La littérature communautaire : perspectives poétique et anthropologique

DOI : 10.35562/voix-contemporaines.579

Résumés

À partir d’un corpus comparatiste, nous interrogeons la notion de littérature communautaire à travers l’examen de ses rapports avec la réalité anthropologique des communautés contemporaines. Cette analyse met en lumière l’importance du réalisme, mais également la fonction (re)médiatrice des œuvres concernant les enjeux de pouvoir.

The present comparative critical essay ponders the notion of community literature, through the examination of its relations with the anthropological reality of contemporary communities. This analysis highlights the importance of realism but also the (re)mediating function of texts regarding issues of power.

Plan

Texte

Introduction

À première vue, la notion de littérature communautaire peut apparaître comme une forme de « genre fantôme » (Genette, 2004, 28). Elle est plutôt connue sous ses appellations particulières – littérature afro-américaine, littérature beur, littérature juive, littérature lesbienne, etc., – qui semblent être l’exacte transposition littéraire des catégorisations anthropologiques des communautés – l’anthropologie entendue comme « le total des sciences qui considèrent l’homme comme être vivant, conscient et sociable » (Mauss, 2004, 285) –, comme le prouverait l’emploi d’un même adjectif pour qualifier les unes et les autres. En effet, parler de « littérature communautaire », c’est faire d’un objet anthropologique – la communauté – un critère de classification générique. Cette qualification interroge sur la nature et l’unité d’un tel corpus et, en même temps, paraît affirmer l’existence d’un lien d’identité entre anthropologie et poétique, ce que semble acter Jean Bessière lorsqu’il écrit que « le roman contemporain se fait le double de l’anthropologie et de l’ethnologie : il décrit des communautés, comme l’anthropologie et l’ethnologie le font » (Bessière, 2010, 204). Mais qu’auraient d’identique un groupe humain et un groupe d’œuvres ? On serait tenté de répondre, par une tautologie, que la littérature noire est écrite par des Noirs, que la littérature gay l’est par des gays, c’est-à-dire qu’il y aurait identité entre les personnes et les auteurs, ou que l’une et l’autre disent l’identité noire et l’homosexualité, ce qui reviendrait à dire une identité entre condition sociale et thème littéraire. C’est indéniablement exact, mais quelle place accorder à la littérarité et à l’esthétique – éléments traditionnels de la caractérisation littéraire – dans ce jeu de miroirs ? Pour Alexandre Gefen, « la question sociale » (Gefen, 2017, 203) dont s’empare la littérature contemporaine doit amener à une révision de ses critères d’évaluation, par « le passage à des critères de définition non thématiques […] ou formels […], mais pragmatiques et cognitifs – et peut-être [à] l’abandon de la conception esthétique de la littérature comme “art du langage” » (ibid., 2017, 211).

Pour tenter de caractériser la « littérature communautaire », il nous faut donc adopter une perspective double. À la fois souligner le commun des communautés et du genre littéraire – questionner le « comme » de Bessière – et, en même temps, démontrer la spécificité du fait littéraire qui ne peut pas être identique au fait social – interroger ce que serait la « conception esthétique » communautaire. Pour mener cette « entreprise tout à fait particulière » (Todorov, 1970, 7) de l’étude générique, nous adopterons une approche comparatiste et fonderons notre réflexion sur un corpus de trois œuvres, couvrant trois aires linguistiques et trois communautés : le recueil de nouvelles Chroniques d’une société annoncée (2007) du collectif d’autrices et d’auteurs français « Qui fait la France ? », qui met en récit la communauté des banlieues ; la trilogie N’essuie jamais de larmes sans gants (1. L’amour, 2. La maladie, 3. La mort)1 de l’écrivain suédois Jonas Gardell, qui met en scène la communauté gay stockholmoise des années 1980 ; le recueil de contes Ses yeux d’eaux2 de l’autrice brésilienne Conceição Evaristo, qui offre des représentations multiples de la communauté afro-brésilienne contemporaine.

Communautés, minorités et littérature

L’adjectif « commun », attesté dès le ixe siècle en ancien français, concernait ce qui était « relatif à tous ou au plus grand nombre » (CNRTL/Trésor de la langue française)3. Son extension sémantique variait donc entre l’universel et le général, et s’opposait au particulier. Le substantif qui en dérive, « communauté », apparaît plus tardivement – au xiiie siècle en ancien français, au xive siècle en anglais et même au xviie siècle en suédois – et désignait un « groupe de personnes ayant un lien en commun » (CNRTL/Trésor de la langue française)4. La notion de groupe marque un renversement du signe qui semble initier une évolution contraire à son étymologie, dans la mesure où elle renvoie à une vision partitive. Cette contradiction étymologique se confirme au xxie siècle, puisque le terme est défini comme un « ensemble de personnes présentant des points communs » (Le Petit Robert, 2021, 481) et illustré par « la communauté des amateurs de jazz » et « la communauté LGBT ». Ces deux exemples témoignent d’une extension sémantique considérable, notamment le premier qui assimile « communauté » et « goût », conduisant à une multiplication à l’infini des communautés possibles. Cette dilution des limites sémantiques du terme en fait « un objet en quelque sorte évanescent » (Astruc, 2015, 25) et paradoxal. Il y a bien une persistance du commun dans la communauté, mais un commun restreint qui, précisément, « coupe radicalement de l’universalité », selon la thèse défendue par Colette Guillaumin (1985, 107).

