Des classes « écrivantes » : travailler ensemble le processus de l’écriture en cycle 3

  • Writing Classes: Working Together on the Writing Process (Grades 4 to 6)

DOI : 10.35562/partages.432

Résumés

Cet article restitue des travaux menés dans le cadre d’une recherche collaborative associant chercheurs, enseignants et conseillers pédagogiques, articulant temps collectifs et individuels. Le dispositif collaboratif d’enseignement présenté ici est centré sur des pratiques de coécriture et mis à l’épreuve dans quatre classes dites « écrivantes » de cycle 3. L’idée est qu’écrire ensemble permet aux élèves de développer une posture d’auteur‑lecteur et à l’enseignant de gérer collectivement le processus d’écriture. Le dispositif s’appuie sur une séquence pédagogique constituée de six séances, favorisant la construction d’un « dossier génétique ». La coécriture s’avère facilitante pour le développement de stratégies d’écriture, elle soutient la réflexivité et ancre l’apprentissage dans une démarche progressive et partagée.

This article reports on work carried out as part of a collaborative research project involving researchers, teachers and educational advisors, combining collective and individual time. The collaborative teaching programme presented here is centred on co‑writing practices and is being tested in four so‑called “writing” classes (grades 4 to 6). The idea is that writing together allows pupils to develop an author-reader stance and the teacher to collectively manage the writing process. The system is based on a teaching sequence consisting of six sessions, promoting the construction of a “genetic file”. Co‑writing proves to be a facilitator for the development of writing strategies, it supports reflexivity and anchors learning in a progressive and shared approach.

Plan

Texte

1. Introduction

Notre contribution vise à présenter un dispositif didactique mis à l’épreuve dans cinq classes de cycle 3 et consistant à produire un texte narratif. Nous proposons de traiter de la dimension collaborative au cœur du dispositif pour montrer en quoi le fait d’écrire ensemble permet aux élèves de travailler le processus de l’écriture et à l’enseignant de mettre en place une démarche de production écrite sous l’angle d’états successifs du récit.

Ce dispositif résulte d’une collaboration entre un chercheur, un conseiller pédagogique et cinq enseignants1. Le groupe s’est donné comme finalité de concevoir, expérimenter et diffuser des dispositifs de classes dites « écrivantes », se caractérisant par une pratique régulière de l’écriture et par l’enseignement d’une démarche. Le groupe a pris comme point de départ les difficultés liées à l’enseignement de l’écriture du point de vue des enseignants et du point de vue des recherches didactiques. Le choix a été fait par les enseignants de s’essayer à des pratiques de classe mettant l’accent sur la dimension processuelle de l’écriture et sur le fait de placer les élèves en situation d’écrire ensemble, à l’instar des ateliers d’écriture ou des « cercles d’auteur » (Tremblay et al., 2020). Des propositions émanant du groupe ont ainsi été testées par les enseignants dans leur classe, puis discutées, modifiées, complétées, pour donner jour à des séquences de production écrite de 6 séances, mises en œuvre en cycle 3 pendant deux ans et à raison de 4 à 5 fois dans l’année. Elles consistent à écrire à partir d’un lanceur d’écriture, comme l’exemple traité ici : « Ils fouillent le grenier familial et trouvent 38 000 euros. Une trouvaille qui tombe à pic ! » Le groupe produit des descriptifs des séquences et des analyses de leur mise en œuvre, en s’inscrivant dans une démarche de coconstruction de dispositifs fondée sur trois paris : les apports de la recherche au service de l’efficacité des pratiques d’enseignement, le développement de ressources ou outils didactiques en tant que supports au changement des pratiques, le questionnement sur les modalités d’appropriation des outils par la mise à l’épreuve en classe (Kervyn et Goigoux, 2021 ; Penneman et al., 2019 ; Pritchard et Honeycutt, 2007). Le dispositif tel que nous le présentons ici fait l’objet depuis cette année de sessions de formation continue auprès d’enseignants qui ont accepté d’engager leurs classes dans un suivi de cohortes ; celui‑ci consiste à proposer des dispositifs aux mêmes élèves du CM1 à la 6e pour en évaluer les effets au long cours2. Contribuer à une revue constitue pour notre groupe de travail une étape dans le processus de formalisation et de diffusion de dispositifs, avec pour visée la production de savoirs didactiques et le développement professionnel.

Dans ce qui suit, nous commençons par préciser notre positionnement en didactique de l’écriture d’un point de vue épistémique et interventionniste, sur l’importance de travailler le processus de l’écriture. Nous présentons ensuite la séquence proposée, en détaillant les étapes de travail en classe à partir d’un exemple de lanceur d’écriture.

Notre objectif est de montrer en quoi le dispositif est le résultat de choix didactiques ayant trait à la dimension processuelle de l’écriture et à la classe comme communauté d’auteurs‑lecteurs. Nous mettrons en avant les va‑et‑vient entre temps collectifs et temps individuels, et ce que nous appelons le « dossier génétique » (Fenoglio et Chanquoy, 2007) constitué par les traces du travail de l’écriture en classe. Le dispositif fournit aux praticiens des clés d’analyse des textes et du processus de leur production, pour qu’eux‑mêmes puissent outiller les élèves dans la situation proposée et dans l’apprentissage de l’écriture comme démarche.

2. L’écriture dans sa dimension processuelle

L’écriture ne se limite pas au geste commençant stylo en main en haut de page pour s’arrêter au point final. Sa dimension processuelle a été étayée par les travaux de psychologie cognitive et de génétique textuelle. Passer « du produit rédigé au processus rédactionnel3 » est important pour comprendre pleinement ce qu’est l’écriture. Cependant, la vision de ce processus est marquée par une approche « téléologique », celle d’« une avancée de l’écriture vers l’achèvement » (Grésillon, 1990, cité dans Doquet, 2013, note 3).

S’intéresser au processus de l’écriture en tant que tel permet de comprendre l’écriture comme « technologie de l’intellect4 », et les affinités qu’elle a avec la construction de la pensée, la prise de distance, la réflexivité. La différence entre oral et écrit n’est pas qu’une différence de canal (ou de medium). Koch et Oesterreicher (2001) la redéfinissent en croisant deux critères : d’une part, le medium oral ou écrit de réalisation du message et, d’autre part, sa conception dans l’oralité (conçue aussi comme immédiateté, proximité) ou la scripturalité (conçue aussi comme distance). Ce modèle conçu par ses auteurs comme modèle du « continuum communicatif » (Mahrer, 2019, § 4) a pour but de tenir compte des différences de genres textuels ou de types de pratiques discursives : le SMS ou le courriel peuvent s’assimiler à une forme d’oralité quand ils font état de proximité communicative, et réciproquement, certains genres oraux comme des conférences ou exposés se distinguent de l’oral spontané du fait de la distance qui les caractérise. Une limite de ce modèle est qu’il ne permet pas de cerner « l’effet des substances » : le fait « que l’écrit aide à l’élaboration des genres oraux de la distance communicationnelle montre bien que les conditions matérielles de la production du discours conditionnent fortement leurs propriétés textuelles » (Doquet et al., 2022, § 18).

