Maîtrise de l’information, éducation à l’information, compétences informationnelles… sont des expressions que l’on voit fleurir dans de nombreux articles bibliothéconomiques ces dernières années. La France n’est en rien isolée dans ses réflexions et réalisations et participe à un mouvement international. En témoignent différentes initiatives récentes :
- la création, par l’IFLA et l’UNESCO, d’un répertoire des programmes et recherches dans ce domaine qui sera suivie par la publication d’un état des lieux mondial sur ce sujet1 ;
- la tenue, en novembre 2005, dans le cadre du Sommet mondial sur l’information, d’un séminaire d’experts de différents domaines et zones géographiques, suivi d’une « déclaration d’Alexandrie », puis d’un texte plus détaillé2 ;
- l’affirmation à de nombreuses reprises par Alex Byrne, président de l’IFLA, que la maîtrise de l’information est, avec le sujet des ressources électroniques, l’un des enjeux majeurs pour les bibliothèques d’aujourd’hui.
Étant donné l’impact de la maîtrise de l’information au niveau international, il est intéressant de s’interroger sur la singularité de la position et des pratiques françaises dans ce domaine par rapport aux autres pays. En préambule, il faut souligner l’importance des contextes culturels, politiques et universitaires de chaque pays. L’organisation des universités, l’usage des bibliothèques et de la documentation dans l’enseignement, les méthodes pédagogiques ou encore le statut des bibliothécaires universitaires ont un impact sur la manière dont l’éducation à la maîtrise de l’information est proposée et perçue.
L’originalité du système français : un cadre institutionnel « solide »
La « formation des usagers » existait en France dès les années 80 mais comme dans la plupart des pays industrialisés, l’impact d’Internet et le développement de l’université « de masse » ont entraîné un fort développement dans les années 90.3 Ce développement a été favorisé et encouragé par l’une des spécificités du système français : une forte structuration institutionnelle. Ceci s’est traduit par un soutien de l’État au niveau administratif et financier. La SDBIS (sous-direction des bibliothèques et de l’information scientifique) soutient Formist et les URFIST – et favorise le développement des formations dans les services communs de la documentation par le biais des contrats quadriennaux. Cette organisation singulière, étroitement liée au système centralisé français, pallie une relative absence d’engagement associatif. Dans la majorité des autres pays, ce sont généralement les associations – spécialisées ou non – qui impulsent une dynamique à la maîtrise de l’information. L’autre singularité française est l’existence de Formist. Certains des services proposés par Formist le sont ailleurs par d’autres types de structures mais aucune n’offre de façon structurée et lisible, à la fois la mutualisation et l’accès gratuit à des ressources pédagogiques sélectionnées, la structuration d’un réseau de formateurs, un congrès annuel gratuit et la formation de futurs professionnels. La plupart des pays proposent des congrès mais ils sont souvent moins réguliers (Mexique, pays nordiques) et toujours payants. La participation internationale est généralement moins structurée, par exemple en Espagne ou aux Pays Bas dont la présence sur la scène internationale s’exprime via des experts individuels. L’enseignement professionnel initial est, quant à lui, offert à l’université dans la plupart des pays et les formations continues souvent par le biais associatif, sous la forme de stages « d’immersion » (Canada, États-Unis, pays nordiques…).4 La France diffère de ce schéma et propose des formations de formateurs au niveau national à l’ENSSIB5 et régional, dans les URFIST6 et CFCB7. Enfin, les formations à la maîtrise de l’information françaises s’adressent de plus en plus massivement aux étudiants de premier cycle, ce qui est encore une singularité à aussi grande échelle.
Quelques différences structurelles
En revanche, certains points pourraient être améliorés en raison de « freins » liés au contexte national. Le fait, souvent dénoncé et regretté, que l’enseignement de la maîtrise de l’information ne dispose pas d’un terme unique en France et surtout d’aucune définition commune du type de celle de l’ALA aux États-Unis ou du CILIP en Grande-Bretagne.8 Ceci a un impact négatif au sein de la profession car un cours – d’1 h 30 ! – incluant une visite ou un cycle de réflexion entraînant vers l’analyse critique peuvent être également considérés comme « maîtrise de l’information ». Ceci constitue également un frein vis-à-vis de l’extérieur car il semble difficile d’envisager un lobbying pour défendre un concept peu clair ou de faire connaître des réalisations. La plupart des pays ont un terme unique, souvent traduit de l’américain « Information Literacy », (Danemark), parfois adapté (pays hispanophones) et s’accordent sur une définition, là encore reprise des États‑Unis, mais le plus souvent adaptée ou développée (Mexique, Australie, Royaume‑Uni). L’autre point sur lequel la France diffère, notamment des pays anglo‑saxons ou nordiques, tient au fait qu’il y a une longue tradition de cours magistraux. Ce type de méthode pédagogique n’incite pas nécessairement à la recherche de l’information ni à un usage approfondi de la bibliothèque. Le système des « crédits » issu du processus de Bologne implique de passer d’une pédagogie centrée sur l’enseignement à une pédagogie centrée sur l’élève. Ce type de pédagogie devrait donc, à terme, impliquer plus de travaux d’étudiants impliquant recherche, usage et maîtrise de l’information, en France comme ailleurs. Enfin, tandis que la plupart des pays ont traduit les normes américaines (exemple : Espagne, Suède) ou les ont adaptées, les bibliothèques françaises ont produit un référentiel des compétences informationnelles (Érudist) qui n’a en rien un caractère obligatoire. Sous la pression du C2i9 et des obligations de comparaison des contenus d’enseignement liés au processus de Bologne, la France pourrait être obligée prochainement d’évoluer et de définir précisément les compétences clés, leur contenu, leur mode d’évaluation.
En conclusion, soulignons que malgré quelques spécificités liées à un modèle d’organisation administrative qui lui est propre, la position française est très semblable à celle de l’ensemble des autres pays sur bien des sujets. Plus globalement, la question qui se pose aujourd’hui, au delà de quelques différences de forme, est celle du type de bibliothèques dont les étudiants ont besoin aujourd’hui. Qu’elles se nomment centres d’apprentissage, learning centers ou teaching libraries, ces bibliothèques sont au cœur de l’apprentissage et de la pédagogie