On le voit par cet aperçu diachronique, le sens de la communauté s’est progressivement élaboré autour de la question arithmétique et, en l’occurrence, du déséquilibre arithmétique puisque « théoriquement et historiquement, il n’y a de communauté que d’un petit nombre » (Blanchot, 1983, 17). Mais l’usage contemporain convoque plus volontiers le terme de « minorité » pour rendre compte de la prégnance d’un déficit d’une autre nature dans la notion de communauté, le mineur étant caractérisé par « la non disposition de la personne propre » (Guillaumin, 1985, 104). Communauté et minorité seraient donc des termes imparfaitement synonymes dont il convient de redessiner l’extension sémantique. Pour Guillaumin, le premier renverrait à « une approche interne du groupe concerné » (ibid., 104), hors des jeux de pouvoir préciserions-nous – ce qui est manifeste concernant la communauté des amateurs de jazz –, quand le second impliquerait selon elle une vision extérieure, qu’il faudrait sans doute plutôt qualifier de vision depuis une position sociale et politique. Ainsi, certaines communautés – tels les amateurs de jazz – ne seront jamais des minorités, quand, au contraire, d’autres sont indéniablement l’une et l’autre – telles les trois minorités présentées dans le corpus. Les minorités ne se définiraient donc non pas tant par un défaut de majorité numérique que par un défaut de maturité légale – bien que le premier puisse entraîner le second. Il faut donc délaisser l’approche quantitative au profit d’une approche relationnelle et sociale qui met en lumière le « moindre pouvoir dans le système social » (ibid., 101) qui les caractérise. L’histoire même des différentes communautés montre qu’il est à chaque fois question d’une infériorité « coutumière et juridique » (ibid., 103) – lois ségrégationnistes Jim Crow aux États-Unis, lois sur le statut des Juifs promulguées par le régime de Vichy, inégalités de droits civils pour les Noirs et les homosexuels – qui fonde doublement la communauté : par exclusion extérieure et par revendication intérieure. Le défaut en droit et la lutte pour l’égalité des droits sont deux forces contraires qui produisent des caractéristiques propres à chaque communauté et qui construisent en retour la majorité comme une identité négative, « (appartenir à la majorité) consiste d’abord à n’être pas (noir, femme, juif, homosexuel, colonisé, étranger, etc.) » (ibid., 106), ou comme « un mètre-étalon » (Deleuze et Guattari, 1980, 133), une identité abstraite et cumulative qui pourrait correspondre à l’« Homme-blanc-mâle-adulte-habitant des villes-parlant une langue standard-européen-hétérosexuel quelconque (l’Ulysse de Joyce ou d’Ezra Pound) » (ibid., 133). La relation de différenciation entre minorité et majorité se fonde sur une inégalité de droits, la majorité étant « le lieu abstrait de la possession de l’ensemble des droits et des possibilités » (Guillaumin, 1985, 107), les minorités – au pluriel – étant les espaces concrets d’un défaut de droits et d’une limitation des possibles.

La notion de minorité, attachée à la définition sociale de la communauté, se trouve également mobilisée dans la caractérisation d’une certaine littérature. Le terme a connu un grand succès en critique littéraire depuis la publication de l’ouvrage de Gilles Deleuze et Félix Guattari sur Franz Kafka. Dans les pages de Kafka. Pour une littérature mineure, les deux auteurs caractérisent la littérature mineure par trois aspects fondamentaux : l’usage déterritorialisé « qu’une minorité fait dans une langue majeure » (Deleuze et Guattari, 1975, 29), le fait que dans cette littérature « tout y est politique » (ibid., 1975, 30) et enfin, l’évidence que toute énonciation « prend une valeur collective » (ibid., 31). Ces trois éléments définitionnels – déterritorialisation linguistique, politisation de l’écriture et énonciation collective – pourraient correspondre à une définition de la littérature communautaire. Une littérature dont la langue serait dé-normée, dés-universalisée, au profit d’une intention politique exposée à travers le récit d’une singularité qui vaudrait comme porte-parole d’une communauté toute entière. Néanmoins, plusieurs éléments empêchent de faire coïncider la définition de la littérature mineure proposée par Deleuze et Guattari et la définition de la littérature communautaire dont nous sommes en quête. Le premier obstacle concerne l’oblitération de langues considérées comme mineures, au profit de la notion d’usage mineur d’une langue majeure. Faut-il en conclure qu’il ne peut exister de littérature mineure dans des langues telles que l’italien, le suédois, l’hindi ? Et que dire des communautés diasporiques qui s’expriment dans plusieurs langues ? Ces interrogations rejoignent partiellement la critique adressée par Sam Bourcier qui pointe du doigt « la passion de Deleuze pour la haute littérature » (Bourcier, 2018, 208). Le second obstacle se rapporte à leur approche que l’on pourrait juger trop philosophique du texte littéraire. Pascale Casanova critique la vision politique qui est proposée des petites littératures et reproche à Deleuze et Guattari de « politiser la littérature en occultant toutes les médiations littéraires et esthétiques » (Casanova, 1997, 237). Pour elle, les petites littératures sont avant tout des positions dans le système littéraire, plutôt que des formes de discours, et elle rappelle, dans La République mondiale des Lettres, l’existence d’un certain conflit interprétatif autour de l’adjectif « mineur », qui provient d’une traduction inexacte de Marthe Robert, puisque « Kafka emploie, plus simplement, le mot klein (petit) » (Casanova, 1999, 287). Enfin, la question de l’énonciation singulière comme énonciation collective pourrait servir à qualifier d’autres littératures, voire toute littérature. Mais surtout, qu’il s’agisse de la « littérature mineure » de Deleuze et Guattari ou des « petites littératures » de Casanova, ces deux désignations font le choix explicite d’une perspective hiérarchique uniquement linguistique ou nationale, d’où toute conception contemporaine de la communauté - entendue comme entité de moindre pouvoir - est absente. Et, paradoxalement, le point de vue du texte dominé se fait à partir d’auteurs canoniques, tels Kafka ou Joyce.

Or, Émile Benveniste soulignait déjà l’imbrication du linguistique et du social, lorsqu’il écrivait que « c’est la langue qui contient la société » (Benveniste, 1974, 62), faisant ainsi de tout discours un discours constitué par l’organisation des relations humaines. Que dit, à cet égard, la dénomination générique de « littérature communautaire » ? Le genre peut se définir sommairement comme « une règle qui fonctionne à travers plusieurs textes » (Todorov, 1970, 7) ou « comme un ensemble de caractéristiques non-contradictoires » (Schaeffer, 1989, 67) qui font soit l’objet d’une identification explicite par les auteurs ou les éditeurs, soit qui relèvent d’une construction par les lecteurs, ce que Jean-Marie Schaeffer nomme la « généricité lectoriale » (ibid., 154). L’emploi du terme « littérature communautaire » et non « littérature mineure » dit bien une désignation opérée originellement depuis l’intérieur de la communauté, par une reconnaissance mutuelle entre auteur, texte et lecteur, où le genre littéraire révèle pleinement sa « fonction de lecture et d’interprétation » (ibid., 153), au détriment de son hypothétique fonction classificatoire – pourquoi et pour qui classer les œuvres ? Ce que cette dénomination dit aussi, c’est la revendication d’un espace culturel où puisse se déployer un récit collectif et identitaire. Dans cette perspective, la littérature communautaire apparaît comme un genre qui exemplifie l’« indissociable […] perspective anthropologique » (Bessière, 2010, 13) de toute littérature – ce que Bessière nomme « l’anthropoïesis » (ibid.). Cette indissociabilité se manifeste par la fonction médiatrice de l’œuvre, qui « s’élabore manifestement comme la reprise, la composition de discours, de représentations sociaux » (ibid., 59) tout en offrant, en retour, « la constante possibilité de sa “réentrée” dans les discours et représentations sociaux » (ibid., 63), par un jeu d’échos permanents entre le sociologique et le poétique. Voyons comment un tel jeu peut se construire à travers l’énonciation, la représentation et la fonction associées à la littérature communautaire.

