« La recherche française ne peut fonctionner efficacement qu’en restant connectée au reste du monde. »

Entretien avec Nicolas Fressengeas, vice-président de l’université de Lorraine

DOI : 10.35562/arabesques.3818

p. 8-9

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Mots-clés

interview

Texte

Vice-président de l’université de Lorraine en charge du numérique, des données et de science ouverte, chargé de mission science ouverte au MESR pour son volet international et élu au conseil des représentants d’ORCID.

 

 

Pouvez-vous nous présenter la gouvernance d’ORCID ?

ORCID est une organisation à but non lucratif enregistrée dans l’État du Delaware aux États-Unis qui compte une quarantaine d’employés1 répartis sur la surface de la planète sous la direction d’un Chief Executive Officer (CEO). La gouvernance de l’organisation se fait à travers le conseil des représentants, traduction en français de board, selon le site d’ORCID, et qui correspond peu ou prou au conseil d’administration, lequel est assisté par cinq comités, chargés de l’exécution de la stratégie impulsée par le conseil d’administration, des finances, de la stratégie envers les membres, de l’audit des risques pris par l’organisation, et de la nomination des membres du conseil des représentants. Les réunions du conseil des représentants se font en présence et avec l’aide du CEO et des responsables des équipes opérationnelles d’ORCID2.

Quels sont les grands axes stratégiques qu’elle impulse ?

Les grands axes de la stratégie d’ORCID pour 2022-20253 sont l’amélioration des services rendus aux membres, aux chercheuses et chercheurs et l’amélioration de la couverture mondiale, le tout en assurant la continuité de la confiance que l’on peut avoir dans la stabilité et la pérennité de l’infrastructure d’ORCID.

Vous mentionnez l’amélioration de la couverture mondiale. La volonté d’ORCID d’être une infrastructure internationale s’adressant à tous les acteurs du monde de la recherche se reflète-t-elle dans la composition actuelle du board ?

L’amélioration du caractère international d’ORCID est l’une des quatre priorités affichées par la stratégie 2022-2024. Toutefois, la composition actuelle du conseil des représentants4 montre une domination des pays anglo-saxons du nord global. Cet état de fait est reconnu par le conseil ; son ambition est donc d’améliorer la représentativité des communautés internationales. Il se trouve que le renouvellement d’une partie du conseil5 fin 2023 a attiré un grand nombre de candidatures de qualité de la part de régions sous-représentées, ce qui a permis de proposer une amélioration significative de la composition du conseil.

Quel a été votre propre parcours pour être élu au board d’ORCID ?

Je ne peux que faire des hypothèses quant aux raisons précises qui m’ont amené au board d’ORCID. L’une d’elles est clairement ma citoyenneté française et européenne, eu égard à la volonté dudit board d’améliorer sa représentativité mondiale hors des cercles anglo-saxons. Ma qualité de chercheur encore récemment en activité constitue probablement une autre de ces raisons. Mon implication à la vice-présidence de l’université de Lorraine en charge de la politique numérique a pu être un élément favorable, de même que celle auprès du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de l’administratrice des données, des algorithmes et des codes.

Vous faites également partie du comité exécutif du consortium ORCID-France et vous connaissez bien le paysage de l’ESR français. Pensez-vous qu’il existe des spécificités françaises qui devraient être mieux prises en compte par ORCID, pour promouvoir ses services, stimuler les adhésions, ou plus globalement améliorer la qualité des données d’ORCID ?

Je n’ai pas aujourd’hui clairement identifié de spécificités françaises qui devraient être prise en compte par ORCID en tant qu’organisation internationale. C’est en réalité heureux car ORCID est une organisation assez petite, constituée de 40 personnes réparties dans le monde, et l’équipe en charge du « produit », qui est le sommet de l’iceberg que nous voyons tous, ne compte que trois personnes, ce qui rend difficile la prise en charge de besoins locaux. Toutefois, le code d’ORCID étant libre, il est possible à tous de proposer des améliorations aux équipes d’ORCID, et ce pourrait être une voie à explorer pour des besoins spécifiques. Le développement du nombre d’adhésions prend naturellement une grande part dans la stratégie d’ORCID, et l’organisation reste attentive aux stratégies nationales. Le principal enjeu relatif à l’augmentation du nombre d’adhésions à ORCID est, selon moi, la réalité de la plus-value apportée aux membres. De la même façon, les chercheuses et chercheurs porteront une attention accrue à la qualité des données contenues dans leur dossier ORCID quand celles-ci seront utilisées afin de les soulager de tâches administratives. Ces deux enjeux sont corrélés. Dans la mesure où la feuille de route de la politique des données, des algorithmes et des codes sources du MESR6 inclut spécifiquement l’usage d’ORCID au niveau national, je ne suis pas inquiet : les chercheurs et leurs institutions sont pragmatiques.

