La 4e édition de la norme internationale consacrée aux statistiques de bibliothèques, dont le nom de code est ISO 2789, a paru en septembre dernier.
C’est l’occasion de présenter cet outil, dont la portée va au-delà de ce que laisse supposer son seul titre.
C’est avec cette norme la possibilité de produire une représentation quasi physiologique de leur établissement qui est offerte aux administrateurs de ressources que sont aussi les responsables de bibliothèque confrontés aux changements technologiques, aux évolutions concomitantes des services et aux mutations des modes de gestion.
Dans un monde où le livre était rare et où les hommes circulaient lentement, le travail intellectuel nécessitait l’accumulation locale des ouvrages. Aussi le prestige des grandes bibliothèques a-t-il longtemps été lié au nombre de volumes possédés. Peut-être faut-il voir là la source d’un voisinage ancien entre les bibliothèques et les statistiques que, sans être d’antique origine, la norme ISO 2789 perpétue depuis déjà plus de trente ans : la première version date de 1974, sur la base de travaux engagés au milieu des années 1960 par des experts de l’IFLA et de l’ISO sous les auspices de l’UNESCO.
L’objectif était alors d’harmoniser l’établissement de statistiques nationales (et donc de favoriser la comparabilité des données à l’échelon international). La norme ne comptait que quatre pages et renfermait essentiellement des consignes pour la présentation des statistiques.
Au fil des éditions, le document s’est étoffé, devenant plus précis et plus directement utilisable par les bibliothèques elles-mêmes. Mais l’extension de fait du domaine d’application de la norme s’avère être un exercice délicat lorsqu’il faut dans le même temps continuer à garantir l’applicabilité des préconisations pour les différents types de bibliothèques et maintenir la cohérence aux différents niveaux d’agrégation des données.
Dans la famille Bibliothèque…
ISO 2789 est désormais un document de 70 pages proposant six familles de définitions (relatives aux types de bibliothèques, à la collection, aux usages et usagers, aux accès et installations, aux dépenses et enfin au personnel). Les données à collecter sont exposées suivant le même plan en six parties. La norme comprend également quelques paragraphes sur la façon de présenter les résultats et fixe les limites méthodologiques de leur utilisation. Enfin une solide annexe (à caractère néanmoins normatif) détaille la typologie des données d’utilisation des services électroniques et formule les difficultés liées à leur recueil.
Toutefois ISO 2789 est un outil qui ne s’impose que lentement dans le paysage bibliothéconomique. Alors qu’on ne doute pas, par exemple, de la nécessité de normaliser les formats de structuration de l’information, et que par ailleurs les normes de la série ISO 9000 connaissent le succès que l’on sait dans le domaine des services en général, l’intérêt de la normalisation d’une approche statistique des bibliothèques ne s’impose pas comme une évidence.
Pourtant le besoin d’un langage commun et sûr de la mesure et de l’objectivation des activités des bibliothèques apparaît chaque jour plus nettement. On peut donner ainsi l’exemple du débat autour du concept de fréquentation, que l’enquête du CREDOC consacrée aux bibliothèques publiques a récemment suscité. Pour sa part ISO 2789 définit et distingue précisément les notions :
usager, usager inscrit, usager actif,
emprunteur actif,
et par ailleurs entrée et visite virtuelle.
Sans épuiser la discussion, cela permet au moins de l’engager muni d’un référentiel robuste et partagé. C’est là un apport majeur d’ISO 2789, dans sa dernière version, que de proposer un jeu complet de définitions cohérentes et c’est son fondement car on ne peut bien mesurer que ce qu’on a précisément défini. Parvenir à cet ensemble ordonné de définitions n’était pas chose aisée, en particulier dans le contexte très changeant des dix dernières années. En effet, prendre conscience des évolutions de la bibliothéconomie et en décrire les manifestations est une chose, mais nommer, de façon univoque, circonscrire et organiser systématiquement les phénomènes observés en est une autre. Ainsi qu’est-ce que la collection aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’une acquisition ? Quand peut-on dire qu’on a utilisé la bibliothèque ? Autant de questions auxquelles la norme ISO 2789 s’efforce de répondre, offrant des points de repère aux bibliothécaires.
