La littérature de l’intime féminin : enfermement ou rupture ? Le cas de Milena Agus

DOI : 10.35562/textures.195

p. 161-173

Résumé

Nous interrogerons les modalités de l’enfermement identitaire et social dans le contexte d’une réalité insulaire Sarde marquée par la tradition et l’immobilisme et examinerons les ressources que déploient les personnages féminins pour en sortir, depuis la folie, le suicide et jusqu’à l’écriture et le sexe. Sans négliger les ressorts narratifs mis à disposition de ce regard au féminin, nous verrons de quelle façon les œuvres de Milena Agus reproposent la question du dessein et de la portée de la littérature de l’intime des femmes. En offrant une nouvelle écriture de l’intime, Milena Agus induit-elle la nécessité d’une autre lecture, et propose-t-elle une autre inscription du féminin dans la littérature ?

Plan

Texte

La sortie du dernier film de Nicole Garcia, Mal de pierres, consacre au cinéma une auteure Sarde dont le succès est initialement parti de la France : Milena Agus, « l’écrivaine de sexe la plus irrésistible d’Italie » selon la presse nationale1.

La lecture de son œuvre porte à s’interroger sur la littérature intime au féminin. S’il est vrai qu’au début du XXe siècle l’intime était la dimension la moins communicable de l’expérience humaine à cause de son caractère foncièrement privé, la psychanalyse recentre ensuite sur l’individu, le sujet percevant. Milena Agus construit un univers romanesque composé d’une très grande majorité de personnages féminins, explorant « un autre côté » des choses, ce « du côté des femmes ». Loin de nous inscrire ici dans le débat sur l’écriture féminine, l’écriture des femmes, ou encore l’écriture de la féminité, partant de la question de l’enfermement, nous interrogerons la dimension transgressive et novatrice du regard de Milena Agus dans cinq romans : Quand le Requin dort, Mal de pierres, Battements d’ailes, La comtesse de Ricotta, Sens dessus dessous2. Celle-ci nous donne-t-elle à entendre une voix singulière à partir de l’exploration d’un monde féminin ? En offrant une autre écriture de l’intime, Milena Agus induit-elle la nécessité d’une autre lecture, pouvant réviser les poncifs attachés à la littérature de l’intime, longtemps considérée comme l’un des rares territoires autorisés aux écritures de femmes ?

1. L’enfermement des personnages féminins

Les principaux personnages féminins sont mus par un besoin d’amour absolu se déployant suivant deux variables narratives. En effet, s’il permet d’une part de montrer en creux ce par quoi la société contraint la femme, il est également ce dans quoi la femme s’enferme, avec de lourdes conséquences pour elle-même et pour son entourage. Deux types de personnages féminins incarnent de plus ce besoin d’amour absolu : la femme faible, inadaptée, que rien ne comble et la femme sensuelle et généreuse. Les thèmes abordés par l’auteure, sur la base de ces deux variables, sont alors le mariage, l’inaptitude à être heureuse, la passivité et le sexe, et enfin la maternité.

Le mariage est, à l’image de Anna dans SDD3, ce à quoi les femmes de plus de soixante ans n’ont pu échapper, de peur de rester vieille fille et afin d’avoir une vie normale4. Pour d’autres personnages, leur famille les ayant mariées de force, elles n’avaient pas connu l’amour : Angèle Paoli note que dans BDA5 « chacune d’elles, la maternelle, la paternelle, payant de son abnégation pour que l’ordre – marital ou familial – ne s’effondre pas. Un ordre archaïque qui veut que les femmes toujours, dans cette Sardaigne des années quarante, épousent l’homme qui leur a été choisi6 ». Dans les romans de Milena Agus, l’action se déroule essentiellement dans la Sardaigne contemporaine, où les femmes connaissent plus qu’ailleurs la souffrance du célibat : « Le problème vient des hommes sardes. Ils ne savent pas faire la cour, être galants. Même les journaux en ont parlé : la Sardaigne, Cagliari en particulier, a la plus forte densité de femmes seules d’Italie et d’Europe, et peut-être même du monde7 ». L’humour est ici un voile sur une réalité sociologique douloureuse8. C’est pourquoi de nombreux personnages féminins sont dans l’attente d’une institutionnalisation du lien, voulant tirer la relation du côté de la conjugalité, du mariage9. Ainsi, aucun personnage de femme célibataire n’est heureux, car le bonheur de la femme semble bien ne pouvoir se vivre qu’en fonction de l’amour de l’homme et pour l’homme.

L’incapacité à être heureuse enferme et isole nombre de personnages féminins. La mère de la narratrice de QRD10 a peur de vivre à cause de la violence du monde qu’elle ne se sent pas la force d’affronter. Son rapport au réel la rend gauche, maladroite, inefficace au travail. La spirale est lancée : consciente d’être inadaptée, elle développe un sentiment de culpabilité débouchant sur le choix de la docilité11. Le requin, métaphore de la dépression12, s’applique aussi bien au personnage de la tante qu’à celui de la mère et de la narratrice. Ne dit-elle pas de Mauro Cortes : « Il a tout ce qui nous manque, à nous, le naturel et la force d’exister13 » ? Le manque de confiance et d’estime de soi est de loin la prison la plus visitée par les personnages féminins. L’amour devient tout naturellement ce qui peut permettre de sortir de cet enfermement intérieur : Milena Agus ne dit-elle pas qu’elle fait référence « à tous les Pinocchio du monde, filles et garçons, qui grâce à l’amour, parviennent à se libérer. À sortir de situations apparemment sans issue, d’un coup d’aile, en se tenant par la main14 » ?

