Art des fous ? Art psychopathologique ?

Petites et grandes progressions

p. 12-13

Plan

Texte

Depuis la nuit des temps, l’homme inscrit, trace, dessine… et prête à l’Art des vertus curatives. D’ailleurs, certains se plaisent à voir en lui le plus vieux et meilleur médicament du monde.

Entre hier et aujourd’hui les choses ont changé mais les œuvres, les productions des malades demeurent ! Elles interrogent autant le spécialiste que le néophyte. Ainsi les catégories du normal et du déviant s’entrechoquent pour laisser éclore, par-delà toute simplification, la substantifique moelle de la création et de ses processus.

Les timides débuts de l’Art des Fous…

Hier, soit au début du XIXe siècle, les malades résidants dans les Asiles et les Maisons de Santé donnaient des représentations théâtrales, des bals, des concerts… ouverts à tout public. Certes, quelques-uns venaient voir et même toucher la folie. D’autres (parfois les mêmes) rencontraient l’originalité d’une expression et créativité prête à s’épanouir…

Paradoxalement ce n’est que vers la fin du siècle que la production plastique (dessin, peinture, sculpture, construction de machines, etc.) des fous retint l’attention des médecins aliénistes. Certains commenceront des collections, d’autres les utiliseront pour illustrer leurs publications et/ou les aider à poser un diagnostic.

Peu à peu dans cette fin de siècle où les présidents de la Troisième République se succèdent à une cadence accrue, la France découvre l’Art des colonies. Les comparaisons entre ces objets, les œuvres des artistes contemporains, les dessins d’enfants et ce qui devient l’Art des fous se concrétisent dans la littérature médicale et par diverses expositions ouvertes à tous.

Ainsi, de la stupeur à la frénésie, quelques-uns en viennent à rechercher :

  • d’une part ce qu’il peut y avoir de « fou dans le génie »,
  • d’autre part des signes caractéristiques de telle ou telle maladie mentale.

L’Art apparaît comme un révélateur magique. Il entre en psychiatrie !

Les originalités françaises…

Progressivement au début du XXe siècle, l’Art des fous fait l’objet d’études approfondies1 où inquiétudes, fascinations et interrogations se rencontrent dans une alchimie béate de déchirements. Dans cette dynamique, le Mouvement Surréaliste vient, au décours des années vingt, renverser les perceptions négativistes d’antan en cherchant « ce qu’il peut y avoir de génial dans la folie ».

Ailleurs, en l’occurrence aux USA, naissent le concept et la pratique de l’Art-thérapie. La France, quant à elle, reconnaît les vertus de l’Ergothérapie et des productions artisanales signant ainsi les premiers fonctionnements en ateliers.

Immédiatement après la Seconde Guerre Mondiale, l’Art Brut s’affirme. Il réunit toutes les œuvres (acculturelles) ne s’inscrivant dans aucun des critères culturels, esthétiques et techniques habituels. De fait, cette collection regroupe une multitude de conditions de création et d’artistes répondant pour moitié au statut « d’internés ». Le trouble esthétique, la fusion-confusion entre l’art et la folie sont jetés !

Au tournant du siècle (1950) le Congrès Mondial de Psychiatrie abrite la première exposition internationale d’Art Psychopathologique. Réunissant quelque 2 000 œuvres de 350 patients issus de 45 pays, cette exposition ouverte à tout public connaît un succès colossal.

Après l’Art des fous, l’Art psychopathologique semble installé… Mais à la fin des années cinquante, la psychiatrie reprend en mains ses émules artistico-culturels et impose le concept, toujours en lice, de Psychopathologie de l’Expression.

Au cours des trente glorieuses, plusieurs sociétés scientifiques (associations, groupements, fédérations) consacrées à ces domaines voient le jour de par le monde, instituant l’art-thérapie et ses pratiques en tant que soins. Les acteurs de l’hexagone, attachés à la Psychopathologie de l’Expression, n’ont de cesse de débattre sur l’inadéquation du concept d’Art-thérapie. Ce débat est toujours d’actualité même s’il perd de sa superbe au fil des générations montantes de praticiens.