Le risque de bascule de la gouvernance aux mains d’intérêts uniquement privés est parfois soulevé. Est-ce un frein à l’adhésion ? Existe-t-il des mécanismes pour prévenir ce risque ?

ORCID est une organisation intrinsèquement à but non lucratif par son statut législatif et ne peut donc faire de bénéfices que s’ils sont réinvestis. Cela limite son intérêt pour les appétits privés. Sa transparence et son ouverture à la diversité de l’écosystème de la recherche sont au cœur de ses valeurs et principes fondateurs7. Un conseil des représentants monochrome, représentant les intérêts d’une catégorie unique d’acteurs est non seulement contraire à ces valeurs, mais nuirait probablement à l’adhésion de l’ensemble des communautés. Les risques d’une telle bascule, d’un côté ou de l’autre, sont à mon avis faibles, et la meilleure preuve en est l’évolution actuelle du conseil.

Comment articuler une stratégie nationale, cruciale pour la recherche française, avec la stratégie d’une organisation supranationale telle qu’ORCID, ce qui soulève parfois certaines questions au sein de la communauté de l’ESR, notamment concernant la sécurité des données, ou la pérennité de la structure ?

La recherche est par nature internationale, et la recherche française ne peut fonctionner efficacement qu’en restant connectée au reste du monde. C’est tout l’intérêt d’appuyer une stratégie nationale sur une organisation internationale. L’enjeu est donc de mettre en cohérence la stratégie internationale d’ORCID et la politique nationale. Le fait de participer à la gouvernance d’ORCID y contribue. D’un point de vue plus opérationnel, je pourrais plaider pour une coopération technique entre les équipes d’ORCID et des développeurs nationaux, sur le modèle des communautés du logiciel libre, afin de faire progresser le produit dans les directions que nous souhaitons. La question de la confidentialité des données se pose peu à ORCID, dont les données sont publiques pour plus de 90 % d’entre elles. La question de la pérennité de la structure est en revanche cruciale. C’est précisément l’objet d’un des quatre axes de la stratégie d’ORCID et l’une des principales préoccupations de l’organisation. Cette question de pérennité, et donc de soutenabilité, concerne ORCID comme toutes les infrastructures nécessaires à l’ouverture de la science : une utilisation responsable d’une telle infrastructure implique une participation raisonnable à son financement. Néanmoins, une telle participation nécessite un degré de confiance qui ne peut être établi que par l’ouverture et la transparence des processus internes et des politiques organisationnelles, financières et technologiques. Tout en conservant une marge de progression, ORCID est, sur ces plans, en très bonne place, et c’est à travers une analyse détaillée de l’ensemble des données de l’organisation, accessibles sur son site, que l’on pourra se forger son propre degré de confiance. L’enjeu est là.

Propos recueillis par Benjamin Bober et Véronique Heurtematte

Notes

1 https://info.orcid.org/orcid-team Retour au texte

2 La gouvernance d’ORCID est présentée en détail ici : https://info.orcid.org/our-governance Retour au texte

3 https://info.orcid.org/2020-2025-strategic-plans Retour au texte

4 https://info.orcid.org/orcid-board Retour au texte

5 https://info.orcid.org/announcing-the-2024-board-slate Retour au texte

6 https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2021-09/la-feuille-de-route-2021-2024-du-mesri-relative-la-politique-des-donn-es-des-algorithmes-et-des-codes-sources-12965.pdf Retour au texte

7 https://info.orcid.org/what-is-orcid Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Nicolas Fressengeas, « « La recherche française ne peut fonctionner efficacement qu’en restant connectée au reste du monde. » », Arabesques, 112 | 2024, 8-9.

Référence électronique

Nicolas Fressengeas, « « La recherche française ne peut fonctionner efficacement qu’en restant connectée au reste du monde. » », Arabesques [En ligne], 112 | 2024, mis en ligne le 15 janvier 2024, consulté le 01 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=3818

Auteur

Nicolas Fressengeas

Vice-président de l’université de Lorraine

nicolas.fressengeas@univ-lorraine.fr

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