Écritures poétiques modernes et dépaysements dans la langue

DOI : 10.35562/textures.246

p. 65-86

Résumé

Cet article tente d’aborder la question du dépaysement dans la langue opéré par l’écriture. La tension possible entre volonté de dire et nécessité d’inventer un nouvel idiome, entre volonté illusoire de se désassujettir de la langue et impossibilité de se départir de la langue, est analysée à la lumière de certaines pratiques d’écriture à même de révéler cette tension. À partir d’une lecture de La Poésie comme expérience, de Philippe Lacoue-Labarthe, et de son commentaire sur Paul Celan, l’article se propose d’interroger ce que la poésie peut faire subir au langage, lorsqu’émerge une parole poétique singulière qui vient creuser son « abîme ». Les possibilités d’émergence d’une parole poétique singulière sont alors interrogées, plus spécifiquement, à la lumière de certaines écritures modernistes anglo-américaines capables de déplacer le sujet de l’écriture dans sa propre langue et de dépayser le lecteur en le confrontant à cette altérité ou en créant un espace où la discontinuité et la dissonance du « discours » mettent en péril toute forme d’ancrage. Une brève analyse d’un texte de Gertrude Stein extrait de Tender Buttons, tente de mettre en évidence une tension entre attention portée à la grammaire et désir d’un rapport au signifiant en tant que pur matériau. Les modalités, différentes, de l’expérience du dépaysement que peut faire le lecteur de The Waste Land, de T.S. Eliot, sont ensuite abordées en termes d’arrachement à tout « pays », de rupture et d’écart. Cet article n’entend nullement rassembler ces poétiques aussi diverses, ni même les comparer, mais simplement esquisser des pistes de réflexion, à partir de la question du dépaysement dans la langue, en s’intéressant notamment à la référentialité, aux possibilités de réinvention et de subversion de la langue et à leurs effets sur le lecteur, ou à l’hermétisme, problématiques liées à la modernité poétique au sens large.

Plan

Texte

L’expérience du dépaysement que peut entraîner un voyage, un changement de lieu, ne va pas sans une nécessité de se déprendre, au moins pour un temps, de sa culture, de ses habitudes, voire de son « moi ». Si ce sentiment arrive au voyageur, il ne peut vraiment le faire sans une levée de la maîtrise qui préside aux gestes familiers du sujet chez soi. Si cette idée relève du lieu commun, c’est de ce lieu commun dont j’aimerais pourtant partir pour aborder la question du dépaysement dans la langue, généré par l’écriture. Le voyage dont il sera question ici ne sera pas le voyage vers d’autres contrées, mais le déplacement du sujet par l’écriture au cœur de sa propre langue. Si la langue maternelle d’un sujet semble être son « chez soi », son Heimat, elle n’est pas sans offrir de multiples possibilités de dépaysement à quiconque accepte d’en envisager l’étrangeté.

J’aborderai dans un premier temps la tension, ressentie à la lecture de certains poèmes de T.S. Eliot notamment, entre volonté de dire et nécessité d’inventer un nouvel idiome. À partir d’une lecture de La Poésie comme expérience, de Philippe Lacoue-Labarthe, je m’intéresserai ensuite à ce que la poésie peut faire subir au langage, lorsqu’émerge une parole poétique singulière qui vient creuser son « abîme ». C’est donc une réflexion sur la singularité qui sera mon point de départ, singularité de la poésie, et singularité d’un poète, Paul Celan, dont l’œuvre est difficilement assignable à une quelconque tendance au sein de la modernité, et dont le rapport-même à la modernité est complexe, ambivalent, jalonné de malentendus critiques1. Les possibilités d’émergence d’une parole poétique singulière seront alors interrogées, plus spécifiquement, à la lumière de certaines écritures modernistes anglo-américaines à même de déplacer le sujet de l’écriture dans sa propre langue et de dépayser le lecteur en le confrontant à cette altérité ou en créant un espace où la discontinuité et la dissonance du « discours » mettent en péril toute forme d’ancrage. Il ne s’agira nullement de rassembler les poétiques aussi diverses dont il sera question, ni même de les comparer, mais simplement d’esquisser des pistes de réflexion, à partir de la question du dépaysement dans la langue, en s’intéressant notamment à la référentialité, aux possibilités de réinvention et de subversion de la langue et à leurs effets sur le lecteur, ou à l’hermétisme, problématiques liées à la modernité poétique au sens large.

(Se) dépayser (dans) sa langue

Écrire dans sa propre langue ne signifie pas être maître en son logis. La question de la maîtrise sera centrale dans cette réflexion. Il pourrait sembler facile de répondre à l’appel d’une poésie nouvelle. Produire des énoncés originaux, frappants, est une chose ; mais quand le poète se refuse à sacrifier la signification ou l’intensité de l’effet produit à cette nécessité d’innover, la tentative de se dépayser dans sa langue devient moins simple qu’il n’y paraît. À la différence de celles d’autres écrivains modernistes, les innovations de T.S. Eliot ne se sont jamais faites aux dépens d’un vouloir-dire auquel Eliot est resté attaché, de ses débuts à ses poèmes les plus tardifs. Ainsi pouvons-nous lire, dans « East Coker », publié en 1940 :

So here I am, in the middle way […]
Trying to learn to use words, and every attempt
Is a wholly new start, and a different kind of failure
Because one has only learnt to get the better of words
For the thing one no longer has to say, or the way in which
One is no longer disposed to say it. And so each venture
Is a new beginning, a raid on the inarticulate
With shabby equipment always deteriorating
In the general mess of imprecision of feeling,
Undisciplined squads of emotion2.

Le dire poétique ne coïncide jamais avec l’objet que le poète avait l’intention de mettre en mots. Quand les mots sont trouvés, la chose (« the thing ») qu’ils visaient à exprimer a disparu, si bien que les mots ne sont plus justes. Ce phénomène dont la voix poétique s’émeut ne concerne pas seulement le choix du mot, mais le choix d’une manière de dire (« the way in which/ One is no longer disposed to say it »). La tentative d’expression (« venture ») ne peut se passer des mots, même si ceux-ci semblent se « détériorer » dans la recherche de la parfaite expression, se révélant être un piètre outil. La voix poétique fait mention d’un « échec » :

That was a way of putting it – not very satisfactory:
A periphrastic study in a worn-out poetical fashion,
Leaving one still with the intolerable wrestle
With words and meanings [...]3.

