« I’m British but… » (Gurinder Chadha, 1989) : les communautés indopakistanaises dans le cinéma britannique des années 1980 à nos jours

DOI : 10.35562/voix-contemporaines.587

Abstracts

Le cinéma britannique présente des perspectives variées sur les communautés indopakistanaises, ce qui permet d’observer leur évolution sur les quatre dernières décennies. Les tensions générées par une société multiculturelle (discrimination, racisme institutionnel, repli identitaire, radicalisation politico-religieuse) interrogent sur la cohésion nationale face au communautarisme. Avec un optimisme lucide, le cinéma britannique lutte contre les exclusions de toutes sortes et tente de ré-universaliser le Royaume-Uni pour mieux célébrer son identité nationale.

British cinema has used various angles to study the evolution of South Asian communities over the last four decades. The tensions generated by this multicultural society – discrimination, institutional racism, separatism, political and religious radicalisation – question British national cohesion faced with rising isolationist groups. With lucid optimism, British cinema fights any kind of exclusion and tries to re-universalise the UK in order to better celebrate its national identity.

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Text

Introduction

Suite à l’arrivée massive de ressortissants du Commonwealth et notamment d’individus issus du sous-continent indien, le cinéma britannique, dès la fin des années 1950, prend acte de l’hétérogénéisation progressive de la société en incluant ou en évoquant quelques personnages secondaires d’origine indopakistanaise dans des films axés sur la condition ouvrière de l’époque (Look Back in Anger, Sparrows Can’t Sing, The Caretaker, Love Thy Neighbour, Black Joy)1. C’est surtout à partir des années 1980 et 1990 qu’il met en avant ces nouvelles minorités et reflète les questions suscitées par leur installation puis leur intégration au Royaume-Uni, ainsi qu’en témoigne un corpus de quatre-vingt films2. Les succès inattendus de My Beautiful Laundrette et de Bhaji on the Beach ont marqué des étapes importantes dans l’histoire de la représentation cinématographique de ces communautés. Outre les documentaires qu’il a pu inspirer (dont celui de Gurinder Chadha évoqué en titre), le premier film est aujourd’hui considéré comme l’un de ceux, sinon celui, qui a permis la renaissance du cinéma britannique dans les années 1980. Le second, premier long-métrage de fiction réalisé par une femme d’ascendance indienne au Royaume-Uni (Street, 1997, 107 ; Korte et Sternberg, 2004, 163), a annoncé le tournant plus commercial pris dans les années 1990 par les films de fiction centrés sur des membres issus de ces communautés, à une époque où l’Asianness3 est devenue à la mode, que ce soit grâce à l’influence de Bollywood, de la musique populaire ou de la cuisine fusion (Malik, 1996, 210 ; Malik, 2010, 136 ; Korte et Sternberg, 2004, 91, 135).

En 2017, un des représentants les plus reconnus de ces communautés indopakistanaises, l’acteur Riz Ahmed, a été invité à la Chambre des communes pour parler de la diversité. Se présentant de manière humoristique comme un « créatif britannique musulman socialiste4 » (Ahmed, 2017a), il a dénoncé ce qu’il appelle un échec de la représentation de certaines minorités dans le cinéma ou la télévision. À partir de cette assertion, deux chercheurs ont élaboré le Riz test (Team #RizTest, 2018), inspiré du test de Bechdel sur la représentation des femmes dans les œuvres de fiction5, pour signaler la vision négative et stéréotypée des Britanniques musulmans dans les médias. Cet article permettra de relativiser cet « échec » de la représentation cinématographique des communautés indopakistanaises, qui recoupe en partie celle des Britanniques musulmans. Le corpus de cette étude, qui témoigne d’une production constante, voire croissante, depuis les années 1980, montre en outre qu’environ un tiers des films sont écrits et/ou réalisés par des artistes issus des communautés indopakistanaises, chiffre bien plus élevé que les filmographies produites par d’autres groupes comme les Britanniques issus des minorités antillaises ou africaines par exemple (Marin-Lamellet, 2020, 150). Même s’il faut rester prudent, on peut affirmer que le cinéma devient donc un moyen d’expression pour les membres de ces communautés.

C’est davantage la question du type de films dans lesquels on trouve des personnages issus des communautés indopakistanaises qui doit être prise en compte. Selon le genre cinématographique choisi, la représentation des communautés varie. Pour schématiser, les comédies romantiques ou familiales d’intégration sous influence Bollywood ne donnent pas la même impression au spectateur que les thrillers d’espionnage d’altérisation (othering), même s’il existe des comédies noires ou satiriques sur le fondamentalisme et le terrorisme, car les genres ne sont pas neutres : ils sont eux aussi des « constructions idéologiques » (Malik, 2010, 143). Ce que semble implicitement critiquer le Riz test, c’est le cercle vicieux qui s’établit dans l’interaction constante que le cinéma national entretient avec la société qui le produit, à savoir que le genre choisi fonde une représentation stéréotypée ou qu’une représentation stéréotypée issue de l’actualité du contexte de production conduit à choisir certains genres. Cette question des genres cinématographiques est épineuse, d’autant que la définition des genres est elle-même source de nombreux débats chez les spécialistes de cinéma, la frontière entre les genres étant bien souvent poreuse6. D’un point de vue transdisciplinaire, certaines appellations journalistiques ou critiques posent aussi question. Ainsi, ce que certains nomment le Asian British film, quelle qu’en soit la définition plus ou moins large donnée (Malik, 1996, 203 ; Malik, 2010, 132 ; Korte et Sternberg, 2004, 34-35), révèle une conception/perception douteuse, comme si l’appartenance à une communauté créait un genre cinématographique en soi. Même si certains films ont indéniablement pour objet de représenter une communauté (les community-based films, Malik, 2010, 140), cette idée est dénoncée par des artistes issus de la diaspora indopakistanaise – voir, à titre d’exemple, les propos d’Hanif Kureishi ou de la productrice Parminder Vir (Korte et Sternberg, 2004, 85, 240) –, l’ironie étant qu’une telle appellation fait ressurgir le spectre de l’essentialisation allant à l’encontre de la supposée volonté de déconstruction des identités ou des représentations établies par le colonialisme (Malik, 2010, 133-134).

Ces réflexions expliquent les choix effectués pour établir le corpus de cet article. Afin d’obtenir une représentation globale des communautés indopakistanaises sur quarante ans, le corpus est le plus large possible et inclut toute œuvre qui présente des personnages principaux ou secondaires issus de ces communautés. Et ce, quel que soit le genre supposé ou les qualités esthétiques du film, que celui-ci soit écrit ou réalisé par un artiste membre de ces communautés ou non. La méthode adoptée pour l’analyse du corpus est une démarche inductive, à savoir partir du maximum de films disponibles pour en dégager les constantes et les évolutions. Cela permet d’éviter les pièges de grilles de lecture préétablies à l’aune de critères plus ou moins étayés sur des sujets parfois clivants et donc politiquement orientés, ce qui conduit à sélectionner des films ou à en étudier le supposé message délivré sur la seule base de ses propres convictions (Bolognani et al., 2011, 161-175). Cette volonté de synthèse permet également de dépasser le « fardeau de la représentation » (Mercer, 1994, 235) qui incombe souvent aux réalisateurs issus de diverses minorités en ne s’intéressant pas uniquement au « cinéma du devoir » (Malik, 1996, 203-204). L’ampleur et la variété des œuvres du corpus permettent enfin de tenir à distance les questions du contexte de production, à savoir le possible effet du cahier des charges des financeurs sur les films produits, et des éventuels biais de genre, même si ces questions doivent être gardées à l’esprit. L’idée n’est pas d’occulter ces phénomènes (on reviendra sur ces questions de production en conclusion), ni d’aplanir les spécificités génériques des films qui, comme on l’a expliqué brièvement, peuvent influer sur le type de personnages et de milieux représentés (et sont d’ailleurs mentionnées si nécessaire). Il s’agit d’obtenir par la confrontation de ces œuvres la représentation communautaire la plus pertinente possible sur une période relativement longue dans une approche civilisationniste transdisciplinaire.

Qu’il soit l’œuvre de réalisateurs issus ou non de ces communautés, le cinéma montre que les descendants indopakistanais se retrouvent souvent au cœur des réflexions sur l’identité nationale britannique (Britishness), comme le laisse entendre le titre du documentaire de Gurinder Chadha. Et, par conséquent, la question consiste à définir ce que recouvre le terme de « communauté » lorsqu’il s’applique aux minorités indopakistanaises. Sur quatre décennies, le cinéma britannique présente deux tendances lourdes. Depuis les années 1980, la double identité développée par ces groupes communautaires, entre volonté d’intégration et maintien des traditions, transparaît dans de nombreux films. Parallèlement, certains membres de ces communautés, victimes de discriminations et sous influences diverses souvent en lien avec l’actualité nationale et internationale, basculent du sentiment d’exclusion au désir de se mettre en marge. En dépit des tensions pointées, le cinéma britannique propose in fine une redéfinition de l’identité nationale qui, pour être inclusive, n’est pas pour autant une simple célébration un peu naïve du vivre-ensemble car elle relève d’une véritable vision politique dans la grande tradition de ce cinéma national souvent engagé.

Entre intégration et tradition : les communautés indopakistanaises vues de l’intérieur

Le cinéma britannique présente des perspectives variées sur les communautés indopakistanaises qui permettent d’établir leurs idiosyncrasies sur quarante ans. Toutes les parties du sous-continent indien sont représentées, malgré la prédominance des Pakistanais, devant les Indiens et les Bangladais. La classe sociale semble liée à l’origine géographique puisque les Indiens appartiennent souvent à la petite classe moyenne voire à la bourgeoisie, si l’on en juge par les professions exercées (comptable dans Anita & Me, employé de banque dans It Was an Accident, détective privé dans City of Tiny Lights, artiste fils ou fille d’entrepreneur dans Guru in Seven, Bollywood Queen et Trishna, professeur dans Beautiful Thing et Anita & Me, assistante sociale dans It’s a Wonderful Afterlife, pharmacien dans The 51st State, avocat dans It’s a Wonderful Afterlife, médecin dans T2 Trainspotting) et les logements situés dans des banlieues assez coquettes (Guru in Seven, Bend it like Beckham, It’s a Wonderful Afterlife, Yesterday). En revanche, les Pakistanais et les Bangladais sont davantage liés à la classe ouvrière qu’ils contribuent à renouveler à l’orée des années 1970. Ils sont ouvriers d’usine (Brothers in Trouble, Girls’ Night, Love + Hate, Blinded by the Light), employés de logistique (Una), mécaniciens (Wild West), réparateurs (Yasmin), chauffeurs de taxi (Rita, Sue and Bob Too, My Son the Fanatic, Love + Hate, Mischief Night, It Was an Accident, The Infidel), contrôleurs de bus (Love Thy Neighbour, Carla’s Song), épiciers (Shaun of the Dead, Ae Fond Kiss, Kidulthood, This is England, Anuvahood, Everywhere + Nowhere, Gone Too Far !), bouchers (Wild West, Honour) ou restaurateurs (East is East, Green Street, Mischief Night, Bradford Riots, Saxon, Ill Manors, Catch Me Daddy, Gone Too Far !, Mogul Mowgli7), sans oublier un brocanteur (Moonlighting), et des DJ (Ae Fond Kiss, Everywhere + Nowhere). Cela n’empêche pas leur ascension sociale, tels que les directeurs de garage et d’autres petites entreprises florissantes (laveries automatiques, immobilier) de My Beautiful Laundrette, Sammy and Rosie Get Laid, Wild West ou City of Tiny Lights. La majorité se concentre dans les vieilles cités ouvrières des Midlands et du nord de l’Angleterre, comme le Yorkshire (Yasmin, Catch Me Daddy) : Bradford (Rita, Sue and Bob Too, My Son the Fanatic, Bradford Riots, Ali & Ava), Beeston près de Leeds (Mischief Night), Sheffield (Four Lions). Quelques films se passent autour du Lancashire (Blackburn dans Love + Hate, Salford dans East is East et West is West) ou bien en Écosse (Glasgow dans Ae Fond Kiss, Nina’s Heavenly Delights). Les Indiens comme les Pakistanais et les Bangladais résident aussi dans divers quartiers de la capitale et autour de Londres : l’East End (Walthamstow dans It Was an Accident, Brick Lane dans le film éponyme, Stratford dans Bollywood Queen, Shoreditch dans Heartless), Southall (Wild West, Guru in Seven, It’s a Wonderful Afterlife, Triads, Yardies and Onion Bhajees!, Honour), Wembley (Cash & Curry, Mogul Mowgli), Roundshaw (Saxon), Dudlowe/Harlow (Shifty). Plus exceptionnellement, Blinded by the Light se passe à Luton et Yesterday dans le Suffolk.

