Dans le cadre de notre thématique « Genre et enfermement : contrainte, dépassement et résistance », nous souhaitons interroger l’espace de la maison, en tant que lieu physique, topos et métaphore de l’enfermement, à travers un cas de littérature italienne : le roman La casa nel vicolo1 de l’écrivaine sicilienne Maria Messina (Palerme 1887 – Pistoia 1944). L’auteure, qui publie entre 1909 et 1928 à l’adresse de deux types de public, le lecteur adulte et la jeunesse, fait occuper à la maison une place d’honneur au sein de la topographie de son œuvre : il s’agit du lieu privilégié de l’action narrative de ses romans et de ses nouvelles, ainsi qu’un des thèmes les plus ancrés dans son propre imaginaire.
Dans le roman, paru en volume en 1921, réédité en Italie à partir des années 1980 et traduit en langue française en 1986 par Actes Sud sous le titre La maison dans l’impasse, la maison se constitue comme l’espace et le temps de l’enfermement des personnages, qui pourtant éprouvent pour cette « prison » un attachement viscéral. Il est donc intéressant de s’interroger sur le mécanisme de représentation du roman qui fait de la maison à la fois le lieu de la ségrégation du féminin et la dimension spatiale et temporelle nécessaire pour se définir.
Les deux sœurs protagonistes, Antonietta et Nicolina, mènent en effet dans La casa nel violo une existence marquée par l’enfermement : le partage d’un espace clos, dont la seule ouverture donne sur la « ruelle étranglée2 » d’une « impasse », comme l’annonce le titre du roman. L’action narrative se limite quasiment à l’intérieur de la maison de don Lucio Carmine, un usurier de la petite ville de Messina, dans la province sicilienne. L’homme est le mari d’Antonietta et le beau-frère de Nicolina ; il exerce, en tant que pater familias, son autorité absolue sur les membres de la famille : il gouverne leurs habitudes et leurs relations, il leur attribue des rôles. Son mariage avec Antonietta se transforme en un ménage à trois lorsqu’il décide de faire de sa belle-sœur Nicolina sa maitresse, après avoir abusé d’elle. Incapables de s’opposer à la volonté de don Lucio, les deux femmes s’adaptent à la nouvelle situation familiale : elles demeurent ensemble dans l’espace de la maison, chacune avec son chagrin et sa rancœur. La soumission, l’incompréhension et la solitude qui les atteignent les transforment en deux prisonnières ennemies. Alessio, le fils ainé de Don Lucio et d’Antonietta, est le spectateur privilégié de ce drame et le seul personnage qui cherche à éveiller le désir de bonheur et le besoin de liberté des deux victimes. Par un geste extrême, le suicide, il trouble pour un instant l’ordre et le silence de la maison dans l’impasse, sans réussir, pour autant, à la bouleverser. Le roman se conclut en effet par le retour des « journées toutes semblables3 » qui rythment implacablement la triste existence d’Antonietta et de Nicolina.
1. La maison comme espace de la domination
Dans le roman, la maison assume la fonction d’« espace-sujet », d’« espace-acteur4 » parce qu’elle fait exister les personnages et l’action et structure le récit ; deux grandes parties le constituent, dont la césure tragique correspond à l’épisode du viol de Nicolina. La première partie introduit les personnages et le lecteur dans l’espace fictionnel qui représente tout l’environnement social et culturel des deux femmes ; le narrateur extradiégétique et à focalisation zéro retrace l’histoire des deux sœurs à partir de leurs souvenirs d’enfance qui se déroulent dans la maison paternelle jusqu’au déménagement dans celle de don Lucio ; ce moment marque le passage de l’épouse Antonietta à l’âge adulte. Dans la deuxième partie du roman, on voit le changement intervenu au sein du système familial après le viol de Nicolina, à savoir le changement de nature de la maison-prison de « couvent » à « harem », et ses conséquences dans les rapports entre les deux femmes.
