La Déclaration de Berlin, 10 ans après

DOI : 10.35562/arabesques.989

p. 7-8

Texte

Dans le cadre de la conférence Berlin 11 (19 et 20 novembre 2013), Roger Genet, directeur général pour la recherche et l’innovation (ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) a rappelé l’immense chemin parcouru depuis la Déclaration de Berlin sur le libre accès à la connaissance. Nous publions ici de larges extraits de son intervention.

Depuis 2003, l’open access a accompli un grand bond en avant

Depuis 2003, l’open access a accompli un grand bond en avant

Marina Noordegraaf/Flickr (CC BY-NC-SA 2.0)

[…] Au début de notre siècle, à Budapest, à Bethesda, et surtout à Berlin, les chercheurs ont voulu dire qu’il fallait inventer de nouvelles formules pour que l’ouverture d’opportunités immenses de diffusion offertes par le numérique, et aussi par l’extension de la recherche à beaucoup de pays neufs, ne se transforme pas en son contraire : une difficulté à accéder aux résultats de la recherche pour des raisons économiques. Quels sont ces messages venus des chercheurs ? On peut en discerner quatre majeurs :

  • les fonds publics, issus des citoyens, doivent faire retour à la société ;
  • la communication des résultats scientifiques fait partie des buts de la science ;
  • une science plus ouverte aujourd’hui donnera une meilleure science demain ;
  • une science plus accessible et plus avancée est un gage de développement culturel, économique et sociétal. […]

Depuis un peu plus d’un an, l’histoire s’accélère, et un nouveau seuil de visibilité et d’engagement politique a été franchi :

  • par des déclarations marquantes : celle de la Commission, en juillet 2012, par le canal de sa direction générale Réseaux de communication, contenus et technologies ; celle du G8 en juillet 2013 ; de nombreuses prises de position et normes au niveau national ; la préparation d’Horizon 2020, qui prévoit d’élever au rang de principe général le libre accès aux publications et aux données de la recherche ;
  • par l’arrivée au premier plan de préoccupations nouvelles, touchant à l’accès aux données de la recherche, qui élèvent le niveau d’exigence qui s’attache aux travaux de recherche, à leur publication, à leur contrôle par la communauté scientifique internationale. […]

L’open access a enrichi le paysage de la communication scientifique, ce qui veut dire aussi qu’il l’a rendu plus complexe en s’ajoutant au mécanisme traditionnel de l’abonnement et en se présentant sous diverses formes. Cette multiplicité des canaux de diffusion et des modes de financement de la communication scientifique est à l’image de la diversité des besoins de la science, parfois contradictoires : le besoin du partage le plus large entre chercheurs et, dans le même temps, celui de la reconnaissance par les revues les plus prestigieuses, qui offrent des repères nécessaires aux financeurs de la science ; la possibilité de la diffusion la plus rapide, mais aussi la nécessité de préserver l’édition scientifique. Ces choix sont difficiles ; ils expriment une tension que ressentent fortement les chercheurs eux-mêmes et les institutions. Mais ils suscitent une dynamique de coopération, de dépassement des fragmentations internationales comme nationales, dont les effets positifs s’accélèrent. […]

Comme l’a dit la ministre, Geneviève Fioraso, dans sa déclaration du 24 janvier 2013, l’open access n’est pas une fin en soi. Il est devenu un moyen optimal de diffusion de la production scientifique qui se présente sous diverses formes : gold (financement des revues en amont par les auteurs), green (auto‑archivage par les auteurs), platinium (financement public de plateformes permettant l’accès gratuit aux publications et l’achat de services supplémentaires). […]

L’open access, ne le cachons pas, est un moyen d’inciter à plus de transparence des coûts ; il peut permettre de limiter les tentations d’abus de position dominante qui peuvent guetter certains éditeurs, lorsque leur capacité d’anticipation, à l’orée du numérique, et leur place dans les mécanismes d’évaluation de la recherche leur ont assuré une capacité unilatérale à imposer leur tarification aux chercheurs et aux institutions. Il faut rétablir la confiance, et pour cela, dissiper l’impression qu’ont parfois les chercheurs, de payer la marque d’une revue plus que son travail. Mais si le modèle de l’auteur- payeur venait à s’universaliser, il ferait peser un autre danger : un soupçon sur la neutralité de la sélection. À l’inverse, la communication scientifique directe, ou avec un filtrage minimum, si féconde soit-elle potentiellement, ne peut se substituer à l’évaluation longue par les pairs.

Nous essayons de tenir compte de tous ces enjeux : l’apport propre des éditeurs, l’indépendance de l’évaluation, le libre accès de toutes les équipes à la publication, et l’amélioration qu’apporte une circulation accélérée des résultats. En accord avec la Commission, la France préconise donc la mixité – autant qu’elle la constate ! –, sachant que personne ne peut aujourd’hui prédire avec certitude quel est le meilleur modèle – ni celui qui s’imposera dans une société et une économie mondialisées de la connaissance.