L’inaptitude au bonheur contraint à l’effacement, telle la jeune femme de SDD : « Je n’interviens jamais en cours. Je suis l’étudiante invisible. Intervenir serait pire que tout, on me démasquerait15 ». Dans BDA, quand Madame est enfin aimée et heureuse, elle se sent illégitime au point de tenter de se suicider car « elle n’a qu’une idée en tête : finir, elle, avant son bonheur. Comme ça, quand les mauvais jours reviendront, elle ne sera pas là pour les voir16 ». Marica Barghetti précise la nature du personnage de la fragile enseignante de CDR :

Elle exprime au mieux l’univers féminin de Milena peuplé de femmes auxquelles il manque toujours quelque chose, jusqu’à être maladroites et marginales. La comtesse a même « les mains » et « le cœur de ricotta »17, c’est une femme maladroite et triste, la seule à avoir un enfant, mais jamais sûre d’elle et inadaptée au monde dans lequel elle vit18.

Partant, la comtesse finit par ne plus pouvoir aller travailler, elle se marginalise, et se sent extérieure au monde des autres : « Elle se dit que rouler en Vespa avec le voisin, c’est vraiment très près de ce qu’on appelle le bonheur, en tout cas elle a l’impression d’être une femme normale […]. Elle se sent appartenir au système-monde et c’est magnifique19 ». Cet autre monde, c’est celui que ne peuvent atteindre les personnages de perdants desquels Milena Agus se sent solidaire, ceux, nous dit Maria Bonaria Urban « qui sont différents, ceux qui ne s’adaptent pas au monde tel qu’il est, l’impossibilité d’une séparation claire entre le bien et le mal […], l’antipathie pour ceux qui n’ont pas de doute20 ».

La femme est prisonnière d’une quête qui fait son malheur21. La soif d’amour entraîne pour certaines la passivité et l’acceptation, à l’instar d’Anna, la femme âgée de SDD se laissant exploiter, utiliser par les hommes qui finissent, toujours, par la quitter22. « Elle a le sang chaud, un cœur d’artichaut et le cœur à l’envers » commente Frédéric Pagès23. D’autres personnages de femmes, libres de mœurs, illustrent les comportements extrêmes auxquels pousse le manque d’amour : la passivité envahit la sphère sexuelle, la femme se prêtant à des pratiques sado-masochistes24. Il faut toutefois distinguer dans les romans de Milena Agus le sadomasochisme hors mariage, et les pratiques sexuelles extrêmes entre époux. Dans le premier cas il s’agit de se punir du besoin d’amour et de la peur de perdre l’homme dans une recherche de violence telle qu’elle conduira, par exemple, la jeune narratrice de dix-huit ans de QRD à l’hôpital. S’exercer à supporter la douleur à travers le corps, se soumettre à l’homme pour qu’il reste, rechercher la dégradation à travers des pratiques scatologiques répétées, tels sont les moyens que déploie la lycéenne pour dépasser la souffrance morale du besoin d’amour non assouvi, pour oublier qu’elle n’est pas aimée :

Je suis dans une pièce barricadée, mais c’est comme si j’étais à l’air libre. Peut-être parce que je sais que, si je suis bien ses instructions […], il ne me quittera pas. Et si j’arrive un jour à m’asseoir à table et à manger ses excréments, il jure qu’alors même vieille il m’aimera. Pour toujours25.

La soumission sexuelle à laquelle se prête la protagoniste de MDP26 est d’un tout ordre. La grand-mère de la narratrice avait fait un mariage sans amour, mais devant la bonté de son mari, elle avait décidé de lui éviter d’aller au bordel et s’était sexuellement mise à sa disposition. Loin de se percevoir comme une victime, elle avait incarné de multiples personnages aux fonctions érotiques différentes. Dans un premier temps, le ton du récit, se voulant léger, presque enfantin, accentue la dimension de jeu théâtral, comme si la femme était alors désincarnée. Puis, en particulier dans le chapitre XII où la protagoniste s’en veut d’avoir été dure et insensible avec son mari, Agus décrit le plaisir que la femme éprouve à se soumettre au désir de celui-ci :

Grand-père avait entamé leur jeu de la maison close […] avant de goûter les aliments […] il les enfonçait dans la chatte de grand-mère. Elle, très excitée, se touchait et, à cet instant, l’aimer ou ne pas l’aimer lui était bien égal, elle voulait seulement continuer le jeu […]27.

Si le plaisir de la femme n’est pas absent quand elle se soumet sexuellement à son mari, elle n’écoute pourtant pas son besoin de parler, de dire, de raconter, d’écrire et malgré le ton léger, le mal être, le drame existentiel la poussent à inventer l’histoire d’amour avec le Rescapé, ce soldat blessé qu’elle rencontre à la cure. En effet, le rôle désexualisé de la Geisha (le mot « geisha » peut s’interpréter comme « femme qui excelle dans le métier de l’art »), le plus prisé par le Rescapé, avait donné à la femme l’accès à l’écriture : « Le Rescapé, lui, voulait des prestations sophistiquées, types des descriptions de la plage du Poetto, de Cagliari […] des émotions qu’elle avait éprouvées dans le puits […]. C’est ainsi que grand-mère sortit de son mutisme, qu’elle y prit goût28 ».