Ces trois groupes communautaires apparaissent très soudés, par des liens à la fois géographiques et relationnels, et très solidaires8. Les espaces de socialisation sont souvent le marché et les lieux de prière (dont le célèbre Neasden Temple dans Triads, Yardies and Onion Bhajees! et la mosquée centrale de Londres dans Shoot on Sight), aux fonctions variées : matrimoniales (It’s a Wonderful Afterlife), psychothérapeutiques (East is East, Bradford Riots). Malgré des fortunes diverses, ces trois groupes partagent le désir de maintenir leurs traditions, acceptées voire encouragées par un État qui prône le multiculturalisme depuis les années 1960 et accommode les pratiques religieuses sur le lieu de travail y compris des fonctionnaires (Shoot on Sight). Mais la maison reste le centre de la vie sociale. Certains films font la part belle aux anniversaires (Everywhere + Nowhere) et mariages dans de longues séquences qui sont l’occasion de rendre hommage à Bollywood à travers une photographie léchée et une bande-son entraînante. Les couleurs chatoyantes inspirées du cinéma indien se retrouvent sur les affiches ornant les murs des quartiers entrevus (Mischief Night, Bradford Riots), les magasins de DVD spécialisés (Nina’s Heavenly Delights) ou les chambres des jeunes femmes rêveuses (Bollywood Queen)9. L’accent mis sur ces cérémonies et réunions familiales s’explique peut-être par le côté autobiographique des scénarii de Hanif Kureishi, Ayub Khan Din ou Meera Syal.

Tous les sens du spectateur sont sollicités lorsque la caméra virevolte le long de marchés exotiques et colorés comme Shepherd’s Bush (Wild West, Bollywood Queen, It’s a Wonderful Afterlife, Brick Lane) ou dans les quartiers populaires de Beeston (Mischief Night). Les références récurrentes à la nourriture permettent de percevoir une forme d’intégration culinaire. Dans les années 1970, lorsqu’elle est invitée pour la première fois chez son amie originaire du Punjab, Anita (Anita & Me) est assez perplexe face à l’exotisme des mets proposés et à l’absence de couverts. Dans East is East, rebaptisé Fish n’ Chips pour sa sortie française, le Pakistanais George, patron de The English Chippy, prépare ce qui, à l’époque, est considéré comme le plat national. Aujourd’hui, beaucoup de Britanniques préfèrent le curry (Bend it like Beckham, Shifty) ou le chicken tikka massala (Last Resort, It’s a Wonderful Afterlife, I.D.2: Shadwell Army), y compris les adhérents du British National Party (Mischief Night). Les concours de chefs indiens qui se disputent le titre de meilleur curry de l’Ouest (« The Best of the West ») sont diffusés à la télévision et font l’objet de nombreuses séquences en accolade mettant en valeur les ingrédients utilisés (Nina’s Heavenly Delights), même si, ironiquement, les cuisiniers de restaurant indiens ne sont pas forcément issus de la communauté (Cash & Curry).

Le maintien des traditions n’empêche pas la volonté d’intégration clairement revendiquée dans de nombreux films, comme le rappelle l’expression récurrente « fitting in ». Pour ce faire, les parents misent sur l’éducation vue comme le plus efficace des passeports pour une vie meilleure (Bradford Riots, Blinded by the Light, The Wedding Guest). Certains immigrés de la première génération sont de fins lettrés qui ont parfois étudié au Royaume-Uni (My Beautiful Laundrette, Anita & Me, Brick Lane), d’où leur insistance pour que leurs enfants soient de bons élèves et aillent à l’université, généralement en droit ou en médecine10. Cette pression est parfois mal vécue lorsque le jeune exprime des aspirations autres : artistiques (Bhaji on the Beach, Anita & Me, Bollywood Queen, Brick Lane, Everywhere + Nowhere, Trishna, Mogul Mowgli), sportives (Bend it like Beckham), journalistiques (Ae Fond Kiss, Blinded by the Light). L’éducation, si elle rime avec émancipation, n’est donc pas forcément synonyme d’épanouissement (Mischief Night, Shifty) et instaure une véritable compétition entre les familles (Anita & Me, Brick Lane, Everywhere + Nowhere).

Les mutations d’une société de plus en plus mercantile ne désarçonnent pas ces communautés qui ont aussi la fibre des affaires. Les descendants pakistanais notamment, forts de leur réputation de travailleurs acharnés et dociles ou de commerçants industrieux (Ae Fond Kiss, Shaun of the Dead, Bradford Riots, Everywhere + Nowhere, Honour, Blinded by the Light, Mogul Mowgli), adoptent avec enthousiasme le credo néolibéral thatchérien qui promet une nouvelle forme de méritocratie à tous ceux qui désirent s’intégrer. Peut-être y voient-ils l’aboutissement de leur exil puisqu’ils sont, pour la plupart, issus d’une immigration économique et rêvent encore du Royaume-Uni comme d’un eldorado (My Beautiful Laundrette, My Son the Fanatic, In This World, West is West, Blinded by the Light). Leur réussite frise parfois l’insolence, d’autant qu’à une époque où l’éthique commerciale et financière s’avère assez élastique, ils n’hésitent pas à mélanger affaires légales et illégales pour triompher de leurs concurrents (My Beautiful Laundrette, My Son the Fanatic, Wild West, Bollywood Queen). De jeunes gens deviennent ainsi des sortes de parrains qui prennent en charge les déshérités de leur cité en leur donnant du travail (laverie automatique dans My Beautiful Laundrette, couture dans Brick Lane, restaurant dans Mischief Night) ou en les recrutant comme hommes de main (revente de drogue dans My Beautiful Laundrette, Mischief Night et Bradford Riots, proxénétisme dans My Son the Fanatic). Le développement de véritables mafias dont la violence n’a rien à envier aux Kray11 et leurs confrontations avec d’autres gangs communautaires donnent lieu à des visions comiques à la Guy Ritchie (It Was an Accident, South West 9), dramatiques d’inspiration scorsésienne (Triads, Yardies and Onion Bhajees!) ou tragicomiques (Cash & Curry). La récession et la désindustrialisation depuis les années 1980 génèrent parfois de la délinquance juvénile (Wild West, Yasmin, Bradford Riots, The Road to Guantanamo, Shoot on Sight) voire plongent des quartiers entiers dans la pègre (My Son the Fanatic, Ill Manors). Les parents ont alors du mal à préserver leurs fils des mauvaises influences, du leurre de l’argent facile (Bradford Riots, Shifty) ou de l’attraction qu’exerce la bande locale (Eden Lake).

Avec la place accrue donnée aux communautés indopakistanaises, le cinéma britannique permet de mieux en appréhender les origines, les conditions de vie et les valeurs. Il témoigne du multiculturalisme en montrant des quartiers devenus peu à peu de véritables Little India ou Little Pakistan, comme le suggèrent les surnoms de Bradistan et Banglatown pour Bradford et Brick Lane, où l’anglais n’est pas forcément la langue la plus employée (Honour). C’est précisément cette présence, perçue comme une sorte de colonisation intérieure, régulièrement évoquée dans les discours des partis d’extrême droite tels que le British National Party (BNP) ou l’United Kingdom Independence Party (UKIP), qui irrite certains Britanniques blancs. Le cinéma se fait l’écho de ces tensions sur quatre décennies et de leurs effets sur l’évolution de l’acception du terme de « communauté ».

Du rejet au repli communautaire : les communautés indopakistanaises face aux discriminations et à la fragmentation

Ces films n’hésitent pas en effet à pointer tous les problèmes générés par la cohabitation forcée de communautés parfois hostiles, comme les discriminations quotidiennes et le racisme institutionnel12. Le racisme ordinaire peut aller de la condescendance à la xénophobie, même si les insultes frontales semblent se raréfier en raison de leur caractère de plus en plus anti-politiquement correct. On peut comparer les propos ouvertement racistes des années 1950 à 1970 fréquemment entendus dans Look Back in Anger, West 11, Brothers in Trouble, Anita & Me, The Duke, Blinded by the Light ou les séquences de souvenirs de The Football Factory, et le racisme plus feutré de Prick Up Your Ears, Everywhere + Nowhere, ou le paternalisme latent de Sammy and Rosie Get Laid et de Bend it like Beckham des années 1980 à 2010. Parvez (My Son the Fanatic) n’est cependant pas à l’abri de plaisanteries douteuses lorsqu’il fréquente un cabaret (voir aussi Shifty, Cleanskin et I.D.2: Shadwell Army où le supposé humour cache mal un vrai racisme). Les regards insistants pour faire comprendre qu’un immigré ou un de ses descendants n’a pas sa place dans le quartier persistent à travers les décennies et, dès l’école, le héros doit faire face aux insultes et choisir d’y répondre par l’ignorance ou la force (West is West, Ae Fond Kiss, Infinite Justice). Avec la succession des crises économiques depuis les années 1980, des « petits Blancs » se réfugient dans la glorification de la suprématie blanche (voir les tatouages de Honour, les tags et provocations de Blinded by the Light présentés comme récurrents). De nombreuses scènes montrent des skinheads et d’autres voyous manifestant et distribuant des tracts racistes (Made in Britain, Rude Boy, Bhaji on the Beach, Anita & Me, Yasmin, The Football Factory, Brick Lane, Love + Hate, Blinded by the Light). Dans My Beautiful Laundrette, ils s’en prennent au symbole de la réussite économique d’Omar, sa laverie, car ils ne peuvent supporter ce renversement historique des rapports entre colons et colonisés. Outre l’intimidation (envers l’épicier de This is England), ils vont parfois jusqu’à la violence physique (Infinite Justice, Blinded by the Light)13.

Le racisme institutionnel, pourtant dénoncé par le Macpherson Report en 199914, perdure et aggrave le ressentiment des communautés indopakistanaises. La police, et dans une moindre mesure la justice, sont critiquées à travers leurs agents dépeints comme stupides (It’s a Wonderful Afterlife, Four Lions) ou racistes (My Son the Fanatic, Bradford Riots, Triads, Yardies and Onion Bhajees!, Shoot on Sight, I.D.2: Shadwell Army) et dont les excès de zèle sont cautionnés par la législation anti-terroriste (Shoot on Sight, Everywhere + Nowhere, I.D.2: Shadwell Army). Les policiers issus de ces minorités sont rares à l’écran (Mischief Night, It’s a Wonderful Afterlife, Shoot on Sight, Ill Manors, Honour, I.D.2: Shadwell Army)15. À la méfiance sociale de classes populaires historiquement rétives aux autorités s’ajoute la méfiance ethnique tant dans les quartiers pauvres où la police peut charger, bastonner et tirer à vue (Sammy and Rosie Get Laid, Bradford Riots) que dans d’autres, plus aisés et paisibles (Rita, Sue and Bob Too, Wild West). Les accusations de racisme découlent de l’attentisme ou de la mauvaise foi des forces de police alors que la tension monte entre Indopakistanais et skinheads (Made in Britain, My Beautiful Laundrette, Love + Hate, Blinded by the Light) ou membres de partis extrémistes (I.D., Bradford Riots, I.D.2: Shadwell Army) qui s’adonnent tous au paki-bashing (jets de pierre contre les domiciles ou vitrines, chants racistes, saluts hitlériens, ratonnades) sans jamais être inquiétés. Cette passivité fréquente, perçue comme un cautionnement, conduit les plus jeunes à des actes de rétorsion qui, à leur tour, enveniment les rapports entre les deux parties. Si les Indopakistanais semblent tenir un rôle de spectateurs dans les émeutes inspirées des échauffourées de Brixton et autres inner cities des années 1980 (Sammy and Rosie Get Laid), ils sont les acteurs de celles d’Oldham, Bradford et Burnley pendant l’été 2001 (Bradford Riots)16. Contrairement à leurs parents jugés trop stoïques, les enfants ne comptent plus se laisser faire (Brick Lane). Cette éruption de violence est d’autant plus frappante que ces communautés ont souvent été perçues comme très respectueuses, sinon déférentes, envers l’autorité, ce que confirment les réactions des parents des émeutiers. En bons citoyens, ils sont les premiers à obliger leurs fils à se rendre au commissariat pour se dénoncer et plaider coupable espérant, à tort, un procès équitable (voir aussi Yasmin). Ces actes de provocation envers les représentants de l’ordre, aggravés par un contexte international tendu, entraînent en fait une surenchère de répression et l’instauration d’un climat de loi martiale. On pense aux nombreux officiers et hélicoptères, à la vidéosurveillance et aux descentes de police musclées de Sammy and Rosie Get Laid, Bradford Riots, Four Lions et Yasmin.