Ce passage à la dimension méta-poétique laisse entendre que le dire poétique dépasse les intentions du poète et confronte le sujet à une intolérable absence de maîtrise. La voix déplore un « mode poétique désuet » et une « intolérable lutte avec les mots et les sens ». Cette lutte peut s’entendre comme lutte pour faire sens avec les mots, mais aussi comme lutte pour se défaire du sens des mots et leur permettre de re-signifier. Le sujet de l’énonciation se sert d’une langue apprivoisée, toujours déjà organisée, prête à signifier. La grammaire et les possibilités qu’elle offre, la sélection syntagmatique et paradigmatique des signifiants, opèrent presque d’elles-mêmes, tandis que le locuteur continue de se rêver maître de sa propre production. Se dépayser de sa langue implique un effort, voire une lutte. Se défaire de sa langue, s’en écarter pour la revisiter, requiert une véritable discipline, celle que le poète s’impose. La rhétorique est, à certains égards, un jeu d’enfant (déjà entré dans l’ordre symbolique du langage). Elle est ce jeu auquel l’on est très tôt initié, par lequel la langue est domptée. Mais faire parler sa langue dans une langue étrangère, produire son contre-discours, nécessite une nouvelle initiation. Le succès d’une telle entreprise n’est par ailleurs jamais acquis. Le familier ne demande qu’à faire retour, le vagabond en puissance à être ramené sur les rails de la logique coutumière de la langue. Mais lorsque l’on parle de langue maternelle, où est le familier ? La relation de l’enfant à sa langue avant qu’il ne la maîtrise vraiment, serait une relation libre avec une langue purement matérielle et sensorielle. La langue serait ensuite domptée, réglée par des lois arbitraires mais incontournables. Pourtant, ce sont bien ces lois, cette structuration symbolique de la langue, qui constituent l’environnement familier de tout sujet parlant. Se dépayser, cela consisterait-il alors à rentrer chez soi, à retourner au pays perdu, où, par manque de maîtrise, les énoncés ou quasi-énoncés frappent par leur incongruité, par les décalages et les écarts qu’ils font subir à la langue ? Mais c’est un pays inconnu que celui du labile et du babil, un pays dont nul ne se souvient, le lieu d’une innocence face à la langue à jamais perdue. Le poète adulte ne peut que tenter de retrouver quelque chose d’un rapport libre, fantasmatique, à la langue, sans cesse limité par la structuration de sa propre pensée et sa propre maîtrise de la langue.

Au-delà des lapsus heureux, manifestations rares de l’inconscient, comment le poète peut-il se remettre à la disposition de sa langue ? C’est sans doute de cette discipline dont parlent T.S. Eliot ou Gertrude Stein, dans des termes fort différents, une discipline qui consiste à passer de la langue comme pays, organisé selon des lignes de partage, des règles, à la langue comme texte, non moins organisée, mais sujette à l’écart, voire au départ. Le poète doit opérer ces déplacements sur un mode qui, aussi libre soit-il, n’en reste pas moins prémédité et conscient. La figure reproduit les mécanismes de l’inconscient tels qu’ils se manifestent dans le contenu du rêve (par déplacement, condensation, figuration). Le trope déplace le sens propre, nous invitant à entendre la langue autrement, à entendre ce qu’elle peut signifier par ailleurs. Si la métaphore ou la métabole est fascinante, lumineuse, nul ne veut s’appesantir – les poètes le font rarement – sur les conditions nécessairement artificielles de sa production, sur l’envers de la tapisserie, le corps à corps du poète avec les associations de mots, les images éculées qui se présentent à lui et au-delà desquelles il lui aura fallu se porter. Comment faire fourcher la langue sans être confronté au reflet de son propre artifice ? En se soumettant, peut-être, à cette forme de schizophrénie dont parle Gilles Deleuze au sujet de « Bartleby », permettant d’étranger sa propre langue ? Si Deleuze part d’une œuvre en prose, ce texte d’Herman Melville si commenté par les littéraires comme par les philosophes, il ne manque pas d’établir le lien entre la « formule » de Bartleby et certaines expérimentations poétiques, notamment modernistes, qui permettent à la langue anglaise, ou américaine, de s’écarter d’elle-même :

On dirait d’abord que la formule est comme la mauvaise traduction d’une langue étrangère. Mais, à mieux l’entendre, sa splendeur dément cette hypothèse. Peut-être est-ce elle qui creuse dans la langue une sorte de langue étrangère. Au sujet des agrammaticalités de Cummings, on a proposé de les considérer comme issues d’un dialecte différent de l’anglais standard, et dont on pourrait dégager les règles créatrices. Il en est de même pour Bartleby, la règle serait dans cette logique de la préférence négative : négativisme au-delà de toute négation. Mais, s’il est vrai que les chefs-d’œuvre de la littérature forment toujours une sorte de langue étrangère dans la langue où ils sont écrits, quel vent de folie, quel souffle psychotique passe ainsi dans le langage ? Il appartient à la psychose de mettre en jeu un procédé, qui consiste à traiter la langue ordinaire, la langue standard, de manière à lui faire « rendre » une langue originale inconnue qui serait peut-être une projection de la langue de Dieu, et qui emporterait tout le langage. Des procédés de ce genre apparaissent en France chez Roussel et chez Brisset, en Amérique chez Wolfson. N’est-ce pas notamment la vocation schizophrénique de la littérature américaine, de faire filer ainsi la langue anglaise, à forces de dérives, de déviations, de détaxes ou de surtaxes (par opposition à la syntaxe standard) ? […] Melville invente une langue étrangère qui court sous l’anglais, et qui l’emporte : c’est l’OUTLANDISH, ou le Déterritorialisé, la langue de la Baleine4.

La formule (« I would prefer not to »), éminemment contagieuse, est « bizarre » sans être agrammaticale ni asyntaxique. Elle participe pleinement du récit, se fait moteur de l’intrigue, et pourtant, par sa répétition et son relatif arrachement au texte qui la fait naître, elle apparaît, dans une certaine mesure, comme énoncé poétique, qui fait sens en tant que réponse sans réponse à des injonctions spécifiques, celles de l’homme de loi qui donne des ordres, mais qui va aussi au-devant de toute injonction contextuelle, comme répondant à l’injonction muette et innocente de son devenir poétique. La fascination pour la formule et sa poéticité apparente ne doit cependant pas faire oublier le rapport étroit que celle-ci entretient avec le récit et ses « conditions d’énonciation ». Absolutiser la formule comme formule poétique, comme le souligne Richard Pedot, fait courir le risque de négliger la tension constante entre la « formule » et le texte narratif dans lequel elle s’inscrit et évolue, tension, ou « rencontre » à partir de laquelle se pose la question de la création littéraire et de ses effets sur le lecteur5.