La sexualité dans les romans de Milena Agus n’est pas abordée par le biais du ressenti des femmes ou de leur perception, mais à travers la description d’une sensualité et d’une sexualité pour séduire et satisfaire l’homme29. Certaines veulent être des machines de guerre, d’autres craignent de ne pas être assez expertes sexuellement30 et le langage érotique vient dire le jeu, parfois malsain, auquel se plie la femme. Quand ils sont montrés, les rapports de pouvoir dans la relation sexuelle se font en faveur des hommes, et Milena Agus ne craint pas de décrire le plaisir masochiste de la femme.

Enfin, l’enfermement dans lequel est plongée la femme a des répercussions sur la maternité dont elle signe parfois l’échec. Dans MDP la mère, ne vivant que pour son mari, délègue l’éducation de sa fille à sa belle-mère. Incapable de s’occuper de ses enfants, la mère de la narratrice dans CDR les confie à la gouvernante. La souffrance existentielle dont est prisonnière la femme trouve parfois une issue dramatique, séparant la mère et ses enfants de façon définitive, dans la folie ou le suicide, motifs obsessionnels dans l’œuvre. Il importe alors de replacer ces derniers dans un questionnement plus large : les femmes peuvent-elles échapper à l’enfermement, quelles portes de sortie s’offrent à elles ?

2. Sortir de l’enfermement

C’est en cherchant à dire l’enfermement que la femme tente d’en sortir. La maladie physique ou mentale, l’amour élargi, la maternité ouverte et l’écriture sont les lieux de cette tentative d’expression, de réélaboration et de transformation de la problématique de l’enfermement.

Par la maladie physique, le corps se rebelle et dit le refus du manque d’amour : les calculs rénaux de la protagoniste de MDP lui interdisent de porter à terme ses grossesses. La mère de la narratrice de BDA est alitée depuis la mort de son mari31. La maladie nerveuse est également très présente : à l’instar de la mère de la narratrice de QRD qui ne mange rien car elle ne peut supporter la souffrance de ses proches, et qui se punit de ne pas être apte à mener une vie normale en s’alimentant de moins en moins.

Le corps nié des femmes, instrumentalisé, voué à la maternité, se rebelle en silence : hystérie, maladies nerveuses tentent d’exprimer à travers leurs symptômes cet enfermement. La folie apparaît alors comme le dernier stade de l’expression de la souffrance. La cause peut en être la perte de l’homme aimé32. Le personnage de la protagoniste de MDP est particulièrement riche : on découvre à la fin du roman qu’en réalité, du fait de son exaltation amoureuse, elle avait été tenue pour folle et n’avait en réalité eu, jeune femme, aucun prétendant. Cette solitude avait entraîné des crises de folie, plusieurs tentatives de suicide, et seule l’irruption de la guerre lui avait évité l’internement33. La femme qui exprime son désir amoureux, sa sensualité, effraie, est écartée, et sombre. Elle introjecte l’anomalie qu’elle représente aux yeux des autres, finit par être convaincue d’être « dérangée », et cette conviction même, dans le cas de MDP, s’exprime par la maladie, qui l’amène à faire des fausses couches :

C’étaient les femmes normales qui avaient des enfants, les femmes joyeuses, sans vilaines pensées, comme ses voisines de la rue Sulis. Dès qu’ils se rendaient compte qu’ils étaient dans le ventre d’une femme dérangée, les enfants fuyaient, comme tous ses fiancés34.

Deux voies sont ouvertes par les femmes pour tenter de mettre fin à l’enfermement de chacune dans son individualisme et dans ses propres souffrances. Dans BDA, Madame est une femme bonne qui, compréhensive, pardonne tout. Pour le grand-père de la narratrice, Madame est « l’homme futur ». Elle est un exemplaire d’une espère en voie de disparition, grâce auquel il est encore possible d’espérer de beaux lendemains : « L’unique type humain qui pourra survivre à la catastrophe actuelle car elle sait distinguer entre les babioles et ce qui compte dans la vie35 ». À travers la bonté, nombre de personnages tentent d’éviter le repli sur soi par manque d’amour. Ainsi la fragile comtesse de CDR est-elle convaincue que la maladie de son fils est la conséquence de sa propre imperfection, de son inadaptation au monde qu’elle semble compenser par la bonté : elle seule lui permet de résister.

La seconde voie, à savoir la maternité ouverte et la solidarité féminine, est de loin la plus féconde. Si certes la maternité sort certaines femmes de la mélancolie (dans MDP l’enfant qui, enfin, a pu naître, fait aimer la vie à la protagoniste), le sentiment maternel élargi contrebalance l’échec de la relation à la mère36. Dans SDS, la mère d’Alice ne pouvant alimenter le lien, Anna sera pour elle la « bonne mère » :

Dès lors je suis devenue sa fill’e anima, c’est-à-dire sa fille de cœur, mais ici à la Marina, il suffit d’un peu de familiarité et les femmes te déclarent aussitôt fill’e anima : avant de devenir amie avec Anna, je trouvais déjà devant ma porte des assiettes de couscous, de fallafel (…) Anna m’enseigne ce que ma mère et ma tante auraient dû m’enseigner37.

Ailleurs, la maternité élargie vient consoler de la solitude38. A Cagliari, dans le quartier populaire de la Marina, le sentiment maternel s’étend à tous les enfants. Les femmes, ces « éléphantes », élèvent tous les enfants des autres et prennent soin les unes des autres, comme des sœurs39. Quand on l’interroge à ce propos, Milena Agus précise ce qu’est pour elle ce rapport entre femmes : « Il me semble qu’il y a une façon purement féminine d’être solidaires. Elle ne ressemble pas à la solidarité entre hommes. C’est une façon liée à la vie quotidienne, aux besoins primaires des êtres humains. Je pense surtout à ce ‘Tu as mangé40 ?’ ». Ainsi la solidarité entre femmes constitue-t-elle l’antidote pour vaincre la douleur quand les circonstances empêchent que les rêves ne se réalisent.