Par-delà ces errances et discussions, les institutions de soins se dotent d’ateliers d’art-thérapie. Les demandes de formations spécifiques commencent à s’affirmer.

Le tournant Art-thérapeutique…

Les années quatre-vingt constituent pour la France une charnière novatrice avec, entre autres, la naissance d’une revue spécialisée (« Art et Thérapie »), la création des premiers diplômes universitaires d’art-thérapie et l’émergence de l’expression « Psychothérapie médiatisée » par le Toulousain François Granier. Cette nouvelle expression, plus conforme au travail réalisé auprès des patients, permet implicitement le développement du concept d’art-thérapie en France.

Durant cette même période, la Région Midi-Pyrénées installe un festival concernant l’Art des Handicapés Mentaux2. Des expositions mais aussi des ventes aux enchères publiques d’œuvres de ces artistes soulèvent des questions socio-culturelles, légales, éthiques et artistiques. Un tel intérêt résulterait-il de la ponctualité d’une mode ?

Enfin avec les années quatre-vingt-dix, l’art-thérapie française sort du maquis psychiatrique pour imploser dans divers lieux de soins et d’exclusion. L’Art redevient le plus vieux et le meilleur médicament du monde… L’engouement des professionnels se traduit par une inflation de demandes de formations et la multiplication des ateliers d’art-thérapie pour des publics hors champ de la psychiatrie.

L’Art-thérapie, toujours et encore

Parallèlement, les expositions se multiplient et signent un retour du culturel dans les prolifiques jardins de l’art-thérapie. L’intérêt actuel pour « l’art à l’hôpital » vient corroborer cette orientation.

La création des personnes singulières, artistes ou non, cessera-t-elle un jour de fleurir les chants de la créativité et de l’expression ?

Si au tréfonds de tout être humain réside un noyau magico-mystérieux de création, gageons que ces potentialités pourraient conduire à un mieux-être. Exposer et mettre en catalogue luxueux ces temps de vie ponctuent un trajet. Les effets de cette action demeurent à explorer tant du côté du créateur et de ses proches que de celui du praticien et des équipes soignantes.

En parcourant l’éventail des œuvres proposées, l’œil averti et avide du spectateur et/ou consommateur d’Art tissera certainement de belles aventures psychiques, corporelles et socio-culturelles. Plaisir et inquiétante étrangeté s’y télescoperont dans le bruissement d’un éprouvé. Par-delà les bégaiements de l’histoire, une nouvelle esthétique surgit-elle ? Un autre marché de l’Art estampillé « hors-normes » peut-il exister ? Quelle place offrir à un Art d’intégration ?

Bibliographie

Sudres J.-L., 1998, L’adolescent en art-thérapie, Paris, Dunod.

Sudres J.-L. et Moron P., 2000, « L’art-thérapie : Entre théorisation et pratique clinique », Revue française de psychiatrie et de psychologie médicale, 4, p.27-28.

Notes

1 Pour mémoire, mentionnons les ouvrages de J. Rogues De Fursac (Les écrits et les dessins dans les maladies mentales et nerveuses, 1905), M. Réja (L’art des fous, 1907) et H. Prinzhorn (Expression de la folie, 1922).

2 Le festival Européen des Artistes Handicapés Mentaux se déroula à Figeac (Dpt du Lot) de 1987 à 1996.

Citer cet article

Référence papier

Jean-Luc Sudres, « Art des fous ? Art psychopathologique ? », Canal Psy, 54 | 2002, 12-13.

Référence électronique

Jean-Luc Sudres, « Art des fous ? Art psychopathologique ? », Canal Psy [En ligne], 54 | 2002, mis en ligne le 23 juin 2021, consulté le 05 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1022

Auteur

Jean-Luc Sudres

Maître de conférences en psychologie, Université Toulouse Le Mirail

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