Le lecteur est plongé dès l’incipit dans un lieu sombre et étouffant où les habitants mènent une existence réglée par l’ordre et l’habitude afin de respecter la volonté de don Lucio. On observe avant tout l’exercice du pouvoir que l’homme pratique au quotidien pour affirmer son autorité conformément aux idées dominantes : il soumet les membres de sa famille à sa volonté et à ses obsessions. La maison devient ainsi le « territoire » où se manifestent la possession, la division et l’organisation par l’homme de tout ce qui l’entoure. À travers le passage sémantique des signes textuels5 entre les objets et les personnes, on voit le rapport existant parmi « les biens » de don Lucio : il crée une équation entre les meubles de la maison et les femmes6. Tous les objets qu’il possède sont en outre bien ordonnés :
Tout était en ordre dans ses papiers, comme dans toutes ses affaires. Eh oui ! toutes ses affaires ! Il avait une petite tablette où il posait sa pipe, son tabac, ses allumettes ; une boîte où il rangeait ses chaussures neuves […] et une pour les usagées ; et aussi une boîte ronde pour les cols, une ovale pour les cravates… Et puis, une étagère pour ses papiers, une petite armoire pour les clés. Les boîtes étaient rangées par taille dans un placard7.
Cette attitude consistant à séparer chaque « chose » et à lui assigner une place exprime une forme d’obsession affectant le personnage. La présence de toutes ces boites – mais aussi de « la petite tablette », de « l’étagère » et de « la petite armoire » et du « placard » – où don Lucio a l’habitude de ranger ses objets, témoigne de son « besoin de secrets ». Quand Gaston Bachelard décrit dans La poétique de l’espace « la maison des choses », il la met en relation avec « l’esthétique du caché », en affirmant que « le caché dans l’homme et le caché dans les choses relèvent de la même topo-analyse8 ». Don Lucio cache dans ses tiroirs les preuves de son activité d’usurier, à savoir les gages de ses clients, dont la découverte par les autres pourrait détruire son image de protecteur de la morale familiale. Toutes ces boites contribuent donc à montrer l’homme comme le « centre d’ordre qui protège toute la maison contre un désordre sans borne9 » ; il apparait ainsi aux yeux des membres de la famille comme le gardien d’un système qui, pour être intouchable, doit rester immuable. Le patriarcat assumé a dans le roman son sens propre de structure organisatrice, fondée sur la puissance paternelle.
L’homme accompagne le bon ordonnancement des choses, de l’enchainement uniforme et rythmé des gestes et des rites du quotidien familial. Le temps de l’action se construit sur des épisodes itératifs qui traduisent la volonté de don Lucio d’empêcher l’irruption de l’imprévu. Hanté par l’idée d’un quelconque changement, l’homme impose à son entourage des moments tous semblables. Cela marque la répétitivité du temps de l’histoire et fait apparaître la maison dans l’impasse comme un « lieu protégé de la monotonie disciplinaire10 ». C’est à travers ces mots que Michel Foucault définit dans Surveiller et punir la « prison » : la répartition, l’ordre, la répétitivité et l’immobilisme de l’espace et du temps constituent une véritable « discipline » nécessaire au déploiement du pouvoir du dominant et à son contrôle sur les autres.
Le mouvement semblable du temps de l’action affecte aussi le temps intime des personnages : leur existence est immobilisée entre le souvenir-regret d’un passé perdu, leur impossibilité de vivre le présent et le sentiment d’un futur niant tout changement. À bien des égards don Lucio est le premier des personnages « bloqués » du roman dans l’espace ainsi que dans le temps : dans une impasse. Le narrateur informe le lecteur que l’homme a vécu un passé triste dans la pauvreté matérielle et affective et qu’il souffre de la peur d’une perte renouvelée. Parallèlement don Lucio craint le futur, le temps de la vieillesse et de la mort ; ceci détermine la jalousie que l’homme ressent envers la nouvelle génération représentée par son fils Alessio. Père et fils entretiennent un rapport conflictuel qui sera la raison principale du suicide de l’enfant11.
Il est intéressant de remarquer que Maria Messina étudie le problème de l’abus du pouvoir s’exprimant dans le système patriarcal du point de vue du dominant, et non pas seulement de celui des victimes. Elle nous fait comprendre que l’espace clos de la maison est « un corps d’images qui donnent à l’homme des raisons ou des illusions de stabilité12 ». Cette « stabilité » est assurée non seulement au bourreau mais aussi aux victimes de l’enfermement.