Le lieu par excellence de l’expression et de la résolution de la souffrance est l’écriture, pour les personnages des romans comme pour Milena Agus elle-même :

Une fois que j’ai utilisé le suicide pour un personnage, je ne peux ensuite plus l’utiliser pour moi et écrire devient aussi une façon de sauver ma peau, […] moi, sans l’écriture, je ne tiendrais pas le coup […], je n’ai pas un instinct de préservation énorme. Mais il y a les personnages de mes romans, ceux qui tiennent le coup, qui choisissent de vivre, qui me disent : « stop, arrête-toi, tu ne vas tout de même pas partir en douce41 ».

La protagoniste de MDP a inventé une histoire d’amour qui l’a sortie de la dépression car elle a fini par croire en ce grand amour romantique né sous sa plume. La jeune narratrice de BDA tient un journal qui la guérit de l’angoisse car elle y raconte les choses comme elle voudrait qu’elles soient :

Jette tes peurs sur le papier, tu verras qu’elles disparaîtront (…) Un philosophe a dit que les plus belles histoires arrivent à ceux qui savent d’abord se les raconter ». Depuis ce moment-là, je tiens mon journal, et je ne raconte jamais les choses comme elles sont vraiment, mais comme j’espère qu’elles se passent. Ça m’a tranquillisée et ça m’a guérie de ma constipation42.

Simoneta Crippa note à raison que le suicide du père de la narratrice « aura fait un trou dans sa vie, un trou sans doute impossible à combler. Sinon par l’écriture43 ». Car SDD est un roman sur le pouvoir de l’écriture et de la littérature qui apporte leur revanche aux faibles, aux perdants. Toutefois loin de se limiter au moyen d’échapper à l’enfermement, la question de l’écriture ouvre un nouveau niveau d’analyse puisqu’elle s’étend aux procédés narratifs.

3. Procédés narratifs et littérature

Les instances narratives, en tout premier lieu, servent les moyens que les femmes ont de dire, transformer ou réélaborer l’enfermement.

Quatre des narrateurs des cinq romans examinés sont des personnages de narratrices ayant entre quatorze et vingt-cinq ans, femmes témoins de la souffrance des femmes. « La narratrice ? Une jeune Sarde qui ouvre les tiroirs à secrets de ses aïeules, découvre leurs drames cachés et leurs rêves meurtris, libère les histoires qui courent et qui s’enroulent d’une génération à l’autre, d’une vie à l’autre, d’une grand-mère à l’autre », résume Angèle Paoli au sujet de MDP44. La position de spectatrice empathique de la lycéenne de QRD l’aide par exemple à prendre conscience d’elle-même et à se positionner. Dans CDR, il s’agit d’une étudiante qui réside en face du palais où vivent les trois protagonistes, tandis que l’étudiante de SDD occupe l’appartement intermédiaire entre ceux d’Anna et de Mr. Johnson. Une position d’observatrice qui permet à Milena Agus d’élaborer une pensée de l’intime des femmes en abordant des problématiques telles que la peur de ne plus éprouver de plaisir à la ménopause, l’absence de désir sexuel, les relations mère-fille et fille-mère, l’arrivée des règles, les fausses-couches. Dans une interview, l’écrivaine justifie son choix de jeunes narratrices de la façon suivante :

Le choix du point de vue de jeunes femmes naît de la plus grande connaissance que j’ai du monde féminin ; les hommes, même si je les aime, restent mystérieux pour moi. Et puis le fait que le point de vue soit celui d’une jeune femme me donne la possibilité de me lancer à dire n’importe quelle chose extravagante, absurde, mielleuse ; j’ai comme l’impression qu’on pardonne tout aux jeunes. Voilà, le point de vue d’une jeune me donne plus de liberté45.

L’auteure choisit de faire de ses narratrices des écrivaines. Dans MDP, elle peut ainsi brouiller les pistes de la narration qui s’articule en trois temps. Dans le premier, la narratrice met en forme le récit de sa grand-mère : récit oral (récit de l’enfance) et écrit (dans un carnet retrouvé par la narratrice après la mort de son aïeule). Dans le second temps, la narratrice met en forme le récit que ses grand-tantes avaient fait à sa mère : récit oral qui avait révélé la véritable histoire de l’enfance de la grand-mère (sans prétendants, « folle »). Dans le dernier temps, la narratrice recopie la lettre trouvée du Rescapé, le grand amour romantique de la grand-mère. Cette lettre nous apprend que leur histoire d’amour n’était en réalité qu’une fiction littéraire. Le personnage de la jeune narratrice qui prend la plume permet par conséquent à Milena Agus d’élaborer une réflexion sur le récit, la fiction et la réalité à travers des narrations féminines rapportées46.

Le procédé adopté dans SDD est celui de deux narratrices emboîtées : Alice, l’étudiante-témoin, fait le récit de la vie d’Anna jusqu’à sa mort, puis reprend la plume après sa mort, tandis que Alice l’étudiante-écrivaine invente une suite heureuse à l’histoire d’Anna, si celle-ci avait survécu. « Si elle lance cette promesse de longue vie à son amie mourante Anna : ‘J’écrirai un roman sur toi ’, c’est aussi ce roman-là que le lecteur est en train de lire. Voilà que le texte, déjà sens dessus dessous, ouvre à une mise en abyme dans les règles de l’art romanesque […]47 ». S’offre alors à nous une réflexion sur la fonction de la fantaisie, de l’imagination, de la littérature qui console d’une vie tragique et de la perte. C’est Alice au Pays des Merveilles48.