La coexistence peut représenter un idéal, qui évite d’avoir à choisir entre des modèles dont aucun ne s’impose avec évidence, mais, dans la pratique, elle peut révéler des incohérences ou des problèmes :

  • comment éviter de payer deux fois dans un régime de mixité : comme auteur et comme lecteur ? C’est la question du gold hybride ;
  • comment faire appliquer les règles que nous édictons ? Faut-il mettre en place une obligation de publication en archives ouvertes des résultats de projets financés, sous peine que les articles qui font défaut ne soient plus pris en compte dans les financements ou les promotions, à l’exemple de l’université de Liège ?
  • comment maîtriser, dans des budgets contraints, la dépense publique, sinon par une préférence pour les voies qui ne demandent pas d’investissement public supplémentaire, notamment la voie green, dont on observe un regain remarquable ?

Face à ces différentes questions, la France s’efforce de mettre en œuvre une politique à la fois pragmatique et cohérente, guidée par le souci d’aboutir à des solutions adaptées, équilibrées par rapport aux principaux problèmes que rencontre la mise en œuvre de l’open access :

  • un réalisme, qui nous a conduits à organiser le point de vue de la recherche publique sur l’évolution des dispositifs actuels de validation des publications, pour dialoguer ensuite avec les éditeurs privés, notamment sur la question des durées d’embargo ; pour les STM, un travail avec l’Agence nationale de la recherche, principale agence de financement, va fixer un plafond dans les fourchettes européennes et américaines (6 ou 12mois). Pour les SHS, des décisions seront prises au printemps après communication des résultats d’une étude menée par un laboratoire spécialisé dans les impacts des politiques publiques ;
  • une mise en œuvre à travers un plan d’action qui redynamise et met en cohérence différentes infrastructures nationales : Hal (plateforme d’archives ouvertes nationale, transdisciplinaire, qui reçoit près de 3 000 documents par mois et accueille plus de 80 archives d’institutions scientifiques) ; theses.fr (portail de consultation de thèses – 30 000 aujourd’hui –, adossé à des bases de signalement des thèses soutenues et des thèses en cours) ; OpenEdition (plateforme nationale de revues sur le mode platinium, qui édite plus de 380 revues en SHS, ainsi que des carnets de recherche) ; Persée (portail en libre accès de collections rétrospectives de revues de SHS, aujourd’hui plus de 140 et près de 3 millions de visites par mois) ; le Cines (entrepôt d’archivage pérenne pour toutes ces plateformes et, demain, pour les données de la recherche).

Ce plan est conduit dans le cadre de la Bibliothèque scientifique nationale (BSN), programme ministériel qui organise la coopération entre les principaux acteurs de la recherche et permet d’arbitrer les grandes questions, tout en respectant l’autonomie de ces acteurs. BSN va prochainement étendre son activité aux données de la recherche.

La nouvelle question des données de la recherche est celle du passage de l’ouverture des résultats à la « science ouverte », mais elle est aussi une partie de l’ensemble plus vaste des projets de large diffusion des données publiques. De grands arbitrages nous attendent. Pour les réussir, il est important que nous partagions nos points de vue et nos travaux, notamment sur les questions suivantes, cruciales, parmi d’autres :

  • la définition des périmètres de données à conserver, qui est variable selon les disciplines et lourde d’incidences financières ;
  • la définition des conditions et standards pour des données de qualité ;
  • la fixation du curseur entre les données qui devront faire l’objet d’une diffusion immédiate (notamment la mise à disposition des preuves sur lesquelles s’appuient les publications) et celles dont la propriété donne un avantage compétitif à des équipes, que l’on peut reconnaître, mais pour combien de temps ?

Au-delà des régulations et des structures, de tous les mécanismes que nos institutions et nos gouvernements pourront inventer, la seule question qui vaille et dont, in fine, tout dépend, c’est la volonté et la motivation des chercheurs. Ce sont eux qui, il y a dix ans, en ayant inspiré la Déclaration de Berlin, ont manifesté l’ambition que les scientifiques reprennent la maîtrise de la diffusion de la connaissance. Ce sont eux qui ont porté l’objectif du libre accès aux résultats de la recherche. Le nouvel horizon est celui des données de la recherche. De leurs données. La même conviction devrait nous permettre d’avancer dans ce domaine, encore plus proche du cœur de la science. Car celui qui cherche la vérité est aussi celui à qui il importe de la faire connaître.

Illustrations

Depuis 2003, l’open access a accompli un grand bond en avant

Depuis 2003, l’open access a accompli un grand bond en avant

Marina Noordegraaf/Flickr (CC BY-NC-SA 2.0)

Citer cet article

Référence papier

Roger Genet, « La Déclaration de Berlin, 10 ans après », Arabesques, 73 | 2014, 7-8.

Référence électronique

Roger Genet, « La Déclaration de Berlin, 10 ans après », Arabesques [En ligne], 73 | 2014, mis en ligne le 22 août 2019, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=989

Auteur

Roger Genet

Directeur général pour la recherche et l’innovation, MESR

Droits d'auteur

CC BY-ND 2.0