Depuis la fin des années 2000, l’informatique documentaire en BU vit une petite révolution sous l’effet conjoint de l’émergence massive de contenus numériquement natifs entrainant, dans le courant des années 2010, une bascule tout aussi massive du papier vers l’électronique, et de l’élargissement important des missions des SCD et des services déployés, notamment en matière d’appui à la recherche et au pilotage. Ces deux phénomènes, relativement concomitants, ont donné lieu à de nouvelles pratiques et à de nouveaux besoins, convergeant vers un renouvellement des savoirs, savoir-faire et savoir-être attendus.

Les savoirs : d’une logique d’applicatif à une approche « système »

Ce changement de paradigme implique non plus la maitrise d’un seul outil ou la connaissance d’un unique système métier, mais bien la compréhension d’un système d’information global, et l’appropriation d’un nouvel ensemble de règles, normes, langages et vocabulaires présidant à la gestion et à la gouvernance d’un système d’information (maintenance, performance, interopérabilité, sécurité) et susceptible de couvrir l’ensemble des domaines fonctionnels d’un établissement.

Plusieurs facteurs ont pu accentuer cette bascule : d’une part l’élargissement des outils informatiques métiers présents en bibliothèque entrainé par la dématérialisation des processus de travail des personnels comme des usagers (gestion de planning, ERMS, enquêtes et tableaux de bord, outils de découverte, bibliothèque numérique, réservation de salles, etc.) ; d’autre part, le rattachement de plus en plus fréquent des infrastructures informatiques historiques des BU à celles des universités. À cela s’ajoute l’interconnexion croissante des SIGB avec les applications centrales de gestion des établissements (annuaires, référentiels, application RH, de scolarité, système d’information recherche, etc.) impliquant une acculturation plus forte aux vocabulaires, méthodes et environnements de travail des services informatiques universitaires.

Fiches de catalogues d’index

Crédit Adobe Stock / Sergey Yarochkin

Les savoir-faire : d’une logique de gestion de documents à une logique de gestion de données

La transformation numérique des contenus, supports et processus documentaires comme les perspectives ouvertes par les outils et pratiques de fouille de texte et de données (TDM) ont progressivement brouillé les frontières historiques entre « documents » et « données », puis entre « données » et « métadonnées ». Qu’elles soient d’éditeurs, de fournisseurs, de recherche ou de gestion, les données ont envahi les bibliothèques. Celles-ci sont devenues en quelques décennies productrices, gestionnaires, curatrices et fournisseuses de données. Ces missions nouvelles ont émergé au sein de plusieurs services : informatique documentaire, appui à la recherche, pilotage et indicateurs, signalement et documentation etc. Elles s’y répartissent encore souvent sans que la transversalité de la compétence n’ait pour l’instant guidé de refonte ou de réflexion systématique sur les organigrammes.

Ce constat tient pour partie au fait que le périmètre de compétences attendues apparait souvent lié à un domaine d’activité spécifique ou à une discipline scientifique. Il est vrai que le spectre des normes, règles, processus et langages peut être très varié. Il n’en découle pas moins l’émergence d’un certain nombre de savoir-faire génériques attendus ou espérés au sein des établissements : compréhension ou maitrise de modèles de données comme des systèmes de gestion de bases de données, maitrise de scripts et langages de requêtage, maitrise des langages et outils de manipulation (dont extraction, transformation et chargement) et de visualisation de donnée, ainsi que des principes et technologies liées au cloud computing.

Il convient de souligner que la diversité des compétences requises et leur complexité appellent des profils de plus en plus spécialisés, y compris dans les milieux informatiques professionnels, un luxe que ne peuvent que très rarement envisager les établissements d’enseignement supérieur, et encore moins les seules bibliothèques universitaires. Les projets demandeurs, comme les domaines d’application sont pourtant nombreux : dématérialisation des processus et urbanisation des systèmes d’information (documentaire, recherche, RH, décisionnel), bibliométrie, sciences et humanités numériques, web de données, intelligence artificielle, sécurité informatique.

