Paradoxes du dépaysement dans The Shadow Lines d’Amitav Ghosh (1988) : un processus de (dé)familiarisation ?

DOI : 10.35562/textures.285

p. 337-349

Abstract

The Shadow Lines (1988), d’Amitav Ghosh, est un récit d’expatriations croisées, comme autant d’expériences de défamiliarisation répétées. Les membres de la famille du narrateur sont en proie à ces déplacements depuis l’exil de sa grand-mère qui, avant la Partition en 1947, quitte Dhaka pour s’installer à Kolkata. Les générations suivantes feront elles aussi l’expérience de l’immigration, dans une errance entre Londres, Kolkata et Dhaka qui convoque la période précédant l’Indépendance de l’Inde mais aussi la Seconde Guerre mondiale, les années 1960 et la fin des années 1970. La notion de dépaysement s’inscrit alors dans un paradoxe : si l’immigration crée des situations de dé-paysement (changement de pays), il semblerait pourtant que les expériences les plus dépaysantes prennent place lors le retour au lieu d’origine (« home »). La division du roman en deux parties, « Going Away » et « Coming Home », suggère que le récit met en scène le retour à un espace familier, au foyer (« home »). Pourtant, le récit du retour est souvent l’expérience d’une défamiliarisation abrupte, qui s’inscrit au sein même du pays et du paysage de l’enfance, comme en témoigne le « homecoming » de la grand-mère du narrateur à Dhaka. À l’inverse, lors de voyages en pays inconnus, alors que les lecteur·rices auraient pu s’attendre à la surprise du dépaysement, les constructions de la mémoire créent un effet de déjà-vu, comme si le paysage était déjà familier, appréhendé par l’histoire et les histoires. Sur le plan narratif et textuel, la fragmentation géographique et chronologique déroutante, qui trouble le paysage du livre, interdit toute linéarité et propose une expérience de dépaysement aux lecteur·rices. Cette présentation s’interrogera sur la façon dont les déplacements du roman subvertissent le sentiment de dépaysement, sans se limiter à l’expérience de dé-paysement (changement de pays).

Outline

Text

« Once you start moving you never stop1 », déclare Jethamoshai, l’oncle de la grand-mère du narrateur dans le deuxième roman d’Amitav Ghosh, The Shadow Lines (1988). Refusant de quitter sa maison de Dhaka, alors que sa nièce est venue le chercher pour l’emmener avec elle à Kolkata, Jethamoshai affirme son attachement au lieu où il a passé toute sa vie, et la fin tragique qui l’attend au moment même où il met le pied dehors semble confirmer qu’il ne pouvait vivre ailleurs. La fin du roman fait donc apparaître le dépaysement dans toute sa violence, comme un déchirement ; Jethamoshai est dé-paysé parce qu’il est arraché à son foyer, contre son gré, et il n’y survit pas. À cet égard, il est utile de rappeler la définition du mot « pays » que donne Jean-Luc Nancy dans Au fond des images :

Aujourd’hui encore, dans bien des campagnes de France (c’est-à-dire chez des paysans), le mot de « pays » peut aussi bien désigner un hameau, un canton, que la France elle-même. Car il désigne ainsi chaque fois l’endroit – le coin – d’où l’on est ou bien d’où quelqu’un est : d’où il vient, où il est né, ou bien où il habite2.

Le « pays » que désigne ici Nancy a finalement peu à voir avec la nation comme construction politique et s’approche bien plus du terme anglais « home », c’est-à-dire le foyer, le lieu d’appartenance, avec tous les changements d’échelle que le terme peut impliquer. « Home », dans les mots de T.S. Eliot, c’est là où l’on commence3 et à ce titre, c’est le lieu du familier, le chez-soi. Le dépaysement dont il est alors question dans la situation décrite ci-dessus peut s’apparenter à un exil, qu’Edward Said définit ainsi : « Exile is the unhealable rift forced between a human being and a native place, between the self and its true home4 ».

Le cadre historique choisi par Amitav Ghosh dans The Shadow Lines impose une réflexion sur ce type de déplacements forcés puisque le roman met en scène la Partition de 1947 qui introduit une nouvelle frontière entre l’Inde et le Pakistan oriental et les émeutes qui éclatent entre communautés hindoues et musulmanes dans les années 1960 dans les deux pays. La Partition contraint des populations musulmanes à quitter l’Inde pour l’État nouvellement créé, et des populations hindoues à rejoindre l’Inde depuis ce qui est devenu le Pakistan. Le climat de tension des années 1960 aboutit à une nouvelle Partition puisque le Pakistan oriental, jusqu’alors lié au Pakistan tel qu’on le connaît aujourd’hui, obtient son indépendance et devient le Bangladesh en 1971. Ces événements transforment la vie des membres de la famille du narrateur et leur définition d’un lieu qu’ils pourraient appeler « home ». Le récit est focalisé sur un narrateur non nommé, que l’on suit enfant, dans les années 1950 et 1960, dans les rues de Kolkata, et à la fin des années 1970, alors qu’il étudie à Londres. Le passage de son oncle Tridib à Londres fait l’objet de la première moitié du livre, intitulée « Going Away » tandis que la seconde moitié, « Coming Home » porte davantage sur la vie de sa grand-mère, Tha’mma. Loin d’une narration divisée entre ces deux moments, le roman refuse néanmoins toute linéarité chronologique pour lui préférer une narration en patchwork qui entrelace lieux et temporalités. À la lecture, donc, The Shadow Lines dépayse, dans le sens figuré du terme tel qu’il est établi dans le Trésor de la Langue Française : il déconcerte les lecteur·rices en les transportant dans un cadre inhabituel.

