Introduction
Comme le rappelle Jacques Derrida dans Mal d’archive, l’archive a un lien avec le pouvoir et l’autorité. Le terme, grec arkheîon, désigne la demeure des magistrats supérieurs qui commandent et qui ont un pouvoir interprétatif1. S’intéresser à l’étymologie du terme permet de comprendre deux versants constitutifs de l’archive, liée à un lieu de conservation mais également à un pouvoir de création et d’interprétation, c’est à la fois tant un lieu qu’un instrument de pouvoir.
Le Conseil international des archives définit les archives comme suit :
Les archives sont le produit documentaire de l’activité humaine et elles sont conservées en raison de leur valeur sur le long terme.
Elles constituent le reflet en temps réel de l’activité des individus et des organisations, et fournissent donc une vision directe sur les événements passés. Elles se présentent sous toute une gamme de formats – écrit, photographique, audiovisuel –, sous forme numérique ou analogique. Les archives sont produites par les organisations publiques ou privées et par les personnes à travers le monde2.
Plusieurs moments participent de la « mise en archive » et aboutissent aux archives comme lieu de consultation et de communication : la collecte, le classement (c’est-à-dire la sélection et l’ordonnancement), la conservation et la communication, qui peut par la suite aboutir à une publication. Le classement tout comme la mise en archive correspond alors à une volonté, d’autant plus intéressante si les documents sont extraits de leur lieu de production et conservés dans un autre espace et que le classement conduit à sélectionner, c’est-à-dire conserver mais aussi éliminer. La création d’un fonds correspond alors à un contexte (production, collecte, classement, conservation et diffusion) et un geste non neutre. Les buts peuvent alors être multiples : suivi, fins juridiques et historiques et se pose la question de la destinée de l’archive et son rapport à un potentiel public.
La Déclaration universelle sur les archives, initiée par le Conseil international des archives et adoptée par l’Unesco en 2011, indique par ailleurs que :
Les archives constituent un patrimoine unique et irremplaçable transmis de génération en génération. Les documents sont gérés dès leur création pour en préserver la valeur et le sens. Sources d’informations fiables pour une gouvernance responsable et transparente, les archives jouent un rôle essentiel dans le développement des sociétés en contribuant à la constitution et à la sauvegarde de la mémoire individuelle et collective. L’accès le plus large aux archives doit être maintenu et encouragé pour l’accroissement des connaissances, le maintien et l’avancement de la démocratie et des droits de la personne, la qualité de vie des citoyens3.
Les contextes dictatoriaux et postdictatoriaux du Cône sud, compris comme l’ensemble composé de l’Argentine, le Chili, et l’Uruguay, sont particulièrement intéressants quant à la question des archives, car ils mettent en évidence différentes logiques et différents acteurs, ce qui permet d’en questionner la valeur et les enjeux. Ce contexte particulier conduit également à réfléchir au lien entre archives et mémoire. Les trois pays connaissent, dans les années 1970, des dictatures qui donnent à la répression un caractère régional par le biais d’opérations communes comme l’opération Condor. Les dictatures sont alors des moments de tension pour la question des archives, entre création et destruction, et une partie de la société civile s’organise afin de reconstituer les faits. Le retour à la démocratie est marqué, de façon non uniforme sur les trois espaces, par une quête de vérité et de justice, afin de faire mémoire, ce qui a également une influence sur la question des archives puisqu’il est question de construire ou reconstruire les archives qui peuvent faire défaut4. Cet article propose de réfléchir au changement de contextes ainsi qu’aux différents acteurs producteurs d’archives5 tout comme à la question de l’accès à l’information.