En filigrane, se dessinent donc pour les établissements de profondes interrogations : en premier lieu sur les modalités d’acquisition et de développement de ces compétences pour leurs services ou leurs projets ; en second lieu sur les possibilités de pérennisation, de capitalisation et de transmission des compétences par-delà les individus ou les projets. À ces enjeux s’ajoutent également ceux du droit et de la sécurité de l’information appelant le développement de connaissances connexes relatives au RGPD ou à la sécurité des systèmes d’information (SSI). Sur ces domaines comme sur nombre d’autres, la création de passerelles avec d’autres métiers internes ou externes à l’université se révèle plus que jamais nécessaire. L’aptitude au dialogue, condition nécessaire à l’émergence de cultures communes, devient donc un enjeu de compétences essentielles pour les services d’informatique documentaire. C’est avec cet objectif d’accompagnement au dialogue que la commission SDSI (Signalement, données et systèmes d’information) de l’ADBU a travaillé en 2023 à la constitution d’un lexique1 recensant les principales notions et les vocabulaires touchant l’informatique, les systèmes d’information et l’ingénierie-documentaire.

Les savoir-être : d’une posture d’expert technique à celle de médiateur fonctionnel

L’explosion de l’informatique tant comme outil professionnel que comme objet ou média d’étude a entrainé un élargissement puis une subdivision croissante des directions du numérique et systèmes d’information. Il en va de leur capacité à répondre à des enjeux de plus en plus nombreux et diversifiés, et de la nécessité de dresser de nouvelles frontières fonctionnelles et techniques entre compétences internes et externalisation. L’informatique documentaire n’est pas non plus épargnée par ce phénomène qui implique le développement de liens nouveaux de nature « diplomatique », scientifique, technique ou économique avec d’autres services ou partenaires : juristes, délégués à la protection des données personnelles, responsables de la sécurité des systèmes d’information, chercheurs, prestataires.

Dans ce nouvel écosystème partenarial, l’expertise technique n’est plus l’unique compétence recherchée des services. Elle se double, voire se subordonne à d’autres compétences dites « relationnelles », mettant le dialogue et la compréhension des besoins et attentes fonctionnelles des diverses parties au cœur de la réussite des projets. Face à ces nouveaux attendus, la posture du bibliothécaire facilitateur et traducteur d’une expression de besoins entre informaticiens et utilisateurs finaux revêt un caractère hautement stratégique. Qu’il s’agisse d’enseignants-chercheurs dans le cadre de projets de recherche, de services partenaires dans le cadre de processus de dématérialisation ou de développement d’application de gestion mutualisée, ou d’étudiants dans le cadre de leur scolarité, le lien entre utilisateurs finaux et services informatiques nécessite bien souvent une médiation, proche des compétences attendues d’un product owner dans les méthodes Agile. Un rôle d’interprète et coordinateur des besoins utilisateurs souvent conféré aux bibliothécaires par l’expérience, la polyvalence et l’orientation « usagers ».

FOCUS SUR LE FUTUR DICTIONNAIRE DES COMPÉTENCES MÉTIERS

La commission Métiers et compétences de l’ADBU travaille actuellement à l’élaboration d’un « dictionnaire des compétences métiers ». Structuré autour de grands domaines thématiques couvrant l’ensemble des activités en BU, il devrait être disponible courant 2024 sur le site web de l’ADBU. L’un de ses domaines s’intitule « Systèmes d’information et ingénierie documentaire » (SI&ID). Son contenu a fait l’objet d’échanges entre les commissions Métiers et SDSI. Il recensera une trentaine de connaissances et compétences, dont certaines relèvent d’un socle commun de culture informatique et numérique que tout professionnel doit posséder aujourd’hui. D’autres, en lien avec le traitement des données, ont été discutées, car elles auraient pu intégrer le domaine « Appui à la recherche ». Ce dictionnaire sera actualisé afin de tenir compte de l’évolution des métiers et compétences, ce qui apparait comme d’autant plus nécessaire pour un domaine comme l’info-doc, en mutation constante. De ce point de vue, l’émergence de l’IA générative dans les pratiques professionnelles en BU constituera un axe majeur de développement de ce travail réflexif sur les compétences.