Ce rejet de la part des Blancs est d’autant plus mal ressenti que les membres de la jeune génération sont bien sûr tous nés au Royaume-Uni qui est pour eux leur pays d’origine (Bhaji on the Beach, Bollywood Queen, Brick Lane, West is West, Cash & Curry, Everywhere + Nowhere, I.D.2: Shadwell Army, Blinded by the Light, City of Tiny Lights)17. Ils ont depuis longtemps développé une double identité illustrée d’un point de vue thématique et formel dans de nombreux films. L’hybridité des jeunes générations se voit par exemple dans la façon dont elles mêlent la modernité des gadgets de haute technologie avec les costumes traditionnels (Ae Fond Kiss, Wild West) et les jeux de miroirs symbolisent leur identité en perpétuelle évolution (Brick Lane, West is West, The Wedding Guest). Outre le montage des films qui alterne scènes de vie entre jeunes et rituels familiaux (Everywhere + Nowhere, Blinded by the Light) pour signifier l’entre-deux, l’hybridité formelle transparaît dans le mélange des genres cinématographiques que ce soit par la citation, la reprise ou l’adaptation : western, Bollywood, chronique sociale, comédie et comédie musicale nourrissent Wild West, Bhaji on the Beach, East is East, Anita & Me, Guru in Seven, It’s a Wonderful Afterlife, Love + Hate, Bollywood Queen, Nina’s Heavenly Delights et Blinded by the Light. Cash & Curry ajoute au mélange des références aux films de kung-fu une vision montypythonesque des combats de chevaliers et une séquence karaoké d’« Old MacDonald had a farm » sur de la musique indienne. La bande-son des films traduit souvent le sentiment d’entre-deux : réarrangements funk ou hip-hop de thèmes tirés de comédies musicales indiennes, alternance ou fusion de musique pop, R n’ B ou électro occidentale et de sonorités traditionnelles dérivées du banghra (Bollywood Queen, Bend it like Beckham, Everywhere + Nowhere), reprises en punjabi ou en hindi de grands succès de la musique populaire anglo-saxonne, comme « Summer Holiday » de Cliff Richard, chanteur anglais né en Inde (Bhaji on the Beach), ou bien « I Will Survive » de Gloria Gaynor (Mischief Night). Cette double identité, si elle incommode certains Blancs, est bien vécue par les Indopakistanais puisque le véritable exotisme pour un Indien installé dans les Midlands, c’est de chanter en italien lors du mariage d’un ami anglais (Anita & Me).

La persistance du racisme est encore plus insupportable pour les métis puisque, pour eux, l’entre-deux ne signifie pas être partagés entre la culture familiale et celle du pays hôte mais vivre une double identité inscrite dans leur corps. Certains couples mixtes s’interrogent d’ailleurs sur l’avenir de leurs futurs enfants qui seront toujours en porte-à-faux : quelle communauté devront-ils adopter puisqu’il semble qu’il faille toujours finir par choisir son camp dans un monde décidément bien bipolaire (Ae Fond Kiss) ? Ceux qui ne se sont pas posé de questions sont interpellés par leurs enfants (East is East, West is West).

Même si les descendants des communautés indopakistanaises paraissent souvent bien intégrés et à l’aise avec leur double identité, ils continuent cependant d’être insultés et sont alors tentés de se replier sur eux-mêmes voire de revendiquer cette altérité imposée, d’autant que les tensions intercommunautaires fluctuent au gré de l’actualité dans un contexte économique détérioré.

Ce repli identitaire se manifeste par une ségrégation de plus en plus poussée dans les villes britanniques18. Le territoire national se morcelle en une myriade de sous-groupes vivant les uns à côté des autres mais s’ignorant prudemment. Les longs trajets en métro de Jess (Bend it like Beckham) et en voiture de Yasmin dans le film éponyme symbolisent le passage d’une sorte de frontière invisible entre leur communauté et celle du pays hôte (voir aussi Wild West, Love + Hate, Ali & Ava). Bhaji on the Beach montre des rues de Blackpool dignes d’un Little Bombay comme l’affirme Rekha. Lors du périple de la famille Khan à Bradford/Bradistan (East is East), la concentration d’échoppes, de cinémas, de publicités avec des femmes voilées dans une scène accompagnée de musiques traditionnelles donne à la ville l’image d’un Little Pakistan. La voisine de Nazneen (Brick Lane) semble être la seule Blanche du quartier. Les pères de Blinded by the Light plaisantent sur leur quartier en trouvant qu’il y a désormais beaucoup trop de Pakistanais comme eux. Dans Yasmin et Bradford Riots, le chant du muezzin rythme la journée et les haut-parleurs jouxtent les antennes satellites sur les façades, d’où peut-être les tensions générées par la construction ou la présence d’une mosquée (I.D.2: Shadwell Army, Blinded by the Light). Traverser le parc qui sépare les quartiers blancs et pakistanais de la ville (Mischief Night) est désormais considéré comme un acte d’agression par ceux d’en face. La tension est grande dans une société de plus en plus méfiante et ségréguée, dont les forces de police reconnaissent la difficulté à briser l’omerta en cas de problèmes (Honour). Lorsque l’actualité s’en mêle, certains quartiers initialement déserts deviennent semblables à des zones de guerre (Yasmin). Le plan récurrent sur Bradford pendant l’été 2001 (Bradford Riots), d’abord ensoleillé et dégagé, puis crépusculaire et hérissé de grillages et de barbelés, symbolise la chape de plomb qui s’abat sur ses habitants.

Cette ségrégation géographique, doublée d’une forme de diglossie puisque la langue des parents est utilisée comme une barrière pour mettre les Blancs à l’écart même en leur présence (Catch Me Daddy, Honour), est la traduction d’une volonté séparatiste qui affecte certaines franges de ces minorités. De la communauté, on dérive vers le communautarisme et, dans une forme de racisme inversé, le monde se divise entre us et them sans que les deux entités soient très clairement définies, puisqu’en constante évolution (My Beautiful Laundrette, Bradford Riots). On assiste en effet à un rétrécissement progressif de ce que recouvre le terme « communauté » puisque toute différence, même minime, est immédiatement suspecte. Le père de Sanjay (Guru in Seven) a ainsi refusé son mariage avec une jeune femme parce qu’elle était gujarati et non punjabi ; la famille de Mona (Honour) refuse sa relation avec Tanvir parce que, bien que musulman, il est punjabi et non pakistanais. La haine entre Indiens et Pakistanais est tenace (Sammy and Rosie Get Laid, Bend it like Beckham, East is East, The Wedding Guest, City of Tiny Lights), renforcée par les différences socioéconomiques19. Les supposés traits d’humour révèlent les stéréotypes entre Pakistanais et Bangladais (Everywhere + Nowhere, Mogul Mowgli). L’homophobie est pointée comme un cliché associé à tous les groupes issus du sous-continent indien (Wild West, Bend it like Beckham, East is East, It’s a Wonderful Afterlife, Four Lions)20. Les résidents indésirables des deux quartiers de Mischief Night se concentrent dans une rue surnommée « Death Row ». Peu à peu, l’intolérance devient totale : les anciens (My Son the Fanatic, Brick Lane, City of Tiny Lights) déplorent de voir des jeunes critiquer tout ce qui est différent d’eux-mêmes et former des milices supposées protéger le quartier mais plus proches d’une police des mœurs. Ils traitent de « coconuts » les membres jugés trop intégrés dans la société hôte : telle la noix de coco, ils sont bruns à l’extérieur, blancs à l’intérieur (Bradford Riots, Mogul Mowgli).

Le raidissement identitaire ravive voire exacerbe les schémas de la société traditionnelle importés par la première génération et le patriarcat, commun à tous les ressortissants du sous-continent indien, se porte mieux que jamais, combiné à une éducation qui inculque le respect des aînés (My Son the Fanatic, West is West, Brick Lane, Blinded by the Light). Les femmes et les jeunes filles, vues comme une malédiction divine (Brick Lane), se doivent donc d’être très soumises aux hommes de la famille et très chastes (Ae Fond Kiss, Yasmin, Bradford Riots, Saxon) pour ne pas être battues (Brothers in Trouble, Bhaji on the Beach, It’s a Wonderful Afterlife, Honour) ou mariées de force prématurément (Mischief Night, Brick Lane, The Wedding Guest). Cette situation leur est d’autant plus insupportable que leurs frères continuent souvent à vivre de manière très dissolue (Yasmin, Love + Hate, Everywhere + Nowhere), perpétuant ainsi le fameux double standard21. Mener une double vie est difficile pour celles qui sont sous surveillance constante (Bollywood Queen, Everywhere + Nowhere, Catch Me Daddy, Honour, Blinded by the Light) car elles sont les dépositaires des supposés honneur et réputation de la famille au sein de la communauté (même une comédie aussi bouffonne que The Infidel y fait référence22). Elles en sont parfois réduites à fuir pour échapper au mariage arrangé (Nina’s Heavenly Delights, The Wedding Guest) dans des familles soulagées de voir que les époux s’apprécient alors qu’ils se découvrent lors de la cérémonie (Blinded by the Light). Dans les cas les plus tragiques, elles sont traquées par des chasseurs de prime sans scrupules pour finir victimes de crimes dits d’honneur qui prennent parfois un caractère ordalique (Catch Me Daddy, Honour). Faute de réel brassage culturel dans le pays d’élection, les traditions qui assujettissent les femmes sont reproduites par celles-là mêmes qui en souffrent (Anita & Me, Bhaji on the Beach, Bend it like Beckham, Mischief Night, Brick Lane, It’s a Wonderful Afterlife, Nina’s Heavenly Delights, Everywhere + Nowhere, Honour) car, repliées sur des valeurs représentées comme périmées, elles croient donner un sens à leur vie en se faisant les gardiennes de coutumes vécues comme obsolètes par celles qui les contestent ou les remettent en question. Cela les conduit à mépriser le pays hôte et à idéaliser des lieux qu’elles n’ont parfois pas connus (My Beautiful Laundrette, Honour).

L’endogamie vise à préserver une communauté unie dont les critères avancés pour la justifier permettent de constater l’évolution des définitions identitaires de l’ethnogéographie à la religion. Pour l’intraitable George (East is East) et l’irascible père de Casim (Ae Fond Kiss), le mariage arrangé est une protection supplémentaire de l’identité communautaire face au rejet des Blancs (voir aussi Guru in Seven, Yasmin, Mischief Night, Bollywood Queen, Everywhere + Nowhere, Blinded by the Light). Mais si, dans les années 1970, en pleine guerre du Cachemire, l’ennemi principal de George le Pakistanais, c’est l’Inde, il semble que, pour le père de Casim dans les années 2000, ce soit le sécularisme associé à l’occidentalisme car il voit la religion comme une façon de dépasser les discriminations ethniques subies. Depuis les années 1980, la pratique et la conscience religieuses sont présentées en constante augmentation. Dans Blinded by the Light, Javed et son père se définissent respectivement comme Asian et Pakistanais, pas musulmans. Dans East is East, un seul des fils est pratiquant alors que ses frères et sœurs mangent des saucisses de porc en cachette et boivent de la bière. Dans les années 1990 et 2000, les enfants écoutent davantage les conseils d’imams extrémistes qui servent de rabatteurs/recruteurs (Infinite Justice, Shoot on Sight, Cleanskin) que ceux de leurs parents qui paraissent plus intégrés et laïcisés (My Son the Fanatic, The Infidel, Everywhere + Nowhere, I.D.2: Shadwell Army, City of Tiny Lights)23. Le racisme, l’incapacité de jouir pleinement de la société de consommation et le besoin de trouver un sens à sa vie nourrissent un sentiment d’exclusion désormais revendiqué et la prise de pouvoir des radicaux dans My Son the Fanatic est symbolisée par l’occupation graduelle de la maison de Parvez qui finit par ne plus être maître chez lui face aux amis radicalisés de son fils. Inspirés de faits réels et probablement du traumatisme causé par les attentats-suicides depuis 2005, les films relatant les parcours de vie qui conduisent des jeunes gens brillants à la désaffiliation/réaffiliation identitaire pour aboutir à des activités en lien avec le terrorisme interpellent le spectateur (Infinite Justice, Shoot on Sight, Cleanskin)24. Certains fonctionnaires apparaissent comme des sortes de cinquième colonne (Kasim dans Honour). On note qu’en raison de tensions de plus en plus dures, même les individus les plus ouverts ne sont pas exempts de réflexes de crispations communautaires tant les conflits de loyauté abondent (Ae Fond Kiss, Bend it like Beckham, Infinite Justice).