La production de documents en contexte dictatorial : conserver et détruire
Les dictatures du Cône sud se caractérisent par un système répressif d’ampleur mais également par une pratique du secret et de la clandestinité. Les différents services secrets acquièrent en effet une importance particulière et se développent des activités clandestines de détentions, tortures, appropriations d’enfants et de biens et disparitions dans des espaces souvent récupérés qui deviennent des centres clandestins de détention. Cette clandestinité questionne la pratique documentaire en cela qu’il y a un double mouvement entre secret (qui se poursuit avec le retour à la démocratie par le biais d’un « pacte du silence6 ») – et donc absence de document – et pratique bureaucratique du registre écrit. La pratique du silence trouve, dans une certaine mesure, un écho dans le silence des archives opéré par la destruction de nombreux documents qui pourraient servir de preuve7. Ce silence de l’archive en empêche la création ou du moins la conservation et correspond à une logique d’invisibilisation.
Du côté de la répression, la gestion des archives fonctionne comme une pratique de contrôle, tant de la population que du système répressif en lui-même8. Les fonds d’archives montrent alors leur rapport au pouvoir puisqu’il s’agit d’une preuve de pouvoir mais également d’un instrument au service du pouvoir. Si la logique inhérente aux archives est de conserver et de garder en mémoire, la logique répressive est autre puisque la destruction des archives conduit à ne pas garder en mémoire ou à minima ne pas laisser de trace du système répressif. Néanmoins, la découverte et l’étude de certains documents permettent de saisir le fonctionnement de l’appareil répressif tout comme la logique archivistique employée par l’institution. Parmi ces archives, les « archives de la terreur » retrouvées au Paraguay en 19929 représentent un cas majeur. Composées de milliers de documents, elles attestent de l’existence d’un plan régional conjoint ainsi que des informations recensées par le système répressif et deviennent un instrument au service de la justice puisque le juge Baltasar Garzón les utilise pour constituer son dossier d’accusation contre Augusto Pinochet10. S’il s’agit d’archives paraguayennes, elles ont également une portée internationale puisqu’y sont consignés des actes de la réunion internationale de 1975 à propos de l’opération Condor qui s’est déroulée au Chili11.
D’autres archives ont été retrouvées, comme les archives de la Dirección de Inteligencia de la Province de Buenos Aires, c’est-à-dire des archives des services secrets, qui donnent un exemple d’« archive de la répression12 ». La multiplication de cas d’archives retrouvées conduit alors à penser à une pratique partielle de la destruction. C’est notamment la thèse avancée par Mario Ranalletti pour qui « “les archives de la dictature” ont été mises au secret plutôt que détruites13 », ce qui implique un escamotage archivistique de la part « des bourreaux et de leurs proches14 ». L’idée soutenue est que l’ordre de destruction des archives donné par le commandement militaire n’a été qu’en partie respecté et que des documents existent encore. L’apparition de ces archives questionne alors la pratique de l’archivage en temps de dictature mais également la valeur que ceux qui les conservent leur attribuent.
Ces exemples montrent un échantillon du travail bureaucratique de la répression où sont consignées les informations qui permettent de mener à bien la politique répressive, tout comme des éléments attestant des liens entre les différents services secrets. Un autre fonds d’archives se constitue en temps de dictature, avec un statut particulier, entre répression et dénonciation. Les photographies prises à l’Escuela de Mecánicas de la Armada (ESMA) ont cette particularité de constituer un double fonds. L’ESMA, centre clandestin de détention et de torture, a été un lieu aux fonctions multiples. École et centre de détention, différentes activités s’y sont déroulées, dont des activités de falsification de documents. Dans « Fotografía, desaparición y memoria: fotos tomadas en la ESMA durante su funcionamiento como centro clandestino de detención »15, Claudia Feld étudie précisément ce fonds et cette pratique de la photographie