2. La maison comme espace de la soumission
Dans le roman de Maria Messina, la maison assure la supériorité de l’homme sur les femmes, mais elle acquiert également une valeur identitaire pour elles en tant que seule dimension topographique, sociale et interrelationnelle possible. On y détermine en effet leurs rôles et leurs occupations, en les situant au sein de ce qui représente le seul ensemble d’individus dont elles font l’expérience, à savoir la famille. Par conséquent, à la maison comme espace de la domination de l’homme, correspond la maison comme espace de soumission des femmes, qui n’est que leur disposition à accepter leur dépendance de l’homme.
Pour Antonietta et Nicolina, l’impossibilité de toute tentative de refus de leur asservissement problématise le processus d’intériorisation de leur différence par rapport à don Lucio ; leur histoire montre que le patriarcat résiste en elles en tant que seule forme d’organisation sociale et code de vie. Cela transparait dans le texte à travers l’insistance sur l’immutabilité et l’immobilité de l’espace et du temps : le narrateur raconte en effet les habitudes « grises », « méthodiques » et « mécaniques » du quotidien des deux femmes, ainsi que l’angoisse qui accompagne chacun de leur geste, de leur mouvement et de leur déplacement.
Cet ensemble des manifestations assure la « perpétuation des rites de fermeture13 » : Antonietta et Nicolina se plient à une discipline qui conditionne leur esprit au point de faire apparaître la liberté comme naturellement impossible. Leur renoncement à toute tentative d’abandon de l’état d’asservissement révèle en effet le processus d’« intériorisation14 » de l’esprit de clôture, qui n’est que l’intériorisation de leur infériorité. C’est pour cette raison que, selon nous, les deux femmes vivent dans un rapport ambigu et irrésolu entre l’ordre et la liberté15. Elles ne peuvent ni choisir leur propre espace, ni leur propre temps et pourtant elles arrivent à se définir seulement dans leur maison-prison.
Le narrateur cherche à comprendre l’origine du processus d’intériorisation de l’esprit de clôture à travers le récit de leur passé : l’analepse qui intéresse la première partie du roman montre à quel point la vie d’Antonietta et de Nicolina a été, depuis toujours, une vie casanière. C’est l’habitude « contractée, acquise et devenue disposition durable16 », en constituant « un trait17 » de caractère du sujet, à garantir, dans le présent de la narration, la permanence du modèle de la femme inexorablement liée à la maison. Le modèle nait des normes et des pratiques culturelles et sociales qui demeurent encore bien ancrées dans ce début du XXe siècle italien que représente l’œuvre de Maria Messina ; les deux femmes du roman reproduisent donc une norme, en restant attachées à la maison-prison.
Leur attachement est exprimé dans le roman à travers deux métaphores : celle de « l’escargot qui prend la forme de sa coquille18 » sans laquelle il ne peut pas vivre, et celle du lichen attaché à son rocher19. Il s’agit de l’adaptation du sujet à son environnement, mais aussi de son conditionnement ; c’est le châtiment de l’âme qui s’enferme et qui enferme aussi le corps. La maison réduit la subjectivité des deux personnages à une identification sociale intériorisée : les deux femmes se définissent en tant qu’épouse, servante et maitresse de l’homme, et elles cherchent une reconnaissance et une approbation. Don Lucio demeure en effet, même dans son despotisme, la figure masculine forte, le gardien de l’espace et du temps dont elles ont besoin pour exister.
Nicolina reconnaît tout particulièrement la soumission de la femme à l’homme comme la condition de son sexe quand elle affirme que « les femmes sont nées pour servir et pour souffrir20 ». Le rapport maître-esclave entre l’homme et la femme est poussé en suite jusqu’à l’abus du corps de l’esclave par son maître : don Lucio viole sa belle-sœur en conclusion de la première partie du roman. Cela ne touche pas à l’immutabilité du temps et de l’espace de la maison dans l’impasse parce que le viol constitue la dernière étape de l’assujettissement du corps de la victime à la « discipline » de son bourreau : il est le résultat de l’asservissement lent et méthodique exercé par le pater familias sur la femme. Le viol n’est qu’un moment du processus de « domesticité », à savoir de la « domination constante, globale, massive, non analytique, illimité et établi sous la forme de la volonté singulière du maître, son caprice21 ».