Paroles situées et vision du coin de l’œil

Ayant défini la communauté par le moindre pouvoir qui la caractérise, la première question qui se présente, lorsqu’il s’agit d’examiner sa littérature, est celle de son possible ou impossible pouvoir de parole. En effet, les voix dominées ont longtemps été des « voix interdites » (Michlin, 2005) et Gayatri C. Spivak n’hésitait pas en 1988 à affirmer que « le sujet subalterne féminin ne peut être ni entendu ni lu.5 » (Spivak, 1988, 104). Aujourd’hui, la publication des œuvres de littérature noire, de littérature des banlieues et de littérature gay – pour ne citer que les exemples qui nous occupent ici – atteste d’un accès à la parole et de l’existence d’un lectorat. Cependant, se pose immédiatement une seconde question : qui parle dans ces textes ? La situation de l’auteur semble prégnante dans le genre communautaire, à la différence d’autres littératures. L’exemple récent des débats autour de la nécessité ou non de faire traduire les vers de la poétesse étasunienne Amanda Gorman par un traducteur noir montre à quel point la littérature communautaire semble liée à un « permis de raconter6 » (ibid., 322) qui ne pourrait être octroyé que si l’auteur lui-même fait partie de la communauté qu’il raconte. La question étant : faut-il être noir pour écrire de la littérature noire ? – la même question valant pour les autres genres communautaires. Répondre par la négative équivaut à admettre une « discontinuité de l’auteur à l’œuvre » (Bessière, 2005, 14) ; toute personne peut écrire toute littérature. Répondre positivement implique une « définition de l’œuvre selon l’auteur » (ibid.) : toute personne ne peut pas écrire toute littérature. L’identification générique d’une œuvre impliquant des acteurs divers – auteurs, éditeurs, distributeurs, diffuseurs, lecteurs, critiques –, aucune réponse définitive ne peut être apportée à cette question. Reste qu’il semble effectivement difficile de trouver un auteur blanc qui ait écrit une œuvre relevant de la littérature noire. Une exception doit être signalée – mais peut-être confirme-t-elle la règle –, avec le roman d’André Aciman, Appelle-moi par ton nom (Call me by your name)7, qui peut être considéré comme une œuvre gay bien qu’il ait été écrit par un écrivain hétérosexuel. La situation de l’écrivain semble donc être une question propre aux littératures communautaires.

Cet aspect se traduit au niveau narratologique par une attente de la forme autobiographique, forme référentielle par excellence puisqu’elle implique une identité entre auteur, narrateur et personnage, ou du moins la présence d’un narrateur autodiégétique, c’est-à-dire un « narrateur présent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte » (Genette, 2007 [1972], 255). Cette attente est liée au statut que l’on prête à cette littérature, en l’occurrence, celui d’un quasi-témoignage. Cependant, les œuvres contemporaines du corpus vont contre cette identification entre récit autobiographique et récit identitaire. La trilogie de Gardell, N’essuie jamais de larmes sans gants, ainsi que la majorité des contes du recueil d’Evaristo, Ses yeux d’eau, recourent à un narrateur hétérodiégétique, donc à un « narrateur absent de l’histoire qu’il raconte » (ibid.). En revanche, la moitié des nouvelles du collectif « Qui fait la France ? », Chroniques d’une société annoncée, mobilise un narrateur autodiégétique, c’est-à-dire un « narrateur [qui] est le héros de son récit » (ibid., 256). Ces disparités dans la situation des voix narratives, tantôt intérieures aux personnages, tantôt extérieures à eux, se trouvent néanmoins uniformisées par l’utilisation systématique de la focalisation interne qui émane d’un « personnage dont le point de vue oriente la perspective narrative » (ibid., 190). L’orientation de la perspective narrative dans le récit communautaire du corpus est toujours celle des sujets dominés, ce qui produit « une perception du coin de l’œil », pour reprendre la formule de Monique Wittig (Wittig, 2018, 115). Cela n’implique pas, cependant, que d’autres points de vue ne puissent pas être présentés. C’est en particulier ce que fait abondamment Gardell dans sa trilogie par le choix d’une focalisation interne « variable […] ou multiple » (Genette, 2007 [1972], 194), émanant aussi bien de personnages gays que de personnages hétérosexuels, dont certains sont clairement porteurs d’un discours homophobe. Cette variabilité du point de vue est notamment permise par l’ampleur du roman, à la différence des contes et nouvelles qui ne présentent généralement qu’un nombre très limité de personnages. Mais que le point de vue dominant soit ou non incarné au travers d’un personnage, il pèse toujours sur le point de vue dominé, car « le fait que des points de vue dominés parviennent toujours et partout à s’exprimer n’empêche nullement le point de vue dominant de conserver son caractère hégémonique et de maintenir les autres dans l’infériorité » (Eribon, 2015, 18). Au sein des œuvres se joue ainsi une forme de paradoxe entre le point de vue narratif et le point de vue sociétal. Le point de vue communautaire est le point de vue dominant des récits sans que soit effacé pour autant son caractère dominé dans l’environnement médiat ou immédiat de l’œuvre.

