitres qui la composent s’attardent sur la matérialisation de la sédition et sur sa circulation. Le premier chapitre de Natalia Wawrzyniak au titre particulièrement éloquent « Books with sharp teeth » (tiré de l’œuvre d’Érasme) s’intéresse aux libelles et à leur violence. À partir des écrits de Naudé elle montre que les pamphlets sont réputés diffamatoires11. Ils doivent être considérés comme séditieux, car ils ne respectent pas les règles royales de l’imprimerie et n’apportent que la discorde12. Le deuxième chapitre écrit par Ullrich Langer s’intéresse à la justification par le prince de Condé de la première guerre de Religion à travers ses publications. Le but du prince est de justifier la prise d’arme des protestants contre les catholiques pour défendre l’autorité royale13. Des écrits les plus violents deviennent des armes à part entière. L’habilité du texte est d’employer le terme sédition ou rébellion seulement pour les actions contre les protestants. Les actes que cherche à provoquer le prince de Condé ne seraient que pour éviter la sédition et par conséquent une « cause sainte »14. Le dernier chapitre de cette partie par Tom Hamilton traite des crimes politiques pendant les guerres de Religion à travers l’affaire du procureur du roi François Brigard (Parlement de Paris 1591). Cette affaire témoigne de la circulation des écrits et de leur importance à cette époque. En effet, l’utilisation des imprimés (des factums et des contre factums) influence l’opinion. De même, la sédition est, dans cette affaire, un crime politique15. Cette partie permet donc de développer la diffusion des idées séditieuses par les écrits et leur influence politique à cette époque.
Enfin la dernière partie traite du Genre, de la Sédition et de la littérature. Il se découpe en trois chapitres cherchant à prouver le rôle du genre dans la révolte contre Marie Stuart en Écosse. En tant que femme, elle aurait été vue comme incompétente à travers des poèmes de Robert Sempill16. La collaboration de Marc Schachter s’applique, à travers Le Réveille-Matin des François, à argumenter la vertu politique. Le roi qui serait trop esclave de ses désirs deviendrait séditieux envers son peuple17. Enfin, le dernier chapitre porte sur l’ouvrage séditieux L’Île des Hermaphrodites, révèle la pensée binaire de la société de la Renaissance qui pourrait engendrer des réponses violentes18. Cela permet de décliner d’un autre point de vue les oppositions sociales entre protestants et catholiques. Cette dernière partie développe encore une fois l’influence de la littérature déjà bien présente dans l’ouvrage. Elle tente de décentrer le point de vue de la sédition sur la question du genre, ce qui reste cependant léger dans le chapitre de Marc Schachter.
La conclusion résume les points essentiels de l’ouvrage, mais apporte également des éclaircissements sur l’utilisation de la sédition dans les ouvrages français avec notamment des données chiffrées. La lecture de cet ouvrage donne un bon panorama de l’utilisation de la littérature en tant qu’arme séditieuse pendant les guerres de Religion. Cependant, même si l’Écosse est évoquée, elle ne représente que deux chapitres de l’ouvrage. C’est sans doute le seul point que l’on peut reprocher à cet ouvrage d’une grande qualité et originalité.
Sedition par son approche originale et interdisciplinaire renouvelle les recherches sur les guerres de Religion en France en le soulignant le lien avec celles ayant eu lieu en Écosse. Cet ouvrage permet à travers l’étude de textes littéraires de relever les polysémies de la sédition et ses multiples utilisations à travers des exemples de sédition écrite.