À la manière des naturalistes, pour ainsi dire, les rédacteurs de la norme ont œuvré à une classification des services, de leur utilisation, des moyens et des structures en les recensant de façon aussi complète que possible et en les distinguant selon les critères les plus pertinents. Les cas particuliers, les spécificités nationales ou locales ont été examinés (segmentation de la collection ici, organisation administrative là, composition des financements ailleurs) afin d’aboutir à des définitions à la fois consensuelles et opérationnelles.
Pour cette 4e édition, les services électroniques et la mesure de leur utilisation ont bien évidemment fait l’objet d’une attention particulière. Imparfaite, sans doute, éphémère, probablement, la classification adoptée a l’immense mérite d’offrir, à un instant t, une photographie aussi nette que possible de ces nouveaux services et de l’arborescence de la collection électronique. Elle offre en outre un exposé pratique et clair des données d’utilisation à retenir, sans masquer les difficultés de collecte.
Plus largement, ISO 2789 ne propose pas de procédures balisées ; chacun doit pouvoir en fait y trouver, pour une problématique d’administration donnée, la façon de composer et de sélectionner au mieux les chiffres et les méthodes utiles.
D’une logique de moyens à une logique de résultats
Mais il ne faudrait pas pour autant limiter la portée de la norme à un strict usage interne. En effet, alors que le pilotage de l’action publique entend, selon l’expression consacrée, passer « d’une logique de moyens à une logique de résultats », les normes relatives aux statistiques et à l’évaluation des bibliothèques peuvent et doivent être des dispositifs d’appui, dans le dialogue avec les tutelles, ou en soutien aux exigences envers les fournisseurs – en particulier les vendeurs de systèmes intégrés de gestion de bibliothèque (SIGB).
Le statut de norme internationale ne doit pas être négligé comme manifestation stratégique dans un rapport de force. Il signifie que les bibliothèques s’insèrent dans les cadres contemporains de l’évaluation des services publics, et il permet aussi de valoriser des critères et des représentations documentaires validés face aux exigences parfois inadaptées du contrôle et du suivi externe. Bien sûr la norme ISO 2789 n’est pas le couteau suisse de l’évaluation ! Elle est le cadre de référence pour la production des données et propose un modèle de représentation du « système-bibliothèque », mais elle ne saurait suffire seule. Elle forme en quelque sorte le premier niveau d’une aide à la caractérisation et à la quantification des phénomènes qu’une deuxième norme, ISO 11620 (indicateurs de performance pour les bibliothèques, actuellement en cours de révision), vient compléter pour l’appréciation de l’efficacité, de l’efficience et de la pertinence des services.
En tout état de cause, le recours à ces deux normes ne saurait exonérer d’un projet politique et d’une démarche managériale plus vastes. En outre la normalisation nécessite du temps, du recul, du consensus, alors que l’évolution des bibliothèques est désormais rapide, expérimentale et parfois divergente d’un établissement ou d’un type d’établissement à l’autre.
Même si le rythme de production des normes de bibliothèques s’est accéléré ces dernières années, les documents normatifs ne peuvent que difficilement rendre compte des pratiques émergentes ou des services pilotes. À un horizon de quelques mois, qui peut dire quand le livre électronique va vraiment prendre son essor ou ce que les blogs et autres fils RSS vont vraiment changer aux services et aux pratiques documentaires ?
Jusqu’à présent, à travers ses éditions successives, ISO 2789 a accompagné la transition d’un monde documentaire cloisonné à un monde documentaire ouvert. Sans doute un des enjeux des prochaines révisions sera-t-il de progresser dans cette voie et de dépasser les statistiques de la quantité et de la fréquentation pour aller vers une meilleure détermination de la cohérence et des types d’usage. On peut aussi imaginer disposer un jour de mesures simples qui pourraient rendre compte du degré d’insertion de la bibliothèque dans son environnement institutionnel, social ou urbain.
Au final, si ISO 2789 n’est pas un programme à appliquer intégralement, elle redonne néanmoins, sous le strict angle qui est le sien, une unité en tant que service global aux différentes briques de la documentation et aux différents établissements, à un moment où, selon l’expression de Bertrand Calenge, on peut se demander « où se trouve le lieu de la bibliothèque ? »