La radicalisation politico-religieuse, notamment des Britanniques musulmans, et l’élaboration subséquente d’une identité transnationale par le biais d’une « communauté d’émotions » (McGhee, 2008, 64) avec les « frères » qui souffrent dans le monde se développent à la suite d’événements ayant marqué l’actualité (la guerre des Balkans dans Infinite Justice, Cleanskin, la guerre en Irak dans Shoot on Sight, The Infidel avec le conflit israélo-palestinien en toile de fond) et accentuent les dissensions intercommunautaires. Les attentats du 11 septembre 2001 sont ainsi clairement perçus à l’écran comme un tournant. Dans un climat de défiance mutuelle, de nombreux jeunes issus de la minorité pakistanaise ou bangladaise naguère vêtus à l’occidentale, endossent les habits traditionnels et se laissent pousser la barbe pour revendiquer leur religion face aux Blancs qui ont tendance à s’en prendre aux plus vulnérables d’entre eux pour se venger (Yasmin, Brick Lane, Love + Hate, The Road to Guantanamo)25. Le débat qui s’ouvre entre Chanu et les jeunes dans Brick Lane montre le fossé qui est en train de se creuser entre les générations d’un même groupe : Chanu qui a fui la guerre civile au Bangladesh rappelle aux jeunes ignorants nés au Royaume-Uni, comme le laisse entendre leur fort accent cockney, que, contrairement à ce qu’ils croient, tous les musulmans ne sont pas frères. Il dénonce l’instrumentalisation de la religion à des fins politiques et tourne en ridicule l’identité transnationale que cherchent à créer les fondamentalistes du quartier en accumulant les références aux conflits tchétchène, israélo-palestinien, afghan et iraquien : la religion n’est pas un pays (voir aussi Yasmin)26. Son appel à la modération n’émeut guère des jeunes de plus en plus fanatisés par crispation identitaire. Certains affichent une photographie de Ben Laden sur leur téléphone portable sans certainement saisir toute la portée de leur geste (Mischief Night) parce qu’ils voient d’abord en lui un musulman qui a défié les Américains et qui les venge symboliquement de toutes les vexations endurées depuis leur naissance. Les anciens sont effrayés par ces nouveaux imams prêcheurs de haine qui tentent de prendre possession des mosquées pour endoctriner leurs fils (My Son the Fanatic, Yasmin, Mischief Night, Shoot on Sight) quand ils n’organisent pas des réunions secrètes (Four Lions). Parallèlement, ils songent à rentrer au pays, tant ils sont effarés par la haine qu’ils suscitent et qui leur rappelle leurs difficiles premières années au Royaume-Uni (illustrées par Brothers in Trouble), comme si tout était à refaire pour espérer être acceptés (Bradford Riots, Brick Lane, Shoot on Sight). L’enlisement du conflit iraquien27 et les attentats du 7 juillet 2005 à Londres finissent évidemment d’aggraver la situation, puisque les Britanniques blancs sont désormais persuadés que l’ennemi est intérieur (Love + Hate, Four Lions). Dans un climat de paranoïa généralisée et devant l’arsenal législatif mis en place, qui transforme tout musulman en un terroriste potentiel28, des jeunes parfaitement intégrés tombent dans l’extrémisme par dépit et colère face à l’injustice (Yasmin), peut-être aussi pour ne pas devenir fous (Bradford Riots).

Cette radicalisation politico-religieuse post-11 septembre engendre des conséquences particulièrement néfastes pour les femmes musulmanes. Écartelées depuis des décennies entre le respect de la tradition et le désir d’émancipation vers la communauté hôte jugée souvent plus moderne et attirante, elles se retrouvent soudainement dans une sorte d’impasse. Naguère bien intégrées dans leur quartier, elles sont rejetées par celles qu’elles croyaient amies ou collègues (Yasmin, Bradford Riots). Revenir à un mode de vie traditionnel, symbolisé par le port du voile de plus en plus couvrant et la fréquentation de plus en plus régulière de la mosquée, est un choix par défaut : il faut bien se rattacher à une identité et donc à un groupe social, même aux dépens d’une indépendance tant convoitée29. Les femmes, et dans une moindre mesure tous les sécularisés, souffrent donc en silence à la suite de ces événements tragiques qui précipitent un choix impossible, comme si la seule alternative à l’Occident sectaire était le fondamentalisme. Four Lions et Honour illustrent ce dilemme de manière satirique ou tragique. Dans le premier, l’épouse du héros est confrontée à deux modèles masculins dysfonctionnels : son mari, ouvert sur le plan domestique mais qui rêve ouvertement d’attentat-suicide, ou son beau-frère, incarnation d’un islam pacifiste mais qui réduit littéralement la femme à un objet qu’on range dans un placard30. Dans le second, l’héroïne est prise au piège entre un chasseur de primes raciste et son frère qui le paie pour la tuer et préserver l’honneur de la famille.

Que les relations soient d’ordre public ou privé, les interactions de ces minorités avec la communauté hôte montrent toutes les difficultés qui subsistent pour intégrer pleinement une société qui affiche officiellement un multiculturalisme de bon aloi mais semble attendre, en pratique, une assimilation totale, ce qui aboutit parfois à des tentations sécessionnistes. Ce faisant, le cinéma britannique pose la question d’une possible redéfinition de la notion d’identité nationale à travers l’évolution du concept de communauté qu’il présente. Alors que la perspective classiste reste en filigrane, la communauté devient multiscalaire : elle n’est plus autant appréhendée selon un angle ethnique que religieux et met en tension les niveaux local, national et international. Cette évolution de la représentation, probable reflet de celle de la perception de ces communautés en lien avec la racialisation progressive de la question sociale et des rapports de classes, interroge, de manière plus générale, sur les conséquences de cette évolution quant à la cohésion nationale britannique et sa volonté affichée de cosmopolitisme.

Ré-enchanter le Royaume-Uni : le cinéma et l’identité nationale britanniques

Malgré leur constat assez pessimiste, ces films tendent à montrer que, en dépit des pics de tension, le sentiment ou la volonté d’appartenir à une communauté nationale résiste. Dans un contexte propice aux exclusions de toutes sortes et à la tentation de fragmentation du tissu social, à une époque où le Premier ministre doute du bien-fondé des politiques menées en matière d’intégration31, le cinéma britannique se donne pour mission de ré-universaliser le Royaume-Uni en commençant par relativiser les discours minoritaires qui, dans chaque camp, s’érigent en porte-parole d’une majorité toujours silencieuse. Les tenants des replis identitaires de toutes sortes sont sévèrement critiqués parce qu’ils sont perçus comme véhicules d’idéologies réductrices quant à l’idée de citoyenneté, c’est-à-dire d’une communauté nationale. Leur vision essentialiste de l’identité ne conduit qu’à la dictature de l’appartenance et à l’assignation communautaire, vues comme une impasse. Le communautarisme paraît ainsi contreproductif en ce qu’il ne fait que raviver le racisme, comme dans Honour où les vêtements religieux et la mauvaise maîtrise de la langue nationale sont utilisés comme des arguments xénophobes. Symboliquement, le dialogue filmé comme un duel entre le suprématiste blanc et le fondamentaliste musulman au pub les fait apparaître comme les deux faces de la même médaille puisque, mis à part l’identité de ceux qui doivent être les maîtres du monde, leur idéologie du « grand remplacement » et leurs schémas de domination sont rigoureusement les mêmes. Les films de type thriller vont même jusqu’à la théorie du complot en montrant que ces extrêmes se rejoignent et coordonnent leurs opérations pour mieux déstabiliser la communauté nationale (I.D.2: Shadwell Army). La dictature de l’appartenance et l’assignation communautaire font parfois l’objet de sarcasmes (l’officier américain de The Road to Guantanamo pour qui on est soit musulman, soit britannique ; les clients du restaurant de Cash & Curry qui testent l’indianité de leur hôte) ou de gags ironiques récurrents (différence entre Indiens et Pakistanais ou supposé respect pour les aînés et autres valeurs associées à ces communautés dans Triads, Yardies and Onions Bhajees!, Blinded by the Light), voire deviennent le propos même du film. Shoot on Sight ou The Infidel présentent différentes façons de vivre sa confession musulmane loin des clichés médiatiques, le protagoniste musulman du second film se découvrant même des origines juives (voir, dans une moindre mesure, Cleanskin32). Par ses raps scandés, Zed (Mogul Mowgli) souligne l’inanité de tenter une définition simple de l’identité et sa maladie auto-immune dégénérative est à interpréter comme une conséquence symbolique des effets délétères produits par tous ceux qui veulent l’enfermer dans une case bien délimitée (Blancs qui voient en lui un Pakistanais à cause de sa couleur de peau, Noirs qui crient à l’appropriation culturelle parce qu’il est un artiste hip-hop, musulmans qui lui reprochent sa vie haram). Blancs racistes (Bhaji on the Beach, It Was an Accident, Mischief Night, The Football Factory, Cash & Curry, I.D.2: Shadwell Army) et candidats à l’attentat-suicide (Four Lions, Cleanskin) sont tous présentés comme des individus s’étant fourvoyés, ridicules ou confondants de stupidité. Une fois débarrassé des extrémistes, Parvez (My Son the Fanatic) allume toutes les lampes dans sa maison déserte, comme pour en chasser l’obscurantisme. Par le biais de la satire ou de comédies grinçantes, le cinéma renvoie tous les promoteurs d’une identité transnationale dos à dos : terroristes amateurs inaptes dont l’acharnement à se faire sauter confine au nihilisme (Four Lions) ; imams haineux mais puérils33, désireux de faire oublier un passé peu glorieux (The Infidel) ou de s’installer définitivement au Royaume-Uni où ils pourront, malgré leurs harangues anticapitalistes, gérer leur religion comme une entreprise (My Son the Fanatic, City of Tiny Lights) ; pratiquants acharnés, qualifiés de talibans, qui espèrent que leur zèle rachètera leur passé de délinquants, tout en conservant des comportements mafieux (Mischief Night).

Dans cette lutte contre les tenants d’idéologies hostiles, outre les partis d’extrême droite (Rude Boy, Bradford Riots, This is England, I.D.2: Shadwell Army, Blinded by the Light), le discours de certains hommes politiques est également clairement dénoncé, que ce soit celui d’Enoch Powell dans les films situés dans les années 1970 (East is East, Anita & Me)34 ou de Tony Blair justifiant la participation du Royaume-Uni à la guerre en Irak ou la modification de la législation anti-terroriste (Bradford Riots, Brick Lane, The Road to Guantanamo). Les avanies subies par les affiches ou les marionnettes de ces hommes politiques jugés responsables de l’envenimement de la situation signalent la neutralisation symbolique de leur discours.

Le cinéma se pose ainsi comme un médium de résistance face à d’autres types de médias, notamment les tabloïds et la télévision, assoiffés de sensationnel (Sammy and Rosie Get Laid, Bradford Riots, Shoot on Sight, Cleanskin) et dont les débats sont toujours schématiquement binaires (The Infidel). Même lorsqu’ils croient rapporter des faits positifs, ils ne peuvent s’empêcher d’utiliser des propos discriminatoires (Anita & Me). Les médias sont vus comme les porte-parole du pouvoir en place et, en utilisant un vocabulaire connoté, donnent une vision apocalyptique du pays (Sammy and Rosie Get Laid, My Son the Fanatic). Ils incitent à la délation en publiant des prises de vue de suspects par vidéosurveillance sans se soucier des répercussions sur les familles (Bradford Riots). Les images ou les voix off issues de reportages télévisés matraqués après les attentats du 11 septembre 2001 ou du 7 juillet 2005 (Yasmin, Bradford Riots, Brick Lane, The Road to Guantanamo) suscitent l’angoisse chez une minorité musulmane qui sait que cette forme de légitimation d’un discours parfois ambigu, voire ouvertement raciste, ajoutée aux amalgames, la désigne comme la cible parfaite de la vindicte populaire35.

