Ces trois regards offrent un aperçu précieux des défis et opportunités auxquels est confrontée la normalisation au niveau international dans le secteur de l'information et de la documentation. Tout en mettant en lumière les perspectives distinctes de responsables de comités techniques ISO, chacun aborde les enjeux spécifiques à son domaine d'expertise.
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ISO TC 46/SC 8 : harmoniser la mesure des performances au coeur des institutions culturelles
Contrairement aux autres sous-comités du TC 46, l’ISO TC 46/SC 8 (statistiques et évaluation des performances) se distingue par le fait qu’il se concentre sur les institutions dans leur ensemble, plutôt que sur des méthodes ou procédures spécifiques d’information et de documentation.
Nous collaborons principalement avec trois catégories d’organisations : les archives, les musées et les bibliothèques. Ces établissements sont appelés des institutions culturelles. Chaque organisation culturelle, par définition, a un objectif distinct ainsi que des méthodes propres pour l’atteindre. Cela rend difficile la normalisation des techniques et des stratégies pour recueillir des informations sur ces institutions culturelles, tant sur le plan pratique que psychologique.
Cependant, une coopération accrue au-delà des frontières géographiques et institutionnelles a rendu nécessaire l’examen des fonctions essentielles et des résultats des institutions culturelles. De plus, nous cherchons constamment à identifier les meilleures pratiques afin de pouvoir comparer et apprendre au-delà de nos propres organisations. Enfin, les gouvernements ainsi que le grand public continuent de scruter les institutions culturelles quant à leur utilisation efficace et efficiente des fonds publics. Les normes qui portent sur la collecte d’informations relatives à nos activités et sur la démonstration de nos performances fournissent aux institutions culturelles des outils standardisés et fiables, capables de répondre à des questions essentielles.
La normalisation de la collecte de données au-delà des frontières nationales est menacée par les disparités dans l’adoption des technologies, bien que ces dernières aient en partie nivelé les conditions. Le SC 8 aborde ce problème en commençant par les solutions les plus accessibles. Nous avons progressé en nous mettant d’accord sur des statistiques de base à l’échelle internationale, en créant des indicateurs de performance, puis en élaborant des stratégies pour illustrer les résultats des institutions. Ce processus en trois étapes a d’abord été mené à bien par le secteur des bibliothèques, qui dispose d’une longue tradition de collecte de données institutionnelles. Le secteur muséal a ensuite repris le flambeau, suivi enfin par les institutions d’archives.
Les environnements de travail et les technologies qui soutiennent les activités des institutions culturelles évoluent constamment. Face à ces défis, et en plus d’être conscients de ces difficultés, les experts qui participent aux travaux du SC 8 sont d’autant plus conscients de l’importance d’une coopération et d’une communication actives.
Wonsik Shim
Chair of TC46 SC 8
Professor of Library and Information Science, at Sungkyunkwan University (South Korea)
Préserver le passé, garantir l’avenir : l’importance des normes dans la conservation des documents
La normalisation est essentielle pour élaborer les meilleures pratiques et garantir l’accès à long terme à l’information. Dans le domaine de la préservation des matériaux physiques, les normes définissent les exigences en matière de durabilité du papier, de qualité de l’encre, de conditions de stockage et de préparation aux situations d’urgence. Ces normes ont fourni des orientations précieuses aux bibliothèques, aux archives et à d’autres institutions à travers le monde, assurant ainsi la protection des collections physiques.
La normalisation garantit la longévité et l’intégrité des documents, qu’ils soient numériques ou physiques. Dans le domaine matériel, les normes aident à définir les meilleures pratiques concernant la qualité du papier, la durabilité de l’encre, les matériaux et l’environnement de stockage, ainsi que les méthodes de préservation. En suivant ces directives, les institutions peuvent prolonger la durée de vie des documents précieux et du patrimoine culturel. Dans la préservation archivistique, la normalisation permet de garantir que les documents historiques demeurent lisibles et intacts.
Les normes communes favorisent la collaboration au-delà des frontières, permettant aux chercheurs et aux professionnels de partager l’information de manière plus efficace. Cela encourage l’innovation dans les sciences de l’archivistique et de la conservation, et facilite la coopération internationale. De plus, l’échange d’expertise entre spécialistes internationaux est crucial pour faire émerger les meilleures pratiques disponibles. Cette approche collaborative est particulièrement bénéfique pour les petits pays disposant de peu d’experts dans certains domaines spécialisés, leur permettant de contribuer aux normes mondiales et d’en bénéficier.