Le ton adopté par Milena Agus dans ses romans est tout à fait étonnant : les narratrices, loin de se vivre comme des victimes, réalisent une mise à distance du tragique, du drame, grâce à l’humour et la tendresse. Dans QRD, pour décrire le sado-masochisme de la lycéenne, le ton est cru, acide et poétique à la fois. MDP voit un glissement du ton tragique (lorsqu’il est question de la vie de la protagoniste jeune fille) vers le comique : la jeune femme dérangée a été guérie par l’écriture, la maternité, la bonté de son mari. La tension entre le tragique et le comique repose dans BDA sur un style d’écriture adapté à une narratrice de quatorze ans et à la simplicité des personnages. La naïveté trompeuse est un voile doux permettant de parler de choses tragiques, de sorte que le ton est en réalité subversif, bien que la tendresse pour les personnages écarte toute amertume. C’est la même tendresse que l’on retrouve dans CDR : Milena Agus y déploie une double tension qui devient la marque de son écriture : elle alterne des passages tendres et des passages durs d’une part, et décrit des événements tragiques avec un ton léger d’autre part49. SDD, roman qui interroge sur la nature de la normalité, de l’ordre, donne naissance à des personnages loufoques ; l’écriture, dont la fonction, pour la narratrice, est de consoler de la perte, doit amener le rire, l’humour. Dans cette ode à l’amour hors norme et à l’anticonformisme, l’auteure s’amuse surtout des fantasmes sexuels de ses personnages. En somme, les romans connaissent une évolution de l’acidité, de la dureté, vers plus d’ironie, d’humour et de tendresse, évolution dont on peut se demander si elle n’est pas liée aux solutions apportées à la question de l’enfermement. Ainsi SDD est-il à bien des égards le roman le plus ouvert, en ce sens qu’il traite la question de l’amour passion, conjugal, filial, parental, amical50. Partant, on voit que les romans de Milena Agus ne sont pas de simples romans sentimentaux, car la langue, le style et le ton constituent une approche insolite et riche des problématiques féminines. Certes, les procédés narratifs servent un regard neuf sur un monde féminin : ils déploient un imaginaire qui recrée, invente ce qu’est une vie de femme dans un univers singulier, différent. Mais jusqu’à quel point ?

Considérant que l’amour est toujours déçu, qu’il ne peut trouver un aboutissement heureux, hors mariage ou dans le cadre de celui-ci51, et que la femme ne peut par ailleurs vivre sans l’amour de l’homme, n’assistons-nous pas aux variations de la plainte de la mal-aimée qui, aujourd’hui, n’a plus rien de subversif ? Milena Agus nous enferme-t-elle dans cette plainte intime ou dévoile-t-elle au contraire la subordination du féminin à « l’ordre masculin » ? La lecture que Nicole Garcia fait du personnage de MDP, son « impression qu’elle contourne toutes les soumissions dans lesquelles la société très normative dans laquelle elle se trouve la contraint », ne force-t-elle pas la dimension transgressive du roman52 ?

Peut-être peut-on chercher une réponse du côté du projet de société qui semble se dessiner à travers le récit de tous ces échecs : celui d’une société de femmes où règnent le sentiment maternel élargi, le care53, la solidarité. Maria Bonaria Urban note à juste titre :

Ses personnages, surtout, entrent en conflit avec l’imaginaire traditionnel de l’épouse et de la mère, cela se réalise […] dans La comtesse de Ricotta, à travers des formes de solidarité et de « confiance » féminine qui dessinent un possible dépassement de l’ordre symbolique masculin54.

Encore une fois, on frôle le paradoxe. Le dépassement des contraintes sociales par un sens de la maternité différent de la maternité traditionnelle, la valorisation des spécificités de genre, sont les prémisses d’un rejet d’un imaginaire féminin forgé par le désir masculin. Mais on n’en reste pas moins enfermé dans le maternel, dans l’entre-femmes coupé du reste du monde : message de femme à femme, qui écarte l’homme et dit l’amour de « la pareille ».

La seule réelle issue possible semble donc être l’écriture. Milena Agus propose-t-elle une autre inscription du féminin dans la littérature ? Du point de vue des personnages, nous l’avons vu avec MDP et SDD, l’écriture sauve et console. Du point de vue narratif, l’écrivaine évite d’apporter une solution à la problématique, imaginant souvent un final qui est un coup de théâtre, voire un pied de nez55. C’est donc dans l’écriture de Milena Agus elle-même que la problématique de l’enfermement des femmes trouve son ultime réponse : les dispositifs et procédés narratifs sont autant d’explorations sur le jeu entre réalité et fiction. La littérature ouvre un univers des possibles, comme en témoigne la jeune narratrice de BDA :

D’après ma tante, qui cite Walter Benjamin […] quand j’écris, je fais quelque chose de très important. Je m’explique […] Autrefois, […] chaque créature était naturellement consciente de sa propre signification et remplissait son rôle […] Quand l’homme est apparu, il a nommé les choses et les a privées de cette signification. Les écrivains comme moi, dit ma tante, sauvent les créatures de ces limitations. Le poète cherche les mots pour redonner à l’arbre cette signification perdue56.

