La sobriété numérique : quelles actions pour les bibliothèques ?

DOI : 10.35562/arabesques.3423

p. 16-17

Plan

Texte

Dans le cadre de la loi « Réduire l’empreinte environnementale du numérique », les collectivités territoriales de plus 5 000 habitants devront mettre en œuvre une stratégie numérique responsable au 1er janvier 2025. Un volet qui concerne directement les bibliothèques.

Les conséquences de l’empreinte carbone de nos activités numériques ont été prises en compte par le législateur à travers la loi REEN (Réduire l’empreinte environnementale du numérique) du 15 novembre 20211. L’objectif de cette loi est de définir un calendrier et une stratégie visant à réduire la pollution émise par nos pratiques numériques. Un des volets de ce texte dispose que les collectivités de plus de 5 000 habitants devront mettre en œuvre une stratégie numérique responsable d’ici au 1er janvier 2025. Depuis le 1er janvier 2023, les collectivités d’au moins 50 000 habitants doivent définir un programme de travail fixant le cap de la stratégie de réduction de l’empreinte carbone du numérique. En tant que service public et en raison de leur activité numérique, les médiathèques semblent a priori directement concernées par les enjeux liés à la pollution numérique. Cependant, dans quelle mesure les établissements de lecture publique peuvent-ils répondre aux orientations définies par le calendrier législatif ?

Les sources de pollution générées en bibliothèque par les services numériques

Le spectre de la pollution générée par nos activités numériques est large. Longtemps les discours visant à alerter se concentraient uniquement sur les usages en caricaturant et stigmatisant les personnes qui regardent des vidéos de chats sur YouTube. S’il est avéré que le streaming génère de la pollution, la consommation de vidéos en ligne n’est pas le seul facteur de pollution de nos activités connectées. En effet, pour consulter des vidéos, il faut pouvoir disposer d’une infrastructure lourde et consommatrice d’énergie. Si on a tendance à penser que le numérique est virtuel, l’analyse de l’impact carbone de nos usages est l’occasion de rappeler que le cyberespace est un domaine bien concret qui repose sur une architecture physique : câbles sous-marins, datacenters, serveurs et tout un tas d’appareils extrêmement polluants, car consommateurs de métaux rares et précieux.

D’une certaine manière, les médiathèques incarnent ce double visage du numérique. Elles fournissent des services en ligne qui sont source de pollution et disposent de matériels qu’elles sont amenées à renouveler plus ou moins régulièrement : ordinateurs professionnels, opac et postes publics, tablettes… Dès lors, comment peuvent-elles participer et répondre aux enjeux de la sobriété numérique ?

 

 

Crédit photo Adobe Stock – peshkova

Quelle(s) marge(s) de manoeuvre pour les bibliothèques ?

Depuis plusieurs années, les médiathèques se sont engagées dans une stratégie de médiation numérique des savoirs2. Cela s’est généralement traduit par la fourniture d’un accès à des ressources en ligne, des dispositifs de recommandation de contenus sur les réseaux sociaux et la production de contenus sur des blogs. Au fil des années, elles ont adopté les codes et les pratiques du Web. Cette mutation a été nécessaire d’une part pour correspondre aux usages numériques contemporains, et d’autre part pour répondre aux impératifs de référencement imposés par les moteurs de recherche pour tenter d’être visible en ligne. Pour exister et émerger parmi la masse de contenus disponibles, la règle publish or perish3 est de mise. Il faut publier régulièrement, des contenus originaux qui respectent les règles du SEO4. À l’heure actuelle, la présence de contenus vidéo est considérée comme indispensable pour répondre aux exigences des algorithmes et tenter de capter l’attention des internautes. Cette stratégie de content marketing5 incarne une forme de dissonance cognitive à l’heure du débat sur la sobriété numérique. Doit-on continuer à défendre ces orientations en matière de médiation numérique au risque de participer à une amplification de l’empreinte carbone de nos usages numériques ?

Comme tout débat complexe, la réponse ne peut être simple. Une des difficultés réside dans notre dépendance à des tiers pour l’ensemble des services qu’on propose. Les prestataires des bibliothèques qui développent des portails ou des SIGB sont souverains dans le choix des outils qu’ils utilisent. En matière d’hébergement, les serveurs sont-ils hébergés en France ? Font-ils appel à des datacenters qui fonctionnent avec des énergies renouvelables ?6

Limiter l’empreinte carbone des services en ligne

Concernant nos portails Web, a-t-on besoin de sites bardés d’animations et d’effets visuels dont le seul critère est l’esthétique mais qui n’apportent rien en termes d’expérience utilisateur-rice ?7 Les principes de la sobriété numérique peuvent aussi s’appliquer à la façon dont on conçoit des sites. Le courant de la low tech8 peut dès lors apparaître comme une réponse utile pour designer des sites dont les principes de la sobriété numérique sont pensés dès la phase de conception du site.

Nos sites Web sont généralement fournis avec des outils de mesures d’audience pour évaluer le trafic des internautes. Par facilité, nous avons souvent recours à des services comme Google Analytics. C’est gratuit et cela fonctionne relativement bien. Cependant, ce sont des outils disproportionnés au regard du trafic qu’on génère et de l’absence de dimension commerciale de notre activité. Nous ne nous inscrivons pas dans une stratégie marketing avec un objectif de rentabilité. Il existe des alternatives comme Plausible9 sur lesquelles nous devrions nous pencher. Ces solutions sont souvent payantes mais il est temps de sortir du mythe selon lequel les services commerciaux en ligne peuvent être systématiquement gratuits. En outre, la transition écologique ne peut se faire sans un investissement financier auquel les collectivités territoriales doivent consentir.