Le dépaysement, au sens premier de changement de pays, est une expérience répétée dans le roman de Ghosh et pourtant, le sentiment de perte de repères (perçu positivement ou pas) qui pourrait en résulter, et qui constitue le sens figuré de « dépaysement », n’en est pas toujours la conséquence. La notion de cosmopolitisme est parfois plus appropriée pour qualifier le ressenti de personnages qui parviennent à se sentir chez eux, « at home », dans la capitale anglaise. À l’inverse, le dépaysement au sens de défamiliarisation, mais aussi de la découverte du « unhomely », devient inéluctable pour qualifier l’expérience du retour au pays.

Nous analyserons le paradoxe du décalage entre ces deux sens du terme « dépaysement » en trois points, en commençant par examiner l’expérience concrète de changement de pays (dé-paysement), avant de nous tourner vers le sentiment de défamiliarisation, étonnamment associé au retour au pays d’origine. Dans une dernière partie, nous interrogerons la possibilité d’une refamiliarisation du paysage devenu étranger par le récit. Nous nous appuierons dans cette analyse sur certains concepts des études postcoloniales, et notamment les travaux d’Edward Said, Salman Rushdie et Homi Bhabha pour son interprétation de la notion freudienne de « unhomely », ainsi que sur les écrits sur lieu et espace de Yi-Fu Tuan et John Clement Ball.

Partir : à la recherche du dépaysement

Avant d’être une expérience douloureuse et parfois définitive, le « dépaysement » tel qu’on l’entend au quotidien ou dans le secteur touristique nous invite à nous intéresser à l’attrait de l’exotique, c’est-à-dire de ce qui est original parce que venant de l’étranger. Le narrateur de The Shadow Lines éprouve cette fascination dès l’enfance, lorsqu’il écoute avec avidité les récits de voyage de son oncle Tridib, ou de sa cousine Ila qui vit à l’étranger. Il semble incarner une forme de cosmopolitisme, tel que le décrit Shameem Black : « an attitude of open engagement with unfamiliar people and places5. » Le narrateur se place ainsi dans la droite lignée d’un héritage bengali, tel que le souligne Meenakshi Mukherjee dans son article « Maps and Mirrors : Co-ordinates of Meaning in The Shadow Lines » :

Cartographic imagination has characterized an aspect of Bengali sensibility in ways that have yet to be analyzed. Whether as a result of a relatively early exposure to colonial education or as a reaction to it, real journeys within the country and imagined travels to far away places outside national boundaries have always fascinated the Bengali middle class6.

La curiosité du narrateur pour les cartes et les descriptions de paysages étrangers s’inscrit dans cette sensibilité. Et pourtant, cet intérêt pour l’inhabituel, le « unfamiliar », ne se traduit pas par un sentiment de dépaysement lorsque le narrateur se rend en Angleterre quelques années plus tard. En effet, lorsqu’il habite à Londres, il semble ne s’étonner de rien, voire en savoir plus que celles et ceux qui y vivent depuis longtemps. Il n’a rien d’un touriste lorsqu’il se rend dans la maison de Mrs Price avec Ila qui lui demande : « at least the room’s a surprise, isn’t it7 ? » Les récits de Tridib, d’Ila et l’atlas de la ville de Londres, dont le narrateur connaît la page 43 par cœur, l’ont d’ores et déjà préparé aux lieux qu’il visite et sa première rencontre avec Nick, dont lui a déjà parlé Ila lorsqu’ils étaient enfants, annonce la couleur : « I’m not meeting you for the first time ; I’ve grown up with you8. » De la même manière, le narrateur annonce connaître les rues qui les entourent9, et peut lui-même donner les consignes pour rejoindre la maison des Price, où il n’est pourtant jamais allé. Si l’expérience du voyage en Angleterre est un changement de pays, on ne peut guère affirmer ici que le narrateur se sente dépaysé par ce qu’il observe. Au contraire, il est même surpris de la façon dont le paysage correspond si parfaitement à ce qu’il avait imaginé : « I could not still believe in the truth of what I did see10 ».

L’expérience du narrateur rappelle celle des migrant·es du Commonwealth que décrit John Clement Ball dans Imagining London : Postcolonial Fiction and the Transnational Metropolis, lorsqu’il explique que ces dernier·ères appréhendent la ville de Londres en tant qu’espace et lieu à la fois. Ball s’appuie ici sur la distinction entre les termes « lieu » et « espace » proposée par Yi-Fu Tuan, qui associe l’espace à l’abstrait, l’indifférencié, et le lieu au résultat d’une familiarisation progressive, avec le passage du temps. Selon le critique, le·la migrant·e arrivant dans la métropole découvre un espace qui ne lui est certes pas familier, mais il·elle reconnaît un lieu, car la ville de Londres est chargée de valeurs, de sens et d’images de par son histoire impériale, culturelle et littéraire11. Le narrateur de The Shadow Lines arrive à Londres avec une connaissance déjà intime de la ville ; dans les termes d’Anshuman Mondal, la capitale est un palimpseste où, sous les inscriptions récentes, le narrateur peut reconnaître la ville des années 1940 que lui a décrite Tridib12. L’étranger devient donc familier par le biais de la narration et de la mémoire, et Londres n’est pas présentée comme une ville inconnue mais bien comme un support d’histoires plus anciennes, qui jaillissent dans le récit et viennent colorer le vécu des personnages.