Bibliographie

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Barghetti Marica, Enciclopedia delle donne, http://www.enciclopediadelledonne.it/biografie/milena-agus/.

Barile Laura, « Fame d’amore », L’indice dei libri del mese, juillet 2005. CRIPPA Simona, Diacritik du 26 septembre 2017, https://diacritik.com/2017/09/26/sardaigne-sens-dessus-dessous-les-doux-farfelus-de-milena-agus/.

Deleuze Gilles, Présentation de Sacher-Masoch, Le froid et le cruel, Les éditions de Minuit, Paris, 1976.

D’Orrico Antonio, interview de Milena Agus, Il corriere della sera magazine, 2 août 2004.

Gilligan Carol, Une Voix différente, Pour une éthique du care, Flammarion, Champs Essais, 2008 [In a Different Voice, 1982].

Pages Frédéric, « Il pleut toujours et c’est mouillé », Le Canard enchaîné, 25 mai 2016.

Paoli Angèle, Terres de femmes, 13e année, n° 156, novembre 2017, http://www.terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2007/03/milena_agusmal_.html.

Urban Maria Bonaria, « Donne e madri ne La contessa di Ricotta di Milena Agus », in La letteratura italiana e il concetto di maternità, sous la direction de Lucy Delogu, Venezia, Ca’ Foscari, série Innesti Crossroads, n° 7, p. 29, http://www.academia.edu/199626159/Donne_e_madri_ne_la_contessa_di_ricotta_di_Milena_Agus_in_Lucy_Delogu_ed_La_letteratura_italiana__e_il_concetto_di_maternità._Venezia-CaFoscari_serie_Innesti_Crossroads_n._ 7_2015_pp._25.32.

Notes

1 La romancière est née en 1959 à Gênes d’une famille sarde. Elle est professeure d’italien et d’histoire et enseigne à Cagliari dans un institut technique. Retour au texte

2 Quand le requin dort, Paris, éd. Liana Levi, 2010 (Mentre dorme il pescecane, Roma, Nottetempo, 2005) ; Mal de pierres, Paris, éd. Liana Levi, 2007 (Mal di pietre, Roma, Nottetempo, 2006) ; Battement d’ailes, Paris, éd. Liana Levi, 2008 (Ali di babbo, Roma, Nottetempo, 2008) ; La comtesse de Ricotta, Paris, éd. Liana Levi, 2012 (La contessa di Ricotta, Roma, Nottetempo, 2009) ; Sens dessus dessous, Paris, éd. Liana Levi, 2016 (Sottosopra, Roma, Nottetempo, 2011). Retour au texte

3 Nous utiliserons désormais SDD pour le roman Sens dessus dessous. Retour au texte

4 « Je n’aimais pas son père […] je faisais tout pour entrer dans cette chaussure trop petite qu’était le mariage. […] Le seul qui a été sérieux avec moi était le seul qui ne me plaisait pas du tout, j’avais trente-cinq ans, et pour une vie normale, il était déjà tard », SDD, p. 109-110. Retour au texte

5 Nous utiliserons désormais BDA pour le roman Battement d’ailes. Retour au texte

6 Dans Terres de femmes, 13e année, n° 156, novembre 2017, http://www.terresdefemmes.blogs.com/mon_weblog/2007/03/milena_agusmal_.html. Retour au texte

7 BDA, p. 69-70. Retour au texte

8 Une enquête du Sardinian Socio-Economic Observatory révèle qu’entre 2004 et 2014 le nombre de mariages en Sardaigne a baissé de 31 %, et que le quotient de mariages, de 2.9 pour mille, est parmi les plus bas d’Europe. https://seosardinia.wordpress.com/2016/03/15/matrimoni-il-processo-di-secolarizzazione-insardegna/. Retour au texte

9 Noémie de CDR en est le meilleur exemple. Nous utiliserons désormais CDR pour La comtesse de Ricotta. Retour au texte

10 Nous utiliserons désormais QRD pour le roman Quand le requin dort. Retour au texte

11 « Mais elle était lente […] souvent elle se prenait les pieds dans les chaises ou bien elle tombait de l’échelle […] Elle se sentait coupable et, avec une docilité de plus en plus exaspérante, ne demandait jamais ses vacances en août », QRD, p. 18. Retour au texte

12 Le titre du roman fait référence à la baleine dans Pinocchio, qui est, dans l’œuvre de Carlo Collodi, un requin. Retour au texte

13 QRD, p. 54. Retour au texte

14 Dans une interview à Daniela Amenta, Il giornale di Sardegna, 06 juin 2005. Retour au texte

15 SDD, p. 67. Retour au texte

16 BDA, p. 52. Retour au texte

17 Terme gardé dans le titre français, mais nous dirions « de beurre ». Retour au texte

18 « La contessa esprime al meglio l’universo femminile di Milena popolato di donne a cui manca sempre qualcosa, fino a risultare goffe e marginali. La contessa ha persino “le mani” e “il cuore di Ricotta”, è una donna goffa e triste, l’unica ad avere un figlio ma sempre insicura e inadeguata al mondo in cui vive. » Enciclopedia delle donne en ligne, http://www.enciclopediadelledonne.it/biografie/milena-agus/. Retour au texte