Dans la deuxième partie du roman, Nicolina accepte de devenir « la mariée sans alliance22 » de son beau-frère ; cela révèle la signification de l’acte du viol dans la société ici représentée, à savoir celle d’un devoir conjugal. La femme devient la maitresse de don Lucio, afin de répondre à des attentes définies en dehors d’elle. Elle incorpore23 littéralement la domination de l’homme sur elle et s’assure ainsi une place dans la nouvelle configuration du système représenté par la maison-harem, où sa sœur Antonietta demeure l’épouse officielle. L’épisode du viol marque en effet le changement de nature de la maison d’une forme d’enfermement à une autre : entre la première et la deuxième partie du roman, la maison se transforme de « couvent » en « harem ». La naissance du harem24 ne produit pas une véritable réélaboration des pratiques entre l’homme et la femme : le rapport maître-esclave est assuré tout au long du roman. Nous sommes plutôt spectateurs de la réorganisation des rapports entre les deux sœurs, due à la redéfinition des rôles féminins. La réinvention des rapports transforme en effet Antonietta et Nicolina en prisonnières ennemies et les enjoint à contraindre encore plus leur espace. Dans la conclusion du roman nous retrouvons les deux victimes enfermées chacune dans sa propre chambre. Cela est déterminant pour comprendre leur incapacité à émettre une résistance : séparées l’une de l’autre, elles se retrouvent, encore une fois, dans une impasse.
3. Maison d’enfance et résistance
L’enfermement dans l’espace du dedans provoque chez les deux femmes la crainte de l’espace extérieur, ce qui renforce le besoin de l’Autre. La construction de l’espace fictionnel sur l’opposition binaire dedans/dehors reflète « les polarités » du schéma spatial à la base du modèle culturel transposé par Maria Messina dans son roman, à savoir connu/inconnu, permission/interdiction, bien/mal ; cela explique l’interdiction par l’homme mais aussi l’auto-interdiction par les deux femmes de l’espace du dehors.
Il existe toutefois dans le roman un « lieu-seuil » : il s’agit du balcon de la maison dans l’impasse, véritable fenêtre sur le monde pour les deux sœurs, en opposition à l’espace clos et solitaire du dedans ; il leur permet de s’éloigner du quotidien, des habitudes grises et méthodiques de la maison, de la discipline de leur maître. C’est sur le balcon qu’on voit se développer le rapport de consolation qui, dans la première partie du roman, permet aux deux femmes, en quelque sorte, de fuir ensemble la réalité dans le souvenir et dans la rêverie de l’une ou de l’autre. Leur amitié constitue leur force : la solitude partagée est une solitude constitutive contrairement à celle qui les atteindra à la fin de l’histoire.
Le roman commence avec l’image du balcon où la plus jeune sœur Nicolina, vit un véritable moment of being25 :
Nicolina cousait sur le balcon ; elle se hâtait de finir son ouvrage, dans la lumière blême du crépuscule. […] Pour elle c’était l’heure la plus tranquille de la journée : elle avait fini avec les tâches ménagères. Mais c’était aussi un moment de mélancolie. Dans la maison, dans l’air, dans les cœurs, le temps marquait une pause, le silence se faisait poignant. Les rêves, les regrets, les espoirs semblaient alors s’avancer en cortège, dans la lumière incertaine qui baignait le ciel. Et nul n’interrompait les songes vagues, inachevés26.
L’espace raconte l’intimité du personnage : le balcon incarne la chambre à soi27 de Nicolina, à savoir l’espace où la femme peut s’interroger sur elle-même, ses besoins et ses désirs afin de se connaître. Elle retrouve tout particulièrement parmi ses pensées l’image heureuse de sa maison d’enfance ouverte « sur les champs, devant le ciel immense » en opposition à celle de don Lucio, qui est limitée par « la ruelle étranglée, profonde et sombre comme un puits vide28 ». La maison de l’enfance apparaît comme un berceau impérissable et cela souligne la différence et l’impossible conciliation entre l’espace du passé et celui du présent de l’histoire. Le souvenir de la demeure du passé, qui n’existe plus telle qu’elle était, est revécu par le personnage comme une rêverie : une rêverie où on peut se reposer et par le rêve s’évader.