Pourtant, lors d’une visite à Brick Lane, la ville refuse de se livrer si facilement au narrateur qui se trouve bien en peine de reconnaître les repères indiqués par Tridib. La rue telle qu’elle se présente à lui à la fin des années 1970 est un lieu privilégié de l’immigration bangladaise ; elle arbore des noms de magasins bangladais, de vitrines remplies de magazines sur le cinéma bangladais et en s’y promenant, les personnages entendent une dizaine de dialectes bengalis. Parce que le quartier est en pleine mutation13, le narrateur ne peut se reposer sur les récits de Tridib datant de la Seconde Guerre mondiale. Le sentiment de défamiliarisation du narrateur n’est alors pas lié à l’appréhension de l’étrangeté d’une ville anglaise, mais bien à la découverte, dans la métropole, d’un lieu qui partage des similitudes avec la maison qu’il a quittée. Ila lui signale ainsi la présence d’une confiserie « Exactly like that sweet-shop at the corner of Gole Park [à Kolkata, où a vécu le narrateur]14 ». Celui-ci est abasourdi par le lieu et proprement dépaysé ; cette fois-ci, il signale : « I had no means of recognising the place I saw ; it did not belong anywhere I had ever been15 ». Il ne se ressaisit qu’après que Nick identifie l’ancienne synagogue, ce qui lui permet de reprendre son rôle de guide dans la ville. Il semble donc que l’irruption du familier dans un contexte inattendu crée un véritable dépaysement, une perte de repères alors même que l’on s’attendrait à ce que la présence de la culture et de langues bengalies amène une certaine familiarité.

Dans cet espace d’hybridité qu’est Brick Lane, le pays étranger refuse de correspondre à une image fossilisée que s’est faite le narrateur. Dans les termes de Homi Bhabha, le narrateur fait l’expérience d’un surgissement du « unhomely » : « In the stirrings of the unhomely, another world becomes visible. […] The unhomely is the shock of recognition of the world-in-the-home, the home-in-the-world16. » Nous utilisons ici un terme que Bhabha emprunte à la psychanalyse et notamment aux travaux de Sigmund Freud, chez qui il désigne ce qui était familier ou intime, et ne l’est plus17. Pour Bhabha, la notion de « unhomely » est une expérience postcoloniale paradigmatique18 de reconnaissance de l’altérité du monde dans un espace qui correspond pourtant au concept de « home ». Il retravaille donc la notion de « Unheimlich » de Freud, en ceci que ce dernier y voit l’intrusion du familier dans l’étrange, quand Bhabha fait du « unhomely » un concept à double sens. Dans l’exemple ci-dessus, le glissement a lieu dans un espace qui n’est pas familier : il s’agit plutôt d’une intrusion du familier (« homely ») dans le monde produisant un effet de brouillage similaire entre privé et public, qui développent ce que Bhabha appelle une « intimité interstitielle19 ». Dans cet entre-deux, le narrateur peut reconnaître sa ville natale sous les traits d’une ville qu’il ne connaît que par les récits de son oncle.

Si le narrateur peut se targuer de connaître Londres comme sa poche, il s’étonne d’y être confronté à des dialectes bengalis qu’il ne connaît pas : « For me the experience of hearing Bengali dialects which I had never heard in Calcutta being spoken in the streets of London was still replete with unexplored ironies20. » Ce dépaysement linguistique, dans une ville où il ne se sent pourtant pas dépaysé, crée un décalage entre ses attentes et la réalité. Par ailleurs, il nous rappelle que la défamiliarisation se construit avant tout sur le familier : les rues de Londres sont moins dépaysantes pour qui s’attend à être dépaysé et accepte le caractère exotique de la ville, qu’un dialecte qui est censé être connu, ou du moins découvert au pays natal. L’analyse de la notion de dépaysement requiert donc de différencier une expérience de déplacement dans un pays étranger d’un sentiment de défamiliarisation (ou « unhomely »), qui se manifeste précisément lorsqu’on reconnaît du chez-soi ailleurs, ou du ailleurs chez-soi.

Revenir chez soi : la défamiliarisation

En contrepoint de ce récit d’immigration temporaire, The Shadow Lines est hanté par le récit d’un retour au pays natal qui n’a rien d’une appréhension du familier. La grand-mère du narrateur, Tha’mma, a en effet quitté Dhaka avant 1947 et n’a jamais pu y revenir après la Partition. Laissant derrière elle la maison de son enfance où vivent encore certains membres de sa famille, dont son oncle Jethamoshai, Tha’mma s’est installée à Kolkata, de l’autre côté de la frontière. Mais en 1963, lorsque sa sœur déménage dans la ville de leur enfance, Tha’mma est tentée d’y retourner elle aussi pour revoir la maison où elles ont grandi. En janvier 1964, elle prépare son « homecoming » non sans cérémonie : le jour de la visite de la maison de leur enfance, la couleur de son sari est soigneusement sélectionnée, et c’est avec émotion qu’elle annonce à son oncle Jethamoshai resté sur place : « We’ve come home at last21... »