Ces situations narratives spécifiques concourent toutes à dessiner les contours d’une parole « située », car dominée. Pour Donna Haraway, « l’objectivité féministe signifie très simplement des savoirs situés8 » (Haraway, 1988, 581) qui s’opposent à des savoirs qui seraient neutres. L’adjectif « situé » instaure une dualité avec un discours qui serait une « vision d’en haut, de nulle part, depuis la simplicité9 » (ibid., 589). On peut appliquer cette distinction à l’écriture communautaire dans la mesure où précisément « les savoirs situés concernent les communautés, et non les individus isolés10 » (ibid., 590). L’écriture située, qui est celle des œuvres du corpus, épouse nécessairement, selon Haraway, des « positions critiques11 » sur l’état du monde (ibid., 586) – en l’occurrence sur le moindre pouvoir et les abus de pouvoir dont pâtissent les communautés. Par conséquent, la parole communautaire, qu’il s’agisse de celle des personnages ou de celle du narrateur, se situe elle-même, et en se situant, situe les discours « d’en haut », qui cessent de tomber du ciel, et qui sont désignés pour ce qu’ils sont : des discours et des savoirs racistes et homophobes qui produisent des représentations stéréotypées et inégalitaires. Les œuvres communautaires offrent ainsi « une nouvelle représentation de ces représentations, de ces discours, de ces savoirs » (Bessière, 2010, 72) dans un mouvement de soustraction au regard dominant qui les a construites en différence radicale. Ces discours se trouvent, dans l’espace certes restreint du texte, « soumis à cette nouvelle énonciation » (ibid., 72) par un jeu de renversement de la hiérarchie sociale et de la tradition littéraire qui en est le reflet.

Représentations du trauma collectif : le choix du réalisme

La situation inégalitaire des minorités entraîne un assujettissement au pouvoir et une exposition aux abus de pouvoir dans une forme d’« indifférenciation entre trauma individuel et trauma collectif » (Gefen, 2017, 86) qui fonde le commun restreint de la communauté. Historiquement, chaque communauté est associée à un événement traumatique – l’esclavage, la ségrégation, la Shoah, le sida – qui a directement menacé l’existence même de la communauté. Anthropologiquement, chaque communauté est inscrite dans l’expérience répétée, parfois quotidienne, de l’exclusion sociale et des idéologies qui lui sont associées – racisme, exclusion sociale, homophobie, misogynie, antisémitisme. Chaque communauté s’est constitué une mythologie, a érigé ses figures ou ses actes de résistance à l’oppression : Rosa Parks, Simone de Beauvoir, les émeutes de 2005, les émeutes au Stonewall Inn en 1969. C’est à partir de l’expérience traumatique partagée et des discours de dénonciation qui l’accompagnent que les communautés ont émergé en tant que telles. Ce qui se dessine alors, c’est une corrélation entre une expérience systématique de la violence et sa mise en discours, le passage d’un indicible à un dicible dont la littérature est un vecteur privilégié. C’est pourquoi nous pouvons dire avec Benveniste que « la société est l’interprété par excellence de la langue » (Benveniste, 1974, 96). Un dicible qui d’ailleurs est perçu comme menaçant et menacé, si l’on songe aux assassinats de Martin Luther King en 1968 et de Harvey Milk en 1978. L’expérience du traumatisme est double, à la fois comme objet de mémoire et comme actualité. Les œuvres contemporaines du corpus s’inscrivent toutes dans la représentation d’un tel traumatisme qui semble être constitutif de l’identité communautaire, et sont en cela les interprétantes de la société. Ainsi s’instaure dans l’œuvre un jeu de références et d’indications qui pose « la question de sa correspondance avec ce qui lui est extérieur » (Bessière, 2005, 190) – en l’occurrence l’expérience du traumatisme. Lire ces œuvres en tant qu’œuvres communautaires implique la « reconnaissance de la transitivité sociale » (ibid., 194) dont elles sont porteuses – transitivité qui désigne un réel. D’où le choix d’une esthétique réaliste qui impose la recherche de correspondances entre les faits et la fiction.

Une telle correspondance a été formalisée par l’autrice brésilienne Evaristo à travers le concept d’« escrevivência » – que l’on peut traduire par « l’écriture-expérience » ou l’« écrit-vécu » (Phaf-Rheinberger, 2017, 54) – qu’elle définit simplement comme « [l]’écriture (expérience) des femmes noires [qui] explicite les aventures et mésaventures de celles qui connaissent une double condition, que la société rend manifestement inférieure, femme et noire.12 » (Evaristo, 2005, 201-202). Dans l’introduction du recueil original en portugais – qui n’est pas reprise dans la traduction française –, cette condition est présentée comme « inférieure, diminuée, violentée13 » (Evaristo, 2014, 8) et correspond parfaitement aux quinze récits qui suivent, le sommaire devenant une forme de martyrologe des Afro-Brésiliens, hommes et femmes. Les traumatismes présentés sont ceux de l’actualité : « discrimination raciale, de classe et de genre14 » (Ferreira Bispo et Alves Teixeira Lopes, 2018, 197). La pauvreté et la violence sont les deux éléments récurrents des récits dont la conjonction conduit bien souvent à la mort. Les contes « Ana Davenga », « Maria » et « Combien d’enfants Natalia a-t-elle eus ? » illustrent ces trois aspects de l’exclusion radicale qui affectent les personnages noirs. Le compagnon d’Ana Davenga a commis un crime et la police fait irruption en pleine nuit dans leur baraque pour l’arrêter. Tentant de riposter, il est tué ainsi qu’Ana : « à la favela, les compagnons de Davenga pleuraient la mort de leur chef et de sa compagne Ana, assassinée sur son lit, mitraillée, les mains protégeant le rêve de vie qu’elle portait dans son ventre15 » (Evaristo, 2020, 38). La violence est donnée ici à la fois comme un fait partagé, par Davenga et par la police, et comme un destin auquel il est impossible d’échapper ; Davenga meurt, Ana meurt, l’enfant qu’elle porte meurt avant même de naître. Dans l’autre conte, Maria est une mère célibataire qui rentre en bus après son travail et y croise son ex-mari qui décide de braquer les passagers avec un complice, à l’exception de Maria. Après son départ, les victimes deviennent bourreaux et accusent Maria – « Sale négresse, faut croire qu’elle est complice des deux autres16 » – (ibid., 52), avant de la lyncher à mort : « quand la police est arrivée, le corps de la femme était déchiqueté, piétiné17 » (ibid., 54). Le racisme est ici attisé par le délit, ce qui met en évidence à la fois l’idéologie stéréotypée qui le sous-tend – tous les Noirs sont des délinquants – et l’effectivité destructrice de son action – les personnages racistes du conte deviennent des criminels. Le conte « Combien d’enfants Natalia a-t-elle eus ? » dénonce lui les représentations de la femme noire comme « corps-procréation et/ou corps-objet du plaisir de l’homme de pouvoir18 » (Evaristo, 2005, 52). L’histoire du personnage éponyme est celle des grossesses successives imposées à son corps : « c’était sa quatrième grossesse, mais son premier enfant19 » (Evaristo, 2020, 55). Or, le premier enfant qu’elle considère comme sien, et qu’elle n’abandonnera pas, est le fruit d’un viol – « elle a gardé la semence envahisseuse de cet homme20 » (ibid., 65) – qui s’accompagne d’un meurtre : « le coup de feu était si certain et a retenti si près d’elle, que Natalia a cru qu’elle était en train de se tuer en même temps21 » qu’elle tuait son agresseur (ibid.). L’enjeu de la condition féminine noire est donc un enjeu de vie ou de mort. Ces trois récits sont aussi une nouvelle forme de réalisme, dans la mesure où ils thématisent un vide, « l’absence de représentation de la femme noire comme mère, matrice d’une famille noire, figure réservée aux femmes blanches en général22 » (Evaristo, 2005, 53). Ainsi, selon la formule de Jurema Werneck, Evaristo « invente ce monde qui existe23 » (Evaristo, 2014, 9). Cette formulation paradoxale renvoie au fait que l’écriture d’Evaristo est une écriture de la reprise et, qu’en même temps, elle est une écriture de l’inédit puisqu’elle corrige le réalisme traditionnel en lui ajoutant une nouvelle figure : la femme noire mère.