L’effet de schize dans la langue, qui fait coexister le familier et l’étranger, le soi et le non-soi, permet de soigner la langue de la standardisation qui la ronge, ou de la surdité qui l’empêche de s’entendre elle-même. Pour se réentendre, la langue, le poète, doivent se scinder. Cette scission peut prendre la forme d’une auto-critique, comme ce serait le cas dans les énoncés à valeur méta-poétique que l’on trouve dans les Four Quartets d’Eliot. Mais cette auto-critique semble procéder précisément d’une incapacité à opérer la véritable scission, celle qui permet d’user des mots, de la langue, autrement. Autocritique n’est pas schizophrénie. La conscience vient contrer les efforts d’une écriture qui viserait à s’étranger radicalement. Sans pouvoir volontairement se faire schizophrène, comment le poète peut-il adopter, ou feindre, une posture qui le ramènerait à un état antérieur, fantasmatique, de sa propre langue ? Postuler « une projection de la langue de Dieu » comme point auquel revenir, n’est-ce pas postuler une langue qui n’existe nulle part en dehors d’elle-même, et vers laquelle, pourtant, il faudrait continuer de tendre, inlassablement ? Comment se faire poète-rêveur tout en se maintenant dans un état de conscience ? C’est à cette impossibilité que certains poètes, modernes, modernistes, surréalistes, ou plus contemporains, mus par cette même quasi-nécessité6, n’ont cessé de se confronter. Si la « psychose » ou la « schizophrénie » dont parle Deleuze semblent suggérer que la posture de l’artiste, de l’écrivain, est une posture non-naturelle, allant à l’encontre d’un usage « naturel », ordinaire voire normal, de la langue, le renversement qu’il opère à la fin de son essai, en qualifiant Bartleby de « médecin d’une Amérique malade7 », tend à prouver que l’artifice n’est pas là où on le pensait. Idéalement, le travail poétique se devrait de résulter d’un dérangement « naturel », non-maîtrisé, du mécanisme artificiel de la langue.

Au lieu de l’espacement

Philippe Lacoue-Labarthe, dans La poésie comme expérience, s’intéresse à la manière dont Paul Celan conçoit la poésie. Le « poème absolu », comme le souligne Celan dans Le Méridien, n’existe pas, même s’il ne renonce pas complètement à parler du poème. Il nous faut dès lors envisager la définition de la poésie que commente Lacoue-Labarthe comme la définition ambivalente d’un absolu inexistant mais nécessaire, permettant de penser tout poème dans son unicité :

Oui, je parle du poème – qui n’existe pas ! Le poème absolu – non, certes, il n’existe pas, il ne peut exister ! mais ce qui existe, dans l’avènement d’un poème réel, ce qui existe, à partir de tout poème sans présomption, c’est cette interrogation inévitable, cette présomption inouïe8.

Le langage est vu comme le lieu de l’Unheimliche, de ce qui « “étrange” l’humain9 ». L’humain, le singulier, ou encore le « propre », serait ce qui, pour Celan, doit s’exprimer contre le langage comme « art ». La vie elle-même, inséparable du langage et du discours, est selon Lacoue-Labarthe, une « vie en mimesis (en représentation) […] cette vie où l’on est dans « l’oubli de soi10 » :

Il n’y a le théâtre, et l’existence théâtralisée, que parce qu’il y a le discours. Ou plutôt le discourir. Cela veut dire que l’Unheimliche, essentiellement, est affaire de langage. Ou que le langage est le lieu de l’Unheimliche, s’il existe du moins un lieu de l’Unheimliche. Ce qui « étrange » l’humain, autrement dit, c’est le langage. Non parce que le langage serait la perte ou l’oubli du singulier comme tel […] mais parce que parler, se laisser prendre et entraîner par la parole, se fier au langage ou même, à la limite, se contenter de l’emprunter ou de s’y soumettre, c’est être dans « l’oubli de soi ». Le langage n’est pas l’Unheimliche, encore que seul le langage recèle la possibilité de l’Unheimliche. Mais l’Unheimliche survient ou plutôt s’installe, et sans doute il est toujours là, déjà là – quelque chose tourne dans l’homme, qui en déplace l’humain, quelque chose même, peut-être, se renverse ou se retourne dans l’homme, qui l’expulse de l’humain – avec une certaine posture dans le langage : la posture « artistique », si l’on veut, ou mimétique. C’est-à-dire la posture la plus « naturelle » qui soit dans le langage, tant qu’on pense ou que l’on pré-comprend le langage comme mimème11.

Le langage comme « art » est le lieu où survient ce qu’il appelle, reprenant un terme cher à Freud, l’Unheimliche. Il justifie l’emploi de l’adjectif unheimlich (et donc du nom Unheimliche) en rappelant qu’« unheimlich (ou son équivalent : ungeheuer) est le mot choisi par Hölderlin, puis par Heidegger, pour traduire le grec deinos par lequel Sophocle, dans Antigone, dit l’essence de la technè. Pour Heidegger lui-même, l’art et l’œuvre d’art sont également unheimlich12. » L’Unheimliche correspond selon lui à l’oubli de soi auquel conduit le langage, et constitue en ce sens son danger13. Pour Celan, nous dit Lacoue-Labarthe, la poésie qui vient s’opposer au langage comme « art » est la poésie en tant que « propre », en tant que « soi ». Il est difficile de savoir ce que ce « propre », qu’il appelle aussi « singulier » recouvre. Ce « propre » est sans lieu, il est au lieu de la « béance » dont il parle. Il est le lieu même de la coupure, de l’interruption, et, peut-être, de l’intervention du poète sur la langue, aussi imperceptible soit-elle. La poésie devient alors « spasme » ou « syncope » du langage14. Le lieu de la parole poétique est le lieu de l’espacement et de l’écart. La poésie crée l’écart et remarque la différence du langage d’avec lui-même. Le lieu de ce « pur espacement », « [c]’est sans doute », écrit-il, « ce que Celan, rigoureusement, appelle l’u-topie […]15 ». Si la poésie écarte le langage, ce n’est que pour le confronter à sa « béance » la plus intime. Quand Lacoue-Labarthe, à partir de Celan, relie le langage comme art à ce qui « “étrange” l’humain », que faut-il entendre par « humain » ? La question ne peut manquer de se poser, et Lacoue-Labarthe y revient plus tard, en confrontant notamment la question de l’humain à celle du temps16. En explicitant ce que Paul Celan entend par « poésie », il aborde la question de la parole poétique singulière, qui interrompt le « discourir » :

Et tel est ce qui explique que la poésie – cela que Celan appelle la poésie ou tente de sauver sous le nom de poésie, de soustraire à l’art et de l’en préserver –, ce soit, « chaque fois », l’interruption du langage […]. L’interruption du langage, le suspens du langage, la césure […], c’est donc cela, la poésie […]. La poésie advient là où cède, contre toute attente, le langage. Très exactement au défaut de l’inspiration, et cela peut s’entendre de deux manières au moins ; ou, plus exactement encore, à la retenue de l’expiration, du souffle : quand ça va continuer de parler (de discourir) et que quelqu’un, soudain libre, interdit ce qui allait se dire. Quand une parole advient, dans le pur suspens du parler. La poésie est le spasme ou la syncope du langage. Hölderlin nommait la césure : la « pure parole17. »

L’idée de liberté impliquée dans cette intervention d’une parole poétique émanant d’un sujet « libre », ne peut qu’être interrogée. Comment le poète peut-il se faire assez libre pour « abîmer » ainsi le langage, pour revenir au lieu du « soi », pour sortir de l’Unheimliche d’un langage dans lequel il a toujours évolué ? N’y a-t-il pas, dans cette « liberté », une part nécessaire d’auto-aliénation volontaire qui serait en fait, une forme de désaliénation à jamais inachevable ? Comment l’« humain » peut-il revenir à l’« humain » par le langage, si le langage est la cause même de l’oubli de l’« humain » ? Il s’agirait, pour suspendre le langage par la poésie, elle-même œuvre de langage, de s’éloigner le plus possible de tout ce qui fait du langage un « art » de la représentation. C’est à une reconfiguration du langage qu’invite Celan, selon le commentaire qu’en propose Lacoue-Labarthe. Il faudrait pouvoir envisager le langage autrement que « comme mimème ».