Cependant, le retour se heurte à la réalité d’une ville et d’une maison transformées, qui ne ressemblent plus à celles qu’elle a laissées. Ainsi Tha’mma demande-t-elle, à son arrivée à Dhaka : « Where’s Dhaka ? I can’t see Dhaka22. » La nostalgie du personnage n’est pas sans rappeler l’expérience du narrateur à Brick Lane : le décalage temporel entre le souvenir et la réalité du paysage contemporain est une fracture qui dépayse si complètement que Tha’mma refuse d’y reconnaître sa ville natale. Ainsi, elle ressasse: « whatever you may say, this isn’t Dhaka23 », ou encore « It’s all wonderful, [… b]ut where’s Dhaka24? » La défamiliarisation est totale et la maison de son enfance n’est plus un lieu familier ou « homely » ; dans le bâtiment et dans les rues alentour, Tha’mma est devenue une étrangère et elle a d’ailleurs besoin d’un visa pour aller au Bangladesh, comme le remarque ironiquement Tridib. Par ailleurs, la visite de la maison aboutit à la mort tragique de Tridib et de l’oncle que Tha’mma était venue chercher, dans une confrontation avec un groupe de violents protestataires musulmans. Cette maison n’offre donc plus de refuge au personnage.

La confrontation entre nostalgie et réalité est reflétée dans le langage même, qui fait du concept de « home » un lieu fixe et déterminé, alors que l’expérience de Tha’mma montre que le lieu d’origine, le « pays » dans les termes de Nancy ou le « home » en anglais, est instable. Ainsi, lorsque Tha’mma raconte qu’elle pouvait « rentrer chez elle » (« come home ») lorsqu’elle le désirait avant la Partition, le narrateur s’étonne qu’elle n’utilise pas le verbe « aller » (« go home »), qui serait plus approprié selon lui :

Every language assumes a centrality, a fixed and settled point to go away from and come back to, and what my grandmother was looking for was a word for a journey which was not coming or going at all ; a journey that was a search for precisely that fixed point which permits the proper use of verbs of movement25.

La difficulté à employer le verbe de mouvement adéquat est peut-être à lire en regard d’une tradition bengalie selon laquelle les individus sont réticents à utiliser le verbe « go » lorsqu’ils quittent un foyer, ce qui pourrait être de mauvais augure26. Mais l’insistance du narrateur sur cette particularité de Tha’mma, qui devient une plaisanterie récurrente dans la famille, souligne que cette confusion est plus significative encore. Comme l’analyse Sandrine Soukaï, l’impossibilité pour le personnage d’utiliser les verbes de mouvement appropriés met en évidence la fragilité du cadre national lui-même, « référent instable dans lequel toute quête identitaire est vouée à l’échec27 ». Ce jeu linguistique sur les verbes de mouvement n’est pas sans rappeler le titre du premier roman de Yaa Gyasi, autrice américaine et ghanéenne, intitulé Homegoing (2016). Ce récit, qui tisse une histoire familiale sur pas moins de sept générations, voit ses personnages transportés, parfois de force, entre le Ghana et les États-Unis. L’association entre « home » et « going » dans le titre, plutôt que « coming », collocation assez commune pour avoir sa place dans le dictionnaire, souligne le fait que le terme « home » peine à faire référence à un lieu déterminé, et désigne non plus le lieu d’où l’on part mais celui où l’on arrive après un déplacement. Celui-ci peut-il alors être toujours considéré comme chez soi ? En français, ce roman a été traduit par No Home, niant la possibilité même des personnages à retrouver un lieu qui susciterait un sentiment d’appartenance.

Dans The Shadow Lines, la confusion entre les deux verbes déplace le concept de « home » pour le personnage de Tha’mma. En affirmant qu’elle veut revenir à Dhaka, elle insiste sur le fait que c’est dans sa ville natale, et non à Kolkata, qu’elle se sent chez elle. Son dépaysement lorsqu’elle retourne à Dhaka et l’intrusion du « unhomely » avec la mort de Tridib l’obligent à reconsidérer son « home », car dans la communauté bangladaise qui s’est redéfinie sur des critères religieux, Tha’mma, hindoue, est devenue l’Autre. Plus que jamais, elle est donc condamnée à ne trouver refuge que dans la mémoire28, dans une formulation qui rappelle celle de Salman Rushdie lorsqu’il décrit le sort des écrivain·es exilé·es :

It may be that writers in my position, exiles or emigrants or expatriates, are haunted by some sense of loss, some urge to reclaim, to look back […] our physical alienation from India almost inevitably means that we will not be capable of reclaiming precisely the thing that was lost ; that we will, in short, create fictions, not actual cities or villages, but invisible ones, imaginary homelands, Indias of the mind29.

En insistant sur l’imagination comme outil de création d’un pays d’origine ou « homeland », Rushdie souligne le décalage entre le pays qu’on a laissé, en tant qu’expatrié·e, et l’image que l’on en garde. Face à l’impossibilité de revenir dans son pays d’origine, le personnage de Tha’mma, comme le narrateur, a recours à la mémoire et à la fiction qui semblent seules pouvoir garantir la fixité d’un point d’ancrage.