19 CDR, p. 89. Retour au texte

20 « La solidarietà con i diversi, con chi non si adatta al mondo cosi’ com’è, l’impossibilità di una divisione decisa fra il bene e il male, […] l’antipatia per chi non ha dubbi. Io pero’ ho bisogno di far vincere in qualche modo questi perdenti, diversi, disadattati », Maria Bonaria Urban, « Donne e madri ne La contessa di Ricotta di Milena Agus », dans La letteratura italiana e il concetto di maternità, sous la direction de Lucy Delogu, Venezia, Ca’ Foscari, série Innesti Crossroads, n° 7, p. 29. http://www.academia.edu/199626159/Donne_e_madri_ne_la_contessa_di_ricotta_di_Milena_Agus_in_Lucy_Delogu_ed_La_letteratura_italiana__e_il_concetto_di_maternità._VeneziaCaFoscari_serie_Innesti_Crossroads_n._7_2015_pp._25.32. La traduction en français des analyses italiennes est de l’auteure de l’article. Retour au texte

21 « Parfois le manque d’amour réveille Madame en pleine nuit, elle se rappelle qu’elle est seule et elle a l’impression d’étouffer […], l’amour qui n’est pas là lui coupe le souffle », BDA, p. 73. Retour au texte

22 SDD, « Elle prend le premier péquin venu pour le prince charmant […] c’est toujours elle qui raque. A un moment donné elle finit par faire les courses pour ses amants, par leur acheter leurs slips et leur chaussettes », p. 42. « Mr. Johnson sera son prochain bourreau, et elle l’accueille en se laissant caresser », p. 45. Retour au texte

23 Le Canard enchaîné, 25 mai 2016. Retour au texte

24 Nous choisissons ici l’orthographe que Gilles Deleuze, réfutant la fausse unité sado-masochiste, instaure dans Présentation de Sacher-Masoch, Le froid et le cruel, Les éditions de Minuit, Paris, 1976. Retour au texte

25 QRD, p. 49. Femme de 60 ans, Madame se prête également à ces pratiques avec les promoteurs : ses tortionnaires […] la frappaient partout tandis qu’elle pleurait et leur disait de continuer parce qu’elle n’était pas allée à l’école, parce que personne ne l’avait jamais aimée […]. Le fantôme et ses amis viennent battre Madame quand elle les appelle parce qu’elle est triste et qu’elle se sent inadaptée à la vie », BDA, p. 92-94. Retour au texte

26 Nous utiliserons désormais MDP pour le roman Mal de pierres. Retour au texte

27 MDP, p. 84-85. Retour au texte

28 MDP, p. 89. Retour au texte

29 Les nombreux personnages de femmes aux multiples amants ne cherchent pas à répondre à leur besoin érotique, tel Madame de BDA : « Dans les hôtels où elle travaillait, elle faisait aussi la pute, par pour l’argent, elle se donnait simplement à tous les hommes et de la façon qu’ils préféraient […] grand-père dit que Madame déjoue la mort à sa façon, mais c’est trop difficile à comprendre quand on est pas à sa hauteur », BDA, p. 60-61. Retour au texte

30 « Il a fait l’amour avec des étrangères […] sûrement capables de déboucher une bouteille avec leur vagin […] tandis que Madame […] ne sait faire que des choses très simples et pour le moment Giovanni a envie d’elle, mais il est clair que tôt ou tard, tout ce dont il avait l’habitude va lui manquer », BDA, p. 150. Retour au texte

31 « C’est terrible de n’être jamais touché. Maman, par exemple […]. Je sais qu’elle est encore jeune, que papa n’est plus là et que c’est l’amour qui l’a mise dans cet état », BDA, p. 106. Retour au texte

32 La mère de la narratrice de SDD avait commencé à se comporter bizarrement quand elle avait appris que son mari la trompait, et, à la mort de ce dernier, elle avait complètement perdu la raison. Retour au texte

33 L’actrice Marion Cotillard ne s’y trompe pas quand elle explique ce qu’elle a aimé dans ce personnage qu’elle interprète dans le film Mal de pierres de Nicole Garcia en 2016 : « Une femme qu’on enfermait dans un milieu sans respecter son désir et sa passion et à quel point ça pouvait mener à une certaine forme de folie ». Conférence de presse, Cannes 2016, https://www.youtube.com/watch?v=gvZKI6wFlT8. Retour au texte

34 MDP, p. 33. Retour au texte

35 BDA, p. 47. Retour au texte

36 Milena Agus précise : « J’ai un amour extraordinaire pour ce qui est maternel, mais je ne le lie pas à la maternité naturelle. Dans mes livres il y a toujours une femme qui prend amoureusement soin des enfants d’une autre, ou une vraie mère qui ne sait l’être », « Io ho un amore straordinario per cio’ che è materno, ma non lo lego alla maternià naturale. Nei miei libri c’è sempre qualche donna che si prende cura amorosamente dei figli di un’altra, o qualche vera madre che non sa esserlo », Maria Bonaria Urban, op. cit, p. 30. Retour au texte

37 SDD, p. 46-47. Retour au texte

38 « Ma tante a beau être irrésistible, elle n’a jamais eu de mari ni d’enfants. Je me dis quelquefois qu’elle est née pour être la maman de tout le monde et l’épouse de tous, et c’est pour ça qu’elle n’a pas de vraies choses à elle », QRD, p. 24. Retour au texte

39 Pendant la guerre, la protagoniste de MDP avait découvert leur sollicitude : « Grand-mère était restée amie avec ses voisines de la rue Sulis pendant toute sa vie, et toute la leur […] elles se sont tenu compagnie, jour après jour, un peu par la force des choses. […] elles se retrouvaient à la cuisine […] et si grand-mère n’était pas bien, elles lavaient aussi la sienne, de vaisselle, mischinedda, la pauvre », BDA, p. 23. Retour au texte