Une menace majeure à la normalisation internationale est la diminution des financements disponibles, tant pour les activités de normalisation que pour les recherches qui en constituent la base. Sans un soutien financier adéquat, le développement de nouvelles normes — ainsi que le maintien des normes existantes — peut être compromis. En outre, les divergences d’intérêts nationaux, les disparités économiques et les tensions géopolitiques peuvent freiner l’élaboration et l’adoption de normes internationales. Certains pays peuvent privilégier leurs propres normes pour en tirer des avantages économiques ou stratégiques, ce qui mène à une fragmentation des pratiques à l’échelle mondiale. Un autre défi réside dans le manque de représentation des pays en développement. Cela peut conduire à la création de cadres normatifs qui ne sont pas pleinement adaptés aux défis spécifiques que rencontrent les économies émergentes.
À une époque marquée par une transformation numérique rapide et une interconnexion mondiale croissante, la normalisation dans le secteur de l’information et de la documentation est plus cruciale que jamais. Le développement de normes universellement acceptées garantit l’interopérabilité, l’efficacité et la qualité entre des systèmes variés et au-delà des frontières géographiques.
Une approche globale et internationale des normes est donc essentielle pour encourager la collaboration, l’innovation et l’inclusivité dans ce secteur. En intégrant les normes de préservation tant numériques que physiques, on pourra parvenir à une approche véritablement complète.
Thea Winther
Chair of TC46 SC 10
Preservation specialist and Conservator, MSc at the Swedish National Archives
Normalisation et gestion documentaire : bâtir des ponts entre préservation, conformité et technologies émergentes
Dans le domaine de la gestion documentaire, la normalisation internationale offre d’importantes opportunités tout en posant des défis notables. L’établissement de cadres communs peut améliorer l’interopérabilité entre les organisations et au-delà des frontières nationales, en facilitant la collecte, la préservation et la récupération systématiques des documents. Des normes harmonisées — telles que des schémas de métadonnées uniformes, des systèmes de classification et des lignes directrices en matière de préservation — sont essentielles pour garantir que l’information reste accessible et fiable dans le temps, tout en soutenant la conformité légale et réglementaire à travers les juridictions.
Une perspective archivistique complémentaire vient enrichir cette réflexion. Les archives mettent l’accent sur l’accès à long terme aux documents en préservant leur contenu informationnel ainsi que leur intégrité structurelle et contextuelle. L’adoption de normes dans la pratique archivistique peut contribuer à garantir que les documents soient conservés et que leur contexte historique soit maintenu, au bénéfice de la recherche future. Ce double regard sur la gestion documentaire et l’intégrité archivistique soutient un continuum de responsabilité informationnelle — allant des besoins opérationnels immédiats à la préservation de la mémoire collective.
Cependant, les avancées technologiques rapides mettent à l’épreuve les approches traditionnelles. Aujourd’hui, les documents sont souvent constitués d’informations issues de sources disparates, combinées temporairement, plutôt que fixés sous forme de documents ou de photographies statiques. L’intelligence artificielle est intégrée aux systèmes de gestion documentaire pour automatiser les décisions de classement et de sort final, tandis que l’IA générative est utilisée pour enrichir, voire créer des documents.
Pour s’adapter à cet environnement en constante évolution, les normes doivent être souples et tournées vers l’avenir. Par ailleurs, si la structure de l’ISO offre un cadre reconnu à l’échelle mondiale, elle peut parfois créer des cloisonnements (ou "silos") qui compartimentent les points de vue divers des experts internationaux sur ces enjeux cruciaux. Cette compartimentation peut limiter la flexibilité nécessaire pour répondre aux technologies émergentes et aux pratiques en mutation, ce qui appelle à des efforts constants pour dépasser ces silos.
L’implication des parties prenantes est un élément clé pour relever ces défis. Une normalisation internationale efficace dépend de la participation active d’un groupe diversifié d’acteurs. Les gestionnaires de documents, archivistes, spécialistes informatiques, fournisseurs, juristes, décideurs politiques, et même les utilisateurs finaux doivent collaborer pour créer des normes inclusives, reflétant des besoins et réalités variés. Des consultations régulières, des ateliers et des initiatives de recherche conjointes peuvent garantir que les normes élaborées restent pratiques, pertinentes et flexibles. De plus, cette implication favorise la confiance et la compréhension mutuelle, menant à une approche plus collaborative et résiliente face aux bouleversements technologiques et aux évolutions réglementaires.
En résumé, la normalisation internationale dans le domaine de la gestion documentaire — enrichie par une perspective archivistique et un engagement solide des parties prenantes — promet une meilleure interopérabilité, une plus grande efficacité, et une préservation à long terme. Réaliser ce potentiel exige une approche collaborative et agile, capable de naviguer entre les défis posés par l’évolution rapide des technologies et la diversité des contextes juridiques et culturels.
Andy Potter
Communication Officer TC46/SC11
Consulting Information Professional, Expert in Digital Records Management at MetaArchivist Consulting, (United States of America)