Dans les nouvelles du recueil Chroniques d’une société annoncée, la question du traumatisme, qui concentre « misère, discriminations raciales et exclusion sociale » (Hargreaves, 2014, 148), et de son échappatoire, est majoritairement ancrée dans le cadre légal. Cela s’expose sous deux aspects qui concourent conjointement à former un cercle vicieux qui conduit les personnages à être « enfermés dehors » (Puig, 2010, 179). D’une part, les exclusions et discriminations proviennent de la loi, dans un phénomène de renversement paradoxal. Les représentants de la loi, selon la formule consacrée, traduisent par leurs actes l’exact inverse de la lettre de la loi ; c’est ce qu’exposent les deux nouvelles « Une nuit de plus à Saint-Denis », de Khalid El Bahji, et « Garde à vue », de Mohamed Razane. Dans le premier récit, la « collision » (El Bahji, 2007, 136) entre le narrateur autodiégétique et les deux policiers, qui sont « deux problèmes vivants, sapés par le ministère de l’Intérieur » (ibid.,138-139), traduit une transformation de la loi, qui devient un mur contre lequel les citoyens de banlieue butent. Dans le second récit, Abdel apparaît dès l’incipit comme un crucifié, « Abdel gît au sol, à genoux, les joues et le cou encore brûlants à cause des coups et des gifles […] Il ne sent plus son épaule droite, fatiguée de ce bras attaché et suspendu par des menottes à un anneau métallique fixé au mur » (Razane, 2007, 209). La garde à vue, dispositif légal qui, tout en privant la personne de liberté, lui octroie des droits, devient ici une transposition de la passion christique, qui ne prend fin que par la mort : « et un coup de feu retentit. Soudain c’est le silence » (ibid., 222-223). Le silence renvoie ici à celui du mort et à celui des vivants qui ne dénonceront pas le crime. D’autre part, les tentatives d’échappatoire se font, ici encore paradoxalement, par des actions illégales, comme dans « Il y a quelque chose d’inouï au royaume du Danemark » – on remarquera la référence intertextuelle au Hamlet de William Shakespeare –, de Jean-Éric Boulin, et « Une journée à Dreux », de Thomté Ryam. Dans un cas, le braquage d’une banque et dans l’autre le braquage d’un commerce. La loi apparaît ainsi comme un territoire inaccessible aux citoyens de banlieue, qui se trouvent privés des droits qu’elle octroie. Ils ne sont reconnus par la loi qu’à travers les peines qu’elle inflige à ceux qui ne la respectent pas.

De manière générale, le racisme se donne comme une expérience fondamentale du rapport à l’autre de par la visibilité de toute peau. En cela, l’identité noire ou arabe est une « identité discréditée24 », car définie par des « caractéristiques physiques visibles25 » (Nicholas, 2004, 63). En revanche, l’identité gay est une « identité discréditable26 », car définie par « son absence de distinctions biologique27 » (ibid.), ce qui explique la possibilité dans ce cas d’un « placard » où cacher cette identité. Pour le sociologue Erving Goffman, la visibilité d’une identité correspond à un « stigmate » qui, « lors d’une interaction, affecte, en le discréditant, l’identité sociale d’un individu » (Plumauzille et Rossigneux-Méheust, 2014, 216). C’est de cette question d’une impossible invisibilité dont s’empare Habiba Mahany dans le récit « Racisme aveugle ». Baptiste Leblanc, jeune homme noir de Cachan, se rend à un entretien d’embauche qui se déroule dans les meilleures conditions puisqu’on lui signifie son engagement. Cependant, Baptiste ne s’est pas rendu compte que le patron est aveugle et celui-ci n’a pas pu savoir que Baptiste est noir. C’est son collaborateur qui l’en informe après l’entrevue : « il y a un problème […], notre candidat, Monsieur Leblanc, il est noir ! » (Mahany, 2007, 62). D’où la lettre de refus reçue quelques jours plus tard par Baptiste. Le titre de la nouvelle, « Racisme aveugle », joue de la polysémie de l’adjectif, dans sa valeur dénotative – Henri Berlier est aveugle et raciste – et dans sa valeur connotative – le racisme est sans raison.