comme un moyen de contrôler ce qui se passe dans l’enceinte de l’ESMA. L’activité clandestine qui se sert du travail forcé est alors documentée. Víctor Basterra, militant d’un groupe lié aux Montoneros et séquestré en 1979, a eu cette tâche de photographe à l’ESMA. Lors de sa détention, il a eu à falsifier différents documents et à prendre des photos, tant d’autres détenus-disparus que d’acteurs de la répression. Il conserve alors une partie des négatifs et par cette conservation illégale, il conserve un second fonds dont le but se distingue du but premier. Témoignant en 1984 auprès de la Commission nationale sur les disparitions de personnes, alors que débute la transition démocratique, et se rapprochant du Centre d’études légales et sociales (CELS) où il apporte ces photos, il devient un acteur de la dénonciation des crimes commis pendant la dictature argentine. La création par Víctor Basterra de ce second fonds d’archives, les archives escamotées, apparaît alors comme une façon de penser l’après et les documents acquièrent une valeur historique et juridique. Les photographies correspondent donc à un ensemble documentaire qui donne lieu à un fonds d’archives policier, pour lequel les documents sont initialement produits, et un ensemble secondaire qui a posteriori sert au droit de savoir16, indissociable de la mémoire. L’ensemble documentaire donne lieu, au retour à la démocratie, à une diffusion dans diverses publications : Testimonio sobre el Centro Clandestino de Detención de la Escuela de Mecánica de la Armada Argentina (ESMA) publié par le CELS, la revue La voz de la Jeunesse péroniste et le journal du procès des juntes militaires17. Le fond acquiert une nouvelle valeur mémorielle et esthétique avec la publication de Marcelo Brodsky, Memorias en construcción (2005), qui reprend une sélection des photos de Basterra.
La production d’archives en contexte dictatorial n’est cependant pas du simple ressort étatique et le travail de différentes organisations des droits de l’homme est notable. La Vicaría de la Solidaridad au Chili a à ce titre un statut particulier puisqu’au-delà de l’assistance, l’organisation constitue une archive reconnue postérieurement par l’Unesco18. Les différents organismes des droits de l’homme deviennent par ailleurs des sources non négligeables pour les différentes commissions nées à la suite du retour à la démocratie19.
Le contexte postdictatorial ou les archives en jeu
Le contexte postdictatorial et la question de la mémoire font apparaître différents enjeux quant à la question des archives : des enjeux de collecte de documents, des enjeux juridiques, des enjeux de production, de consultation, d’exposition et d’ouverture d’archives. Se pose alors une question essentielle : pour qui, par qui et pourquoi les archives sont-elles produites et ouvertes ? Les enjeux énoncés posent différentes questions et engendrent différentes difficultés.
La recherche de la vérité donne lieu en Argentine à la création de la Commission nationale sur les disparitions de personnes (CONADEP) qui a pour but de collecter des informations quant aux différents crimes commis et aux lieux de leur éxécution, afin de produire un rapport, rendu par la suite au président Raúl Alfonsín. Ce rapport, appelé Nunca más, n’a pas de valeur juridique en tant que telle, mais constitue cependant une preuve lors des procès des trois juntes militaires de 1985 autant qu’un document phare de ce mouvement de reconstruction des archives. Le Nunca más représente alors différents enjeux : collecte d’information – dans la mesure où les archives n’ont pas été retrouvées à ce moment –, production – puisqu’il est le résultat d’une recherche notamment de témoignages –, justice et diffusion – puisque la vocation de diffusion20 est essentielle afin de produire une certaine performativité. Les différentes commissions, qui ne peuvent s’appuyer sur d’autres documents, prennent donc comme source :
la documentación acumulada en los organismos de Derechos Humanos basada en las denuncias de personas afectadas, en testimonios personales y en registros de prensa, así como los propios testimonios orales de víctimas y testigos en las audiencias de comisiones y juzgados21.
Ces sources multiples servent à la création des différents rapports composés de différentes archives.