Refamiliariser le réel par la fiction

Lors de sa promenade à Brick Lane, le narrateur observe la maison de l’oncle de Nick et note : « That was the window of Dan’s bedroom, I decided30. » Dans cette description presque performative, il place ses propres repères sur le paysage londonien et comble les vides du récit troué que lui a transmis Tridib. Cette affirmation d’allure anodine peut être lue comme un geste mimétique de sa démarche tout au long du roman. En tressant les différents fils de la narration, le narrateur s’acharne en effet à rendre familier le récit d’un traumatisme qui ne pourra jamais l’être. À cet égard, le récit est une véritable tentative de reconstruction ou de remembrement pour répondre au silence ainsi décrit : « a gap, a hole, an emptiness in which there are no words31 ». Si le roman dépayse, refusant le respect de la chronologie ou la continuité de l’action, la fragmentation du texte et ses ellipses sont également le signe de l’impossibilité, pour le narrateur, de nous livrer une histoire linéaire à cause de la violence des événements qui la ponctuent.

Dans la seconde partie du roman, le narrateur raconte le déroulement d’une journée de janvier 1964, où la ville de Kolkata semble s’être arrêtée et le temps s’être suspendu alors que gronde le mécontentement dans la communauté hindoue, en réponse à des violences anti-hindoues à Dhaka. En quittant l’école, le narrateur et ses camarades remarquent: « we saw that street twice every day, but now it seemed somehow unfamiliar. The pavements, usually thronged with vendors and passers-by, were eerily empty now—except for squads of patrolling policemen32 ». Le contraste entre le paysage familier d’une rue remplie de monde et celui, exceptionnel, d’une rue déserte, crée un sentiment de défamiliarisation propre au dépaysement. « Dépeuplé, le paysage dépayse », rappelle Nancy33. L’adjectif « unfamiliar » ainsi que l’adverbe « eerily » introduisent l’idée d’une menace que confirme la suite du passage :

We could not recognise the streets we were careering through. We did not know whether we were going home or not.
The streets had turned themselves inside out : our city had turned against us34.

L’irruption de l’ailleurs dans le paysage familier est suggérée par la possibilité évoquée par le narrateur que les enfants ne rentrent pas chez eux. Comme le signale Homi Bhabha dans son analyse du roman de Nadine Gordimer My Son’s Story, « suddenly the home turns into another world35 ». Ici, un paysage familier se voit teinté d’une étrangeté propre au sentiment de « unhomely ». Le verbe utilisé dans la dernière phrase, « turn inside out », suggère que les rues imitent le vêtement que l’on peut retourner et reconnaître sans qu’il ne perde sa forme familière, mais la métaphore rappelle aussi l’ennemi qui retourne sa veste, ce qui donne aux rues une intention hostile. La ville est personnifiée pour souligner la mise en danger des enfants.

Si la traversée de la ville en temps d’émeutes est traumatisante, il est d’autant plus marquant que ces émeutes soient tues dans les enseignements que le narrateur reçoit plus tard, dans ses cours d’histoire de l’université de Delhi. Ses camarades de classe refusent de le croire lorsqu’il déclare se souvenir de tels événements à Kolkata et l’émeute sort du paysage de l’histoire, demeurant indicible et inconnue. Face à ces silences, le narrateur cherche frénétiquement des preuves de ce qu’il a vécu dans les bibliothèques de Delhi, et découvre des années plus tard pourquoi les rues de Kolkata, ce jour-là, ont été le lieu d’affrontements. Cela l’amène à comprendre, comme par ricochet, pourquoi Tridib a été assassiné par un groupe en colère à Dhaka quelques jours plus tard.

Au-delà du récit d’un drame familial, il faut donc lire dans The Shadow Lines une fiction historique qui n’a de cesse d’interroger l’histoire dite officielle et cherche à comprendre les raisons de la naissance d’un sentiment d’inquiétante étrangeté éprouvé par ses personnages. Dans Postmodernist Fiction, Brian McHale s’intéresse au renouvellement de la fiction historique « classique » et à la façon dont le roman postmoderniste historique « révise » le contenu des archives36. Cette « révision » a bien lieu dans The Shadow Lines, où le narrateur se place à la marge d’une histoire qu’il tente de compléter. Sa plongée dans les archives souligne un intérêt pour une histoire relativement oubliée, qui fait partie de ce que McHale appelle les zones d’ombre de l’histoire37. La démarche serait donc, dans les termes de McHale, apocryphe: « Apocryphal history […] supplements the historical record, claiming to restore what has been lost or suppressed38 ». Elle rappelle en cela le projet des chercheur·ses du groupe des Subaltern Studies (du nom de la revue, publiée pour la première fois en 1982), qui tentent de combler les vides laissés par une historiographie perçue comme élitiste39, et avec qui Amitav Ghosh déclare avoir des liens40.