Le cinéma se donne aussi pour mission de ré-universaliser le Royaume-Uni en s’interrogeant sur ce qui constitue l’identité. C’est sans doute pourquoi de nombreux films mettent en scène des adolescents ou de très jeunes adultes pour qui cette question est centrale (Anita & Me, Bend it like Beckham, West is West, Love + Hate, Brick Lane, Everywhere + Nowhere, Blinded by the Light)36. Il s’attache à démontrer que, contrairement à ce qu’avancent les racistes et fondamentalistes de tous ordres qui ont une vision essentialiste de l’identité, celle-ci est le produit d’une construction culturelle. Sa plasticité la rend donc malléable et re-combinable à l’infini. L’anglicité, l’indianité ou la fraternité musulmane (voir la prégnance du terme « brotherhood » basé sur l’oumma coranique dans les discours extrémistes) n’ont ainsi rien d’inné – ce qui les rendrait incompatibles en raison d’une supposée hérédité génético-culturelle – mais relèvent d’un choix individuel. La récurrence de personnages qui empruntent à l’autre communauté ses valeurs et/ou ses croyances et semblent les connaître davantage que les héritiers le confirme (Anita & Me, It’s a Wonderful Afterlife, Four Lions, Ali & Ava, Everywhere + Nowhere, Blinded by the Light). L’attrait des philosophies New Age depuis le mouvement hippie, attrait qui fait d’ailleurs la joie de certains descendants indiens peu portés sur la spiritualité mais très intéressés par ses retombées financières (West is West), n’est pas qu’une mode éphémère. A contrario, les enfants issus des minorités indopakistanaises sont parfois peu soucieux de leur héritage communautaire. On pense aux Honky Tonk Cow-Boys (Wild West), groupe de musique country qui finit par concrétiser son rêve : partir à Nashville, Tennessee ; à Javed (Blinded by the Light), fan de Bruce Springsteen dont les chansons inspirent sa vocation littéraire et à Jack (Yesterday) qui devient une vedette planétaire en reprenant à son compte les chansons des Beatles dans un monde parallèle où ils n’ont jamais été célèbres.

Parallèlement, le cinéma, de manière consciente ou non, n’a de cesse de montrer que l’identité est avant tout liée au lieu de vie37, comme en témoigne l’attachement à la ville-monde des classes moyennes cosmopolites (Sammy and Rosie Get Laid) et banlieusardes (Doghouse), ou aux cités multiculturelles des bandes de jeunes ou des gangs (Triads, Yardies and Onion Bhajees!, Shank, Everywhere + Nowhere, Sket, My Brother the Devil, Gone Too Far!, City of Tiny Lights) dans une capitale à la fois utopique et extrêmement territorialisée (Leach, 2004, 221-223). Quelle que soit l’identité (ou les identités) qu’on se choisit par affinités ethniques, politiques ou religieuses, celle qui prévaut, c’est in fine l’identité nationale dont on devient automatiquement dépositaire en naissant, voire en vivant longtemps, sur un territoire. Le combat que certains ont mené pour obtenir la citoyenneté britannique témoigne de leur motivation (Brothers in Trouble) : ubi bene, ibi patria. Même les immigrés qui gardent toujours la nostalgie du pays parce qu’ils étaient venus dans l’idée de repartir un jour finissent par se rendre compte que le Royaume-Uni est devenu « home » (Anita & Me, East is East, Brick Lane, West is West)38. Le lieu de résidence est donc le lieu d’appartenance (Berghahn, 2010, 241), même pour la première génération. Certains renoncent à partir lorsque l’occasion se présente ; d’autres se dépêchent de revenir tant ils sont décalés au sein de la famille restée au pays, victimes à la fois d’un sentiment de proximité et d’étrangeté dans ce qui est devenu pour eux, comme pour leurs enfants, généralement horrifiés rien qu’à l’idée d’aller en vacances là-bas, le Tiers-Monde (Wild West, Yasmin, Mischief Night, Brick Lane, West is West). D’ailleurs, lorsqu’ils s’y rendent, on les appelle les Anglais (y compris les apprentis terroristes de Four Lions). Nombreux sont les descendants d’immigrés qui appréhendent l’Orient en Occidentaux (Trishna). Lorsque la famille du mariage arrangé, vêtue de costumes traditionnels, arrive chez ses parents pour rencontrer son grand frère, Saj (East is East) hurle : « les Pakis arrivent ! ». Sanjay (Guru in Seven), que son mode de vie assimile à un new lad, à savoir un jeune homme qui aime la bière, les filles et le rock, avoue avoir eu « sa phase George Harrison » lorsqu’il s’est rendu près du Gange39. Abdul (West is West), venu au Pakistan afin d’y prendre femme pour plaire à son père, repart marié avec une voisine de Salford. Ceux qui sont nés au Royaume-Uni sont tellement occidentalisés que leurs référents culturels, leurs vêtements en lien avec les subcultures du moment, sont bien ceux des Britanniques qu’ils sont (la mode seventies de Anita & Me, la mode hard-rock de Wild West, la mode sportswear de Yasmin, Love + Hate, Mischief Night, It’s a Wonderful Afterlife, Four Lions, Ali & Ava, Everywhere + Nowhere, Catch Me Daddy40). Certains refusent d’utiliser la langue maternelle de leurs parents immigrés (Yasmin, Brick Lane, Honour) ou n’ont pas fait l’effort de l’apprendre correctement (Mischief Night, Anita & Me, West is West, Brick Lane, Trishna, Blinded by the Light, The Wedding Guest) et considèrent, à tort, ceux qui ne leur parlent pas en anglais comme des semi-demeurés (Anita & Me), reproduisant ironiquement le schéma de pensée des Blancs racistes.

Les cas extrêmes tendent à prouver que tout individu né et ayant vécu sur le territoire britannique possède cette identité nationale, apportant en cela une répartie au documentaire de Gurinder Chadha : British but mais British all the same. Jouant sur les mots, l’accroche de Everywhere + Nowhere affirme : « l’important, ce n’est pas de savoir d’où l’on vient, mais où l’on en est et d’être là où ça se passe41 ». Même les fondamentalistes les plus sécessionnistes qui passent leur temps à fustiger le Royaume-Uni et vont au Pakistan ou en Afghanistan pour jouer les moudjahidines sont hyper occidentalisés, comme le montrent la réaction des autochtones envers eux (Cleanskin) et leurs réflexions ou référents culturels souvent inspirés du rap américain et des jeux vidéo (Mischief Night, Four Lions, Cleanskin), une contradiction qu’ils justifient en déclarant que le jihad est un état d’esprit. Les films montrent l’inanité de ce type de discours pour rappeler à quel point l’immersion dans une société quelconque prévaut sur tout le reste et que l’aspiration à la pureté (rappelons la signification de Pakistan, le « pays des purs », en urdu) est peut-être noble mais illusoire et vouée à l’échec (même les supposés purs et durs Moyen-Orientaux boivent de l’alcool dans Cleanskin). C’est ce que Nazneen essaie de faire comprendre à Karim (Brick Lane) lorsqu’il avoue être attiré par elle parce qu’elle est « authentique, une fille du bled42 » et qu’il la croit, à tort, différente des femmes nées au Royaume-Uni. Le cinéma cherche donc à démythifier des concepts fumeux ou mal compris (East/West, brothers dont on ne sait pas pour certains si le terme est à prendre au sens religieux ou dérivé du rap américain, jihad) rabâchés par les zélateurs d’une identité transnationale utopique cachant mal un besoin désespéré de se sentir inclus dans leur propre nation (Four Lions, Bradford Riots, Cleanskin).

Ce postulat d’une identité nationale britannique qui se crée envers et contre tout par le simple fait de vivre au Royaume-Uni semble corroboré par plusieurs observations. Pour la réalisatrice Gurinder Chadha, l’expérience de la diaspora indienne reflète non seulement celle d’autres diasporas mais aussi celle de toutes les communautés (Berghahn, 2010, 239). Le montage de Mischief Night ou d’Ali & Ava dresse d’ailleurs des parallèles constants entre les scènes familiales des deux quartiers pour mieux souligner leurs similitudes. Les commentaires et entretiens qui accompagnent les éditions DVD de Anita & Me et Mischief Night43 évoquent le recoupement des souvenirs recueillis44. La réception de ces deux films a confirmé cette thèse lors des avant-premières où les spectateurs de toute origine disaient se retrouver dans le mode de vie présenté. Au-delà des différences superficielles souvent mises en avant et instrumentalisées pour des raisons politiques, les similitudes nées des conditions socioéconomiques priment. L’ouvrier ou le petit employé semble avoir le même style de vie, quelle que soit sa couleur de peau ou sa religion, et l’observation des descendants d’immigrés rappelle les constats dressés par les sociologues des années 1960 concernant la classe ouvrière blanche de l’époque. Les Pakistanais habitent souvent les corons désormais délaissés par les Blancs (Rita, Sue and Bob Too, Yasmin, Ali & Ava, Mogul Mowgli). La division du travail est très traditionnelle : le père se voit en soutien de famille et en tire une grande fierté (My Son the Fanatic, Everywhere + Nowhere, Blinded by the Light). Un licenciement inopiné anéantit Chanu (Brick Lane) ou Malik (Blinded by the Light) comme bien d’autres héros blancs. Certains musulmans, pratiquants ou non, accompagnent leurs collègues au pub après le travail, qu’ils trinquent à la bière ou au jus d’orange (East is East, My Son the Fanatic). La famille étendue est centrale. Les réseaux des familles indiennes et pakistanaises font l’objet de gags récurrents en raison de leur généalogie complexe (Rita, Sue and Bob Too, Ae Fond Kiss, West is West). Les loisirs sont identiques : promenade dans le parc, observation de la ville depuis une colline (Ali & Ava, Blinded by the Light), cricket, football (Bradford Riots), course de lévriers (It Was an Accident), snooker (Triads, Yardies and Onion Bhajees!, Cash & Curry, Honour). Les rêves exprimés sont universels : avoir un métier, fonder une famille, être heureux (Love + Hate, Mischief Night, Bradford Riots), ce que souligne Blinded by the Light qui montre comment un fils de la classe ouvrière britannique issu de la communauté pakistanaise s’identifie totalement aux propos du chantre de l’Amérique populaire.

Le cinéma montre également de nombreux cas d’intégration réussie ou en cours, à en juger par l’évolution des relations interethniques de moins en moins taboues, y compris entre minorités noire et indopakistanaise (It Was an Accident, Triads, Yardies and Onion Bhajees!, Everywhere + Nowhere). Si la maîtresse blanche que Nasser (My Beautiful Laundrette) fait parader au milieu de sa collection de voitures n’est là que pour symboliser sa réussite, les sentiments prennent vite le dessus. Bollywood Queen s’inspire librement de Roméo et Juliette pour dénoncer l’endogamie. On note une proportion croissante de couples mixtes (y compris homosexuels comme dans Sammy and Rosie Get Laid, Nina’s Heavenly Delights, Doghouse) et d’enfants métis, « mixed race », comme se définit désormais une part grandissante de la population britannique, vus comme l’avenir du pays (Smith, 2006). Si leur vie n’est pas toujours simple et si certains réprouvent ces unions exogames du fait de la mauvaise réputation des mœurs supposées de l’autre communauté, la situation tend à s’apaiser et les fins de ces films sont plutôt optimistes quant à l’avenir des couples indopakistanais-irlandais, anglo-pakistanais ou indo-écossais. Seuls My Son the Fanatic, Yasmin, Cleanskin et Catch Me Daddy font exceptions. Il arrive même qu’un Blanc issu d’une famille raciste tombe amoureux de sa collègue de travail d’origine pakistanaise, quitte à rompre avec les siens (Love + Hate). La société multiethnique est en fait déjà advenue : une petite fille blonde aux yeux bleus que les habitants racistes de son quartier pourraient choisir comme égérie se trouve être le fruit des amours d’une mère blanche et d’un père d’ascendance pakistanaise (Mischief Night). Cette découverte, loin de la déstabiliser, l’emplit de joie et son métissage crée un lien avec le quartier d’en face auparavant interdit.