L’exclusion dont sont l’objet les personnages gays de N’essuie jamais de larmes sans gants prend des formes différentes, mais est toujours, néanmoins, ramenée à un visible. Dans sa trilogie, Gardell mêle l’événement traumatique historique – l’apparition de l’épidémie de sida – et l’homophobie transhistorique. Durant l’enfance de Rasmus, c’est le personnage d’Erik qui incarne l’homophobie, homophobie qui se traduit en actes : « il est pourchassé par ses camarades de classe. Ils le rattrapent, le font tomber sur le dos. […] Erik […] crie à tue-tête qu’il faut bien le tenir28 » (Gardell, 2016, 40-41), et par un « terme d’adresse » (Lagorgette, 2003, 179) à valeur performative, « Sale pédé29 ! » (Gardell, 2016, 63). L’insulte vaut comme « injonction qui assigne à quelqu’un une place dans un espace social sexualisé » (Eribon, 2012, 93) dominé par l’hétéronormativité. Le même constat vaut pour l’insulte raciste : elle précède toujours l’existence même des sujets, qui « sont “toujours-déjà” des sujets constitués par l’idéologie qui façonne le monde » (ibid., 91). L’insulte semble posséder deux fonctions : désigner la communauté et nier la communauté, la dissoudre. Lorsque les personnages gays du roman sont insultés dans la rue où ils ont l’habitude de se retrouver, « il n’en fallait pas plus pour les disperser, pour dissoudre leur communauté30 » (Gardell, 2016, 186). Le cas de l’épidémie de sida est à la fois radicalement distinct – elle n’est pas le fruit d’une idéologie – et pourtant étonnamment similaire. Cette maladie est récupérée par le discours homophobe qui en fait une réponse – divine ou biologique – à l’anomalie que serait pour lui l’homosexualité. La maladie rend visible l’homosexualité par des stigmates réels – maigreur, sarcome de Kaposi, etc. – et tue. En cela, elle est comparable au racisme décrit dans les deux autres œuvres du corpus.

Les trois œuvres établissent des correspondances entre la réalité anthropologique et sociale des communautés noire, de banlieue et gay et les fictions qu’elles présentent. Les œuvres communautaires semblent imposer une lecture transitive des textes par la reprise de données anthropologiques propres à chaque communauté au sein de la narration et inscrire ces textes dans une esthétique réaliste entendue comme « une propriété d’indication » (Bessière, 2005, 190) du réel. Cette reprise concerne les données relatives au « moindre pouvoir » qui caractérise socialement les communautés et les traumatismes qui en sont les conséquences. Ce réalisme permet de déjouer la tentation du manichéisme – la violence peut aussi être le fait des personnages noirs et de banlieue, l’infidélité est aussi le fait de Rasmus – qui ferait de cette littérature une littérature stéréotypée. Néanmoins, ces œuvres proposent, en parallèle, une autre position des communautés à travers l’écriture.

Identités et fiction démocratique

Cette autre position des communautés se donne à lire comme une fiction au sein de la fiction, comme ce qui est sans correspondance dans le réel. L’exposition explicite et répétée des inégalités propres aux minorités – par la reprise des données anthropologiques – a pour corrélat la désignation implicite d’une égalité de ces mêmes minorités, à la fois « selon l’égalité d’accès et de représentation qu’autorise la fiction » (Bessière, 2010, 317) et par le détournement du réalisme et de sa propriété d’indication, qui ne renvoie pas seulement à un réel d’inégalités, mais aussi à une visée d’égalité, à un réalisme « déhiérarchisé, polyphonique, hyperdémocratique » (Gefen, 2021, 136). Lire ce corpus comme une illustration de « fiction démocratique » (Bessière, 2010, 309) c’est penser la présentation des identités communautaires comme partie prenante de la cité, c’est faire ré-entrer – contre les préceptes platoniciens – le poète dans la cité. Mais le poète en question détient une parole « située » et « tout écrivain minoritaire (qui a conscience de l’être) entre dans la littérature à l’oblique » (Wittig, 2018, 115). Les trois œuvres du corpus présentent, chacune à leur manière, cette conscience d’une citoyenneté « oblique ». Cette dimension est clairement exposée dans le « Manifeste » qui ouvre le recueil de nouvelles publié par le collectif « Qui fait la France ? » : « Nous, écrivains en devenir, ancrés dans le réel, nous nous engageons pour une littérature au miroir, réaliste et démocratique, réfléchissant la société et ses imaginaires dans leur entier » (collectif « Qui fait la France ? », 2007, 9). Ce point du manifeste associe l’esthétique réaliste traditionnelle – la référence au miroir renvoie à la métaphore stendhalienne – à une conception politique caractérisée par un égal partage du pouvoir. Cette aspiration démocratique est associée à une forme d’universalisme, « parce que, catalogués écrivains de banlieue, étymologiquement le lieu du ban, nous voulons investir le champ culturel, transcender les frontières et ainsi récupérer l’espace confisqué qui nous revient de droit, pour l’aspiration légitime à l’universalisme » (ibid., 8). Cet universalisme étant compris comme une récupération d’un plein pouvoir.

L’intégralité de la nouvelle « Une balle dans la tête » de Mabrouck Rachedi est construite sur un jeu de tromperie, permis par la polysémie du substantif « balle ». Le lecteur comprend le titre dans la signification contextuelle des banlieues et lit donc la nouvelle comme le récit d’un assassinat. Un narrateur autodiégétique s’adresse à un « tu » que le récit construit comme un ennemi. Mais les dernières pages de la nouvelle renversent le sens même de cette lecture puisque le narrateur livre l’identité de son allocutaire, « Je viens de perdre la finale de Roland-Garros 1-6 6-1 6-4 7-6 contre Rafael Nadal » (Rachedi, 2007, 99), avant de livrer, dans le dernier paragraphe, sa propre identité : « je suis Roger Federer […] et, depuis ma naissance […], j’ai une balle de tennis dans la tête » (ibid., 101). Par cette forme de paralipse, qui consiste « à donner moins d’information qu’il n’est en principe nécessaire » (Genette, 2007 [1972], 200), l’auteur parvient à tromper le lecteur, dans la mesure où cette nouvelle ne renvoie pas, littéralement, à la communauté des banlieues. Et pourtant, le contexte de publication de ce texte fait qu’il la désigne. L’intention de l’auteur est claire, il veut battre en brèche les stéréotypes associés à la banlieue – ici, la violence et la mort – en construisant un réseau sémantique qui mène le lecteur à l’erreur. Il fait du stéréotype une erreur cognitive. D’autres nouvelles ont recours à l’expérience amoureuse pour signifier la possibilité d’une égalité, comme dans « Il y a quelque chose d’inouï au royaume du Danemark », lorsque le narrateur évoque sa rencontre avec « une fille dans un bar » (Boulin, 2007, 174) de Copenhague. Cette rencontre reste en suspens car elle est une promesse pour l’après, en même temps qu’elle est une affirmation identitaire inespérée : « Qu’elle m’affiche Français m’a touché. Il y avait du bonheur dans ces cheveux blonds. Je l’ai laissée pour après, mon autre vie » (ibid.). C’est à l’étranger, et hors de sa banlieue ou de la prison que le narrateur est reconnu comme Français, cette identité qui lui était niée.