L’histoire officielle se voit constamment défamiliarisée dans The Shadow Lines, notamment par Tridib qui en interroge l’importance. Songeant au frère de Mrs Price et à ses colocataires qu’il avait rencontré·es à Londres, enfant, il ne peut s’empêcher de se questionner sur la nature des problèmes qui les agitent dans leur vie quotidienne : « Which was the more real, their dirty bathtubs and shared bedrooms or that other reality [the announcement of the Nazi-Soviet pact], waiting one week away41 ? » En faisant de la maison un lieu de préoccupation qui contraste avec les événements géopolitiques, Tridib dépayse l’histoire et nous invite à reconnaître l’importance de ces anecdotes personnelles ou familiales. Dans ce déplacement de l’histoire, la force de l’imagination est constamment éprouvée :

Tridib […] had said that we could not see without inventing what we saw […] he had said that we had to try because the alternative wasn’t blankness—it only meant that if we didn’t try ourselves, we would never be free of other people’s inventions42.

Plus que la compréhension intellectuelle, c’est la vision qui entérine la validité de ces histoires inventées qui suggèrent une autre lecture du réel. En proposant à de multiples reprises des descriptions de paysage, produits de la mémoire et de l’imagination, comme autant de vignettes à travers le roman, The Shadow Lines invite à reconstruire par la pensée et la discussion ces lieux ancrés dans des temporalités différentes. Cette expérience parfois douloureuse (comme elle l’est pour le frère de Tridib, hanté en rêve par le paysage de la rue où a été assassiné son frère), mais aussi créatrice et enivrante (comme c’est souvent le cas pour le narrateur), affirme la primauté du vécu des personnages en mettant leurs récits au cœur du processus de familiarisation. Le temps d’un récit, d’une vision partagée, ils participent ensemble à l’élaboration d’un lieu familier, « home » fugace et métaphorique qui renforce néanmoins une commune intimité.

Conclusion

Cette analyse a tenté de montrer les paradoxes du dépaysement dans The Shadow Lines, en étudiant notamment les expériences de dé-paysement, ou changement de pays, mais également celles du « homecoming » ou retour au pays, qui introduisent dans le roman les passages les plus troublants de défamiliarisation. Pour lutter contre ce sentiment de dépaysement qui surgit chez les personnages dans les lieux qui leur sont les plus familiers, le narrateur s’appuie sur le travail de la mémoire et de l’imagination. En reconstruisant l’histoire dans le récit, et parfois en s’affranchissant de celle-ci, il reconnaît, comme Ghosh, l’urgence de se rappeler ce que l’auteur nomme « les histoires que nous n’avons pas écrites43. » Les lignes d’ombre qui donnent son titre au roman et se glissent entre le familier et le non familier, entre l’histoire et le récit, la carte et le paysage, gardent toute leur ambiguïté. Comme l’histoire officielle, qui s’éloigne en arrière-plan pour laisser place aux récits, la géographie s’efface presque pour laisser surgir les visions personnelles, parfois incomplètes et pourtant justes et précises.

L’imagination sur laquelle s’appuient les personnages de The Shadow Lines s’inscrit, pour Ghosh, dans une relation complexe entre l’Inde et ses habitant·es. Dans « The Diaspora in Indian Culture », l’auteur s’intéresse aux liens qui unissent les Indien·nes de la diaspora à leur pays d’origine. Rejetant la langue, la religion, la politique ou l’économie comme éléments essentiels de cette connexion, Ghosh insiste sur l’importance de l’imagination : « the links between India and her diaspora are lived within the imagination44. » Il revient alors aux écrivain·es d’alimenter ce lien entre le pays d’origine et les individus, en élaborant des histoires qui font de l’Inde un foyer (« home ») par-delà les frontières.

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Soukaï Sandrine, « Les Ombres de la Partition dans les romans indiens et pakistanais de langue anglaise », Thèse de doctorat soutenue en 2016 à l’Université Paris-Sorbonne, sous la direction d’Alexis Tadié.

Notes

1 Amitav Ghosh, The Shadow Lines [1988], Delhi, Oxford University Press, 1997, p. 215. « Une fois qu’on commence à partir, on ne s’arrête plus », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre [1988], Christiane Besse (trad.), Paris, Seuil, 1992, p. 272. Return to text

2 Jean-Luc Nancy, Au fond des images, Paris, Galilée, 2003, p. 104. Return to text

3 « Home is where one starts from », T. S. Eliot, Four Quartets [1943], San Diego, Harcourt Brace Jovanovich, 1971, p. 180. Return to text

4 Edward W. Said, Reflections on Exile and Other Essays, Londres, Granta Books, 2012, p. 49. « L’exil est une déchirure dont on ne peut guérir, qui s’impose entre un être humain et son lieu de naissance, entre l’être et son véritable chez-lui » (je traduis). Return to text

5 Shameem Black, « Cosmopolitanism at Home: Amitav Ghosh’s The Shadow Lines », The Journal of Commonwealth Literature, vol. 41, n°3, septembre 2006, p. 45‑65, p. 47. « une attitude d’engagement ouvert vis-à-vis de personnes et lieux inconnus. » (je traduis) Return to text

6 Meenakshi Mukherjee, « Maps and Mirrors: Co-ordinates of Meaning in The Shadow Lines », The Shadow Lines [1988], Amitav Ghosh, Delhi, Oxford University Press, 1995, p. 255‑267, p. 257. « L’imagination cartographique caractérise un aspect de la sensibilité bengalie de multiples façons, qui n’ont pas encore été analysées. Soit en raison d’une exposition précoce à l’éducation coloniale, soit en réaction à cette éducation, les voyages réels à travers le pays et les voyages imaginaires dans des lieux éloignés, hors des frontières nationales, ont toujours fasciné la classe moyenne bengalie. » (je traduis) Return to text