Ce topos perdu bloque Nicolina, mais aussi Antonietta29, dans le passé : la maison d’enfance agit en effet à son tour sur l’enfermement des femmes dans leur vie antérieure, et renforce ainsi leur attachement au lieu domestique à travers le souvenir idéalisant d’un lieu perdu. Comme l’illustre Gaston Bachelard :
Quand, dans la nouvelle maison, reviennent les souvenirs des anciennes demeures, nous allons au pays de l’Enfance Immobile, immobile comme l’Immémorial. Nous vivons des fixations, des fixations de bonheur. Nous nous réconfortons en revivant des souvenirs de protection. Quelque chose de fermé doit garder les souvenirs en leur laissant leurs valeurs d’images. Les souvenirs du monde extérieur n’auront jamais la même tonalité que les souvenirs de la maison. En évoquant les souvenirs de la maison, nous additionnons des valeurs de songe30.
Les deux femmes cherchent donc dans l’espace-temps de la maison du présent à reconstruire l’impossible bonheur du passé, revécu comme un rêve. Cela détermine l’échec des personnages : Antonietta et Nicolina, affirme le narrateur, sont « trompées par la vie » et elles se résignent à la fin à devenir les héroïnes immobiles du monde fatalement inamovible qui les entoure.
Toutefois le retour à l’espace-temps du passé peut être conçu comme une forme de résistance chez les personnages : c’est l’espérance, l’attente de quelque chose de nouveau grâce à ce souvenir que finalement jamais on ne pourra leur retirer. L’espace du balcon en relation avec l’enfance, revient à nouveau à la fin du roman pour marquer la circularité de l’histoire et du récit. Sur le balcon s’installent cette fois deux autres sœurs : les jeunes filles de Antonietta et de don Lucio, Carmelina et Agata ; ces deux personnages, restés dans l’ombre tout au long du roman, prennent la place laissée dans cet espace-limite, où on pouvait s’évader tout en restant enfermé :
Les deux jeunes filles s’attardent un moment sur le balcon, où s’asseyait autrefois tante Nicolina. […] Ce qu’elles pensent et qui gonfle leurs cœurs, qui battent dans les calmes soirées d’été comme de petites feuilles caressées par le vent, est trop vague et doux pour qu’elles puissent l’exprimer […] Elles grandissent comme certaines plantes bizarres et délicates, qui apparaissent entre les lézardes des vieux murs, et que la pluie aura tôt fait abîmer31.
Comme les fleurs capables de pousser là où cela apparaît impossible, Carmelina et Agata symbolisent la vie et aussi l’élan vital de la nouvelle génération dont semble se nourrir l’espoir et naître le seul instant de bonheur du roman offert au lecteur. Il s’agit, encore une fois, du retour à l’enfance, à savoir « aux rêveries qui nous ont ouvert le monde », à la « beauté des images primaires32 ». C’est seulement sur le plan de la rêverie que la fuite des personnages se réalise.
Et pourtant les deux jeunes filles sont aussi les femmes du futur, auxquelles on offrira la possibilité de sortir, peut-être un jour, du « cercle de la vie33 », en délivrant ainsi leur corps et leur âme de la maison-prison. Cela explique l’image d’essor qui clôture le roman et qui contraste avec le mécanisme de représentation de l’enfermement ici analysé, à savoir l’image du « ciel étoilé » sur la tête de Carmelina et Agata : « Don Lucio toussote. Les deux jeunes filles sursautent, et rient aussitôt d’avoir sursauté ; elles se taisent et attendent encore, émues, le cœur battant, tandis que les heures passent, graves et silencieuses, dans le ciel étoilé34 ».
Levons donc les yeux vers ce ciel, semble nous dire Maria Messina.
Conclusion
En conclusion, l’espace fictionnel du roman La casa nel vicolo de Maria Messina relate des valeurs symboliques et idéologiques, comme nous avons essayé de le montrer : la maison sédimente l’identité des femmes dans des rôles, dans des représentations, elle définit le sujet au point de lui faire sentir l’état d’enfermement comme naturel. Dans ce lieu, les normes, les pratiques et l’habitude ont pour effet d’effacer tout désir de liberté. La maison, lieu physique, topos et métaphore de la ségrégation féminine, montre dans le roman la constitution du sujet dans l’attachement aux relations de pouvoir. Michel Foucault a ouvert dans ce sens un nouvel horizon au « sujet » en affirmant : « Il nous faut promouvoir de nouvelles formes de subjectivité en refusant le type d’individualité qu’on nous a imposé pendant plusieurs siècles35 ».
Cela vaut aussi, selon nous, pour le modèle de la femme inexorablement liée à la maison.