La suspension du référent, la désarticulation de la syntaxe, sont quelques-unes des pistes qui se sont dessinées à l’ère du modernisme, autant d’interventions visant à faire émerger une « parole » poétique. La question de la liberté dans cette « parole » demeure complexe, puisque la parole libre est manière de faire parler un inconscient lui-même dominé par des lois qui échappent en partie au sujet conscient. La poésie ne fait que révéler, en la creusant, l’« étrangeté du langage ». Abîmer le langage ne veut pas dire le détruire, rêver son effondrement, mais saisir la chance de le rendre un peu, selon les termes de Lacoue-Labarthe, à la singularité de « l’humain », même si cet « humain », pourrions-nous ajouter, ne situe sans doute nulle part en dehors du langage.

C’est pourquoi […] le poème doit se frayer passage entre silence et discours, entre le ne rien dire du mutisme ou de l’aphasie singulière et le trop dire de l’éloquence. C’est la voie étroite du poème, la strette : la voie qui est « le plus étroitement » celle du moi. Mais cette voie ne conduit pas à la parole ou au langage. Cette voie ne conduit qu’à une parole, à un « langage actualisé, dégagé, sous le signe s’une individuation radicale ». Au langage, irréductiblement, d’un seul18.

Cette « individuation radicale, » cette parole singulière, est, parce que singulière, capable de toucher à l’« humain ». Lacoue-Labarthe tente de définir la relation, dynamique, entre langage et parole poétique singulière, comme manière de travailler le langage, de l’intérieur :

Telle est en somme la « solitude » du poème, et ce qui l’oblige, d’une obligation aussi rigoureuse que l’obligation de parler, non pas à « inventer » un langage singulier ou à constituer de toutes pièces un idiolecte, mais à défaire le langage (sémantiquement et syntaxiquement), à le désarticuler et à le raréfier, à le couper selon une prosodie qui n’est ni celle de la langue ni celle de la poésie antérieure, à le condenser, jusqu’à atteindre ce noyau dur, cette sourde résistance à quoi l’on reconnaît une voix singulière, c’est-à-dire départagée de la langue et du langage – comme un ton ou un style19.

La langue de Celan lui-même porte en elle une certaine étrangeté. Pierre Joris, traducteur de Celan en anglais, parle ainsi de sa langue poétique comme d’une « langue étrangère » :

Celan’s language, though German on the surface, is a foreign language, even for native speakers. Although German was his mother tongue and the Kultursprache of his native Bukovina, it was also, and in an emotional way, his other tongue. Celan’s German is an eerie, nearly ghostly language; it is both mother-tongue, and thus firmly anchored in the realm of the dead, and a language the poet has to make up, to re-create, to re-invent, to bring back to life20.

Marjorie Perloff remet en question le présupposé selon lequel l’allemand de Celan ne peut être entendu que comme un allemand « réinventé », en insistant sur le fait que Celan n’était pas allemand mais venait d’une ville « à la frontière orientale de l’Empire des Habsbourg », et que sa culture, comme sa langue, était pétrie d’une multitude d’influences :

In the multiethnic provinces of Celan’s […] youth, “German” was embedded in a network of other languages: Romanian, Russian, Polish, Slovenian, Croatian, Yiddish, Italian. […] The German may be the “mother tongue”, but it is Austrian German, with its own much softer accent, its dialect variations, idioms, neologisms, and compounds21.

Perloff s’attache à monter, à travers une micro-lecture de poèmes, que les néologismes et « inventions » de Celan peuvent être compris, plus aisément qu’il n’y paraît, à partir de cette position linguistique particulière. Néanmoins, il demeure que l’effet produit par les poèmes de Celan sur ses lecteurs et ses commentateurs, est un effet de déplacement dans la langue ; par ailleurs, les néologismes et inventions ne peuvent sans doute pas être entièrement expliqués par son héritage linguistique, aussi spécifique soit-il. La définition de ce que Celan nomme la « solitude » du poème, nous semble particulièrement pertinente au regard des expérimentations langagières du modernisme. « Défaire le langage (sémantiquement et syntaxiquement) », tel pourrait être le manifeste de poètes comme E.E. Cummings, qui démantèle la syntaxe en se jouant des catégories grammaticales, tout en respectant la grammaire, de Gertrude Stein, qui joue, d’une autre manière, avec la grammaire et la syntaxe. Mais « défaire » le langage « sémantiquement » peut aussi consister en des expérimentations, moins extrêmes en apparence, qui « désarticul[ent] » et « raréfie[nt] » le langage en créant, par exemple, des images, des métaphores lumineuses, fondées sur des déplacements inattendus, des coupures brutales qui scindent la phrase, qui viennent troubler le lecteur et l’affecter, lui faire voir, ou entendre, la langue, autrement. « [R]aréfier » le langage consonne avec le célèbre vers du « Tombeau d’Edgar Poe » de Mallarmé : « Donner un sens plus pur aux mots de la tribu22 », repris par T.S. Eliot dans « Little Gidding » (« to purify the dialect of the tribe23 »). Ici, comme chez Mallarmé, « purifier » ne signifie pas ramener le mot à une quelconque univocité, mais lui redonner tout son éclat, le réinvestir de son pouvoir de rayonnement. « Condenser » le langage rappelle l’idéal d’économie au cœur de la poétique imagiste, au cœur de toute poétique, pourrions-nous dire, qui vise l’intensité, révèle le langage poétique dans son pouvoir de frapper instantanément. J’aimerais souligner le terme de résistance employé par Lacoue-Labarthe pour parler de ce qui, in fine, définit le style, une voix poétique « singulière » : « défaire le langage […] jusqu’à atteindre ce noyau dur, cette sourde résistance à quoi l’on reconnaît une voix singulière […] ». Cette « résistance » désigne ce qui, en dernier lieu, ne peut plus être attribué au langage, même s’il part de lui et ne peut possiblement s’en défaire, ce qui constitue l’irréductible mais intangible, parce que sans lieu, du « style ». Le terme résistance évoque également l’idée d’un combat pour se faire entendre comme voix singulière. Cette résistance est aussi qualifiée en ces termes : la voix singulière est « départagée de la langue et du langage ». « [D]épartagée de » suggère que la poésie cohabite avec le langage, se situant même dans la plus profonde intimité de son foyer, tout en étant séparée de lui. Ce terme suggère donc à la fois la séparation, la fuite, et la nécessaire relation. La poésie est une confrontation éperdue avec son autre qui est son même, le langage. Si le poème est jeu avec le langage, creusement de sa « douleur », il peut, comme tout jeu, aller trop loin. Ce risque est celui de « l’hermétisme et de l’obscurité24 ». Lacoue-Labarthe emploie deux termes qui ont souvent servi à exprimer la difficulté éprouvée par les lecteurs face aux textes de l’avant-garde moderniste25 : « C’est évidemment là que réside ce que j’ai appelé, faute d’un terme plus judicieux, la menace “idiomatique” : la menace de l’hermétisme et de l’obscurité26. » Lacoue-Labarthe précise que Celan revendique cette menace de manière « absolument paradoxale ». Cette menace ne s’autorise que « de l’espoir de ce que Celan appelle la “rencontre”, die Begegnung27. » Il écrit : « L’obscurité est […] une marque d’attention – si ce n’est de respect – à l’égard de la rencontre28 ». L’ouverture à la rencontre, qui serait l’horizon du poème, peut être perçue comme ouverture à l’autre. Comme il le souligne en effet, l’étrangeté vient, pour Celan, à être remplacée par l’autre, ou le « tout-autre ». C’est ainsi que Lacoue-Labarthe définit cette relation paradoxale entre le singulier et le tout-autre :