7 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 68. « au moins cette pièce est une surprise, n’est-ce pas ? », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 91. Return to text

8 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 55. « Je ne vous rencontre pas pour la première fois, dis-je. J’ai grandi avec vous », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 75. Return to text

9 « I’ve known these streets around here for a long time too, I said », Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 55. « je connais tout ce quartier depuis longtemps aussi », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 75. Return to text

10 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 57. « je n’arrivais pas à croire la réalité de ce que je voyais », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 78. Return to text

11 John Clement Ball, Imagining London: Postcolonial Fiction and the Transnational Metropolis, Toronto, University of Toronto Press, 2006, p. 33. Return to text

12 Anshuman A. Mondal, Amitav Ghosh, Manchester, Manchester University Press, 2007, p. 149. Return to text

13 Dans son étude des migrations à Brick Lane, Anne Kershen note les importantes transformations que connaît le quartier entre les années 1950 et 1980, notamment en termes d’immigration : « [In 1972] Brick Lane had shed the carapace of Little Jerusalem but was not yet Banglatown. For the next ten to fifteen years the street was truly multi-cultural, Jewish, Bengali and English activities carried out side by side […]. The metamorphosis [into Banglatown] was almost complete by 1981 ». Kershen remarque que Brick Lane incarne maintenant une forme d’exotisme : « Banglatown may have started off as a segregated area but it is now something very different. By day and by night it draws to its throbbing pavements outsiders, tourists and young middle-class, predominantly white, professionals eager to taste the exoticism of ‘elsewhere’. » Anne J. Kershen, Strangers, Aliens and Asians: Huguenots, Jews and Bangladeshis in Spitalfields, 1660-2000, Londres, Routledge, 2005, p. 61 et 62. Le narrateur ressent ce déplacement en assimilant Brick Lane à sa ville natale, d’autant plus que l’on peut imaginer qu’au moment où il en fait l’expérience, le quartier n’est pas aussi gentrifié qu’il le deviendra à la fin du siècle. Return to text

14 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 100. « Exactement la pâtisserie au coin de Gole Park », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 131. Return to text

15 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 100. « Aucun moyen pour moi d’identifier l’endroit que je voyais : il ne ressemblait à rien de ce que je connaissais », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 130. Return to text

16 Homi Bhabha, « The World and the Home », Social Text, vol. 31/32, 1992, p. 141‑153, p. 141. « Le ‘unhomely’ est le choc de la reconnaissance du monde-dans-la-maison, de la maison-dans-le-monde. » (je traduis) Return to text

17 « Serait Unheimlich tout ce qui devait rester secret, dans l’ombre, et qui en est sorti. » Sigmund Freud, « L’inquiétante étrangeté » [1919], L’Inquiétante Étrangeté et autres essais, Fernand Cambon (trad.), Paris, Gallimard, 1985, p. 222. Return to text

18 Homi Bhabha, « The World and the Home », art. cit., p. 142. Return to text

19 Ibid., p. 148. Return to text

20 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 241. « Pour moi, entendre pratiquer à Londres des dialectes bengalis que je n’avais jamais entendu parler à Calcutta représentait une expérience riche d’ironies inexplorées », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 305. Return to text

21 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 212. « nous voici enfin [revenues à la maison]... », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 268. Return to text

22 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 193. « Où est Dhaka ? Je ne vois pas Dhaka », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 244. Return to text

23 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 195. « quoi que tu en dises, ceci n’est pas Dhaka », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 247. Return to text

24 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 206. « Tout cela est merveilleux, […m]ais où est Dhaka ? », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 260. Return to text

25 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 153. « Tout langage assume une centralité, un point fixe et défini d’où partir et revenir, et, ce que Grand-mère cherchait, c’était un mot pour un voyage qui n’était ni un aller ni un retour, mais précisément une quête de ce point fixe qui permet le bon usage des verbes de mouvement », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 195. Return to text

26 « In traditional Bengali households, there is something inauspicious about saying, ‘I take your leave’ or ‘I will go now,’ when one actually means to depart for any destination, because it could mean that he/she might never come back. When one is going away, therefore, one is expected to say Aashi, which literally means its opposite, that is ‘I am just coming,’ its nearest English equivalent as a farewell statement would be ‘See you soon’ or ‘Until we meet again.’ » Nivedita Sen, « ’Going Away’ and ‘Coming Home’: The Shadow Lines and the Travel Motif in Children’s Fiction », dans Amitav Ghosh’s The Shadow Lines: Critical Essays, Arvind Chowdhary (dir.), New Delhi, Atlantic, 2002, p. 128‑144, p. 132. « Dans les foyers traditionnels bengalis, dire “Je prends congé” ou “Je vais partir maintenant”, lorsque l’on veut partir n’importe où, a quelque chose de fâcheux, car cela pourrait vouloir dire qu’on ne reviendra peut-être jamais. Quand quelqu’un s’en va, alors, on s’attend à ce que la personne dise Aashi, que l’on traduit littéralement par l’opposé, c’est-à-dire “J’arrive tout juste”. La formule d’adieu équivalente en anglais serait alors “À bientôt” ou “Au revoir”. » (je traduis) Return to text