L’enjeu de la diffusion et de l’exposition des archives se pose particulièrement compte tenu du statut de certains documents, tout comme celui de certains lieux puisque plusieurs espaces sont des lieux d’archives ce qui conduit à des statuts et modes de consultations particuliers. Se référant au cas argentin, Mariana Nazar et Andrés Pas Linares établissent une classification composée de : fonds documentaires produits sous le giron étatique ou para étatique et fonds documentaires produits sous le giron de la société civile comme les organisations de résistance, les entreprises, les organismes crées pendant ou après la transition comme l’association HIJOS (Hijos e Hijas por la Justicia contra el Olvido y el Silencio). Ces différents fonds, notamment pour des raisons de contexte de production, ont des conditions de consultations variables : si certains, comme le rapport de la CONADEP, ont pour vocation d’être largement diffusés, d’autre sont ouverts au public mais de façon restreinte, car ils renferment des informations sensibles. Pour les organismes des droits de l’homme, les archives constituent des « archives des droits de l’homme » ou « archives de la répression », et la volonté est de conserver les documents mais également de les rendre disponibles à un large public. Si on reprend la catégorie initiale de pouvoir, la création de ces archives par les organisations des droits de l’homme retravaille les cadres du pouvoir et les réinvestissent, non pas du côté de l’État mais de celui de la société civile. On aurait alors deux modalités et deux positions par rapport à l’archive : d’un côté le pouvoir, représenté par l’institution, de l’autre le savoir du côté de la société civile, ou, une réappropriation du pouvoir avec de nouvelles valeurs, en opposition avec la période précédente.
Une autre institution majeure est également décrite dans la classification de Mariana Nazar et Andrés Pak Linares : les Archives nationales de la mémoire. L’État argentin s’en dote en 2003 et ces Archives nationales de la mémoire sont alors un organisme déconcentré dont les activités sont d’obtenir, analyser, classifier, dupliquer, numériser et archiver les informations et témoignages relatifs à la violation des droits de l’homme et des libertés fondamentales où la responsabilité de l’État argentin est mise en cause22. Cependant, la création d’archives, en prenant en compte l’existence d’archives non consultables ou consultables sous conditions, peut aussi participer à la création d’une mémoire partielle. L’invisibilisation d’une partie des archives s’explique par différentes raisons dont l’aspect récent des faits dont il est question. Il est par exemple question de présomption d’innocence ou respect de la vie privée, éléments qui impliquent que tous les documents ne sont pas ouverts à la communication ni à la diffusion. Par ailleurs, la relation entre archives et mémoire est ici explicite, ce qui peut questionner l’intention (ce qui est conservé et par qui) et les possibilités (ce qui est consultable et pourquoi).
Dentro de ese concepto de lugar de la memoria, se incluyen también algunas instituciones como los archivos, las bibliotecas, los museos, los centros de documentación y/o centros de memoria. Así, se debe llamar la atención a las gestiones de la memoria en la construcción de la identidad moderna23.
Ainsi, à l’image par exemple du musée de la mémoire au Chili, les musées conservent également des archives qui se présentent comme des archives des droits de l’homme24.
Un des enjeux est l’existence d’une politique d’archives à l’échelle nationale, voire régionale, compte tenu de ce contexte historique qui dépasse les cadres nationaux. La question des archives reste cependant une préoccupation, tant dans les demandes de la société civile qu’au niveau institutionnel. En Uruguay, la question de l’accessibilité des archives liées à la période dictatoriale a une actualité puisqu’une loi concernant leur communication est à l’état de projet en 202225. Le gouvernement uruguayen a en effet annoncé en septembre travailler sur un projet de loi pour que les archives de la mémoire qui concernent la dictature puissent être consultées par la société civile alors que jusqu’à présent seuls historiens, journalistes, justice et institutions officielles pouvaient y accéder26. Il s’agirait ici d’archives dématérialisées et donc accessibles au plus grand nombre, afin d’éviter les procédures, limites et possibilités de refus d’accès. L’État tente donc de prendre en charge une politique archivistique en assumant un rôle et une responsabilité dans un certain accès à l’information, la preuve et la mémoire.
