À l’image des mutations profondes qui traversent nos sociétés et nos économies – accélération technologique, transition écologique, révolution numérique –, l’écosystème normatif se trouve à un tournant historique. Pour rester un levier stratégique de compétitivité et d’innovation, il doit repenser ses modes de fonctionnement, ses supports et sa relation aux utilisateurs.
Si la valeur intrinsèque des normes – référentiel harmonisé, consensuel et incitatif – reste plus pertinente que jamais, leur matérialisation documentaire classique montre aujourd’hui ses limites. Les acteurs économiques les plus dynamiques, immergés dans des environnements numériques complexes et évolutifs, attendent désormais des normes interopérables, modulaires et intégrables directement dans leurs systèmes. La rigidité des supports papier ou PDF, la difficulté à extraire des données exploitables, ou encore le décalage entre le rythme des révisions normatives et l’agilité des entreprises appellent une mutation de nos formats et de nos processus.
Dans ce contexte, le projet SMART Standards, porté tant par la France que par ses partenaires internationaux et européens, ambitionne d’accompagner la transformation numérique des acteurs économiques, en faisant évoluer la norme, pour la rendre non seulement plus accessible, mais aussi plus intuitive et adaptable. Il s'agit de créer un lien vivant et dynamique entre les normes et leurs utilisateurs.
Illustration développée par ISO et IEC illustrant les changements de paradigme.
Pour ce faire, ce projet se base sur un certain nombre de fondations : d’abord la transformation des contenus en ressources numériques structurées, intégrables aux logiciels métiers, aux IA industrielles ou aux jumeaux numériques ; offrir une interactivité renforcée avec les utilisateurs, via la mise en place de boucles de feedback avec les utilisateurs, permettant des mises à jour flexibles et une évolution optimisée des contenus et services ; et enfin favoriser une interopérabilité systémique : alignement sur des référentiels communs (ontologies, dictionnaires de données) pour faciliter la convergence avec les grands chantiers réglementaires et les écosystèmes industriels.
Point de situation au sein des organismes de normalisation
Cette démarche s’inscrit dans un mouvement global impulsé par les principales instances de normalisation, qu’elles soient internationales (ISO, IEC) ou européennes (CEN, CENELEC).
L’ISO et l’IEC ont lancé un programme SMART en 2021. Ce programme a permis dans un premier temps de mieux appréhender les besoins et attentes des utilisateurs dans leur relation à la norme. Il a ensuite permis de mettre en exergue les fondations nécessaires à mettre en place par les organismes de normalisation ainsi que le besoin de collaboration en étant toujours plus tourné vers les besoins utilisateurs. Une vision illustrant de bout en bout les impacts des SMART Standards a pu être proposée.
Schéma 1
Lors de la première ISO IEC SMART Conférence fin 2024, l’ISO et l’IEC ont présenté la Core Ontology, une fondation clé visant à établir une ontologie partagée associée aux contenus normatifs. Son objectif principal est de favoriser l’interopérabilité entre ces contenus.
Les utilisateurs de normes souhaitant avoir une expérience équivalente dans leur usage de contenus normatifs, le déploiement de cette core ontology le plus en amont possible dans la plateforme de rédaction de normes Online Standards Developpement, en cours de déploiement à l’ISO et à l’IEC mais aussi au CEN et CENELEC, est un enjeu crucial. Ce travail permettra la création de contenus SMART nativement interopérables entre eux.
Comme l’illustre le schéma ci-dessous, les enrichissements nécessaires, qu’ils soient spécifiques à un secteur ou afin d’être en phase avec certains usages, ont bien été identifiés. La gouvernance associée à cette évolution est actuellement en cours de discussion.
Schéma 2
Début 2025, ISO et IEC ont décidé de revoir leur gouvernance afin de mieux intégrer de façon systémique les enjeux associés au SMART mais aussi de créer une équipe dédiée afin de réaliser les développements pertinents.
Depuis 2020, le CEN et le CENELEC se sont quant à eux intéressés au développement de nouvelles fonctionnalités pour la plateforme Online Standards Development afin de pouvoir tagguer certains enrichissements dès les phases de rédaction (ex : les provisions – exigences, recommandations, possibilités, permissions, voir capture ci-dessous). Cet outil commence à être déployé par le CEN et le CENELEC depuis janvier 2025.
Nouveaux services et évolution de la relation à la norme
Le temps est aujourd’hui à la convergence des initiatives afin que le CEN-CENELEC puisse intégrer la core ontology à sa démarche mais aussi de pouvoir faire bénéficier à ISO et IEC des développements réalisés.
Au-delà des enjeux de modernisation technique, le projet SMART Standards aspire donc à instaurer une nouvelle relation à la norme. Il ne s’agit pas seulement de dématérialiser les normes, mais de les repositionner comme des « communs numériques », en préservant leurs principes fondateurs : ouverture, transparence et consensus. L’enjeu est de les placer au cœur des écosystèmes d’innovation, où elles pourront servir de leviers opérationnels et de compétitivité économique :
• Facilitateurs de conformité réglementaire : via des liens intelligents avec les législations et règlementations.
• Piliers des infrastructures numériques : garantissant l’interopérabilité, la fiabilité des données et l’éthique, grâce à des normes « embarquées » dans la chaine de valeur industrielle et l’analyse du cycle de vie des produits.
De premiers services commencent à voir le jour tel que l’accès à des contenus normatifs dans des formats spécifiques (Format ReqIF). Ce service, prochainement proposé par AFNOR, l’est également par le DIN.