27 Sandrine Soukaï, « Les Ombres de la Partition dans les romans indiens et pakistanais de langue anglaise », Thèse de doctorat soutenue en 2016 à l’Université Paris-Sorbonne, sous la direction d’Alexis Tadié, p. 162. Return to text

28 « people who have […] no home but in memory », Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 194. « des gens […] qui n’ont pour pays que leur mémoire », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 246. Return to text

29 Salman Rushdie, Imaginary Homelands: Essays and Criticism 1981-1991, Londres, Granta Books, 1992, p. 10. « Il se peut que les écrivain·es dans ma position, les exilé·es ou les émigrant·es ou les expatrié·es, soient hanté·es par un sentiment de perte, une envie irrépressible de reprendre possession, de regarder en arrière […] [N]otre aliénation physique de l’Inde veut dire, presque fatalement, que nous ne serons pas capables de reprendre possession de ce qui a été perdu ; que nous créerons, en résumé, des fictions, non pas des villes ou des villages réels, mais invisibles, des patries imaginaires, des Indes de l’esprit » (je traduis). Return to text

30 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 102. « C’était la fenêtre de la chambre de Dan, décidai-je », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 132. Return to text

31 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 218. « une brèche, un trou, un vide dans lequel il n’existe pas de mots », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 275. Return to text

32 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 202. « Nous faisions ce chemin deux fois par jour mais, à présent, il nous paraissait presque inconnu. Les trottoirs, d’ordinaire grouillants de monde et de passants, étaient maintenant mystérieusement désertés, sauf par les patrouilles de police », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 256. Return to text

33 Jean-Luc Nancy, op. cit., p. 117. Return to text

34 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 203. « Nous ne reconnaissions pas les artères que nous traversions à vive allure. Nous ne savions pas si nous rentrions chez nous ou non. Les rues s’étaient mises à l’envers : notre ville s’était retournée contre nous », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 257. Return to text

35 Homi Bhabha, « The World and the Home », art. cit., p. 143. « soudain, la maison se transforme en un autre monde » (je traduis). Return to text

36 Brian McHale, Postmodernist Fiction, Londres, Routledge, 2001, p. 90. Return to text

37 « dark areas », ibid., p. 87. Return to text

38 Ibid., p. 90. « L’histoire apocryphe […] complète les archives historiques, prétendant restaurer ce qui a été perdu ou effacé » (je traduis). Return to text

39  Ranajit Guha (dir.), Subaltern Studies I: Writings on South Asian History and Society, Oxford, Oxford University Press, 1991, p. 1. Return to text

40 « The Subaltern Studies people are old friends of mine. » Silva Neluka et Alex Tickell, « Amitav Ghosh in interview with Neluka Silva and Alex Tickell », Kunapipi, vol. 19, n° 3, 1997, p. 171‑177, p. 173. « Les membres du groupe des Subaltern Studies sont de vieux·vieilles ami·es. » (je traduis) Return to text

41 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 67. « Qu’est-ce qui était le plus vrai, leurs baignoires sales et leurs chambres communes ou bien cette autre réalité [l’annonce du pacte germano-soviétique] à une semaine de là ? », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 90. Return to text

42 Amitav Ghosh, The Shadow Lines, op. cit., p. 31. « Tridib […] prétendait que nous ne pouvions pas voir sans inventer ce que nous voyions […] Si Tridib insistait, c’est parce que si nous ne tentons pas les nôtres nous ne serons jamais libres des inventions des autres », Amitav Ghosh, Lignes d’ombre, op. cit., p. 46. Return to text

43 « the urgency of remembering the stories we have not written. » Amitav Ghosh, « The Ghosts of Mrs Gandhi », The New Yorker [en ligne], 17 juillet 1997, n. p.. Consulté le 22 février 2021 sur <https://www.amitavghosh.com/essays/ghost.html>. Dans « The Greatest Sorrow », Ghosh regrette que les émeutes de 1964 ne soient pas mentionnées dans les livres d’histoire : « The riots of 1964 […] had affected many major cities and had caused extensive civilian casualties. Yet there was not a single book devoted to this event. […] Why is it that civil violence seems to occur in parallel time, as though it were outside history? » Amitav Ghosh, « The Greatest Sorrow », Incendiary Circumstances: A Chronicle of the Turmoil of our Times, Boston, Houghton Mifflin Company, 2005, p. 36‑55, p. 46‑47. « Les émeutes de 1964 […] avaient touché de nombreuses grandes villes et avaient causé de larges pertes parmi les civils. Et pourtant il n’y avait pas un livre sur cet événement. […] Comment se fait-il que la violence civile semble avoir lieu dans une temporalité parallèle, comme si elle était en dehors de l’histoire ? » (je traduis) Return to text

44 Amitav Ghosh « The Diaspora in Indian Culture », The Imam and the Indian: Prose Pieces [2002], Gurgaon, Penguin Books, 2010, p. 246‑253, p. 250. « les liens entre l’Inde et sa diaspora sont vécus dans l’imagination. » (je traduis) Return to text

References

Bibliographical reference

Natacha Lasorak, « Paradoxes du dépaysement dans The Shadow Lines d’Amitav Ghosh (1988) : un processus de (dé)familiarisation ? », Textures, 24-25 | 2021, 337-349.

Electronic reference

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Natacha Lasorak

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