Le contexte latino-américain donne par ailleurs une importance particulière aux archives non écrites, au témoignage et à la voix. Compte tenu du manque de certains documents ou de leur occultation, se pose en effet la question de ce qui fait archive et en découle la création d’archives orales. Comme le précise Olga Ruiz, l’importance du témoignage n’est cependant pas une façon de se substituer à la carence, ainsi elle précise : « No se trata, entonces, de reivindicar el testimonio ante la ausencia de otras fuentes, sino de acceder a la experiencia histórica de los sujetos desde una perspectiva diferente27. » En Argentine, el Archivo Oral est une collection qui fait partie des Archives nationale de la mémoire et qui a pour but, par le biais d’interviews, de :
escuchar, reconstruir, alojar preservar y visibilizar las memorias sobre el terrorismo de Estado y sus estragos, de las diversas formas de violencias institucionales ; pero también de las prácticas de resistencia, las experiencias políticas, las luchas en defensa de los derechos humanos, las prácticas instituyentes e instituidas en torno a Memoria, Verdad y Justicia28.
De la même façon, Memoria Abierta, une alliance d’organisations des droits de l’homme argentine, dispose d’un fonds de plusieurs centaines de témoignages oraux, de même que dans les autres espaces géographiques se sont développées des initiatives d’archives orales. La question de la voix est alors essentielle et se présente comme une partie non négligeable du travail d’archive et d’archivage, l’expérience mise en récit se substituant ou complétant l’information écrite disponible. Il découle également de ces exemples qu’archives et mémoire sont ici liées puisque le travail de mémoire apparaît comme un moteur de la création d’archives, en témoignent également certains lieux et institutions à l’initiative d’archives orales comme el Parque por la Paz à la Villa Grimaldi au Chili, ancien centre clandestin de détention réhabilité en lieu de mémoire29. Ainsi, si les archives permettent de faire mémoire, la mémoire est aussi créatrice d’archives. La vision de l’archive comme un lieu de mémoire est ici d’autant plus porteuse de sens. S’intéressant au cas français et à l’évolution générale du travail de l’historien quant aux archives, Philippe Artières écrit :
L’un des changements notoires de ces dernières années tient sans doute à la nature des documents mobilisés comme sources ; l’importance donnée depuis les années 1990 en histoire contemporaine aux archives privées en est la principale caractéristique ; ainsi, de l’histoire des pratiques savantes à l’histoire sociale, le recours à des archives non pas produites par des services de l’État, mais par des individus, des entreprises, ou bien encore des organisations et associations, a été considérable30.
Ce changement de pratique est, dans le cas latino-américain, particulièrement porteur de sens et se vérifie largement. Les archives personnelles et non institutionnelles, que ce soit la mise en récit par le témoignage, le document personnel ou la photographie, deviennent alors une source à part entière, ce qui place l’historien dans une position de « lecteur-enquêteur31 ».
Les archives, des objets internationaux
Les difficultés liées aux archives sont multiples, allant du contexte national au contexte international. En effet, les dictatures civico-militaires latino-américaines sont doublées d’un versant international, que ce soit de façon sporadique ou générale. De façon sporadique, car quelques cas font intervenir des puissances extérieures ; c’est le cas des archives sur Colonia Dignidad au Chili déclassifiées par l’État allemand dont la responsabilité était mise en cause. De façon générale, différents plans communs de répression et de mise en place des dictatures ont existé, avec notamment le poids des États-Unis32. La question des archives dépasse alors le cadre national et le passé puisqu’elle a une actualité qui est également une actualité étrangère et diplomatique, liée à la question de la déclassification. La connaissance historique des événements dépend également en partie de la déclassification de documents en cela qu’ils représentent une source non négligeable pour cerner les relations entre différents pays. L’histoire largement régionale des dictatures latino-américaines rend le document étranger primordial et interroge tant la volonté de les garder secrets, que la volonté de les déclassifier. Cette idée se cristallise notamment au Chili autour du cas Letellier. De plus, comme l’indique Cristián Gómez Moya :
Parece necesario subrayar que la desclasificación es algo más que acceso y visibilidad con alcances globales, es también una forma compartida y solidaria de comprender el daño que ha generado el ocultamiento de información. Esto significa pensar no sólo en lo que generó su secreto en un período determinado, sino también lo que significa su develamiento para el porvenir de las comunidades afectadas. De ahí que podamos preguntarnos, ¿qué clase de política arrastra entonces la desclasificación del secreto dentro de una comunidad33?