Pour R. Mahrer, à l’oral, la performance (l’énonciation) et le produit sont concomitants, et le signal ne peut être modifié que par addition (on ajoute des précisions, on rectifie en complétant). L’écrit, outre sa dimension spatiale, se caractérise par un écart possible entre le geste de traçage du signal et celui de sa mise en circulation ; entre les deux, « le scripteur a la possibilité d’accomplir (éventuellement plusieurs fois) le processus d’autoréception et les éventuelles réécritures qui peuvent en découler » (Mahrer, 2014, § 21).

On est là au cœur de l’énonciation écrite (Doquet, 2011 ; Mahrer, 2014), dans ce qu’elle a de spécifique comme durée (la possibilité de retours successifs sur le texte) et comme travail sur le matériau langagier (la trace écrite comme objet s’offre à la « manipulation », Mahrer, 2014, § 30). Ce point nous semble central pour l’apprentissage de la production écrite. L’autoréception de la trace écrite par le scripteur constitue un objectif prioritaire à assigner aux situations d’écriture en classe. L’enjeu est de favoriser un « regard d’artisan » (Garcia-Debanc, 2007), pour que chaque élève fasse l’expérience de ce « travail sur la matière langage qui est travail sur la pensée » (Chabanne et Bucheton, 2001, p. 3).

La dimension processuelle de l’écriture est mise en avant dans les programmes d’enseignement. Les attendus de fin de cycle 2 (3e primaire) sont d’écrire des textes en commençant à « s’approprier une démarche ». Au cycle 4 (2e secondaire), l’élève « comprend que l’écriture nécessite une méthode : une phase de préparation et de révision. Il porte un regard critique sur sa production5 ». Dans la préface de l’ouvrage de Beaudet et Rey (2015) sur l’écriture experte, M. Fayol rappelle que les travaux sur les processus rédactionnels en psychologie de l’écriture (Hayes et Flower, 1980) s’inscrivaient dans la perspective de recherches appliquées : l’analyse des procédures en jeu peut aider les scripteurs à mieux maitriser le processus. Dans le même sens, la synthèse des recommandations en faveur de pratiques efficaces pour Écrire et rédiger (Mons et al. [CNESCO], 2018) souligne que « le processus d’écriture se décline en différentes phases, qui viennent nourrir et améliorer les textes des élèves » (p. 23). Il est question de notes préparatoires, de réflexions collectives, de rédiger à plusieurs, de réviser en binôme.

En classe, cependant, procéder par étapes pour écrire peut faire illusion, dès lors que domine la vision téléologique évoquée plus haut, autrement dit le fait que le point d’aboutissement prenne le pas sur le processus par lequel un texte se construit. Les outils au service du processus de l’écriture peuvent se révéler inopérants. Par exemple, le brouillon consiste à adopter un plan préétabli fourni par l’enseignant, la réécriture se trouve contrainte et standardisée, et les grilles d’évaluation multi-critériées, détournées de leur fonction, finissent par tenir lieu de modèle d’écriture (Duvin-Parmentier et al., 2021). La focalisation sur la norme (Doquet et Pilorgé, 2020) ou la conformité à des attendus de surface (Garcia-Debanc, 2018 ; Vinel et Bautier, 2018) empêchent un réel travail de l’écriture.

La vision des ratures a certes évolué : les travaux de génétique textuelle et spécifiquement sur les textes d’élèves (Fabre-Cols, 1990 ; Doquet, 2011) ont bien montré qu’elles sont le lieu d’une activité métalinguistique. Un exemple intéressant déniché dans un des textes produits dans le cadre du dispositif que nous présentons ici est celui d’une élève qui rature à trois reprises le déterminant dans « en vacances chez leurs/ses/mes/nos parents », hésitant sur des choix narratifs décisifs : écrire à la première personne ? Opter pour un narrateur externe ? En classe, certains enseignants ont recours au « DRAS » : l’acronyme est basé sur les quatre verbes « déplacer », « remplacer », « ajouter » et « supprimer », lesquels sont le fruit des travaux de génétique textuelle qui se sont attachés à décrire les opérations caractérisant le processus de l’écriture. Le recours à des brouillons d’écrivain peut aider les élèves à prendre conscience de ces opérations.

De nombreux travaux didactiques proposent des démarches axées sur le processus autant ou plus que sur son résultat : les ateliers d’écriture (Petitjean, 1980), les chantiers d’écriture (Jolibert, 1988), l’écriture en projet (Halté, 1982). De manière générale, c’est le cas des dispositifs basés sur un principe d’essais et reprises, visant à développer chez les élèves des conceptions autres que celle d’une écriture « en deux temps » : « un premier jet puis copie au propre » ; les élèves ont « intérioris[é] qu’“écrire, c’est écrire”, “produire un texte, c’est écrire un texte”, et non pas aussi réfléchir, anticiper, lire » (Kervyn et Faux, 2014, § 5). Les notions d’écrits de travail, d’écrits transitoires, d’écrits intermédiaires vont dans ce sens. Chabanne et Bucheton (2002) définissent les écrits intermédiaires comme étant « destinés à accompagner et stimuler l’activité réflexive au cours de tâches de collecte ou de rappel d’information, de (re)formulation immédiate d’une leçon, d’ébauche d’un projet narratif ou explicatif » (p. 26). Ils soulignent que ces écrits sont dits intermédiaires en plusieurs sens : « entre deux états d’un écrit à mettre en forme, entre deux états de pensée, entre les membres d’un groupe de travail, entre des écrits et des oraux, etc. » et qu’on peut en retenir « le caractère médiat, être une médiation entre deux sujets, entre deux discours, entre le sujet et lui‑même ; le caractère transitoire et lié à des situations précises de travail » (p. 20). Ces écrits constituent le « témoignage d’une pensée en train de se construire et le lieu du tâtonnement et de la réflexivité qui accompagnent cette construction » (Doquet, 2011, p. 57).

3. Problématique au cœur du dispositif proposé

Notre proposition s’inscrit dans la lignée des approches centrées sur le sujet scripteur, en tant qu’acteur du processus de l’écriture et sur l’acte d’écrire en tant que travail de construction, reposant sur les interactions auteur-texte-lecteur : d’une part les approches en termes de sujet écrivant (Bucheton, 2014 ; Lafont-Terranova et Colin, 2006) et de posture d’auteur (Lebrun, 2007 ; Tauveron et Sève, 2005), d’autre part les approches en termes de cercles d’auteurs (Tremblay et al., 2020), qui s’appuient sur une démarche collaborative d’apprentissage de l’écriture : les élèves échangent entre eux lors des différentes phases de la démarche, qui correspondent aux grandes composantes du processus rédactionnel (Hayes et Flower, 1980).