Au lieu (sans lieu) de l’ailleurs survient alors un « autre », c’est-à-dire un existant singulier au nom de qui […] le poème entretient l’espoir de parler. L’étrangement cède le pas à la rencontre. […] Mais l’autre aussi bien, serait-il tout autre, pour autant qu’il est de l’autre, est impensable sans rapport au même : dès que l’autre survient, se détachant du même, le même, à l’avance, l’a déjà repris et ramené à lui. Il est impossible de penser une pure déliaison29.

L’idée de rencontre est ce qui ajointe le singulier au « tout autre » dans l’acte poétique, permettant au singulier de se penser comme différence. Le poème a lieu « dans le secret de la rencontre30 » avec un tout autre, qui pourrait être le nom, sans nom, d’un insu auquel il ne cesse de s’adresser et qui creuse l’« intime béance de la singularité ». L’acte poétique est dès lors conçu comme acte d’attention et de pensée, sur le mode du dialogue. L’attention à l’autre, ou au tout-autre, est ce qui fait du poème une forme dialectique, une scène d’adresse à un autre à la fois en lui et en dehors de lui, et à sa « propre » langue conçue comme objet d’attention et de questionnement. Si le poème est questionnement sans relâche, retournement incessant sur lui-même, il est constamment à l’écoute de l’autre en soi, et son lieu est un non-lieu à partir duquel interroger ce à quoi il donne lieu :

Le « contre » de la rencontre ou de l’encontre n’est donc pas tout simplement le « contre » de l’opposition. Il est plutôt ce qui se défait, dans le vis-à-vis même qu’est la rencontre, de l’opposition. Il est le « contre » de la proximité, c’est-à-dire de l’é-loignement. L’autre s’é-loigne tout contre, au plus près, d’une proximité telle qu’elle fait l’écartement même de l’intimité d’où sont possibles pensée et parole, c’est-à-dire le « dialogue ». Pour cette raison, le poème est tourné, en lui-même, vers l’apparaissant, vers l’« en train d’apparaître » : il questionne la venue en présence elle-même. Le poème (l’acte poétique), sur ce mode qui lui est propre (le dialogue), est pensée de la présence du présent, soit de l’autre de ce qui est présent : pensée du né-ant (de l’être) c’est-à-dire pensée du temps31.

Penser la « présence du présent », c’est aussi penser l’écart du présent avec lui-même, interroger l’« en train d’apparaître » en tant que diffèrement, ou différance. Que veut dire, pour le poème, se retourner sur lui-même, si ce n’est (se) retourner vers sa « propre » langue, pour en interroger l’autre ? Qu’est-ce qui est « propre » et qu’est-ce qui est « autre », dans la langue ? La question ne cesse de se poser, renvoyant à une tension qui se dessine dans de nombreuses œuvres du modernisme notamment, à partir du moment où l’acte de parole purement libre n’existe pas, la langue ne parlant jamais d’elle-même, mais impliquant toujours un sujet parlant, ou écrivant, sujet lui-même défini par le langage.

Le dépaysement au plus près de la langue

L’américaine Gertrude Stein, volontairement exilée à Paris, entendait, par ce déplacement, se retrouver avec sa langue32. Ses textes peuvent être perçus comme dépaysants, pour ne pas dire déroutants. Dans les poèmes, ou textes, qui constituent Tender Buttons, ce qui déroute le lecteur est le déplacement des signifiants et des catégories grammaticales, plus que la syntaxe. La grammaire, la syntaxe, si elles sont dérangées, restent plus ou moins reconnaissables en tant que structures langagières. La phrase, le phrasé, même désarticulés par une absence de ponctuation, ou par ce qui consonne comme maladresse syntaxique, restent familiers tout en devenant autres. Ce qui déroute est le choix, très fréquent mais non systématique, de vocables qui, sémantiquement, semblent n’avoir rien à faire là où ils se trouvent. Je prendrai l’exemple d’un poème de Tender Buttons :

A piano.
If the speed is open, if the color is careless, if the event is overtaken, if the selection of a strong scent is not awkward, if the button holder is held by all the waving color and there is no color, not any color. If there is no dirt in a pin and there can be none scarcely, if there is not then the place is the same as up standing.
This is no dark custom and it even is not acted in any such a way that a restraint is not spread. That is spread, it shuts and it lifts and awkwardly not awkwardly the center is in standing33.

