« Une interpellation par le présent pour enquêter sur le passé, ou un document majeur pour analyser les points de vue présents »
La question, que doit se poser légitimement tout professionnel de la documentation est celle de l’usage qui est fait des documents qu’il propose par ceux auxquels ils sont destinés. Pour un responsable de service de périodiques, elle conduira inévitablement à s’interroger sur la place de la presse face à la documentation scientifique, sur les usages qui sont fait de l’une et de l’autre et sur les politiques d’abonnement et de services mises en œuvre. En effet, s’agissant de deux composantes essentielles du domaine des « périodiques », presse et revues scientifiques jouent sur deux registres documentaires différents : dans le premier cas, consommation immédiate, rapide, d’une information volatile et faible justification d’une offre d’archivage. Dans le second, exploitation intensive et pérenne du contenu, particulièrement en SHS (sciences humaines et sociales), et élaboration d’une politique de collections constituant, par l’archivage organisé et « communiqué » – je veux dire : qui fait l’objet d’une communication vers l’extérieur – un « capital scientifique » propre à la structure qui l’abrite.
L’université Renne-II, intégrée dans le secteur dit « tertiaire » de la nomenclature ministérielle, est une université que les questions documentaires préoccupe très sensiblement. Ayant mis en place de longue date son service commun de documentation, lequel est solidement installé aussi bien dans le paysage du campus (l’entrée de sa bibliothèque centrale est directement reliée à la station de métro par une allée piétonnière largement incitative…) que dans la structuration de l’université (une bibliothèque de proximité par UFR, sous statut de bibliothèque intégrée), elle est fortement pénétrée de l’importance de la documentation, imprimée comme électronique, et des enjeux que constituent le développement des collections et celui de leurs usages.
C’est dans ce cadre que le « service de gestion et valorisation des périodiques et des ressources électroniques », mis en place au sein du SCD au niveau de la division des affaires générales en tant que service transversal et autonome, prend tout son sens. En effet la notion de « mise en réseau » prévaut dans toute la démarche d’élaboration de la politique documentaire que propose le SCD aux responsables de l’université et le service des périodiques en est un des acteurs-clés.
Le dispositif de localisation des collections de périodiques, fondé sur cette notion de « réseau », s’appuie sur une étude des besoins et des usages des différents secteurs disciplinaires, tant dans leur pratique pédagogique que dans celle de la recherche. Dans ce contexte, l’utilisation de la presse, française et étrangère, presse quotidienne et régionale (particulièrement importante en Bretagne avec Ouest-France et Le Télégramme de Brest…), presse d’information générale ou plus spécialisée (du type L’Usine nouvelle ou Entreprise & Carrières, ou encore Magazine littéraire ou Le Film français) est, comme me le dit une enseignante, maître de conférences en gestion, « vitale ! ». Très présente, voire prégnante, dans l’activité d’enseignement et de recherche pour une grande partie des enseignants et chercheurs de l’université Rennes-II, et même s’il apparaît que les approches, les pratiques, les rythmes de lecture, les motivations, les techniques d’exploitation différent sensiblement, mais logiquement, d’un secteur disciplinaire à l’autre, la presse est toujours une source documentaire incontournable qui sert de contrepoint à la documentation scientifique dans un mouvement normal et nécessaire de confrontation de sources distinctes et nombreuses. Par ailleurs, la recherche de l’information bibliographique (parutions, comptes rendus d’ouvrages, critiques littéraires, annonces de colloques, d’expositions, et même de découvertes…) fait l’unanimité. Mais la presse est également un outil fortement sollicité dans le cadre des cours. Ainsi, une enseignante de droit privé m’explique : « Je m’en sers [en parlant des documents tirés de la presse spécialisée] comme appât pour les étudiants car je les sais plus friands de ce genre de document que de la littérature juridique ». La presse d’information, française ou étrangère, est exploitée par les enseignants de langue « sur tous les fronts » : une vraie mine pour les textes à traduire, pour les exercices liés à l’expression écrite et orale, pour alimenter la connaissance du pays dont on fait l’apprentissage de la langue, et même pour constituer un réservoir de sujets d’oral aux concours. La presse plus spécialisée est très largement le fondement de support de cours : analyse quantitative, stylistique ou sémiotique de sujets traités, analyse pratique d’entreprises, de phénomènes sociaux, vérification de la justesse de théories ou méthodes… Mais l’attachement à l’utilisation de la presse de la part des enseignants, de manière transversale, va bien au-delà du « pratico-pratique »… L’apport constant et renouvelé d’un matériau, brut ou analytique selon le type d’article (les éditoriaux, par exemple, sont de bons indicateurs d’opinion que l’on peut exploiter sous de nombreux angles), que constitue sa lecture régulière et assidue est un incitateur, et parfois même un déclencheur de réflexions, de pistes, d’analyses et, en tout état de cause, un « carburant » indispensable à l’immersion de l’enseignement et de la recherche dans le monde où l’on vit, ou celui que l’on a connu ou encore celui qui se prépare.
Sur la « une » du Monde du 5 décembre 2007 la manchette et le dessin de Plantu.
