Recension : Hong Khanh Dang, Jean-François Payette (dir.), La Francophonie comme facteur structurant dans les politiques étrangères. Regards croisés, Paris, L’Harmattan, 2020

DOI : 10.35562/rif.1318

Texte

Quelle place revêt la dimension francophone dans les politiques étrangères des États et des entités sub-étatiques, que ce soit dans leur préoccupations premières, leur élaboration ou bien leur mise en œuvre ? C’est à ce phénomène diplomatique que l’ouvrage dirigé par Hong Khanh Dang et Jean-François Payette se consacre. Dans le prolongement d’un numéro de la Revue internationale des Francophonies intitulé « La F/francophonie dans les politiques étrangères », il entend explorer et évaluer cette dimension qui, comme le souligne les auteurs eux-mêmes, reste sous-investie dans la littérature savante. Après une introduction qui replace le cadre des réflexions dans une perspective plus large au cœur des travaux sur la francophonie, trois parties composent le raisonnement : « La Francophonie dans les politiques étrangères : quelle place occupée ? » (4 chapitres) ; « La Francophonie dans la politique étrangère de la France : une place particulière basée sur une relation spécifique » (3 chapitres) ; « La Francophonie comme véhicule de promotion des politiques particulières » (3 chapitres). À la lecture de ces différentes contributions stimulantes, quatre apports se dégagent de manière claire. Le premier réside dans un déplacement d’accent. La dimension francophone est essentiellement abordée in situ au prisme des États des Suds. Plus de la moitié des chapitres a pour assise empirique les politiques étrangères déployées par le Maroc, Madagascar, le Burkina Faso, le Cameroun, le Niger ou encore des États d’Asie. Ce décentrement est bienvenu car il dépasse les travaux classiques entourant la description de la francophonie dans les pays du Nord. À cet égard, Politique et société ne fut pas la seule revue à étudier de façon comparée cet objet. Les auteurs oublient dans l’introduction de citer le numéro de la Revue internationale des politiques comparées publié en 2007 qui, dans l’abord des espaces linguistiques en tant qu’acteurs de la mondialisation incorpore en son sein différents articles sur la politique étrangère. Néanmoins, ce sont toujours les acteurs du Nord qui se révélaient centraux dans ces publications. Or, l’ouvrage en question démontre bien la dynamique qui affecte le rapport à la francophonie dans les États du Sud global, preuve de l’attraction dont elle bénéficie. Le second apport réside dans la nature de cette attraction. Elle transcende la composante linguistique en intégrant le rapport aux valeurs et aux principes de l’État de droit et de la démocratie. Certes, les politiques publiques relatives à la langue et à l’éducation ne sont pas absentes des préoccupations gouvernementales et sont étroitement articulées à cette dimension francophone. Mais elles n’épuisent pas la réalité du fait francophone en politique étrangère loin s’en faut. La plupart des articles rassemblés converge sur ce point, donnant chair à ce virage politique pris par l’institution intergouvernementale depuis 1997 officiellement. Ce virage politique ne porte pas seulement sur le rapport à la France… L’article sur la justice pénale internationale montre ainsi que les tensions en Afrique à l’égard de la forme conventionnelle issue de la CPI ne prennent pas pour cible celle-ci mais une critique plus diffuse qui conteste l’Occident de façon plus large. Le troisième apport réside dans la granularité des descriptions proposées, prouvant ainsi que la francophonie en tant qu’objet de diplomatie peut tout à fait se prêter à l’observation des sciences sociales en empruntant le chemin méthodologique de l’analyse qualitative et quantitative (voir certains chapitres qui reposent sur des questionnaires administrés) au-delà des prises de position normative qui ont entouré (et entourent encore bien souvent) les discours sur la francophonie. Le dernier apport réside dans les niveaux d’échelle. Sans conteste, les politiques étrangères ainsi décrites montrent la pluralité du fait diplomatique dans l’actuelle société mondiale. Les interactions ne se restreignent pas aux États. Elles prennent en considération les autorités municipales, les groupes non constitués en État (les Acadiens), les organisations intergouvernementales (l’UE au Niger). Ce déplacement d’accent montre à quel point l’objet francophonie, y compris lorsqu’il est abordé au prisme de la politique étrangère des États, rentre en résonance avec la diplomatie plurale dont Noé Cornago a bien décelé les propriétés.

Au-delà de la richesse des descriptions offertes, deux éléments auraient probablement pu faire l’objet d’une comparaison systématique afin de « monter en généralité ». Le premier est d’ordre conceptuel. Le titre de l’ouvrage retient l’expression de « facteur structurant » en vue de désigner la francophonie dans les politiques étrangères. Un tel facteur ne fait pas l’objet d’une définition resserrée autour d’attributs qui permettrait d’en déceler l’expression empirique. S’agit-il simplement de façonner ou bien de conférer une unité à ces politiques ? S’agit-il d’emprunter un angle structuro-fonctionnaliste en vue de décrire celles-ci ou bien simplement d’en faire une variable parmi d’autres uniquement applicable à leurs dimensions francophones ? Cette imprécision tend à voiler la portée des gestes explicatifs alors qu’ils offrent des éclairages la plupart du temps fort précis dans l’abord des choix opérés en matière de politiques publiques. D’ailleurs, ce facteur structurant renvoie bien plus aux différents rapports à l’OIF (modèle multilatéral) qu’à un modèle linguistique et culturel conçu comme une matrice de politiques publiques. Certes, les deux se recoupent aujourd’hui mais le modèle francophone diffusé par l’OIF épuise-t-il toutes les conceptions que l’on peut entretenir avec la francophonie en tant que partage d’une langue et de valeurs ? Le deuxième élément tient à l’aspect bureaucratique de la francophonie. En d’autres termes, combien de divisions si l’on veut bien utiliser cette analogie… Les ressources administratives, financières et humaines sont-elles consistantes ? Permettent-elles de répondre aux ambitions que les gouvernements et les intervenants accordent à cette part de l’action publique ? Nombre de contributions abordent cet aspect, non sans montrer les carences dans la maîtrise technique de la langue. Une mise en perspective de ces différentes ressources est essentielle afin d’évaluer ce « facteur structurant » au-delà des discours et des représentations diffusées. Elle est d’autant plus déterminante que la francophonie présente la particularité d’être un des composés culturels qui semble de plus en plus nécessaire pour ne pas dire vital dans l’élaboration des politiques étrangères au cœur d’une société mondiale travaillée par les assignations voire les dérives identitaires. Bertrand Badie insiste de manière judicieuse et pertinente sur une telle nécessité (au-delà de la francophonie) dans la conclusion de son dernier ouvrage Intersocialités. Le monde n’est plus géopolitique (Paris, CNRS Editions, 2020). Voilà sans nul doute un nouveau chantier scientifique pour l’objet francophone. Il ne pourra être mené à bien qu’en suscitant des programmes de recherche entre chercheurs du Nord et chercheurs des Suds, et ce, afin non seulement de susciter un croisement de regards mais aussi d’impulser un processus de fertilisation croisée à l’intérieur même du milieu universitaire francophone.

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Référence électronique

Frédéric Ramel, « Recension : Hong Khanh Dang, Jean-François Payette (dir.), La Francophonie comme facteur structurant dans les politiques étrangères. Regards croisés, Paris, L’Harmattan, 2020 », Revue internationale des francophonies [En ligne], 9 | 2021, mis en ligne le 07 juin 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=1318

Auteur

Frédéric Ramel

Frédéric Ramel est Professeur des Universités en Science politique à Sciences Po Paris.

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