L’on remarque l’attachement aux connecteurs grammaticaux et aux adverbes. Au début de la première phrase, « If the speed is open, if the color is careless », l’on a bien deux adjectifs attributs ; les catégories grammaticales sont respectées, mais ce sont là deux adjectifs qui ne qualifient pas ordinairement les deux noms qu’ils qualifient ici. La syntaxe, dans le premier paragraphe, semble respectée puisque la série de propositions subordonnées (« if… ») juxtaposées, aboutit à ce qui apparaît comme une principale, même si l’absence de virgule en rend la perception difficile à la première lecture : « then the place is the same as up standing ». L’agrammaticalité est ponctuellement présente, apparaissant plus comme « maladresse » que comme erreur : « and there is no color, not any color » ; « and there can be none scarcely » ; « and it even is not acted in any such a way that a restraint is not spread » ; « and awkwardly not awkwardly ». Ces « maladresses » volontaires et apparentes n’empêchent pas, cependant, de reconnaître la structure générale de la phrase. Le problème vient donc surtout des signifiants eux-mêmes. Certains viennent troubler la lecture, comme si une main malicieuse avait voulu jouer un tour à des phrases déjà formées en mélangeant certains mots, ou en remplaçant les noms et les adjectifs par d’autres, résolument incongrus. Mais une telle analogie serait trompeuse. Car les signifiants ne sont pas là par hasard. S’ils paraissent « déplacés » dans leur contexte au vu de leur signification, ils sont organiquement intégrés à la phrase et au fragment dans son ensemble, ils en forment un élément essentiel par leur matérialité. Ainsi, dans le début du fragment, « If the speed is open, if the color is careless, if the event is overtaken, if the selection of a strong scent is not awkward », l’allitération speed/open, le « déplacement » des consonnes et des phonèmes /k/, /l/, /r/ (« color ») en /c/, /r/, /l/ (« careless »), l’allitération event/over, la rime interne taken/open, l’allitération selection/strong/scent, font apparaître le texte comme composition. Il est peut-être hâtif, par ailleurs, de dire que le lien entre titre et texte a été complètement rompu. Si le texte ne semble en rien parler d’« un piano », l’on peut dire qu’un lien est maintenu entre le signifiant renvoyant à l’idée de cet objet potentiellement contemplé, et le texte qui le suit, comme si une telle contemplation était une contemplation non de la matérialité de l’objet, mais de son signifiant. « A piano » serait posé, voire étendu (comme le suggèrent les italiques) sur son texte, pour ensuite se disséminer, tout au long du texte, en petites pépites sonores. Le [i:] de « piano » est « repris » dans « speed » ; « open » semble reprendre les sons /o/, /p/, /n/ de « piano » en les inversant. L’on peut noter la répétition de la négation, « no », « not », en particulier dans la deuxième phrase, « If there is no dirt in a pin and there can be none scarcely, if there is not then the place is the same as up standing. » Les sons et les lettres qui constituent le mot piano sont comme dispersés. Stein joue ici avec les mots, non pas au sens où l’on fait des jeux de mots, des mots d’esprit. Elle joue avec les mots et leur matérialité comme l’on joue avec des pièces pour construire un ensemble. Les mots et leur poids phonétique, sont ses matériaux privilégiés ; elle les soupèse, les arrange en fonction de leur poids, de leur sonorité, afin qu’ils « sonnent juste » ensemble. « Sonner juste », dans le cas de Stein, peut vouloir dire produire un son et une cadence satisfaisants, la satisfaction semblant être en elle-même une visée fondamentale de son écriture qui se délecte de/dans la langue (ou « lalangue » lacanienne). Stein explique dans une célèbre interview :

I took individual words and thought about them until I got their weight and volume complete and put them next to another word and at the same time I found out very soon that there is no such thing as putting them together without sense. It is impossible to put them together without sense. I made innumerable efforts to make words write without sense and found it impossible34.

Ce dont elle tente de se défaire n’est certainement pas la langue, dont elle déploie la grammaire, le phrasé, la cadence avec une volonté certaine de se les réapproprier, se tenant au plus près d’elle. Comme elle l’explique ici, la volonté d’assembler les mots pour qu’ils signifient est absente du processus d’écriture. En maintenant une grammaire, une syntaxe, qui même déformées, restent reconnaissables, elle se maintient dans une tension jouissive entre « souvenir » fictif d’une langue purement sensorielle, et obéissance, jouissive en ce qu’elle n’est pas totale, aux règles qui gouvernent la langue35. Se tenant entre l’exigence de reconnaître et faire reconnaître la langue depuis laquelle elle écrit – tout en égratignant, abrutissant une grammaire dont elle ne se défait pas complètement – et l’exigence de ne considérer le signifiant que comme matériau, entre respect de la langue, de son phrasé et de ses mots, et respect du signifiant et de la lettre dans leur matérialité, l’écriture de Stein paraît tendue entre deux exigences. Ce qui fait de sa voix une voix singulière est, peut-être plus que sa célèbre répétition ou « insistance », pour reprendre son propre terme, cet effort pour se déprendre du vouloir-dire au profit d’un vouloir-écrire.

Le texte ou le nouveau pays

Lorsqu’il s’agit de « défaire le langage (sémantiquement et syntaxiquement) », T.S. Eliot n’est sans doute pas l’exemple le plus frappant. Le symbolisme persistant de ses poèmes et la relative cohérence du discours poétique ont amené de nombreux critiques à établir une ligne de partage entre les expérimentations de Gertrude Stein, E.E. Cummings, William Carlos Williams entre autres, et la poésie d’Eliot. Marjorie Perloff fait du symbolisme et de la référentialité les critères principaux d’un tel partage, et de l’« indécidabilité » une caractéristique déterminante de cette catégorie du modernisme dont Eliot serait exclu :

However difficult it may be to decode this complex poem [The Waste Land], the relationships of the word to its referents, of signifier to signified, remains essentially intact. It is […] the undermining of precisely this relationship that characterizes the poetry of Rimbaud and his heirs. For what happens in Pound’s Cantos, as in Stein’s Tender Buttons or Williams’ Spring and All to Beckett’s How It Is or John Cage’s Silence, is that the symbolic evocations generated by words on the page are no longer grounded in a coherent discourse, so that it becomes impossible to decide which of these associations are relevant and which are not. This is the “undecidability” of the text I spoke of earlier36.

Ce propos mériterait d’être légèrement nuancé, la référentialité dans les poèmes d’Eliot n’étant sans doute pas aussi simple, et la « cohérence » du « discours » d’un poème comme The Waste Land étant mise à rude épreuve par la multiplicité des voix qui s’enchevêtrent, même s’il est possible de reconstruire une logique en retraçant l’intertexte et en rétablissant les liens que le texte semble avoir effacés. La question du type de lecture de ce texte que l’on peut engager (lecture « innocente » ou lecture « savante » mue par un fort désir herméneutique), nous semble centrale ici. Il n’en reste pas moins que le lecteur ne peut qu’être affecté par les multiples ruptures du texte, qu’elles soient ellipses ou véritables ruptures. Quant à la langue poétique d’Eliot, celle-ci peut dépayser le lecteur au détour d’un trope, d’une image ou métaphore particulièrement condensée dont il trouvait notamment le modèle chez les Métaphysiques anglais, ou dans les infimes pas de côté qu’il fait subir à la syntaxe. La répétition d’énoncés, ou de questions simples, qui deviennent, dans « The Love Song of J. Alfred Prufrock » par exemple, des quasi-refrains, participe par ailleurs, à « étranger » une langue commune par son exposition et sa répétition, par la rime et l’euphonie, par son détachement de tout contexte directement saisissable37. Dans The Waste Land, la composition du texte produit un certain effet de dépaysement. En créant sa « terre vaine », Eliot tisse ensemble des énoncés émanant de voix multiples, des bribes de textes empruntées à la littérature au sens large. Les références plus ou moins familières s’entremêlent pour former un pays, ou un paysage de nulle part (ou une u-topie, pour reprendre le terme de Celan). Eliot fait alterner, dans la cinquième et dernière section du poème, les paroles de la Brihadaranyaka Upanishad, l’une des plus anciennes Upanishad38, que la voix poétique commente, ou auxquelles elle répond, en anglais :

Datta39: what have we given40?
My friend, blood shaking my heart
The awful daring of a moment’s surrender
Which an age of prudence can never retract
[…]
Dayadhvam41: I have heard the key
Turn in in the door once and turn once only
We think of the key, each in his prison
Thinking of the key, each confirms a prison42