Nous envisageons la classe comme une communauté d’auteurs‑lecteurs, dans un cadre interactionniste attentif à la dimension langagière des situations de classe :

Les activités langagières, orales et écrites ne constituent pas une simple transcription d’idées préexistantes mais contribuent à la construction des connaissances et à l’activation des représentations mentales. Le langage, conçu comme « artefact culturel » et « instrument médiateur » de la pensée, est indissociablement le lieu de l’interaction sociale et de l’élaboration cognitive. (Crinon, 2002, p. 123)

Notre hypothèse de travail est que la dimension collaborative de la démarche peut aider les élèves à développer une posture d’auteur‑lecteur, en jouant sur deux plans : la nécessité que le texte fasse sens pour son lecteur (univers de référence partagé, cohérence du récit, accès aux états mentaux des personnages) et la nécessité d’une prise de distance du scripteur face au texte, qui en fait pleinement un auteur au sens où son texte résulte de choix d’écriture.

Les étapes amènent la classe à travailler la fabrique d’un récit sous plusieurs angles, et à la fois par des échanges en classe et des temps de travail individuel. Les élèves sont amenés à collaborer dans le cadre d’activités préparatoires dont la méta–analyse de Graham et al. (2012) sur les pratiques efficaces auprès des élèves a mis en évidence les bénéfices et dans le cadre d’activités consistant à analyser et retravailler un texte existant. Les élèves sont placés en posture d’auteur‑lecteur face à leur texte et à des textes ou extraits produits par d’autres. Nous mettons à disposition des corpus qui peuvent être utilisés dans toute classe mettant en œuvre le dispositif : l’enseignant peut faire le choix d’un corpus de textes de sa classe, ou recourir à ces textes résultant de la même situation d’écriture.

Dans une perspective de développement professionnel, notre groupe collaboratif propose d’envisager le travail mené en classe sous l’angle des traces écrites produites et utilisées tout au long de la démarche. Intermédiaires, transitoires, ces traces écrites ne constituent pas une série d’états antérieurs d’un même texte, mais un avant‑texte commun à la classe par lequel l’étape suivante — le texte suivant — advient. L’ensemble des traces écrites constitue le « dossier génétique » (Fenoglio et Chanquoy, 2007) de la situation de production écrite mise en place. Ce dossier génétique a comme caractéristique de se situer à l’articulation de l’individuel et du collectif. La description détaillée du dispositif fait état de la manière dont le dossier se constitue au cours du travail, à partir d’affichages collectifs, de fiches de travail individuelles, de textes d’élèves analysés, de collecte de passages de textes, de textes faits de strates successives et de versions différentes d’un même texte réécrit. Il nous semble constituer un bon observable du travail de l’écriture dans sa dimension processuelle et collaborative et un instrument intéressant pour s’approprier le dispositif de l’intérieur, en montrant au plus près le travail de l’écriture réalisé en classe. La présentation du dispositif est pensée comme une boite à outils au sens où elle consiste à décrire les étapes de travail en classe mais surtout à préciser l’étayage qu’apporte l’enseignant au cours de la situation d’écriture proposée.

4. Un dispositif pour travailler ensemble le processus de l’écriture

Le dispositif a été mis en place pendant deux années scolaires en cycle 3 (4e et 5e primaire) et continue d’être testé. Il porte sur le texte narratif mais sans recourir ni à des images séquentielles ni au schéma narratif. Ces deux modalités de travail, relativement usuelles en classe, mettent l’accent sur la dimension temporelle du récit, sa chronologie : le récit est vu comme une suite d’évènements. Dans le dispositif que nous avons conçu, c’est davantage la logique causale d’un récit qui retient notre attention : les évènements s’inscrivent dans une chaine de cause à effet.

Cette logique causale est au cœur des travaux de didactique sur la compréhension de textes, par exemple dans les dispositifs « apprendre à comprendre » de Goigoux et Cèbe (2013) où l’on interroge ce que font, ce que disent et ce que pensent les personnages, ou dans le « système récit-personnages » (Aeby Daghé et Cordeiro, 2020), fondé sur les relations entre leurs intentions, actions et sentiments. Notre approche du récit s’appuie sur la théorie de l’esprit en tant que capacité à inférer les états mentaux d’autrui et sur l’empathie pour les personnages dans la lecture de fiction (p. ex. Gallagher, 2012). Pour produire leur récit, les élèves sont amenés à détailler ce que vivent les personnages, ou, selon les termes de Schaeffer (2000), à entrer dans une « activité de modélisation du réel » par une « immersion fictionnelle ».

Le lanceur d’écriture proposé fait de l’écriture une démarche de résolution de problèmes (Reuter, 2009 ; De Vecchi et Carmona-Magnaldi, 2002). Il consiste en un script minimal (« Ils fouillent le grenier familial et trouvent 38 000 euros. Une trouvaille qui tombe à pic ! ») et se présente ainsi comme une énigme : que s’est‑il passé ? Écrire va donc consister à mettre sa casquette de détective, et à trouver des solutions face à ce problème d’écriture qui est d’avoir à mettre en mots la logique des évènements et de leurs enchainements. Le processus d’écriture du récit repose sur trois axes de travail : la construction de l’univers de référence, la cohérence du récit pour comprendre l’énigme (les questions en pourquoi et comment que soulève le lanceur) et l’expression des états mentaux des personnages.

La séquence comporte 6 séances. Elles ont été conçues pour durer de 40 à 60 minutes. La dernière est une séance très courte de bilan qui vise à revenir sur la démarche elle‑même : comment s’y est‑on pris pour écrire ? Dans ce qui suit, nous présentons chaque étape de manière à faire ressortir la part prise par les temps individuels et collectifs et le rôle d’étayage de l’enseignant.

Séance 1. Préparation collective

La première séance consiste à travailler à partir du lanceur d’écriture. Les objectifs sont de se préparer à écrire et de se représenter la situation mise en scène par le lanceur. Le lanceur est affiché : Ils fouillent le grenier et trouvent 38 000 euros. Une trouvaille qui tombe à pic ! Le travail se centre d’abord sur le lanceur en lui‑même6 : Quelles émotions ressentez‑vous en lisant ce texte ? Les réponses des élèves sont compilées par l’enseignant sur un affichage collectif. L’enseignant note qu’on peut compléter la collecte en reformulant les termes proposés pour en ajouter (par exemple sur la joie et la surprise : sauter de joie, être émerveillé, stupéfait). Cette étape sur les émotions consiste à se positionner comme lecteur du script et à se projeter dans la situation que vivent les personnages. La question suivante y contribue aussi. Elle vise à construire un univers de référence commun à partir du lanceur : Qu’est‑ce qu’un grenier familial pour vous, quels mots vous viennent en tête ? Les réponses sont écrites sur un affichage collectif.