De plus, les nombreux conflits intergénérationnels évoqués au sein des familles laissent penser que ces communautés évoluent aussi de l’intérieur. S’ils sont parfois victimes de la montée de l’extrémisme, les jeunes s’opposent le plus souvent à leurs parents qui jugent l’Occident criminogène ou toxique (My Beautiful Laundrette, Wild West, East is East, Ae Fond Kiss, West is West, Blinded by the Light, Mogul Mowgli), alors qu’ils se voient eux-mêmes comme les vecteurs de la modernité et de l’ouverture aux autres. En butte à l’autoritarisme parental, ils montrent que certaines traditions ou superstitions, stigmatisées par les Blancs et utilisées dans les discours racistes pour créer du rejet, sont tout aussi intolérables pour eux45. Les symboles d’oppression sont nombreux dans les films. Les difficultés du couple de My Beautiful Laundrette sont figurées par les haies, les murs ou les vitres qui les séparent parfois. L’avenir sentimental de Casim (Ae Fond Kiss) suit la construction puis la démolition d’un mur qui obstrue puis dégage ses perspectives. Le temps qu’il fait au-dessus de Luton semble suivre les humeurs de Javed (Blinded by the Light), un écho ruskinien à la pathetic fallacy46. Fatigués de se soumettre au nom d’une respectabilité qui les opprime ou de justifier leur appartenance à une communauté ethnique et/ou religieuse dont ils n’ont que faire, certains jeunes, surtout les filles, moins fatalistes que leurs frères, n’hésitent pas à contourner ou à braver les interdits tant ils se considèrent comme des citoyens britanniques à part entière, quitte à provoquer des crises terribles et à se couper des leurs (Bhaji on the Beach, Guru in Seven, East is East, Bend it like Beckham, Ae Fond Kiss, Yasmin, Mischief Night, Brick Lane, Everywhere + Nowhere, Honour, Blinded by the Light, Mogul Mowgli). Des fils vivent avec leurs maîtresses blanches après avoir épousé de force une cousine pakistanaise hébergée chez leurs parents (Mischief Night). D’autres laissent entrevoir un traumatisme profond par les non-dits (I.D.2: Shadwell Army) ou des hallucinations dignes d’un retour du refoulé (Mogul Mowgli). Tous ces films laissent supposer ce qu’affirme très didactiquement Javed (Blinded by the Light), à savoir la difficulté à exister en tant qu’individu lorsqu’on est soumis à une communauté qui protège mais enferme et qui attend un porte-parole en cas de célébrité.

Promoteur d’une sorte de droit du sol, puisqu’on naît britannique quelle que soit son origine, le cinéma se fait aussi porteur d’un message généreux puisqu’on devient britannique si on le choisit. Cet humanisme est renforcé par le recours aux symboles dans une sorte de retour au one nationism car connaître l’Autre, c’est déjà l’accepter (Mischief Night, City of Tiny Lights). West is West présente ainsi une longue conversation entre les épouses pakistanaise et anglaise de George qui se comprennent alors qu’elles ne parlent pas la même langue. Parfois vue comme un « tiers espace » en référence à Homi Bhabha (Street, 1997, 188), la laverie de My Beautiful Laundrette est en fait un microcosme universaliste puisque toutes les minorités y viennent non seulement pour laver leur linge mais aussi pour discuter, téléphoner, dormir, chanter et diriger un orchestre imaginaire. L’ouverture d’East is East qui mêle les communautés lors d’une fête religieuse insiste sur l’aspect œcuménique du quartier. La fin de Nina’s Heavenly Delights est une mise en abyme du tournage. Tous les personnages, certains en sari, d’autres en kilt, dansent sur des chorégraphies folkloriques de chaque pays sur une musique indienne devant le château d’Eilean Donan, qui sert souvent de décor aux films Bollywood. Ali & Ava met en scène la rencontre amoureuse des rôles-titres par le biais des échanges musicaux en dépassant la simple binarité entre Est et Ouest. La fin de Bend it like Beckham montre par la métonymie du match de cricket l’évolution lente mais certaine des rapports entre les diverses minorités dans une communauté bigarrée mais unie. À l’origine symbole de ségrégation, le cricket est devenu un symbole d’union autour d’un sport commun et l’ironie de l’histoire veut que, désormais, ce soit les ex-colonisés qui donnent régulièrement des leçons au Royaume-Uni (voir aussi Everywhere + Nowhere, City of Tiny Lights). Il semble donc que le cinéma britannique cherche à faire nation.

Conclusion : communautés imaginées et imaginaire collectif

Quoi que certains puissent penser, la représentation des communautés indopakistanaises dans le cinéma britannique n’est pas essentialiste et ne se réduit donc pas à quelques sempiternels clichés mais insiste, au contraire, sur le fait que les identités sont multiples et mouvantes (Hall, 1988, 28 ; Hall, 1990, 222). Ce faisant, ces films ne se contentent pas de célébrer benoîtement « les plaisirs de l’hybridation » (Malik, 1996, 212) au sein d’une « pastorale nationale » idéalisée (Dave, 2006, 13-18) car, s’ils en passent parfois par l’utopie pour montrer la voie à suivre, ils n’occultent jamais les tensions inhérentes à la coexistence des communautés (ethniques ou religieuses) dans la communauté (nationale) et les problèmes posés par la complexité des allégeances (Dave, 2006, 13) dans un contexte de « panique identitaire » (Barbéris, 2022). Contrairement à ce qu’avancent certains historiens du cinéma comme Andrew Higson, le cinéma britannique dans sa tentative de diversifier l’identité nationale par l’inclusion de visions diasporiques de cette identité ne disloque pas l’unité du pays naguère vue comme « une communauté singulière, consensuelle et organique » (Higson, 2000, 38 ; Higson, 1995, 268-269, 273), que ce soit d’un point de vue esthétique ou politique. Il contribue plutôt à remettre en question une vision mythique de l’Angleterre éternelle qu’on trouve encore fréquemment dans les films dits de patrimoine (heritage films) ou à caractère historique, figeant le pays dans un chronotope certes vendeur (notamment à l’international) mais réducteur. Cela explique pourquoi un acteur comme Riz Ahmed, évoqué supra, enjoint les responsables politiques et artistiques à poursuivre leurs efforts pour élaborer une nouvelle version de la « communauté imaginée » qu’est le Royaume-Uni, en se référant au concept de Benedict Anderson pour qui la nation est un artefact culturel (1991, 4-7). À l’instar de réalisatrices comme Gurinder Chadha (Street, 1997, 107 ; Korte et Sternberg, 2004, 161), il souhaite pouvoir raconter plus d’histoires, encore plus variées, afin d’imaginer un récit national collectif davantage en adéquation avec la réalité du Royaume-Uni d’aujourd’hui car la représentation est partie prenante de la constitution de l’identité (Hall, 1990, 222). Dans son discours, il développe même une analogie, entre les politiques et les acteurs, qui souligne les liens entre cinéma et société47 : ces deux corps professionnels façonnent la culture d’un pays en racontant des histoires destinées à faire sentir aux gens qu’ils appartiennent à une entité commune, afin qu’ils se sentent représentés, au risque sinon de voir ces publics se tourner vers d’autres récits, dangereux pour la démocratie48, d’autres formes de communautés antérieures à l’idée de nation selon Anderson (1991, 12-19). C’est exactement le discours porté par les films existants qui montrent que le pays ne peut que s’enrichir de la remise en question de la définition de son identité nationale et de ses supposés fondements, même si c’est pour mieux in fine réaffirmer le primat de cette identité. Certains pourraient voir à tort en ce message une ode cachée à l’assimilation que véhiculerait un discours bien-pensant (Malik, 1996, 208) dans l’espoir d’attirer un maximum de spectateurs vers des films trop souvent perçus comme une sorte de marché de niche communautaire (Malik, 2010, 148). En fait, en ayant contribué à faire passer les communautés indopakistanaises de la marge au centre du champ socioculturel grâce à la popularité de certains films (entre dé-ghéttoïsation et dé-marginalisation selon Korte et Stenrberg, 2004, 205-206), le cinéma britannique ouvre non seulement de nouveaux horizons au grand public (Leach, 2004, 225 ; Berghahn, 2010, 138-139, 251-252) mais lutte aussi à sa manière contre la dés-intégration qui menace certaines franges de la population en réaffirmant la nécessité du collectif et de l’universel, seuls garants d’une pacification des relations sociales dans un processus assimilationniste qui paraît, de toute façon, inéluctable (Booth et Goodier, 2022).

Certes, ce discours filmique somme toute universaliste et bienveillant peut être en partie imputé aux politiques conduites depuis les années 1980 par les chaînes de télévision pionnières en la matière comme Channel 4 ou la BBC, puis par les instances créées ou renouvelées pour organiser et promouvoir l’industrie cinématographique britannique (par exemple, le Film Council entre 2000 et 2010 dont les fonctions ont été reprises par le British Film Institute lors de sa dissolution) dont les maîtres-mots sont « inclusion » et « diversité49 ». Ces objectifs, nés du constat de la difficulté éprouvée par certaines communautés pour accéder aux industries culturelles et créatives, visent à une meilleure représentation de celles-ci dans la production audiovisuelle britannique, à la fois à et derrière l’écran. Ils ont abouti à des critères très précis, comme les BFI Diversity Standards lancés en 2014 (Pulver, 2014 ; BFI, 2019), qui conditionnent les aides budgétaires potentielles et dont les rapports d’analyse sont scrutés chaque année par la presse spécialisée et généraliste afin de poursuivre le débat sur la non ou mal-représentation (Rosanvallon, 2014) de divers groupes sociaux (Pulver, 2020). Malgré des progrès souvent jugés trop lents, ces politiques culturelles volontaristes ont apparemment porté leurs fruits puisque, en l’occurrence, le nombre de films présentant des personnages issus des communautés indopakistanaises a assez fortement augmenté à partir des années 2000 (deux tiers du corpus à titre d’exemple). D’aucuns pourraient dès lors poser la question de la validité de ce message universaliste porté par ces films arguant que tout discours dissident serait soumis à une forme de censure économique et/ou politique. C’est oublier qu’un film qui ne respecterait pas certains principes fondamentaux et ferait par exemple l’apologie de formes extrêmes de communautarisme tomberait sous le coup de la loi et ne serait de toute façon pas produit par les financeurs du cinéma conventionnel qui, pensant à leur retour sur investissement, visent à vendre leur film dans les circuits de distribution mainstream. C’est oublier aussi qu’un certain nombre de films présents dans le corpus ne bénéficient pas des aides apportées par ces divers organismes, ce qui prouve que le discours filmique véhiculé tend à être similaire, que le film soit financé par des structures indépendantes ou étroitement liées à des institutions supposées relayer une politique culturelle hégémonique jugée lénifiante.

La question des conditions d’accès aux moyens de production, tout comme celle de la représentativité des films présentant des personnages d’ascendance indopakistanaise, ne remet pas en question le discours universaliste promu sur quatre décennies car elles sont aussi à mettre en lien avec ce que disent les premiers concernés, à savoir les acteurs, les scénaristes et les réalisateurs issus de ces communautés. Nombreux sont ceux qui n’aspirent pas à jouer les porte-parole d’un discours potentiellement dissident ou à se faire les hérauts de leur minorité, lestés de ce « fardeau de la représentation » que certains cherchent, à tout prix, à leur faire porter (Bolognani et al., 2011, 170). Derrière l’écran aussi, les protagonistes refusent la dictature de l’appartenance et l’assignation communautaire. C’est pourquoi, un acteur comme Riz Ahmed, dans son discours à la Chambre des communes, demande qu’un plus grand nombre et qu’une plus grande variété de films soient produits car, plus il y aura de films, tous genres confondus, avec ou faits en partie par des professionnels issus de diverses minorités, moins ces films seront perçus par défaut comme emblématiques et, dès lors, interprétés comme un possible commentaire sur, ou par, la communauté concernée50. On pense au syndrome de Sidney Poitier : « J’étais la seule personne noire sur le plateau. C’était inhabituel pour moi d’être dans une situation dans laquelle chaque mouvement que je faisais équivalait à la représentation de 18 millions de personnes51 ». La situation n’est bien sûr plus la même que dans les États-Unis des années 1950. Toutefois, si on en croit les entretiens réalisés lors de la promotion de leurs films, les scénaristes/réalisateurs et les acteurs britanniques issus de diverses diasporas continuent à devoir lutter pour avoir la liberté de choisir : écrire des rôles sans les associer forcément à une communauté particulière et, en cas de recrutement d’un acteur non-blanc, ne pas réécrire le rôle pour souligner ce fait (Dhaliwal, 2021) ; ne pas être cantonnés à des stéréotypes et pouvoir incarner des personnages en lien avec leur histoire familiale ou pas, en un mot obtenir des rôles auxquels ils aspirent en tant qu’individus/artistes (Ahmed, 2017b ; Moshakis, 2021). C’est la raison pour laquelle certains travaillent aussi à Hollywood où leur appartenance communautaire supposée n’opère pas ou plus dans les mêmes conditions qu’au Royaume-Uni.