Le dernier élément que nous pouvons investir pour inscrire les bibliothèques dans une démarche de sobriété numérique est de connaître les principes de bases du développement Web et des règles élémentaires qui permettent de limiter l’empreinte carbone de nos services en ligne. Tout comme nous devons être au fait de la réglementation en matière de données personnelles ou d’accessibilité, nous devons connaître et comprendre le fonctionnement des sites Web pour concevoir des cahiers des charges qui intègrent des principes auxquels les prestataires devront se soumettre. Par exemple, le recours à des services tiers pour afficher des polices de caractères spécifiques pourrait être banni. Afin de limiter des requêtes vers des serveurs, le choix d’un hébergement local d’une police pourrait être envisagé. De même, le recours à un réseau de distribution de contenus10 pourrait être intéressant pour l’affichage de certains contenus comme les feuilles de style CSS, les fichiers JavaScript ou les vignettes des documents. Par ailleurs, de simples techniques d’optimisation de contenus peuvent être utilisées au quotidien notamment en utilisant des illustrations légères en les compressant avec des services comme TinyPNG et en configurant l’affichage des images uniquement quand l’internaute scrolle la page11. Ces techniques permettent d’économiser de la bande passante et par extension des ressources.

Favoriser le réemploi du matériel informatique

Enfin, le dernier levier et probablement le plus important en matière de sobriété numérique que les bibliothèques peuvent actionner est l’accompagnement des usagers dans le réemploi de leur matériel informatique et dans une démarche de réduction de l’empreinte carbone de leurs usages numériques : sensibilisation aux logiciels libres et au système d’exploitation Linux qui permet de prolonger la durée de vie des équipements informatiques12 ; organisation d’install parties, animées par des médiateur-trices numériques ou en partenariat avec des associations de promotion des logiciels libres, pour permettre aux usager-ères de ne pas avoir à racheter du matériel informatique (la recommandation de l’Ademe13 indique qu’en passant de 2 à 4 ans la durée d’utilisation d’un même équipement, on améliore de 50 % son bilan environnemental).

L’engagement des bibliothèques dans une stratégie de sobriété numérique est possible et plusieurs leviers peuvent être actionnés. Certes, les marges de manœuvre sont étroites et les impacts mineurs mais les initiatives décrites montrent que les bibliothèques s’inscrivent dans les problématiques contemporaines de notre société et surtout qu’elles sont un instrument de politique publique à investir pour inciter les usager-ères à prendre part à la lutte contre le changement climatique.

Notes

1 https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044327272 Retour au texte

2 https://mediation-numerique-des-savoirs.org Retour au texte

3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Publier_ou_p%C3%A9rir Retour au texte

4 https://www.canva.com/fr_fr/decouvrir/seo-guide-du-debutant Retour au texte

5 https://www.ionos.fr/digitalguide/web-marketing/search-engine-marketing/comment-fonctionne-le-content-marketing Retour au texte

6 Certains hébergeurs de données sont engagés dans une démarche de transition numérique écologique et ont recours à un système de refroidissement qui utilise l’air extérieur pour refroidir les serveurs afin de limiter l’empreinte écologique du datacenter. Retour au texte

7 Évaluez l’empreinte carbone d’un site Web : https://www.websitecarbon.com Retour au texte

8 3 principes résument la low tech. Une technologie utile, accessible et durable. https://lowtechlab.org/fr Retour au texte

9 Le fichier d’installation fait moins d’1 Ko et ne ralentit pas la navigation sur le site https://plausible.io/lightweight-web-analytics Retour au texte

10 Content Delivery Network (CDN) facilite la mise en cache augmentant la rapidité d’un site. Il repose sur une distribution du contenu à partir de la position géographique de l’utilisateur. https://www.cloudflare.com/fr-fr/learning/cdn/what-is-a-cdn Retour au texte

11 Grâce à l’attribut HTML loading et le paramètre lazy, https://www.geeek.org/lazy-loading-img-iframe-html/ Retour au texte

12 Des distributions comme Xubuntu, Linux Lite ou ZorinOS Lite sont particulièrement adaptées à des ordinateurs qui commencent à présenter des signes de fatigue. Retour au texte

13 https://librairie.ademe.fr/cadic/6555/guide-en-route-vers-sobriete-numerique.pdf Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Thomas Fourmeux, « La sobriété numérique : quelles actions pour les bibliothèques ? », Arabesques, 109 | 2023, 16-17.

Référence électronique

Thomas Fourmeux, « La sobriété numérique : quelles actions pour les bibliothèques ? », Arabesques [En ligne], 109 | 2023, mis en ligne le 12 mai 2023, consulté le 28 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=3423

Auteur

Thomas Fourmeux

Responsable numérique et communication, mairie de Fontenay-sous-Bois

thomas.fourmeux@fontenay-sous-bois.fr

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Articles du même auteur

Droits d'auteur

CC BY-ND 2.0