Les travaux sur la compréhension en lecture comme ceux de J. Giasson ou de S. Cèbe et R. Goigoux ont montré qu’elle consiste à construire à partir des éléments du texte et des connaissances antérieures une représentation mentale cohérente de la situation évoquée par le texte. La connaissance de l’univers de référence (ou compétences référentielles, connaissances encyclopédiques) se construit par le vécu, les savoirs, les lectures antérieures et permet ce qu’il est d’usage de nommer depuis les travaux d’Umberto Eco la coopération avec le texte (Goigoux et Cèbe, 2013). Travailler l’univers de référence pour produire un récit consiste à activer des suites logiques d’évènements et à nourrir de détails la situation. L’enjeu est que le texte fasse sens pour le lecteur en se fondant sur un univers partagé.

Dans l’exemple donné ici, l’enseignant demande : Qu’est‑ce qu’un grenier, comment on s’en sert, qu’est‑ce qu’on y met, quand est‑ce qu’on s’y rend ? Il peut faire appel au vécu des élèves et à diverses ressources (albums jeunesse, photos, etc.). Mobiliser l’univers de référence passe par un travail autour du lexique. L’enseignant guide les élèves pour qu’ils complètent le champ lexical en procédant par associations d’idées, sur le lieu (poussiéreux, une odeur de renfermé, etc.), ce qu’on y trouve (des objets entassés, un ancien fauteuil, etc.), pourquoi on y va. Le but n’est pas d’être exhaustif mais de donner des détails concrets : le travail d’écriture à cette étape se définit comme le fait de faire vivre l’univers par les mots.

Le travail s’oriente alors vers les questions que soulève le lanceur : Quelles questions se pose‑t‑on à la lecture du lanceur ? Que s’est‑il passé ? Comment en est‑on arrivé là ? L’enseignant guide les élèves : il les aide à mettre une casquette de détective, enquêtant sur l’énigme à résoudre. L’objectif assigné à l’écriture se précise : permettre de comprendre ce qu’il s’est passé. Le lecteur s’attend à trouver des réponses à l’énigme et pour produire un tel récit, il faut donc s’interroger sur les évènements et leurs relations de cause à effet. L’enseignant s’appuie sur une liste de questions pour compléter les propositions des élèves : Pourquoi les personnages se trouvent‑ils dans un grenier, pourquoi s’y rendent‑ils ? Comment font‑ils leur découverte ? Sous quelle forme se présente la somme ? Pourquoi est‑ce que la trouvaille « tombe à pic », en ont‑ils besoin, quel est leur projet ? etc. Cette étape prépare la cohérence du récit à venir, les questions en pourquoi/comment étant au cœur de l’intrigue que présente le lanceur. L’enseignant choisit, en collaboration avec les élèves, de garder 3 ou 4 questions jugées centrales, et le groupe propose alors des pistes de réponse, soit autant de scénarios possibles, l’ensemble faisant l’objet d’un affichage collectif, comme dans l’exemple ci‑dessous avec quatre questions et pistes de réponses obtenues dans une classe de CM1.

Figure 1. – Exemple de trace collective (affichage au tableau).

Figure 1. – Exemple de trace collective (affichage au tableau).

Au terme de la première séance, le dossier génétique se compose donc d’écrits qui sont la trace des échanges dans la classe. L’enseignant a compilé les propositions émanant du groupe : lexique des émotions suscitées par le lanceur, lexique sur l’univers de référence (grenier familial), 3 ou 4 questions en pourquoi/comment et quelques réponses. Lors de la séance suivante, on remobilise ces écrits.

Séance 2. Préparation individuelle et premier texte

La seconde séance se finalise par la rédaction d’un texte individuel. Son objectif est de préparer l’écriture et d’aboutir à un premier texte de manière progressive. Après un rappel du travail réalisé et des traces produites, l’enseignant fournit une fiche individuelle avec les 3 ou 4 questions centrales en pourquoi/comment et expose l’affiche de la fin de séance 1 avec questions et scénarios possibles. La consigne est la suivante : Chacun va maintenant élaborer le scénario de son histoire. Pour cela, complète ta fiche en choisissant tes réponses parmi celles proposées collectivement. Tu peux aussi en imaginer d’autres.

La consigne donnée ensuite est « rédige ton texte à partir de ta préparation7 », avec rappel de l’objectif : le texte doit répondre aux questions, car le lecteur doit comprendre ce qu’il se passe, c’est-à-dire capable de se faire mentalement le film de l’histoire.

En fin de séance, un temps collectif permet de revenir sur le processus qui a mené aux textes. De plus, il est intéressant de demander aux élèves de surligner les passages du texte répondant aux questions centrales. Le surlignement rend visible l’opération de lecture de son texte, et cette première phase de retour sur le texte servira à guider la réécriture.

Séance 3. Travailler la cohérence du texte

La séance 3 porte sur un corpus de textes d’élèves. Elle a pour objectif de travailler la cohérence du texte : identifier à quoi tient la cohérence et comment on réécrit un texte, et réécrire son texte pour améliorer la cohérence. La cohérence du récit renvoie à la logique de cause à effet. On revient aux questions qui ont servi à préparer et guider l’écriture jusque‑là : est‑ce que les textes apportent des réponses à ces 3‑4 questions, est‑ce qu’ils donnent des clés pour comprendre l’énigme ? On rappelle collectivement les questions (ex. : Est‑ce qu’on sait pourquoi les personnages vont fouiller le grenier ?). La formulation « est‑ce qu’on sait pourquoi/comment » aide à se positionner en tant que lecteur qui entre en dialogue avec le texte ; celui‑ci n’est pas considéré seulement comme la source d’informations à prélever, mais bien comme un dispositif conçu pour faire sens pour son lecteur.

Le dispositif intègre un corpus de textes d’autres élèves confrontés à la même situation d’écriture. Le principe est de mettre en contraste 2 ou 3 textes ou extraits. La consigne est de les lire pour répondre à la question suivante : Est‑ce que le texte permet de bien comprendre la situation ? L’enseignant guide les élèves (Ce texte répond‑il aux questions importantes ?) en prenant appui sur l’affiche qui recense les 3‑4 questions centrales.