Deux des contes d’Evaristo présentent cette fonction démocratique de l’écriture, par des biais différents. D’une part, il y a le conte « Luamanda », situé au centre du recueil, et qui décrit le parcours érotique de la protagoniste cinquantenaire. Dans ce conte, Evaristo extrait son personnage et son écriture de la violence et du racisme dont souffre la communauté afro-brésilienne. Il est pourtant ici question du corps, mais d’un corps dont la couleur n’importe plus, la mention du « visage noir31 » (Evaristo, 2020, 83) de Luamanda n’apparaît qu’à la fin du conte, d’un corps qui serait devenu un corps-lune comme son prénom l’indique. Cette manière de dire l’identité noire dominée et l’identité noire libérée se traduit ici par le recours à une multitude de mots composés : « un petit corps-cœur32 », la « jouissance-douleur33 », les « ventres-lunes34 », le « trou-ciel ouvert de son corps35 », les « eaux-larmes36 », les « corps-histoires37 » (ibid., 78-80). Tous ces mots disent le corps noir au-delà de sa couleur et le corps féminin au-delà des entraves sociales. C’est par l’amour qu’Evaristo libère son personnage de sa position dominée et lui offre un espace de pleine liberté et de pleine égalité. D’autre part, il y a le conte « Nous décidons de ne pas mourir », conte où la polyphonie narrative martèle la volonté d’échapper à la mort – « ils avaient un pacte, celui de ne pas mourir38 » (ibid., 145) –, et son impossibilité – « Nous mourons, même si nous avons décidé de ne pas mourir39 » (ibid., 143). S’exprime ici à la fois une réalité indépassable de la mort et, en même temps, une volonté indestructible de vivre, que l’écriture concrétise.

Dans la trilogie de Gardell, la fonction démocratique de l’écriture semble servir à « réparer, renouer, ressouder, combler les failles des communautés contemporaines, retisser l’histoire collective et individuelle » (Gefen, 2017, 11). En effet, dès les premières pages, une fonction est donnée à l’entreprise littéraire, « Raconter est une sorte de devoir. /Une manière d’honorer, de pleurer, de se souvenir. /Une manière de mener la lutte de la mémoire contre l’oubli40 » (Gardell, 2016, 14). L’inégalité est aussi celle de l’oubli face à l’histoire dominante qui ne cesse d’être transmise de génération en génération. Sans faire de cette trilogie un document historique, on peut néanmoins dire qu’elle propose un récit cohérent d’un moment de l’histoire de la communauté gay occidentale et, par-là, comble une inégalité mémorielle et culturelle. Il y a, en effet, une mémoire historique, dont l’œuvre reprend des données factuelles – et elles abondent dans les trois volumes – et une mémoire culturelle, celle que construit la littérature. Gardell a pleinement conscience de participer à une histoire culturelle et littéraire de la communauté gay en écrivant ce récit, ce qu’il exemplifie en ayant recours au récit long – presque neuf cents pages au total – qui lui permet de présenter un nombre conséquent de personnages dont la somme forme une communauté. En parallèle, et comme cela est le cas chez Evaristo et certains auteurs du collectif « Qui fait la France ? », les relations amoureuses sont un moyen puissant d’établir ce que pourrait être une égalité des communautés. Nous employons le conditionnel car ici, comme ailleurs dans les œuvres du corpus, ces expériences restent éphémères. Le refus du récit chronologique par Gardell fait que la séparation de Rasmus et Benjamin par la mort est antérieure au récit de leur rencontre. Ce récit qui, précisément, offre une vision égalitaire de l’homosexualité, « [c]’est le premier matin. Tout a été recréé41 » (ibid., 287). Ce qui est recréé ici, ce sont les rapports entre les personnages et les rapports entre les personnages et le monde. Et ce que recrée l’auteur, à travers le récit de la naissance de l’amour entre Rasmus et Benjamin, ce sont des relations qui échappent aux jeux et aux hiérarchies de pouvoir.

Ces exemples d’une écriture qui affirme la possibilité d’un partage égal du pouvoir – pouvoir de dire, pouvoir d’être –, et en cela fait écart avec le réel, renvoie au dialogue entre différence et universalisme, terme revendiqué par les auteurs du collectif. Sur la place que l’œuvre littéraire doit occuper dans ce débat, Wittig et Édouard Glissant offrent deux réponses contraires. Pour Wittig, « un texte écrit par un écrivain minoritaire n’est efficace que s’il réussit à rendre universel le point de vue minoritaire, que s’il est un texte littéraire important » (Wittig, 2018, 117). Cette conception implique une vision performative de la littérature qui doit produire un effet se mesurant en termes de grandeur. L’expression « texte littéraire important » est néanmoins assez floue et elle en donne comme exemple Marcel Proust et Djuna Barnes. L’importance de l’œuvre de Proust ne fait pas débat. En revanche, l’œuvre de Barnes est beaucoup moins diffusée et connue, ce qui n’enlève rien à sa valeur, mais pose la question de savoir pour qui une œuvre est importante. Selon Wittig, Proust « a fait d’“homosexuel” l’axe de catégorisation à partir duquel universaliser » (Wittig, 2018, 115). On peut comprendre cela comme le fait qu’à partir de la découverte du sujet homosexuel, Proust construit sa compréhension du sujet tout court. C’est une façon d’universaliser à partir du particulier. À l’inverse, Glissant pense « contre l’universel » (Glissant, 2002, 77) à travers son concept de « la relation » : « dans un système de relation, il n’y a pas lieu de dépasser tous les particuliers ; il y a lieu de les mettre en contact dans des conditions d’égalité, de justice et d’équilibre » (ibid., 78). À la lumière de ces deux conceptions, on peut à la fois dire que les œuvres du corpus font de l’axe communautaire le moyen de penser les relations universelles entre les hommes et les femmes, c’est-à-dire de démontrer que ces relations ne sont ni égalitaires ni universelles, en raison de l’orientation sexuelle, de la couleur de peau, du lieu de résidence. On peut dire également qu’elles suggèrent une vision relationnelle des différences, où leur préservation et valorisation est à même de faire advenir un ensemble de récits égalitaires qui questionnent les inégalités sociales.