La gestion des archives, en contexte dictatorial et post-dictatorial, correspond donc à une politique mais également à une posture éthique.
La temporalité relative aux documents se trouvant dans d’autres États que les États latino-américains est par ailleurs intéressante puisqu’on peut observer des moments propices à l’ouverture de documents : changements politiques, administrations favorables, affaires juridiques, dates anniversaires, etc. Dans cette perspective, l’approche du 50e anniversaire du coup d’État au Chili accompagné d’une politique étasunienne a priori favorable à l’ouverture de documents classifiés pourrait se présenter comme une opportunité. C’est notamment une idée avancée par Peter Kornbluh dans une interview accordée à La Tercera. Ainsi explique-t-il :
Espero que la administración de Boric haga esto [una petición formal por documentos]. Obviamente es una oportunidad. Yo creo que la administración Biden puede responder de una manera positiva. Es realmente importante. Es una pregunta para el gobierno chileno y el norteamericano: Si no es ahora, después de 50 años, ¿cuándo? Estos documentos están ahí en archivos secretos. ¿Para qué? Para usarlos, para comprender la historia. Y eso es todo. No es para cambiar otro gobierno, no es para avergonzar a Estados Unidos, no es para hacer sabotaje a los militares chilenos. Es para comprender la historia, para que podamos tener un futuro mejor. Es solamente esto34.
S’il y a un temps des archives qui semble correspondre à une règle d’ouverture, il y a également un temps politique qui transcende cette dernière.
Enfin, au-delà d’aspects bilatéraux, les archives entrent dans une logique internationale par l’importance patrimoniale qui leur est accordée. Le programme Mémoire du monde fondé par l’Unesco en 1992 s’appuie ainsi sur trois principes :
Faciliter la conservation du patrimoine documentaire mondial, en particulier dans les zones touchées par des conflits et/ou des catastrophes naturelles ; Aider à assurer un accès universel au patrimoine documentaire ; Mieux faire prendre conscience, partout dans le monde, de l’existence et de l’intérêt du patrimoine documentaire35.
Certains fonds relatifs à la période et l’aire géographique d’étude sont ainsi concernés comme les archives chiliennes des droits de l’homme et les archives paraguayennes36. Cette reconnaissance internationale et l’inscription par l’Unesco soulignent l’importance des différents fonds et l’importance de leur conservation. À ce titre, les archives nationales dépassent ce cadre et sont reconnues comme faisant partie d’un patrimoine commun.
Conclusion
La construction et la reconstruction des archives apparaissent comme des indispensables dans la quête de la mémoire puisqu’elles participent à la documentation du passé traumatique. Les difficultés restent cependant multiples et ce à toutes les étapes de la vie des archives, de la collecte à la création de fonds et la consultation. Ces archives, multiples et constituées par une diversité d’acteurs, ont par ailleurs des buts divers, que ce soit dans leur constitution ou leur utilisation : connaissance historique, outils juridiques, intérêt personnel, réparation.
Compte tenu du contexte, la question des archives est par ailleurs indissociable de la question de la mémoire puisqu’elles permettent de rendre possible le droit de savoir, mais se pose la question de la réelle possibilité d’accès puisque les archives sont soumises à plusieurs principes parfois contradictoires : respect de la vie privée, droit de savoir, présomption d’innocence, secret d’État, etc.