Quand la psychiatrie rencontre l’art…
L’introduction de l’art dans le champ de la psychiatrie s’effectue dès l’aube du xixe siècle avec le divin Marquis de Sade qui organise à l’asile de Charenton des représentations théâtrales connues du tout Paris. Quasi contemporainement naît en ce même lieu un journal (Le Glaneur de Madopolis) célébré par la presse ordinaire. Ailleurs, les institutions asilaires offrent au travers de concerts et de bals ouverts au public un visage de la folie en lequel crainte et émerveillement se télescopent. Peu à peu les productions plastiques des internés attirent l’attention de quelques aliénistes qui débutent des collections. Des « œuvres folles » intègrent des expositions d’artistes contemporains à Milan comme à Berlin… Mais c’est surtout grâce à Ambroise Tardieu avec son Étude médico-légale de la folie (1872) illustrée par un dessin d’aliéné qu’une bascule s’initie. Dès cet instant, ces œuvres de solitude effectuées pour la plupart dans la clandestinité suscitent un regard sémiologique fort bien inauguré par Max Simon et renforcé par le célèbre criminologue italien Cesare Lombroso. Les tentatives de mise en correspondance d’une production plastique et d’une pathologie mentale sont, depuis cette époque, légions, récurrentes et compulsivement infirmées.
De l’art des fous à l’art psychopathologique : le creuset de la modernité
La première décennie du xxe siècle scelle cet intérêt avec les ouvrages de Joseph Rogues de Fursac (Les écrits et les dessins dans les maladies mentales et nerveuses) et Marcel Réja (L’art chez les fous) tout en essayant de comprendre le paradoxe apparent de la création.
Les années vingt apportent :
- d’une part, la monographie de Walter Morgenthaler (1921) sur un de ses patients : Adolf Wolfli. Si, avec cet acte, le sacro-saint secret professionnel vole en éclats sous couvert artistique, cette question ne surgira avec acuité dans la clinique art-thérapie française qu’aux contours de la décennie 80,
- d’autre part, le volumineux travail de Hans Prinzhorn (Expression de la folie) en 1922, portant sur près de 5 000 œuvres issues de 450 internés européens, pose la question essentielle de la « gestaltung ».
Quasi en même temps, le surréalisme naissant s’instaure en tant que juge et critique de la société contemporaine fustigeant, entre autres, les médecins chefs des asiles et les soins dispensés en ces lieux. Dans les interstices de leurs accusations, ils introduisent la psychanalyse et en viennent à chercher « ce qu’il peut y avoir de génial dans la folie ». Une telle proposition remet radicalement en cause l’appréhension déficitaire de la folie. Fou parce qu’artiste ou artiste parce que fou ? Cruciale question… Progressivement les aliénistes accordent à ces « productions de déraisons » une considération qui se finalise par la mise à disposition de matériaux et d’outils de qualité. Les vertus apaisantes de l’expression créative adviennent sur le devant d’une scène accueillant dans les années trente la fameuse « ergothérapie ». Dans le même instant, nos collègues d’Amérique du Nord, déjà coutumiers de la « Bibliotherapy », forgent par la voix de Margaret Naumburg le fameux concept « Art-Therapy ». Débarquant dans l’hexagone aux confins des années soixante, il suscitera d’emblée des polémiques sémantiques toujours actives.
La psychopathologie de l’expression : une néoténie ?
En 1959 « l’art psychopathologique « (alias « art des fous ») se transforme en « psychopathologie de l’expression » comme l’officialise la création de la Société Internationale de Psychopathologie de l’Expression, puis la branche française de celle-ci (Société Française de Psychopathologie de l’Expression) quelques années plus tard.
Les apports psychodynamiques, tout comme ceux issus des travaux de la graphomotricité et de l’anti-psychiatrie, se condensent dans l’après-coup de la révolution introuvable de Mai 1968 en une quête de « créativité-imagination » teintée d’un humanisme candide favorisant une mise sur la sellette de l’art-thérapie. Dès cette époque, le débat sur le terme d’art-thérapie s’installe. Durant cette période emplie de soubresauts conflictuels et de publications novatrices, l’art-thérapie entre en université sous la forme de DU (Diplôme d’Université) d’une part avec des intitulés variés, d’autre part avec des contenus et des durées forts différents selon les localisations. Toutefois, cette mise en institution ne s’accompagne pas, contrairement à la Grande-Bretagne par exemple, d’une reconnaissance par les instances officielles de santé.
Entre aujourd’hui et demain : une nécessaire affirmation
Actuellement, l’absence d’inscription en tant que profession médicale continue à lui conférer un statut flottant, si ce n’est marginal. Outre cela l’art-thérapie « made in France » jouit d’un isolement paradoxal ! Des initiatives, telle que le lancement de la revue International Journal of Art-therapy, nourrissent par-delà les frontières l’espoir de reconnaissance et de collaboration avec des collègues.
À l’approche du IIIe millénaire, l’art-thérapie française se doit d’abandonner ses querelles internes afin de faire reconnaître sa place et sa modernité.