Texte 1
[…] C’était l’hiver, le 24 décembre, c’était le jour de Noël. Hugo, Jules et Capucine s’ennuient. Ils se disent pourquoi ne pas aller fouiller le grenier ? Ils fouillent le grenier pendant des minutes et des minutes. Ils vont chercher sous les tiroirs, il y en avait beaucoup. Ils fouillent le dernier tiroir et il y avait de l’argent. Ils ont compté l’argent. Il y avait 38 000 euros. Ils étaient très contents. Ils pleuraient de joie. Ils ont vite descendu les escaliers pour aller dans la salle à manger. Ils ont dit à leurs parents. Les parents ne les croyaient pas alors ils ont dit :

 
— « Venez voir ! »
— « C’est vrai, on est riche ! »
 
Plusieurs semaines après, ils achètent une grande maison moderne. Ils étaient très heureux.
 

Texte 2
Un jour d’été, moi et mon frère, on s’ennuyait. On avait très chaud.
 
— Oh ! J’ai une idée ! On va s’amuser avec le tuyau d’eau.
— Bonne idée ! Je crois que le tuyau est dans le garage.
— Il n’est pas là ! Où peut‑il bien être ?
— Je sais ! Peut‑être dans le grenier ?
— T’as raison ! Allons voir !
— Toi tu cherches dans ces cartons et moi dans ceux‑là.
— Regarde ce que j’ai trouvé !
— T’as trouvé le tuyau ?
— Non, mieux ! Viens voir !
— Je rêve ! T’as trouvé 38 000 euros ! C’est sûr qu’avec ça, on peut acheter des tuyaux !
— Viens, on va le dire à papa et maman !
— Oui ! Ok !
— Maman, papa ! On cherchait le tuyau dans le grenier et on a trouvé 38 000 euros !
— Quoi ?
[…]

Le corpus est distribué sur fiche ou projeté au tableau et le travail est mené collectivement, l’enseignant aidant les élèves à repérer les réponses aux questions de l’énigme et à formuler leurs observations : dans les textes 1 et 2, on ne sait pas comment cet argent est arrivé là. Une ellipse est à combler. Dans le texte 2, on ne sait pas non plus pourquoi la trouvaille tombe à pic, ce qu’ils comptent faire de cet argent (autre ellipse). Des pistes d’amélioration sont à faire émerger et on peut souligner aussi comment les textes répondent à l’énigme (par exemple, sur « pourquoi la trouvaille tombe à pic », l’expression des émotions : « ils en pleuraient de joie »).

L’étape suivante consiste à observer le travail de réécriture d’un texte. Le corpus fourni met en contraste deux réécritures d’un même texte (deux états retravaillés pour un état antérieur, montrant que pour réécrire, diverses possibilités s’offrent au scripteur. L’objectif est d’identifier les quatre opérations de réécriture en jeu quand on (re)travaille un texte (ajouter, supprimer, remplacer, déplacer) et de mettre l’accent sur les effets de la réécriture, qui est le résultat d’une intention. Rendues explicites, les opérations d’écriture constituent un outil en classe (voir en fin de séance 3).

Dans le corpus ci‑dessous, un même texte de départ (texte 1) est associé à deux réécritures différentes proposées par un enseignant (textes 2a et 2b), où le texte de départ est en italique et les passages supprimés sont barrés.

1)
Quatre personnes fouillent le grenier familial pour le nettoyer. Sans faire exprès, Oscar casse deux planches et trouve un coffre, et il ouvre le coffre et trouve 38 000 euros. Ceci est une trouvaille qui tombe à pic, parce qu’Oscar et sa famille étaient pauvres, mais ils avaient assez de nourriture pour au moins un mois. Ils avaient vraiment besoin d’argent pour payer les factures.
 

2a)
Quatre personnes frères fouillent le grenier familial pour le nettoyer. Il était temps : il est très encombré et très poussiéreux. Sans faire exprès, Oscar casse deux planches en déplaçant un vieux fauteuil, et trouve il découvre alors un coffre sous le plancher. Il ouvre le coffre et n’en croit pas ses yeux : des billets de banque, en grande quantité ! La somme est de 38 000 euros. Les frères sautent de joie. C’est une trouvaille qui tombe à pic, parce qu’Oscar et sa famille étaient sont très pauvres. mais ils avaient assez Ils ont encore de la nourriture pour au moins un mois dans les placards mais ils ont vraiment besoin d’argent pour payer les factures.
 

2b)
Oscar et sa famille étaient très pauvres. Ils avaient assez de nourriture pour au moins un mois, mais ils avaient vraiment besoin d’argent pour payer les factures. Ils risquaient de devoir vendre leur maison. Un jour, Oscar décide Quatre personnes fouillent de nettoyer le grenier familial pour le nettoyer. Sans faire exprès, Oscar il casse deux planches parce que le sol est ancien et abimé et il trouve un coffre. Il l’ouvre le coffre et découvre 38 000 euros. Quelle surprise ! La trouvaille tombe à pic pour Oscar et sa famille.

Le travail est mené collectivement à partir du corpus distribué sur fiche ou projeté au tableau. L’enseignant guide les élèves pour leur faire observer que plusieurs choix s’offrent au scripteur (par exemple parler de la pauvreté de la famille en fin de texte ou au début) et mettre l’accent sur l’effet produit : des informations en plus (on sait pourquoi le ou les personnages montent au grenier, comment l’argent est découvert, pourquoi la découverte tombe à pic), des détails concrets (comment Oscar casse les planches, quelle est sa réaction), détails qui aident le lecteur à se mettre à la place du personnage, à vivre le récit de l’intérieur. Enfin, on peut identifier de nouvelles pistes de réécriture : dans le corpus fourni, les textes 2a et 2b n’indiquent pas d’où provient l’argent.

L’enseignant, en sollicitant les élèves, propose un bilan sur le travail effectué et la démarche de production écrite : analyser ce qui fonctionne bien ou moins bien dans un texte, examiner si le texte apporte des réponses aux grandes questions en pourquoi et comment, retravailler un texte avec l’objectif de répondre à ces questions par ajout, suppression, remplacement, déplacement, relire pour se questionner de nouveau sur l’atteinte de l’objectif.

La dernière étape de la séance consiste pour chaque élève à remanier le texte produit en séance 2. L’enseignant indique : nous avons analysé la cohérence et vu comment on pouvait s’y prendre pour l’améliorer, vous allez faire le même travail dans vos textes. L’enseignant propose deux étapes : vérification (rappel des 3‑4 questions grâce à l’affichage, retrouver dans le texte les réponses, les surligner) et réécriture (s’il manque des informations pour bien comprendre la situation, par le fait d’ajouter, remplacer, etc., des passages). L’activité se clôt par un temps éventuel de lecture à la classe et d’échanges, mettant l’accent sur les critères de réussite (est‑ce que l’on comprend mieux l’histoire, est‑ce que l’on se représente bien la situation ?) et les élèves peuvent surligner les réponses aux questions en pourquoi/comment dans la nouvelle version du texte.