Conclusion

Nous pouvons, en conclusion de cette analyse, émettre certaines remarques quant à la caractérisation de la littérature communautaire. La première est relative à son rapport aux communautés anthropologiques – la comparaison que souligne Bessière. Cette littérature s’élabore, indéniablement, à partir d’une expérience du réel. Une similitude peut ainsi s’établir entre les traits culturels des communautés et les traits génériques de cette littérature. Cette similitude entraîne une recherche de la correspondance, entre un réel et la fiction, qui s’établit aisément par la présentation des personnages, de leur milieu et de leurs actions. Cela n’est possible que par la mobilisation de l’esthétique réaliste qui fonctionne comme le vecteur principal de ce va-et-vient cognitif entre le texte et le hors-texte – une caractérisation esthétique est donc toujours pertinente pour répondre à l’interrogation de Gefen. La seconde remarque est relative à son rapport au langage et à sa double valeur, connotative et dénotative, qui lui permet d’indiquer le réel et ce qui dépasse le réel, en l’occurrence la possibilité d’une égalité des communautés.

Ces deux remarques font qu’il est possible de caractériser la littérature communautaire par divers aspects, que nous n’avons pas tous traités ici. Premièrement, elle fait advenir l’écriture là où le pouvoir contraint et limite. L’écriture est donc ce qui échappe à ce contrôle et ce qui peut ainsi dénoncer ce contrôle. Elle s’engage dans cet espace d’inégalités pour en faire l’enjeu d’une connaissance. Deuxièmement, elle construit cette connaissance comme une reconnaissance réciproque entre l’œuvre et le monde, mais aussi entre l’œuvre et le lecteur. Elle réinstalle le lecteur dans le monde par la désignation constante qu’elle en fait. Et, cependant, elle propose au lecteur d’autres lectures du monde – celle du sujet dominé, celle des inégalités certaines, celle des égalités possibles. Troisièmement, elle réinscrit la littérature dans la citoyenneté, dans ce qui constitue la communauté des communautés, par le sens qu’elle donne à construire des événements qu’elle présente. Un sens constamment dirigé vers le comblement de cet espace entre l’illégal et le légal, l’inégal et l’égal.

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Notes

1 La trilogie est parue en suédois entre 2012 et 2013 aux éditions Nordstedt sous le titre Torka aldrig tårar utan handskar, 1. Kärleken, 2. Sjukdomen, 3. Döden, et en français en 2018 en un seul volume chez Gaïa Éditions.

2 Le recueil est paru en portugais (Brésil) en 2014 aux éditions Pallas, et en français en 2020 aux Éditions des femmes-Antoinette Fouque.

3 Voir en ligne pour la définition : https://www.cnrtl.fr/definition/commun.

4 Voir en ligne pour la définition : https://www.cnrtl.fr/definition/communauté.

5 « The subaltern as female cannot be heard or read. » Je traduis. Sauf mention contraire, toutes les traductions sont de mon fait.

6 « [P]ermission to narrate ».

7 Le roman est paru en anglais (États-Unis) en 2007 aux éditions Picador et a été traduit en 2018 aux éditions Grasset.

8 « Feminist objectivity means quite simply situated knowledges [en italique dans le texte] ».

9 « [V]iew from above, from nowhere, from simplicity ».

10 « Situated knowledges are about communities, not about isolated individuals ».

11 « [C]ritical positions ».

12 « A escre(vivência) das mulheres negras explicita as aventuras e as desventuras de quem conhece uma dupla condição, que a sociedade teima em querer inferiorizada, mulher e negra. »

13 « [I]nferiorizada, apequenada, violentada ».

14 « [D] iscriminação racial, de classe e de gênero ».

15 « Na favela, os companheiros de Davenga choravam a morte do chefe e de Ana, que morrera ali na cama, metralhada, protegendo com as mãos um sonho de vida que ela trazia na barriga » (Evaristo, 2014, 23).

16 « Negra safada, vai ver que estava de coleio com os dois » (ibid., 32).

17 « quando chegou a polícia, o corpo da mulher estava todo dilacerado, todo pisoteado » (ibid., 33).

18 « [C]orpo-procriação e/ou corpo-objeto de prazer do macho senhor ». (Evaristo, 2005, 52).

19 « Era a sua quarta gravidez, e o seu primeiro filho » (Evaristo, 2014, 34).

20 « Guardou a semente invasora daquele homem » (ibid., 41).

21 « O tiro foi certeiro e tão próximo que Natalina pensou estar se matando também » (ibid., 40).

22 « [A] ausência de representação da mulher negra como mãe, matriz de uma família negra, perfil delineado para as mulheres brancas em geral ».

23 « [I] nventa este mundo que existe ».

24 « A discredited identity ».

25 « Obvious physical characteristics ».

26 « A discreditable identity ».

27 « The lack of biological distinctions ».

28 « Rasmus blir jagad av klasskamraterna, upphunnen och omkullknuffad på rygg. […] Erik […] ropar gällt att de skall hålla fast han » (Gardell, Kärleken, 36).

29 « Bögjävel ! » (Gardell, Kärleken, 8).

30 « det var allt de behövde göra för att skinga dem, fôr att upplösa deras gemenskap » (Gardell, Kärleken, 183).

31 « [R]ostro negro » (Evaristo, 2014, 53).

32 « [U]m corpo-coração pequeno » (ibid., 49).

33 « [G]ozo-dor » (ibid., 50).

34 « [B]arrigas-luas » (ibid.).

35 « [B]uraco-céu aberto de seu corpo » (ibid.).

36 « águas-lágrimas » (ibid.).

37 « [C]orpos-histórias » (ibid., 51).

38 « [E]ntre eles havia o pacto de não morrer » (ibid., 94).

39 « Morremos nós, apesar de que a gente combinamos de não morrer » (ibid., 93).

40 « Att berätta är en sorts plikt. / Ett sätt att hedra och att sörja och att minnas. / Föra minnets kamp mot glömskan » (Gardell, Kärleken, 8).

41 « Det är den första morgonen. Allting är skapat nytt » (ibid., 287).

Citer cet article

Référence électronique

Florian Fraissard, « La littérature communautaire : perspectives poétique et anthropologique », Voix contemporaines [En ligne], 05 | 2023, mis en ligne le 06 mars 2024, consulté le 07 septembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/voix-contemporaines/index.php?id=579

Auteur·e

Florian Fraissard

Doctorant en littérature comparée, ECLLA, Université Jean Monnet Saint-Étienne

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