Lors de sa séance du 27 janvier 2012, le conseil d’administration de la bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg (BNU) s’était prononcé sur les modalités de réutilisation des données produites dans le cadre de ses missions et, en particulier, des documents et données produites par son activité de numérisation. Premier bilan.
La décision de placer les documents et données de la BNU sous licence ouverte – Open Licence1, était alors semble-t-il suffisamment novatrice pour susciter l’intérêt de la communauté professionnelle et une communication de l’établissement sur ce sujet2 .
Les principaux arguments avancés pour justifier cette décision étaient alors les suivants :
- la libre réutilisation des documents et données devait faciliter et encourager les usages scientifiques des collections de la BNU, par exemple pour des publications en sciences historiques ou en histoire de l’art, ce qui constitue la mission première de la BNU, bibliothèque de recherche en sciences humaines et sociales ;
- la redevance d’usage jusqu’alors demandée en cas de réutilisation de fichiers numériques par un tiers était relativement mal vécue par nos publics, notamment par les publics académiques et les sociétés savantes, cœur de cible de la BNU. L’abandon de la redevance devait permettre d’améliorer l’image de l’établissement et les relations avec les usagers et ainsi d’accroître la fréquentation et l’utilisation de la bibliothèque ;
- la gestion de cette redevance d’usage coûtait plus cher à l’établissement qu’elle ne lui rapportait. Il était en outre espéré que son abandon entraîne davantage de demandes de reproductions, service qui resterait payant ;
- la libre réutilisation des contenus, y compris à des fins commerciales, permettrait à la BNU de devenir indirectement une source d’activité économique et d’alimenter le retour sur l’investissement consenti par la Nation pour le financement de son activité, en favorisant la créativité artistique et intellectuelle ;
- l’accès libre et gratuit aux données produites par la BNU resterait de toute manière garanti par leur diffusion directe par l’établissement, dans une logique de service public ;
- les évolutions des pratiques professionnelles des bibliothèques, motivées par le déploiement du Web sémantique et de l’Open Data, nécessiteraient de toute manière l’ouverture des données bibliographiques produites par les bibliothèques.
Plus d’un an et demi après cette décision, nous voici sollicités par Arabesques pour dresser un bilan des conséquences de cette décision, ce que nous allons tâcher de faire de la manière la plus objective possible.
Une avancée globale vers l’Open Data
Tout d’abord, nous pouvons remarquer que depuis janvier 2012, d’autres établissements ou programmes collaboratifs ont adopté eux aussi la licence ouverte pour la diffusion de leurs données et documents numérisés ; citons : la bibliothèque numérique du Limousin, pour les documents numérisés issus du domaine public3 ; la bibliothèque-médiathèque municipale de Nancy pour les documents diffusés via sa bibliothèque numérique consacrée à la Renaissance4 ; l’Abes elle-même, pour les données du Sudoc5 ; la Bibliothèque nationale de France quant à elle avait amorcé le mouvement depuis 2011 avec le portail data.bnf.fr et ses compléments6. Certains ont choisi d’autres types de licences ouvertes, en particulier la Public Domain Mark7, comme par exemple la bibliothèque de Rennes Métropole pour sa bibliothèque numérique « Les Tablettes rennaises »8. Ce ne sont que quelques exemples parmi les plus connus.
Ces initiatives sont des témoignages de l’avancée du mouvement de l’Open Data en France depuis 2011, approprié désormais assez largement par les institutions et administrations publiques, y compris pour les données culturelles. La publication de la feuille de route du ministère de la Culture en avril dernier est à cet égard significative. La BNU s’inscrit donc dans un contexte d’ouverture progressive des données, mais aussi de sensibilisation accrue de la sphère publique (des citoyens) aux problématiques liées à l’accès et à l’usage du patrimoine public. À cet égard, nous pouvons dire que l’ouverture de nos données en relation avec l’Open Data et le web sémantique était justifiée, même si aujourd’hui, par manque du temps qui serait nécessaire à une telle réalisation, la BNU ne peut encore se prévaloir d’une intégration de ses données au portail data.gouv.fr ou même, à l’instar de la BNF, de l’ouverture d’un portail data.bnu.fr.
Incidences économiques
Qu’en est-il des résultats attendus des autres objectifs cités ci-dessus ? Engagée dans de nombreux et lourds chantiers, la BNU n’a pas encore lancé d’analyse spécifique des retombées économiques indirectes des services qu’elle fournit, ni en général ni en particulier par rapport à la libre réutilisation de ses documents numérisés. Toutefois, nous avons reçu de nombreux témoignages très positifs de chercheurs, ainsi que de maisons d’éditions ou d’organes de presse, se félicitant de ne plus devoir payer pour l’utilisation de clichés de la BNU.
Du point de vue comptable, l’effet attendu, à savoir a minima un maintien du chiffre d’affaires global de l’activité de numérisation à la demande en 2012 par rapport à 2011, n’a certes pas été totalement atteint la première année, comme le montre le tableau de la page précédente, mais plusieurs éléments sont à prendre en compte.
Tout d’abord, les tarifs de reproduction ont été revus à leur tour en juin 2012, en légère baisse, en perspective de l’adhésion de la BNU au réseau Ebooks On Demand (EoD)9. Ensuite, malgré cette baisse, le chiffre d’affaires hors redevance d’usage a augmenté de 16 % de 2011 à 2012, de 68 % par rapport à 2010, et la tendance sur les premiers mois de 2013 est encore à la hausse. Cette progression est due non pas tant au nombre de commandes traitées, de l’ordre de + 27 % de 2011 à 2012, qu’au nombre de vues réalisées, passées de 2 606 à 15 409, soit une moyenne de vues par commande passée de 24 à 113. L’activité de notre service de reproduction s’est donc fortement accrue au cours des 18 derniers mois, et il est escompté qu’avec le lancement du service EoD et l’ouverture publique de Numistral10, la bibliothèque numérique de la BNU, à la rentrée 2013, cette activité doive encore s’accroître. Pour y faire face, le recrutement d’un opérateur de numérisation supplémentaire, rémunéré sur le chiffre d’affaires réalisé, est envisagé.
Contexte local
Cependant, le développement d’une stratégie documentaire coordonnée sur le site alsacien, s’incarnant dans un schéma directeur de la documentation inscrit dans le contrat quinquennal de site 2013‑2017, représentera un moment essentiel pour pérenniser le choix fait par la BNU quant à l’ouverture de ses données et documents numérisés. En effet, le conseil d’administration de l’université de Strasbourg s’est, en décembre 2012, prononcé en faveur d’une tarification des usages commerciaux des documents numérisés par son SCD.
Pour faire avancer le projet de bibliothèque numérique de site inscrit au schéma directeur, la question de la licence d’usage des collections se posera nécessairement de nouveau aux deux établissements. Un retour en arrière serait cependant, du point de vue de la BNU, et au regard des premiers mois d’application de la licence ouverte, difficilement envisageable.
Au final, le bilan de l’expérience nous apparaît pour l’heure positif et pourrait légitimement être pris en compte dans le cadre de l’évaluation du modèle économique des redevances de réutilisation des données publiques culturelles actuellement conduite par le ministère de la Culture et de la Communication11. Les prochains chantiers à mener permettront de confirmer ou infirmer ce sentiment. L’audience de Numistral, la fréquentation du service EoD, le développement de la bibliothèque numérique de site, l’adoption du format RDA et l’intégration de nos données à data.gouv.fr seront à cet égard des éléments révélateurs.