Séance 4. Travailler les états mentaux des personnages

La quatrième séance porte sur les états mentaux des personnages. Elle a pour objectif de poursuivre le travail sur la posture du lecteur, d’identifier l’expression des états mentaux des personnages dans un texte et les ressources à disposition du scripteur pour aider son lecteur à se mettre à la place des personnages, en particulier l’expression des émotions.

Dans un premier temps, le travail, collectif, va se porter sur un corpus d’extraits contrastés du point de vue de l’expression des états mentaux des personnages. L’enseignant oriente la lecture des textes affichés au tableau ou distribués sous forme de fiche : Que pensez‑vous de ce(s) texte(s) ? Quel est le texte où l’on sait ce que les personnages ressentent ? Est‑ce qu’on arrive à se mettre à leur place ? Il reformule (on essaie de voir si le texte nous permet à nous lecteur de bien comprendre ce que les personnages sont en train de vivre, leurs sentiments et émotions, l’état dans lequel ils sont), donne des exemples (surpris, joyeux) et demande à quoi se voient ces émotions et ce qu’elles provoquent, car les états mentaux des personnages jouent sur les relations de cause à effet.

À partir du corpus ci‑dessous, composé de deux extraits de textes d’élèves, la consigne est de repérer dans chaque extrait ce qui renvoie à l’expression des états mentaux des personnages, et les passages concernés sont surlignés, sur fiche ou au tableau.

Extrait 1
Au bout d’un moment, j’ai vu une boite avec un porte-monnaie avec 38 000 €. Une trouvaille qui tombe à pic pour payer le loyer. Ouf !
 

Extrait 2
— Qu’y a‑t‑il ? Demanda Manon.
— Cette, cette lettre contient un chèque de 38 000 €.
— Quoi ?! crièrent Maud et Lisa.
— Attendez, calmez‑vous. On ne sait pas d’où vient ce chèque, cria Manon.
— Mais si, regarde cette lettre, lui dit Manon.
— Montre‑moi.
— Oh ! mon dieu, c’est pas vrai ! cria Gaston.
— Quoi ? Montre.
 
Moli arracha l’enveloppe des mains de Gaston. Il y avait des milliers de billets.
 
— Il faut prévenir maman, cria Moli.
 
Ils dévalèrent les escaliers et racontèrent tout à leur mère. Ça voulait dire qu’ils pouvaient payer les dettes de leur grand‑mère et garder la maison.

L’enseignant porte à l’attention des élèves la ponctuation expressive dans le discours direct (« ouf ! », « quoi ?! »), le personnage qui bredouille, surpris (« cette, cette lettre »), les verbes de dialogue (« crier »), le fait que les personnages « dévalent l’escalier » et souligne l’effet produit : le lecteur est pris dans l’action avec les personnages.

La suite permet un travail sur l’expression des émotions : nous allons collecter des mots et des expressions qui traduisent les sentiments et les émotions des personnages, le but étant de pouvoir ensuite enrichir vos textes, pour que le lecteur perçoive bien ce que ressentent les personnages. Une première étape de collecte se porte sur les textes d’élèves et une seconde consiste à la compléter (en ajoutant d’autres mots ou expressions se rapportant aux mêmes émotions). L’ensemble fait l’objet d’un affichage collectif. L’enseignant guide, complète et peut catégoriser les procédés, en distinguant l’expression des états émotionnels (X se sent surpris, émerveillé), les précisions sur les manifestations physiques des émotions (sauter, pleurer + de joie ; ouvrir grand les yeux, rester bouche bée), le fait de faire parler les personnages. Il peut mettre en avant le phénomène de gradation (ex. : inquiétude/peur/panique).

Séance 5. Réécriture individuelle d’un même texte

La séance 5 a pour objectif de retravailler un texte en ajoutant l’expression des états mentaux des personnages afin de faciliter l’entrée du lecteur dans le récit. Proposer une réécriture individuelle d’un même texte permet à la classe de comparer les choix effectués par chacun. L’enseignant peut utiliser l’exemple ci‑dessous, utilisé aussi en séance 3.

Oscar et sa famille étaient très pauvres. Ils avaient assez de nourriture pour au moins un mois, mais ils avaient vraiment besoin d’argent pour payer les factures. Ils risquaient de devoir vendre leur maison. Un jour, Oscar décide de nettoyer le grenier familial. Sans faire exprès, il casse deux planches parce que le sol est ancien et abimé et il trouve un coffre. Il l’ouvre et découvre 38 000 euros. Quelle surprise ! La trouvaille tombe à pic pour Oscar et sa famille.

La consigne d’écriture est d’ajouter l’expression des états mentaux des personnages afin de faciliter l’entrée du lecteur dans le récit, et s’appuie sur un rappel de la séance précédente (l’importance des états mentaux pour se mettre à la place des personnages) et la collecte qui a fait l’objet d’un affichage.

À l’issue de l’écriture, la lecture de quelques textes d’élèves (par l’auteur, par l’enseignant) débouche sur des éléments d’analyse : l’enseignant aide les élèves à identifier quelques‑uns des procédés utilisés (voir séance 4) et la classe peut compléter l’affichage par de nouvelles trouvailles issues des réécritures.

Séance 6. Bilan

La séance 6 est une courte séance de bilan. Elle a pour objectif de rendre explicite le processus de l’écriture, pour permettre aux élèves d’envisager l’écriture comme un ensemble de stratégies. L’enseignant guide les élèves pour retracer le cheminement et cherche à leur faire prendre conscience du fait de :

  • se préparer à écrire et se préparer à réécrire ;

  • utiliser des écrits intermédiaires (affichages collectifs et fiches individuelles), écrire plusieurs versions ;

  • se relire pour évaluer les effets sur le lecteur (représentation de la situation, compréhension de l’histoire).

L’enjeu est de faire ressortir les va‑et‑vient entre posture de scripteur et de lecteur et le fait qu’un texte se fabrique à partir d’un ensemble d’écrits intermédiaires et de strates successives. Un porte‑vue réunissant les fiches et textes aide à rendre visible ce processus.

La dernière séance se prête à des prolongements laissés au choix de l’enseignant : mettre en voix les textes, demander aux élèves ce qui pourrait être encore amélioré (un texte n’est que provisoirement abouti, il peut faire l’objet de remaniements successifs), vérifier de manière systématique les accords orthographiques entre sujet et verbe, ou encore, comme testé cette année par les enseignants de notre groupe de travail, formaliser des critères d’évaluation.

5. Bilan provisoire

La démarche présentée consiste à travailler l’écriture de manière collaborative dans sa dimension processuelle. Elle s’appuie sur des allers‑retours entre traitement collectif des problèmes d’écriture et temps individuels de production de texte et de lecture ou analyse. Le fait d’écrire ensemble favorise, du côté des élèves, la socialisation de l’écriture, et du côté de l’enseignant, la gestion du processus de l’écriture au cours de la séquence. Un enjeu majeur du dispositif est en effet de sortir du modèle linéaire de réécritures individuelles successives avec intervention de l’enseignant entre chaque version : plutôt que d’avoir à mener une analyse de chaque texte in situ ou d’une séance à l’autre, il a ici pour rôle d’orchestrer une démarche d’investigation collective, en guidant les élèves par rapport à des objectifs de construction et d’amélioration du récit à produire.