Quant aux étudiants, dont nombre d’enseignants constatent, comme me le dit l’un d’entre eux, qu’« ils sont désespérément ignares sur l’actualité économique et sociale », ils sont fermement incités par ces derniers à lire assidûment la presse.
Mais cette incitation risquant de rester vœu pieux, des mécanismes d’usage de la presse, soit en cours, soit en travaux individuels, sont mis en œuvre dans de nombreux secteurs disciplinaires : mini-dossiers de presse ou revues de presse, avec un retour qui peut être sujet à une notation ; travaux de recherche sur des corpus de presse contemporaine ou ancienne ; travaux pratiques collectifs à partir de dossiers constitués d’articles et de données brutes, tout est bon pour confronter les étudiants à la matière première collectée dans la presse. Les résultats sont-ils à la hauteur de l’objectif recherché ? On ne peut l’affirmer vraiment que pour les étudiants de sports (un secteur important de cette université…) pour lesquels la bibliothécaire chargée de la bibliothèque de l’UFR Activité physiques et sportives écrit : « Concernant la pratique des étudiants, c’est plus facile à discerner car ils ont à leur disposition le plus lu des quotidiens français : L’Équipe. Que ce soit ce quotidien ou son supplément hebdo, sa lecture constitue une sorte de réflexe, c’est parfois la première activité des étudiants toutes filières confondues en arrivant le matin à la bibliothèque. (…) Pour le supplément Sport de Ouest-France, c’est la même attitude : évidemment, le lundi, il n’a même pas le temps de retourner dans son râtelier. »
Cette observation in situ conduit à aborder la question du service offert aux usagers dans ce registre de la presse d’information et à exposer brièvement la politique documentaire qui en découle.
Comme je l’ai mentionné plus haut, le dispositif de répartition des titres, adossé à un réseau distribué sur le campus, cherche à être au plus près des besoins et des usages que je viens de décrire succinctement. Si la bibliothèque centrale propose naturellement un espace de lecture de la presse d’information – rarement vide de lecteurs – on n’y trouvera aucun titre de la presse étrangère qui se trouve intégralement localisée dans une médiathèque de langues contiguë à l’UFR Langues. J’ai déjà eu l’occasion de présenter dans Arabesques cette structure et son rôle essentiel dans l’enseignement des 16 langues dont l’apprentissage est proposé à l’université Rennes-II.1 Les responsables de cette médiathèque, bien placés pour observer le comportement des étudiants et des enseignants du pôle de langues, disent que « la presse étrangère a une forte valeur ajoutée au sens où enseignants et étudiants en ont conjointement l’usage et qu’ils y sont pareillement attachés. À ce titre, elle apparaît même comme le lien privilégié entre l’équipe enseignante et la médiathèque ». Mais, comme on l’aura compris, d’autres possibilités de lecture de la presse, qu’elle soit d’information générale ou plus spécialisée, sont offertes aux usagers dans les différentes structures documentaires, avec un choix de titres correspondant à la dominante disciplinaire de chacune et une absence quasi absolue de doublon avec la bibliothèque centrale : le réseau joue ici à plein, même si quelques difficultés peuvent exister dans l’accessibilité du fait d’un différentiel d’amplitude d’ouverture entre la bibliothèque centrale et les bibliothèques de proximité.
Les enseignants que nous avons interrogés ont massivement indiqué qu’ils privilégiaient la consultation des journaux par le biais du web, ce qui n’excluait pourtant pas le recours à l’imprimé, pour la constitution d’archives ou de dossiers ciblés : leur démarche est personnelle et individuelle. Néanmoins, nombre d’entre eux prônent l’archivage de cette documentation par les bibliothèques pour permettre le recours au document original. Grâce à un plan régional de conservation partagée, piloté par l’agence de coopération des bibliothèques et centres de documentation de Bretagne, et sur la base de notre forte spécificité dans le domaine des langues étrangères, le SCD de Rennes-II est donc centre régional archiveur pour toute la presse d’information en langue étrangère reçue en Bretagne. Pour la presse d’information française, nous ne conservons que le quotidien Le Monde et renvoyons les usagers sur les bibliothèques municipales de Bretagne qui se sont répartis l’archivage de cette presse. Mais nous compensons cette absence par l’offre du service Factiva qui, avec plus de 2 000 titres de presse nationale et régionale en 22 langues, représente un outil de travail incomparable, appelé à devenir très vite indispensable : la nouveauté du produit et son mode d’utilisation supposent en effet une appropriation par les usagers qui passe par une nécessaire formation que nous nous attachons à donner tant aux enseignants qu’aux étudiants. La question d’une possible substitution de l’imprimé par le numérique, en terme de politique documentaire, n’est pourtant pas à l’ordre du jour : elle peut être, encore pour un certain temps, le fait d’une pratique individuelle, tandis que notre offre reste un mixage des deux supports : pour combien de temps encore ?
Mais est-ce la vraie question ? L’important me semble dans le maintien du service au public d’une offre de cette documentation qu’un enseignant me définit joliment comme « une interpellation par le présent pour enquêter sur le passé, ou un document majeur pour analyser les points de vue présents ». Et il conclut : « Historien, je lis donc la presse ».