Il est évident que tout discours filmique doit être rapporté à son contexte de production et peut conduire à s’interroger sur son degré de représentativité. Toutefois, chercher un caractère sociologique fort à des films qui, par exemple, ont été pensés au départ comme des adaptations libres de classiques tels que Roméo et Juliette (Bollywood Queen, Love + Hate) est une fausse piste (Bolognani et al., 166, 170). Quoi qu’il en soit, les possibles effets des conditions d’accès aux moyens de production peuvent être minorés en ne s’enfermant pas dans l’étude d’un genre précis, en ne surinterprétant pas le degré de représentativité d’un film donné aussi estimé par la critique et/ou populaire soit-il et, accessoirement, en ne sous-estimant pas non plus les capacités de réflexion du spectateur dont il est de toute façon impossible de contrôler totalement la manière dont il réceptionne le message envoyé (Hall, 1973). Que le discours porté par les films qui représentent les communautés indopakistanaises plaise ou non, il a déjà le mérite d’exister car, pour rappel, toutes les communautés qui constituent le Royaume-Uni ne peuvent pas en dire autant. Libre au spectateur d’être d’accord ou pas avec celui-ci.

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Appendix

Corpus des films étudiés

Pour faciliter le repérage par rapport aux mentions dans l’article, les films sont classés par ordre alphabétique des titres originaux. Lorsqu’un autre titre existe pour sa sortie française, il figure entre parenthèses après le titre original. 

Ae Fond Kiss, 2004, Ken Loach, Bianca Film, 1h44.

Ali & Ava, 2021, Clio Barnard, BBC Film, 1h35.

Anita & Me, 2002, Metin Hüseyin, BBC, 1h29.

Anuvahood, 2011, Adam Deacon et Daniel Toland, Gunslinger, 1h28.

Beautiful Thing, 1996, Hettie MacDonald, Channel Four Films, 1h30.

Bend it like Beckham (Joue-la comme Beckham), 2002, Gurinder Chadha, Kintop Pictures, 1h52.

Bhaji on the Beach (Bhaji, une balade à Blackpool), 1993, Gurinder Chadha, First Independent Films, 1h41.

Black Joy, 1977, Anthony Simmons, National Film Finance Corporation of London England (NFFC), 1h37.

Blinded by the Light, 2019, Gurinder Chadha, New Line Cinema, 1h58.

Bollywood Queen, 2002, Jeremy Wooding, Spice Factory, 1h29.

Bradford Riots, 2006, Neil Biswas, Oxford Film & Television, 1h15.

Brick Lane (Rendez-vous à Brick Lane), 2007, Sarah Gavron, Film4, 1h42.

Brothers in Trouble, 1995, Udayan Prasad, BBC Film, 1h42.

Carla’s Song, 1996, Ken Loach, Channel Four Films, 2h07.

Cash & Curry, 2008, Sarjit Bains, Jaffa Entertainment, 1h40.

Catch Me Daddy, 2014, Daniel Wolfe et Matthew Wolfe, Film4, 1h52.

City of Tiny Lights, 2016, Pete Travis, BBC Film, 1h50.

Cleanskin (Menace d’État), 2012, Hadi Hajaig, The UK Film Studio, 1h48.

Closed Circuit, 2013, John Crowley, Focus Features, 1h36.

Doghouse, 2009, Jake West, Carnaby International, 1h29.

East is East (Fish n’ Chips), 1999, Damien O’Donnell, Film4, 1h36.

Eden Lake, 2008, James Watkins, Rollercoaster Films, 1h31.

Everywhere + Nowhere, 2011, Menhaj Huda, Arena Productions, 1h36.

Four Lions, 2010, Christopher Morris, Film4, 1h37.

Girls’ Night, 1998, Nick Hurran, Granada Film Productions, 1h42.

Gone Too Far!, 2013, Destiny Ekaragha, Poisson Rouge Pictures, 1h28.

Green Street (Hooligans), 2005, Lexi Alexander, Baker Street, 1h49.

Guru in Seven, 1998, Shani S. Grewal, Balhar Film Productions, 1h47.

Heartless, 2009, Philip Ridley, May 13 Films, 1h54.

Honour, 2014, Shan Khan, Isle of Man Film, 1h44.

I.D., 1995, Philip Davis, BBC Film, 1h47.

I.D.2: Shadwell Army, 2016, Joel Novoa, The Post Republic, 1h32.

I’m British but…, 1990, Gurinder Chadha, British Film Institute (BFI), 30mn.

Ill Manors, 2012, Ben Drew (Plan B), Microwave, 2h01.

In this World, 2002, Michael Winterbottom, The Film Consortium, 1h28.

Infinite Justice, 2006, Jamil Dehlavi, Dehlavi Films, 1h33.

It Was an Accident, 2000, Metin Hüseyin, Arts Council of England 1h36.

It’s a Wonderful Afterlife, 2010, Gurinder Chadha, Bend It Films, 1h40.

Kidulthood, 2006, Menhaj Huda, Stealth Films, 1h29.

Last Resort (Transit Palace), 2000, Pawel Pawlikowski, BBC Film, 1h13.

Look Back in Anger (Les Corps sauvages), 1959, Tony Richardson, Woodfall Film Productions, 1h38.

Love + Hate, 2005, Dominic Savage, BBC Film, 1h26.

Love Thy Neighbour, John Robbins, 1973, Anglo-EMI, 1h25.

Made in Britain, 1982, Alan Clarke, Central Independent Television, 1h16.

Mischief Night, 2006, Penny Woolcock, Company Pictures, 1h33.

Mogul Mowgli, 2020, Tariq Bassam, Pulse Films, 1h29.

My Beautiful Laundrette, 1985, Stephen Frears, Working Title Films, 1h37.

My Brother the Devil, 2012, Sally El Hosaini, Rooks Nest Entertainment, 1h51.

My Son the Fanatic, 1997, Udayan Prasad, Zephyr Films, 1h27.

Nina’s Heavenly Delights, 2006, Pratibha Parmar, Kali Films, 1h34.

Prick Up Your Ears, 1987, Stephen Frears, Zenith Entertainment, 1h45.

Rita, Sue and Bob Too (Rita, Susie et Bob aussi…), 1987, Alan Clarke, British Screen Productions, 1h29.

Rude Boy, 1980, Jack Hazan et David Mingay, Buzzy Enterprises, 2h13.

Sammy and Rosie Get Laid (Sammy et Rosie s’envoient en l’air), 1987, Stephen Frears, Channel Four Films, 1h41.

Saxon, 2007, Greg Loftin, Sillwood Films, 1h32.

Shank, 2010, Mo Ali, Gunslinger, 1h30.

Shaun of the Dead, 2004, Edgar Wright, Studio Canal, 1h39.

Shifty, 2008, Eran Creevy, BBC Film, 1h25.

Shoot on Sight, 2007, Jag Mundhra, Aron Govil Productions Inc. in assn. with Cine Boutique Entertainment, 1h50.

Sket, 2011, Nirpal Bhogal, Gunslinger, 1h23.

South West 9, 2001, Richard Parry, Fruit Salad Films, 1h30.

Sparrows Can’t Sing, 1963, Joan Littlewood, Carthage Films, 1h34.

Starred Up, 2013, David Mackenzie, Film4, 1h46.

The 51st State (Le 51e État), 2001, Ronny Yu, Alliance Atlantis Communications, 1h33.

The Caretaker, 1963, Clive Donner, Caretaker Films 1h45.

The Duke, 2020, Roger Michell, Pathe UK, 1h35.

The Football Factory, 2004, Nick Love, Vertigo Films, 1h31.

The Infidel, 2010, Josh Appignanesi, Slingshot Productions, 1h45.

The Road to Guantanamo, 2006, Mat Whitecross et Michael Winterbottom, Film4, 1h35.

The Wedding Guest, 2018, Michael Winterbottom, Chisel Films, 1h36.

This is England, 2006, Shane Meadows, Warp Films, 1h41.

Triads, Yardies and Onion Bhajees! (Once upon a time in Southall), 2003, Sarjit Bains, Ghetto Vision, 1h45.

Trishna, 2011, Michael Winterbottom, Head Gear Films, 1h57.

T2 Trainspotting, 2017, Danny Boyle, TriStar Pictures, 1h57.

Una, 2016, Benedict Andrews, BRON Studios, 1h34.

West 11, 1963, Michael Winner, Associated British Picture Corporation (APBC), 1h33.

West is West, 2010, Andy De Emmony, BBC Film, 1h43.

Wild West, 1992, David Atwood, British Screen Produtions, 1h25.

Yasmin, 2004, Kenneth Glenaan, Scottish Screen, 1h27.

Yesterday, 2019, Danny Boyle, Universal Pictures, 1h56.

Notes

1 Les références complètes des films sont disponibles en annexe.

2 Le corpus est constitué des œuvres disponibles en support physique de type DVD, ce qui explique l’absence de quelques films comme Majdhar (Ahmed Alauddin Jamal, 1984) qui n’ont jamais été édités. Par ailleurs, le corpus ne prend en compte que les films initialement ou finalement sortis au cinéma dont le nombre est déjà assez conséquent. Même s’il est entendu que des productions télévisuelles comme The Buddha of Suburbia (Roger Michell, 1993), White Teeth (Julian Jarrold, 2002), Britz (Peter Kosminsky, 2007) ou We are Lady Parts (Nida Manzoor, 2021) contribuent elles aussi à la représentation des communautés indopakistanaises, leur contexte de production et de réception n’est pas tout à fait le même, notamment en raison de leur caractère sériel.

3 Ce terme est dérivé de l’adjectif Asian dont l’adjonction du suffixe –ness permet la nominalisation (l’Oxford English Dictionnary donne une première occurrence attestée en 1953). À ce titre, le terme signifie tout ce qui a trait à une possible identité en lien avec le sous-continent indien (« the quality and characteristic of being Asian »). Le terme fait pendant à ceux de Britishness ou Blackness. Voir, entre autres, Korte et Sternberg (2004, 1-4).

4 Pour les discours et ouvrages en anglais, je traduis sauf mention contraire.

5 Voir la définition qu’en donne le dictionnaire en ligne Merriam-Webster en 2022, « Bechdel Test » : https://www.merriam-webster.com/dictionary/Bechdel%20Test [consulté le 4/03/2023].

6 Pour plus de détails sur ces questions, voir, entre autres, Derrida (1980), Grant (2012), Ilott (2015), Langford (2005), Moine (2008).

7 Certains Indiens sont également restaurateurs mais ils tiennent des établissements beaucoup plus chics (Nina’s Heavenly Delights, Cash & Curry) alors que les Pakistanais gèrent plutôt des points de vente à emporter.

8 Cette solidarité est remarquée par d’autres minorités (Starred Up). Seul Yesterday offre la vision d’une famille d’ascendance indienne totalement coupée de sa communauté puisque toutes leurs relations sont des Blancs. Leurs prénoms sont anglais (Sheila et Jed pour les parents, Jack pour le fils).

9 Le succès de Bollywood est tel que les jeunes filles blanches suivent des cours de Bollyrobics à la télévision (Ali & Ava).

10 Un quart des étudiants en médecine sont d’origine indopakistanaise (Poirier, 2002, 18).

11 Les frères jumeaux Ronnie et Reggie Kray étaient les parrains de la pègre londonienne des années 1960. Personnalités marquantes, ils ont fait l’objet de plusieurs biopics, dont The Krays (Peter Medak, 1990) et Legend (Brian Helgeland, 2015).

12 Selon un sondage de la revue antiraciste Searchlight en 2011, 48 % de la population était prête à voter pour un parti qui se déclarerait ouvertement anti-immigration et pro-nationaliste, l’ironie étant qu’environ 40 % des membres des communautés indopakistanaises consultés partageaient ce point de vue (Townsend, 2011).

13 Il faut cependant noter que les crimes racistes ne sont pas l’apanage des Blancs. Catch Me Daddy montre l’exécution d’un Blanc suite à ses propos, City of Tiny Lights un acte d’autodéfense.

14 Ce rapport est le résultat de l’enquête publique ordonnée par le gouvernement britannique suite au meurtre raciste de Stephen Lawrence en 1993, resté impuni en raison d’une procédure policière et judiciaire jugée défaillante notamment par les parents de la victime qui se sont battus pour la réouverture du dossier. Ce rapport a contribué à changer profondément les pratiques des services publics au Royaume-Uni.