L’hypothèse de travail au cœur du dispositif est que la dimension collaborative du travail de l’écriture peut favoriser le développement d’une posture d’auteur‑lecteur. Nous envisageons à l’instar de Mahrer (2014)8 l’autoréception de la trace écrite par le scripteur comme une caractéristique centrale de l’écriture, qui peut servir de levier pour apprendre à écrire. Nous avons montré ici comment la travailler au sein d’une communauté d’auteurs‑lecteurs, par la médiation d’échanges en classe et de traces écrites, entre autres des corpus de textes produits par d’autres.

Le dossier génétique qui se constitue au fil des séances est fait de ces traces écrites que sont les écrits produits individuellement (p. ex. les fiches de scénarios) ou collectivement (p. ex. affichage de collecte), les marques de relecture (surlignage) et de réécriture (ajouts). Elles correspondent aux étapes successives du travail et non aux états successifs d’un même texte. Travailler ensemble le processus de l’écriture vise à donner aux élèves des stratégies pour écrire. D’une part, chacun est amené à faire avec les autres l’expérience de la posture d’auteur et de lecteur, par des va‑et‑vient entre temps collectifs et temps individuels de production et de retour sur les ressources mobilisées et l’effet produit. D’autre part, la classe est mise à contribution dans la production par chacun de son récit, en particulier autour du questionnement sur les objectifs et les moyens de les atteindre (faire vivre l’univers, résoudre une énigme, accéder aux états mentaux des personnages).

La préparation à l’écriture jalonne tout le processus et sert donc aussi à se préparer à réécrire. L’appui sur le déjà écrit est central pour la poursuite du travail d’écriture. Le déjà écrit ne s’entend pas comme un bout de texte qu’on viendrait compléter, un premier état à faire suivre par un autre. Il ne constitue pas seulement une lignée mais plutôt une mise en réseau et c’est à cela que tient sa fonction préparatoire. Poursuivre l’écriture, demande de se référer aux buts assignés jusque‑là au texte à produire (par exemple ici, une liste de quatre questions auxquelles le texte doit répondre) et de repréciser les buts en s’appuyant sur l’analyse de textes déjà écrits (par exemple, une fois la cohérence d’ensemble travaillée, donner accès aux états mentaux des personnages). La mise en texte passe par des écrits de collecte, et la collecte se nourrit notamment des textes de la classe. Travailler la réécriture ne consiste donc pas qu’à intervenir sur son propre texte, mais mobilise un corpus plus large d’écrits.

À l’image des traces écrites du travail de la classe, notre article est le produit d’une collaboration, et un point d’étape sur lequel prendre appui par la suite. Il s’inscrit en complément des écrits de travail internes à notre groupe de recherche collaboratif et des écrits produits pour les sessions de formation continue. La coécriture entre enseignants, conseiller pédagogique et chercheur caractérise l’objectif autour duquel notre groupe collabore : la coconstruction de dispositifs et leur diffusion en faveur des apprentissages. Cet article présente une manière de faire en classe et, nous l’espérons, des clés pour que les élèves eux‑mêmes aient accès au pourquoi et comment procéder ainsi pour écrire un récit.

Bibliographie

Aeby Daghé, S. et Sales Cordeiro, G. (2020). Coconstruire le système récit-personnages : un genre d’activité scolaire oral au service de la compréhension d’albums de littérature de jeunesse. Recherches, 73, 173‑191. www.revue-recherches.fr/wp-content/uploads/2022/12/173-191_R73_AebyDaghe-SalesCordeiro.pdf

Alamargot, D. (2013). Du produit rédigé au processus rédactionnel : vers la nécessaire interdisciplinarité. Le français aujourd’hui, 181, 145‑151. https://doi.org/10.3917/lfa.181.0145

Beaudet, C. et Rey, V. (dir.). (2015). Les écritures expertes. Presses de l’Université de Provence.

Bucheton, D. (dir.). (2014). Refonder l’enseignement de l’écriture. Vers des gestes professionnels plus ajustés du primaire au lycée. Retz.

Chabanne, J.‑C. et Bucheton, D. (2001). Aider les élèves de ZEP à développer des pratiques d’écriture proprement « scolaires ». Les dossier XYZep, 12. http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/documents/publications/xyzep/les-dossiers-d-xyzep/archives-1/2000-2001/dossier_12_pro.pdf

Chabanne, J.‑C. et Bucheton, D. (2002). Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. L’écrit et l’oral réflexifs. Presses universitaires de France.

Crinon, J. (2002). Écrire le journal de ses apprentissages. Dans J.‑C. Chabanne et D. Bucheton (dir.), Parler et écrire pour penser, apprendre et se construire. L’écrit et l’oral réflexifs (p. 123‑143). Presses universitaires de France.

De Vecchi, G. et Carmona-Magnaldi, N. (2002). Faire vivre de véritables situations-problèmes. Hachette Éducation.

Doquet, C. (2011). L’écriture débutante. Pratiques scripturales à l’école élémentaire. Presses universitaires de Rennes.

Doquet, C. (2013). Dépasser l’impossible alliance : quelles interactions entre production écrite et maitrise de la langue ? Le français aujourd’hui, 181, 119‑130. https://doi.org/10.3917/lfa.181.0119

Doquet, C., Lefebvre, J., Mahrer, R. et Testenoire, P.‑Y. (2022). L’oral et l’écrit : si proches, si loin. Linguistique de l’écrit, 3, 9‑32. https://doi.org/10.19079/lde.2022.s3.1

Doquet, C. et Pilorgé, J.‑L. (2020). La correction de copies au collège entre langue et discours. Une catégorisation syntactico-énonciative. Repères, 62, 191‑213. https://doi.org/10.4000/reperes.3274

Duvin-Parmentier, B., Noyes-Rocaché, M. et Garcia-Debanc, C. (2021). L’évaluation des écrits dans tous ses états de vulgarisation. Repères, 63, 85‑104. https://doi.org/10.4000/reperes.4164

Fabre-Cols, C. (1990). Les brouillons d’écoliers ou l’entrée dans l’écriture. Ceditel.

Fenoglio, I. et Chanquoy, L. (2007). Avant‑propos. La notion d’« avant‑texte » : point de rencontre pour une compréhension de l’écriture en acte. Langue française, 155, 3‑7.

Gallagher, S. (2012). Empathy, simulation, and narrative. Science in Context, 25(3), 355‑381.