40 40 « Mi sembra ci sia un modo squisitamente femminile di essere solidali. Non assomiglia alla solidarietà fra maschi. E’ un modo legato alla quotidianità, alle esigenze primarie degli umani. Quel “ hai mangiato ? ”, ce l’ho ben presente », Maria Bonaria Urban, op. cit., p. 30. Retour au texte

41 « Una volta usato il suicidio per un personaggio poi non posso più usarlo per me e allora scivere diventa anche un modo per salvarmi la pelle […] io, senza la scrittura, non ce la farei […] non ho un enorme istinto di conservazione. Ma poi ci sono i personaggi dei miei romanzi, quelli che ce la fanno, che scelgono di vivere, che mi dicono : ‘ferma li’, non è che te ne vai alla chetichella », en réponse aux questions d’Antonio D’Orrico dans Il corriere della sera magazine, 2 août 2004. Retour au texte

42 BDA, p. 66-67. Retour au texte

43 Simona Crippa, revue Diacritik du 26 septembre 2017 : https://diacritik.com/2017/09/26/sardaigne-sens-dessus-dessous-les-doux-farfelus-de-milena-agus/. Retour au texte

44 Dans la webrevue de poésie et de critique Terres de femmes, art. cit. Retour au texte

45 « La scelta del punto di vista di donne giovani nasce dalla conoscenza maggiore che ho del mondo femminile, i maschi, anche se amati, rimangono per me misteriosi. Il fatto poi che il punto di vista sia quello di una giovane mi dà la possibilità di lanciarmi a dire qualunque stravaganza, assurdità, mielosità ; ho l’impressione che ai giovani si perdoni tutto. Ecco, il punto di vita giovane mi dà più libertà », Maria Bonaria Urban, op. cit., p. 28. Retour au texte

46 Le film de Nicole Garcia ne rend pas compte de cette complexité et de cette richesse. Retour au texte

47 Simona Crippa, revue Diacritik du 26 septembre 2017, https://diacritik.com/2017/09/26/sardaigne-sens-dessus-dessous-les-doux-farfelus-de-milena-agus/. Retour au texte

48 « Tu veux écrire, et tu t’appelles Alice, en plus, écris donc tes aventure “au pays des merveilles” », lui conseille une autre femme à la fin du roman, SDD, p. 146. Retour au texte

49 Les scènes de sado-masochisme elles-mêmes sont décrites « avec calme et une candeur impassible dans un registre vaguement enfantin », « descritti con calma e impassibile candore in un resgistro vagamente infantile ». Laura Barile, « Fame d’amore », L’indice dei libri del mese, juillet 2005. Retour au texte

50 Sans aller jusqu’à penser que « c’est en effet sur ce sujet que Milena Agus bouscule les codes de l’Italie bien-pensante enfermée entre la famille et l’Église », Simona Creppa n’a pas tort de noter que « ses farfelus qui voient et vivent le monde à l’envers sont là pour déranger les idées reçues […]. On peut aimer un homme de 70 ans, divorcé, qui lit des revues pornos […] on peut aimer une femme de 65 ans désargentée, « racornie » […] on peut aimer un enfant né du ventre d’une autre femme si on ne peut avoir d’enfant soi-même : femme ou homme […] on peut désirer changer de sexe pour que l’homme qu’on aime nous aime une fois devenu(e) homme […] », Simona Crippa, art. cit. Retour au texte

51 Que la femme soit mariée au mauvais homme, qu’elle n’arrive pas à se faire épouser, qu’elle ne parvienne pas à avoir d’enfant de son mari, ou enfin du fait de l’incapacité à accepter l’amour par inaptitude à la vie. Retour au texte

52 Conférence de presse, Cannes 2016, https://www.youtube.com/watch?v=gvZKI6wFlT8. Retour au texte

53 Les théories ou philosophies dites « du care » trouvent leur origine dans une étude publiée par Carol Gilligan en 1982 aux Etats-Unis In a different voice, traduit en français en 2008 sous le titre Une Voix différente. Pour une éthique du care, Flammarion, Champs Essais. Gilligan établit le nouveau paradigme moral du care comme « capacité à prendre soin d’autrui », « souci prioritaire des rapports avec autrui », p. 37. Retour au texte

54 « I suoi personaggi, soprattutto, entrano in conflitto con l’immaginario tradizionale della moglie e della madre, ciò si realizza compiutamente […] ne La contessa di Ricotta, attraverso forme di solidarietà e ‘l’affidamento’ femminile che delineano un possibile superamento dell’ordine simbolico maschile ». Maria Bonaria Urban, op. cit, p. 27. Retour au texte

55 Le meilleur exemple nous est offert par la tante de QRD, dont les rêves d’amour sont toujours déçus, et qui connaît un destin heureux fort improbable : elle épouse le père de la narratrice afin que la petite Sud-Américaine que la famille accueille puisse rester en Italie. Ce final est si peu crédible qu’il dessine comme le clin d’œil espiègle que l’écrivaine lance à son lecteur, autre marque de son écriture. Retour au texte

56 BDA, p. 67. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Sandra Bindel, « La littérature de l’intime féminin : enfermement ou rupture ? Le cas de Milena Agus », Textures, 23 | 2018, 161-173.

Référence électronique

Sandra Bindel, « La littérature de l’intime féminin : enfermement ou rupture ? Le cas de Milena Agus », Textures [En ligne], 23 | 2018, mis en ligne le 23 janvier 2023, consulté le 21 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/textures/index.php?id=195

Auteur

Sandra Bindel

Université Lumière Lyon 2

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