15 Les services secrets, en revanche, recrutent volontiers des membres de ces communautés depuis les attentats de 2005 (Closed Circuit). Les bénéficiaires des mesures de discriminations positives font encore plus l’objet de remarques antipathiques (Closed Circuit, I.D.2: Shadwell Army).

16 Les émeutes de Bradford se sont déroulées début juillet 2001 en réaction à la tenue de manifestations organisées par divers mouvements d’extrême droite, et ce malgré l’interdiction de certaines d’entre elles par le gouvernement, ce qui a conduit à des affrontements entre jeunes, militants et forces de l’ordre.

17 Au début des années 1990, plus de la moitié des minorités issues du Commonwealth était née sur le sol britannique (Hill, 1999, 216).

18 John Clarke et al. (1979, 252) évoquent une sorte de « colonisation ethnique » de certains quartiers comme une réaction de défense face aux discriminations mais aussi comme une tentative de créer une nouvelle forme de communauté (avec maintien de valeurs culturelles) et de réseau d’entraide.

19 Le schisme s’établit aussi selon la couleur de peau, reproduisant le schéma raciste des Blancs, ou selon la religion entre sikhs, hindous et musulmans (Cash & Curry, I.D.2: Shadwell Army dans lequel cette haine supposée est instrumentalisée par les Blancs extrémistes, au même titre que l’antisémitisme). Évidemment, la haine existe aussi entre minorités différentes, comme entre Antillais et Pakistanais (Black Joy, Made in Britain, My Beautiful Laundrette, Sammy and Rosie Get Laid, Bhaji on the Beach) ou Indiens (Cash & Curry).

20 Une rare exception est Nina’s Heavenly Delights avec ses drag queens fans de Bollywood et ses couples homosexuels finalement plus facilement acceptés par leur communauté qu’ils ne s’y attendaient.

21 Il s’agit d’un concept hérité de l’ère victorienne dont l’équivalent en français serait « deux poids, deux mesures » mais on le trouve employé tel quel dans les sciences sociales : « Ce qui fait la force de la théorie du double standard, ce n’est pas seulement qu’elle offre toute commodité à la liberté du mâle, c’est qu’elle reflète les postulats de base d’une société patriarcale et bourgeoise, où la vertu féminine est érigée en règle absolue, tandis que peuvent se dérouler librement des aventures masculines qui ne mettent pas en danger la descendance légitime » (Bédarida, 1990, 227). Dans ces films, les Blanches se plaignent aussi car elles souffrent de n’être pour ces jeunes qu’un pis-aller avant le mariage arrangé (Love + Hate, Mischief Night). Everywhere + Nowhere montre qu’il sert également à cacher l’homosexualité d’un fils.

22 Dans Ali & Ava, cette surveillance s’applique aussi aux hommes en instance de divorce.

23 Ils reflètent les tendances de radicalisation d’une frange de cette communauté à en croire les statistiques : « 48 % des Indopakistanais de moins de 40 ans vivant en Angleterre se disent prêts à combattre sous les ordres de ben Laden » (Poirier, 2002, 18).

24 Le titre du film fait référence à l’appellation utilisée par les services secrets pour qualifier des individus inconnus de leurs fichiers et qui ne sont donc pas considérés comme des menaces potentielles avant leur attentat (aussi mentionnée dans Closed Circuit). Ce film donne la parole au terroriste pendant huit minutes (temps de la vidéo préenregistrée pour justifier son acte qui sert de voix off à son arrestation/exécution).

25 Four Lions rappelle néanmoins que porter un vêtement traditionnel n’équivaut pas à être un terroriste, contrairement à ce que semble croire la police lors de ses descentes.

26 Chanu fait écho aux propos de Benedict Anderson (1991) pour qui le concept de nation est intrinsèquement lié à celui de territoire. Anderson montre justement comment le processus de territorialisation des communautés religieuses et dynastiques a abouti, avec le langage et la presse diffuseurs de valeurs communes, à la naissance des consciences nationales.

27 Four Lions montre que la découverte des conditions carcérales à Guantanamo ou Abu Ghraib a marqué les jeunes musulmans pour qui ces mots sont devenus synonymes d’oppression occidentale et sont utilisés pour se menacer des pires sévices. D’un point de vue formel, les images infrarouges du feu d’artifice font écho à celles des bombardements de Bagdad.

28 Après le Anti-Terrorism, Crime and Security Act (2001) qui donnait des pouvoirs exceptionnels à la police et mettait fin à l’interdiction de l’emprisonnement arbitraire sans procès (contraire à l’article 5 de la convention européenne des droits de l’Homme), le gouvernement Blair ajouta le Prevention of Terrorism Act (2005) et le Terrorism Act (2006) qui furent l’objet de longs débats parlementaires : le Premier ministre souhaitait initialement étendre à 90 jours la durée de détention des suspects sans preuve à charge. Elle fut finalement étendue de 14 à 28 jours. L’alliance anglo-américaine et le flou juridique associé à la guerre contre le terrorisme (War on Terror) sont dénoncés dans le générique de fin de Four Lions.

29 Le cinéma utilise parfois le biais de la farce pour évoquer la condition féminine. À travers un gag récurrent, Mischief Night s’interroge sur la difficulté pour une femme en niqab de manger une glace dans la rue, même si ce choix est assumé (voir aussi The Infidel où deux amies, l’une en niqab, l’autre en jogging, font du sport puis boivent le thé ensemble).

30 Cette séquence rappelle My Son the Fanatic, film précurseur, dans lequel Parvez refuse que sa femme ne soit pas admise à manger avec les hommes dans sa propre maison.

31 On pense évidemment au discours tenu par David Cameron le 5 février 2011 lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, interprété comme la reconnaissance de l’échec du multiculturalisme britannique. David Cameron peut cependant être vu comme le reflet d’une évolution des autorités en faveur d’une politique plus assimilationniste depuis les années 2000 (Malik, 2010, 135-136 ; Korte et Sternberg, 2004, 153-154).

32 De nombreux films montrent des musulmans pratiquant leur religion chez eux tout en vivant de manière sécularisée dans l’espace public (voir, par exemple, Honour). Mogul Mowgli présente un des rares cas de héros qui, n’ayant pas l’habitude d’aller à la mosquée, cherche à copier les autres, en se laissant distraire par les détails remarqués.

33 Voir aussi la scène de Cleanskin où le terroriste tout juste arrivé du Moyen-Orient pour commettre un attentat rit à gorge déployée en regardant Mr Bean à la télévision.

34 Suite à la promulgation de la première loi visant à lutter contre les discriminations ethniques (Race Relations Act 1965) et dans le but de s’opposer à son extension alors en débat au Parlement en 1968, Enoch Powell, à l’époque membre éminent du parti conservateur, se fendit d’un discours haineux, connu sous le nom de The Rivers of Blood, qui évoque l’Énéide pour dresser un tableau apocalyptique de l’avenir multiculturel du Royaume-Uni. Malgré de forts soutiens notamment au sein de sections de la classe ouvrière traditionnellement jugées d’obédience travailliste, ce discours lui coûta sa carrière politique au plan national.

35 David Cameron a été accusé de jouer le jeu des extrémistes lorsqu’il a prononcé son discours sur l’échec du multiculturalisme quelques heures avant l’une des plus grandes manifestations anti-islam organisées par l’English Defence League à Luton en février 2011 (Helm, Taylor et Davis, 2011).

36 Daniela Berghahn remarque également que ce choix du récit d’initiation relève du caractère parfois semi-autobiographique des films (Bergahn, 2010, 235, 240).

37 Et aussi le résultat d’institutions garantes de brassage culturel, comme le rappelle Mischief Night qui déplore la ségrégation qui s’est établie dans les écoles britanniques depuis les années 1980. My Son the Fanatic laisse quant à lui entendre que l’État devrait davantage s’occuper des prisonniers qui sont des proies faciles pour les recruteurs extrémistes, notamment en raison du racisme qui règne dans les établissements (Bradford Riots).

38 Nombreux sont ceux qui ont envoyé de l’argent toute leur vie pour financer la construction d’une maison qu’ils ne verront cependant sans doute jamais (Yasmin, West is West). Seules la mère du héros de Wild West et l’épouse de celui de My Son the Fanatic repartent au Pakistan. Le père d’Everywhere + Nowhere meurt avant de pouvoir mettre son plan à exécution mais sera enterré sur sa terre natale.

39 Autre signe d’assimilation, le film est un hommage à Alfie, comédie symbole du Swinging London.

40 Le vêtement est un champ de bataille qui symbolise l’identité de celui qui le porte. Les jeunes filles se changent en cachette pour abandonner sari ou voile (Bhaji on the Beach, Bend it like Beckham, Yasmin) et se travestissent comme les héroïnes shakespeariennes étudiées en cours afin d’échapper à leur condition (Mischief Night). Les jeunes gens tiennent à porter l’uniforme de l’école en pleine chaleur estivale car il est le dernier lien qui les rattache à leur identité britannique lors de vacances forcées au Pakistan (West is West). A contrario, George (West is West) qui croit qu’il lui suffit de revêtir la tunique traditionnelle pour être à nouveau considéré comme un Pakistanais en est pour ses frais.

41 L’expression originale « It’s not where you’re from, it’s where you’re at » joue sur plusieurs niveaux. À la question de l’origine et du parcours de vie s’ajoute la notion de célébrité puisque le héros du film rêve de devenir DJ professionnel et d’être « là où ça se passe » (« where it’s at »), ce qui évoque également l’idée de territoire, d’où la traduction proposée.

42 « [T]he real thing, a girl from the village ».

43 Anita & Me, DVD Icon Home Entertainment 2007, ICON10025 ; Mischief Night, DVD Fremantle Media 2006, FHED2039.

44 « [O]verlapping experience ».

45 Les clichés sont parfois déjoués. Dans Wild West, c’est le mari blanc qui bat sa femme d’origine indopakistanaise. Elle s’en sort grâce à l’aide du romantique Zaphir (voir aussi Anita & Me, Ali & Ava). Honour présente une vision plus cynique puisque, en tant que policier, Kasim porte secours à des Blanches victimes de violences conjugales, ce qui ne l’empêche pas de brutaliser et finalement tenter de tuer sa sœur.

46 Figure de style qui consiste à attribuer des sentiments humains à l’inanimé et dénoncée par John Ruskin dans son ouvrage Modern Painters (1856) comme une forme de personnification morbide et sentimentale dont abusaient à son goût les artistes de la mouvance romantique.

47 Il rejoint la vision d’Anderson (1991, 36) pour qui le développement de la presse a largement contribué à l’éveil des consciences nationales en Europe.

48 Outre les extrémistes et populistes, il cite l’exemple des vidéos diffusées par Daesh qu’il qualifie de « propagande montée comme des films d’action ».

49 Voir les missions et chartes de ces diverses entités, toutes disponibles en ligne (Film Council, 2000 ; BBC, 2023 ; BFI, 2023 ; Channel 4, 2023). Pour une étude synthétique des liens entre les gouvernements néo-travaillistes et le Film Council, voir Film Council (2015).

50 Marta Bolognani et al. (2011, 170-171), malgré leur avis très orienté sur ce que devrait être des films représentant des Britanniques d’ascendance pakistanaise, parviennent in fine à une conclusion similaire. Employer davantage d’individus issus d’une communauté donnée dans l’industrie cinématographique permettrait de passer d’une perception parfois trop extérieure à un point de vue interne et, à terme, de cesser de questionner la validité, l’authenticité ou la représentativité de films qui ne sont pas des traités de sociologie, questions qui ne se posent que très rarement dans la masse de films où les personnages sont blancs puisque leur nombre en fait des individus et non des sociotypes.

51 Il s’agit d’une traduction officielle qu’on trouve sur divers sites internet, à partir des mémoires de l’acteur (People Staff, 2000) : « I was the only black person on the set. I felt very much as if I were representing 18 million people with every move I made. »

References

Electronic reference

Anne-Lise Marin-Lamellet, « « I’m British but… » (Gurinder Chadha, 1989) : les communautés indopakistanaises dans le cinéma britannique des années 1980 à nos jours », Voix contemporaines [Online], 05 | 2023, Online since 06 mars 2024, connection on 20 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/voix-contemporaines/index.php?id=587

Author

Anne-Lise Marin-Lamellet

Maîtresse de conférences, ECLLA, Université Jean Monnet Saint-Étienne

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