Le lecteur est amené à effectuer des sauts, géographiques et temporels, imaginaires. Ici, le lien entre les énoncés réside dans la traduction des mots en Sanskrit qui donne lieu à des adresses au destinataire inconnu (« my friend »), ou à des énoncés pouvant avoir une valeur de vérité générale ou plus adressée, sans que le destinataire ne puisse être vraiment (re)connu. Les sauts deviennent plus abrupts à la toute fin du poème. À la lecture du poème, l’on serait certes tenté de parler d’un certain « exotisme », historique, ou mythologique, si l’on pense à la fin de la troisième section, avec la référence au chant des filles du Rhin dans le Crépuscule des dieux de Wagner, à l’histoire d’Elizabeth 1ère, ou aux derniers mots du poème (Shantih shantih shantih) empruntés aux Upanishad. La fin du poème juxtapose également les langues européennes, l’italien de Dante (Poi s’ascose nel foco che gli affina), le français de Nerval (Le Prince d’Aquitaine à la tour abolie), notamment. Mais parce que nulle transition n’est ménagée, le lecteur est transporté, en l’espace d’un vers, d’une langue à l’autre, d’un temps à l’autre. L’expérience du déport, de la rupture, est constante. L’esprit du lecteur est amené à errer dans des temps et des lieux divers, et les changements de décors sont toujours relativement abrupts. La lecture est une expérience de la rupture, même si le lecteur est sans cesse invité à recréer des liens entre les différents constituants du poème, par un travail sur l’intertexte notamment. L’impossibilité de s’identifier à une voix en particulier, de s’attacher plus que quelques secondes à un lieu d’énonciation en particulier, font du lecteur ce que je j’appellerais un lecteur impressionné. Les impressions se succèdent sans vraiment laisser le temps au sujet-lecteur de se recomposer, de se retrouver ou de s’y retrouver, comme s’il foulait une terre utopique et anachronique, qui serait le non-lieu du texte littéraire. Cette terre pourrait être « le sol signifiant » dont parle le poète à la fin de « The Dry Salvages » : « We, content at the last/ If our temporal reversion nourish/ (Not too far from the yew tree)/ The life of significant soil43. » L’emploi du mot soil, sol, terreau, plutôt que du mot terre, laisse envisager une terre qui ne serait plus synonyme de surface aux contours définis (un pays par exemple), mais la matière même qui la constitue, matière ici « signifiante », universelle, se régénérant sans cesse, faite de strates et de mélange, sans cesse retournée, retravaillée par la langue, par les langues, par les textes, appartenant à tous et à personne. Le poète qui envisage sa mort (« notre réversion temporelle », « pas trop loin de l’if44 »), envisage aussi son œuvre comme un simple apport à ce « sol signifiant ».

L’effet de dépaysement produit par la lecture de The Waste Land n’est pas la sensation d’être transporté dans un autre pays. Elle constitue plutôt une expérience de l’arrachement et de l’errance, une navigation dans un non-lieu qui est toujours aussi un entre-deux-lieux, un entre-deux-temps. La position « occupée » par le lecteur est celle de l’entre, de l’espacement, de l’écart. Le dépaysement doit résolument s’écrire ici en deux mots (dé-paysement), car il s’agit bien d’un arrachement à tout pays. L’espace textuel est le lieu de l’écart. Dans « The Dry Salvages » poème tardif des Four Quartets, le poète parle du voyage comme d’un entre-deux lieux, un entre deux-temps, voire un temps suspendu :

Fare forward, travellers! Not escaping from the past
Into different lives, or into any future;
You are not the same people who left that station
Or who will arrive at any terminus,
While the narrowing rails slide together behind you;
And on the deck of the drumming liner
Watching the furrow that widens behind you,
You shall not think ‘the past is finished’
Or ‘the future is before us’.
At nightfall, in the rigging and the aerial,
is a voice descanting (though not to the ear,
The murmuring shell of time, and not in any language)
‘Fare forward, you who think that you are voyaging;
You are not those who saw the harbour
Receding, or those who will disembark.
Here between the hither and the farther shore
While time is withdrawn, consider the future
And the past with an equal mind45.

Le temps s’est retiré, le voyageur n’est plus amarré à sa vie d’avant, n’a encore atteint nul autre lieu, nul autre temps (« en aucun avenir »). La voix qui « susurre » est une voix ne parlant aucune langue, elle est la voix de la « conque murmurante du temps » (« the murmuring shell of time »). L’image du « sillon qui s’élargit derrière soi », l’idée d’une voix impersonnelle, ne parlant aucune langue, se faisant la voix du temps, pourraient nous inviter à lire ce passage comme une métaphore de la lecture d’un poème comme The Waste Land. Le poème est cette coque, cette coquille, qui laisse entendre la voix du temps, la voix des temps, lorsque le lecteur y colle son œil, devenu oreille, remettant l’accent sur la textualité. Le coquillage renvoie à la côte, et au départ ; le nom shell rappelle aussi la coque du bateau. Le poème serait alors l’embarcation, un lieu qui se déplace et opère le déplacement de ses « voyageurs ». Il déplace, désarrime, dé-payse, temporairement, mais radicalement.

Conclusion

C’est un dépaysement dans la langue, un déplacement du lecteur dans sa langue qu’opèrent les textes, pratiques poétiques, aussi différents soient-ils, que nous avons mentionnés ou brièvement tenté d’approcher ; par les écarts syntaxiques, par les déports successifs liés à la composition (fragmentation, juxtaposition, intertextualité), par les figures, les tropes, qui font sans cesse glisser le sens, empêchant la signification de se retrouver en un quelconque lieu.

Parce que la poésie est exposition, déplacement de la langue en un (non)-lieu capable d’en accueillir le jeu – désordre, écart, glissement, – elle offre la possibilité infinie de décomposer et recomposer le paysage familier que constitue la langue. En la confrontant à son étrangeté ou son altérité la plus intime, en révélant cette altérité « retrouvée » aux lecteurs, en la leur donnant à lire et à entendre, les poètes modernes leur ont offert, et continuent de leur offrir l’expérience d’un dépaysement permettant de re-penser et re-sentir (dans) une langue que des siècles de poésie et de discours auraient pu rendre par trop familière, confortable et aveuglante.