Garcia-Debanc, C. (2007). Place et fonction de l’écriture au collège : développer un regard d’artisan. Dans Écrire des textes, l’apprentissage et le plaisir (p. 51‑80). Actes des journées de l’Observatoire national de la lecture (ONL), Paris.

Garcia-Debanc, C. (2018). Comment évaluer les écrits et les écrits de travail ? Dans Écrire et rédiger. Conférence de consensus du CNESCO, Paris. www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2018/04/06_Garcia-Debanc.pdf

Goigoux, R. et Cèbe, S. (2013). Lectorino & Lectorinette. Apprendre à comprendre les textes narratifs. Retz.

Goody, J. (2006). La technologie de l’intellect (trad. par J.‑C. Lejosne). Pratiques, 131‑132, 7‑30. https://doi.org/10.3406/prati.2006.2114

Graham, S., McKeown, D., Kiuhara, S. et Harris, K. R. (2012). A meta‑analysis of writing instruction for students in the elementary grades. Journal of Educational Psychology, 104(4), 879‑896. http://dx.doi.org/10.1037/a0029185

Halté, J.‑F. (1982). Point de repère pour une lecture. Pratiques, 36. www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1982_num_36_1_1525

Hayes, J. R. et Flower, L. S. (1980). Identifying the organization of writing processes. Dans L. W. Gregg et E. R. Steinberg (dir.), Cognitive processes in writing (p. 3‑30). L. Erlbaum Associates.

Jolibert, J. (1988). Former des enfants producteurs de textes. Hachette.

Kervyn, B. et Faux, J. (2014). Avant‑texte, planification, révision, brouillon, réécriture : quel espace didactique notionnel pour l’entrée en écriture ? Pratiques, 161‑162. https://doi.org/10.4000/pratiques.2172

Kervyn, B. et Goigoux, R. (2021). Produire des ressources didactiques : une modalité originale de vulgarisation scientifique tournée vers le développement professionnel et créatrice de nouveaux savoirs scientifiques. Repères, 63, 185‑210. https://doi.org/10.4000/reperes.4253

Koch, P. et Oesterreicher, W. (2001). Langage oral et langage écrit. Dans G. Holtus, M. Metzeltin et C. Schmitt (dir.), Lexikon der romanistischen Linguistik (p. 584‑627). Max Niemeyer Verlag.

Lafont-Terranova, J. et Colin, D. (dir.). (2006). Didactique de l’écrit : la construction des savoirs et le sujet-écrivant. Presses universitaires de Namur.

Lebrun, M. (2007). Rapport à l’écriture, posture auctoriale et ouverture culturelle. Revue des sciences de l’éducation, 33(2), 383‑399. https://doi.org/10.7202/017883ar

Mahrer, R. (2014). Écrire et parler. Quelques préalables théoriques. Genesis, 39, 29‑49. https://doi.org/10.4000/genesis.1371

Mahrer, R. (2019). Parler, écrire : « continuum communicatif » et rupture matérielle. Pratiques, 183‑184. https://doi.org/10.4000/pratiques.6842

Mons, N., Chesné, J.‑F., Margaria, C. & Coudroy, T. (2018). Écrire et rédiger : comment guider les élèves dans leurs apprentissages ? Dossier de synthèse. CNESCO. www.cnesco.fr/wp-content/uploads/2024/07/Cnesco-CC-Ecrire-rediger_Dossier-de-synthese.pdf

Penneman, J., De Croix, S., Dellisse, S., Dufays, J.‑L., Dumay, X., Dupriez, V., Galand, B. et Wyns, M. (2019). Outils didactiques et changement pédagogique : analyse longitudinale de l’appropriation de l’outil Lirécrire par des enseignants du secondaire. Revue française de pédagogie, 197, 79‑98. https://doi.org/10.4000/rfp.5165

Petitjean, A. (1980). L’atelier d’écriture. Pratiques, 26, 45‑58.

Pritchard, R. J. et Honeycutt, R. L. (2007). Best practices in implementing a process approach to teaching writing. Dans S. Graham, C. A. MacArthur et J. Fitzgerald (dir.), Best practices in writing instruction (p. 28‑49). Guilford Press.

Reuter, Y. (2009). Les récits de fiction en dernière année de primaire. Éléments d’analyse et de comparaison selon les pédagogies. Dans J.‑L. Dufays et S. Plane (dir.), L’écriture de fiction en classe de français ? (p. 69‑85). Presses universitaires de Namur.

Schaeffer, J.‑M. (2000). Pourquoi la fiction ? Seuil.

Tauveron, C. et Sève, P. (2005). Vers une écriture littéraire ou comment construire une posture d’auteur à l’école de la GS au CM. Hatier.

Tremblay, O., Turgeon, E. et Gagnon, B. (2020). Cercles d’auteurs et ateliers d’écriture : des dispositifs innovants pour un enseignement engagé de l’écriture au primaire. Revue hybride de l’éducation, 4(2). https://doi.org/10.1522/rhe.v4i2.988

Vinel, É. et Bautier, É. (2018). La production d’écrits narratifs en classe : produire un écrit scolaire ou apprendre à écrire un texte ? Repères, 57, 163‑184. https://doi.org/10.4000/reperes.1552

Notes

1 Dans le cadre du pôle pilote Pégase de formation des enseignants et de recherche pour l’éducation (PIA3, 2020‑2030) porté par l’Université Grenoble Alpes. Retour au texte

2 Voir note précédente. Retour au texte

3 Titre de la synthèse de Alamargot (2013). Retour au texte

4 Titre de l’article de Goody (2006). Retour au texte

5 Cf. https://eduscol.education.fr/137/attendus-de-fin-d-annee-et-reperes-annuels-de-progression-du-cp-la-3e Retour au texte

6 La formule « tomber à pic » mérite d’être explicitée par des synonymes (arrive au bon moment, apporte une solution) ou des mises en situation (qu’est‑ce qui « tombe à pic », de quoi dit‑on ça ?). Retour au texte

7 Les indications à donner concernent la durée (30 min) et/ou la taille du texte selon les pratiques de la classe. Retour au texte

8 Voir partie 2. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence électronique

Stéphane Dégeorges et Fanny Rinck, « Des classes « écrivantes » : travailler ensemble le processus de l’écriture en cycle 3 », Partages [En ligne], 02 | 2025, mis en ligne le 13 mai 2025, consulté le 18 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/partages/index.php?id=432

Auteurs

Stéphane Dégeorges

Conseiller pédagogique, circonscription de Nyons
stephane.degeorges[at]ac-grenoble.fr

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Fanny Rinck

INSPÉ de Grenoble et laboratoire LIDILEM, Univ. Grenoble Alpes, 38000 Grenoble, France
fanny.rinck[at]univ-grenoble-alpes.fr

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • ORCID
  • HAL
  • ISNI
  • BNF

Droits d'auteur

CC BY-SA 4.0