Bibliographie

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Notes

1 Voir, notamment, Clément Fradin, « Paul Celan ou les affres de la modernité », dans Germanica, 2016/2, n° 59, p. 83-98. Retour au texte

2 T.S. Eliot, « East Coker », Collected Poems 1909-1962, Londres, Faber and Faber, 1974, p. 190. Retour au texte

3 Ibid., p. 186. Retour au texte

4 Gilles Deleuze, « Bartleby, ou la formule », dans Critique et clinique, Paris, Les Éditions de Minuit, 1993, p. 93. Retour au texte

5 Richard Pedot, Ah, Bartleby ! Ah, philosophie! Une rencontre critique, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, « Philosophica », 2014. Dans cet ouvrage, Richard Pedot confronte les lectures philosophiques du texte de Melville menées par Deleuze, Agamben, Rancière et Derrida. Voir, en particulier, le chapitre « La formule littéraire dans tous ses effets ». Retour au texte

6 L’on pense ici, notamment, à la poésie de la performance ou aux travaux des poètes du mouvement L=A=N=G=U=A=G=E. Retour au texte

7 Gilles Deleuze, « Bartleby, ou la formule », dans Critique et clinique, op. cit., p. 114. Retour au texte

8 Paul Celan, Le Méridien, André du Bouchet (trad.), Saint Clément de Rivière, Fata Morgana, 2008, p. 36. Retour au texte

9  Philippe Lacoue-Labarthe, La Poésie comme expérience [1986], Paris, Christian Bourgois, « Détroits », 1997, p. 72. Retour au texte

10 Ibid., p. 71. Retour au texte

11 Ibid., p. 72. Retour au texte

12 Ibid., p. 67. Retour au texte

13 Lacoue-Labarthe cite en note Hölderlin : « le langage, le plus dangereux des biens » (note de la page 73). Retour au texte

14 Philippe Lacoue-Labarthe, La Poésie comme expérience, op. cit., p. 74. Lacoue-Labarthe explique en note qu’il reprend le mot, syncope, de Jean-Luc Nancy (Le Discours de la syncope, Aubier-Flammarion, 1976). Retour au texte

15 Ibid., p. 81-82. Retour au texte

16 Il prend soin, à ce stade de son développement, d’indiquer en note que l’« humain » n’est pas à entendre ici au sens de l’« être » heideggérien ; il serait tentant en effet de rabattre l’opposition entre « art » et « humain » sur l’opposition entre langage comme technè et la catégorie de l’« être » heideggérienne. Il ne faut pas non plus, selon lui, voir hâtivement dans Le Méridien de Celan une réponse « éthique » à l’« ontologie ». Retour au texte

17 Philippe Lacoue-Labarthe, La Poésie comme expérience, op. cit., p. 73-74. Retour au texte

18 Ibid., p. 84. Retour au texte

19 Ibid., p. 84-85. Retour au texte

20 Paul Celan, Breathturn into Timestead: The Collected Later Poetry, a Bilingual Edition, Pierre Joris (trad.), New York, Farrar Straus Giroux, 2014, p. ixx (introduction). Cité par Marjorie Perloff dans Edge of Irony. Modernism in the Shadow of the Habsburg Empire, Chicago, Londres, University of Chicago Press, 2016, p. 129. Retour au texte

21 Marjorie Perloff, Edge of Irony. Modernism in the Shadow of the Habsburg Empire, Chicago, Londres, University of Chicago Press, 2016, p. 129-130. Retour au texte

22 Stéphane Mallarmé, « Le Tombeau d’Edgar Poe », Poésies, Paris, Gallimard, 1992, p. 60. Retour au texte

23 « Since our concern was speech, and speech impelled us/ To purify the dialect of the tribe/ And urge the mind to aftersight and foresight,/ Let me disclose the gifts reserved for age/ To set a crown upon your lifetime’s effort. » T.S. Eliot, « Little Gidding », Collected Poems 1909-1962, op. cit, p. 205. Retour au texte

24 Philippe Lacoue-Labarthe, La Poésie comme expérience, op. cit., p. 85. Retour au texte

25 Voir à ce sujet Leonard Diepeveen, The Difficulties of Modernism, New York, Routledge, 2003. Retour au texte

26 Philippe Lacoue-Labarthe, La Poésie comme expérience, op. cit., p. 85. Retour au texte

27 Ibid., p. 85. Retour au texte

28 Ibid., p. 86. Retour au texte

29 Ibid., p. 90. Retour au texte

30 Ibid., p. 93. Retour au texte

31 Ibid., p. 96. Retour au texte

32 Gertrude Stein « s’exprime » ici à travers la voix fictive d’Alice B. Toklas : « No, I like living with so very many people and being all alone with english and myself ». Gertrude Stein, « The Autobiography of Alice B. Toklas », dans Writings 1903-1932, New York, The Library of America, p. 729-730. Retour au texte

33  Gertrude Stein, « Tender Buttons », dans Writings 1903-1932, New York, The Library of America, 1998, p. 319. Retour au texte

34 Gertrude Stein, « A Transatlantic Interview », dans A Primer for the Gradual Understanding of Gertrude Stein, Robert Haas (dir.), Los Angeles, Black Sparrow Press, 1971, p. 18. Retour au texte

35 Voir Isabelle Alfandary, Le Risque de la lettre. Lectures de la poésie moderniste américaine, Lyon, ENS Éditions, 2012, p. 130. « L’oralité invoquée est elle-même hautement problématique, étant avant tout un effet d’écriture. Loin d’être la langue du paradis perdu, la langue d’avant l’entrée dans le langage, la grammaire de Stein n’est jamais qu’une fiction de langue véritablement maternelle réalisée du point de vue de la lettre. Cette langue même qu’il arrive de lire sous la plume de Stein ou d’E.E. Cummings, que Jacques Lacan écrit en un seul mot, “lalangue”, et dont il dit qu’elle “sert à toutes autres choses qu’à la communication”, ne peut se réduire à n’être qu’une écriture du maternel. » Retour au texte

36 Marjorie Perloff, The Poetics of Indeterminacy. Rimbaud to Cage [1981], Evanston, Ill., Northwestern University Press, 1983, p. 17-18. Retour au texte

37 « I grow old…I grow old…/ I shall wear the bottoms of my trousers rolled// Shall I part my hair behind? Do I dare to eat a peach?/ I shall wear white flannel trousers, and walk upon the beach. » T.S. Eliot, Collected Poems 1909-1962, op. cit., p. 7. Retour au texte

38 Textes philosophiques sur lesquels se fonde l’hindouisme. Retour au texte

39 « Datta » signifie : give (donne). Retour au texte

40 « Qu’avons-nous donné ? ». Retour au texte

41 « compatis ». Retour au texte

42 T.S. Eliot, « The Waste Land », dans Collected Poems 1909-1962, op. cit., p. 68-69. Retour au texte

43 T.S. Eliot, « The Dry Salvages » dans Collected Poems 1909-1962, op. cit., p. 200. Retour au texte

44 T.S. Eliot, La Terre vaine et autres poèmes, Pierre Leyris (trad.), op. cit., p. 209. Retour au texte

45 T.S. Eliot, « The Dry Salvages », Collected Poems 1909-1962, op. cit., p. 197. Retour au texte

Citer cet article

Référence papier

Amélie Ducroux, « Écritures poétiques modernes et dépaysements dans la langue », Textures, 24-25 | 2021, 65-86.

Référence électronique

Amélie Ducroux, « Écritures poétiques modernes et dépaysements dans la langue », Textures [En ligne], 24-25 | 2021, mis en ligne le 24 janvier 2023, consulté le 05 septembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/textures/index.php?id=246

Auteur

Amélie Ducroux

Université Lyon 2

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