Canal Psy : Quel public vise votre « introduction à la psychopathologie » ?
Jean Ménéchal : La nouvelle collection de Dunod, « Topos », où je publie, se donne pour objectif d’initier, dans les domaines des sciences humaines, les étudiants de premier cycle. En ce qui concerne la psychopathologie, son enseignement ne débute qu’en licence, sur un mode encore optionnel. Mon précis s’adresse donc aux étudiants qui découvrent cet ensemble théorique.
Canal Psy : J’imagine qu’introduire la psychopathologie ne doit pas être simple. Quelles sont donc les considérations qui ont guidé votre approche ?
Jean Ménéchal : Je pense que la psychopathologie occupe une place centrale dans l’enseignement de la psychologie clinique. Elle est un essai de faire science, c’est-à-dire un essai d’élaboration scientifique de la souffrance psychique. Transmettre cette discipline particulière de la psychologie, qui fait le pont avec la biologie, la philosophie et la politique, suppose des exigences de méthode. Je clarifie d’abord les différentes théories qui ont contribué à donner à ce corpus sa forme actuelle. Si j’adopte comme axe la théorie freudienne, cela n’exclut pas la mise en question ni le travail pour actualiser ce cadre de référence. J’envisage les grandes catégories de troubles psychiques en explorant le champ des psychoses, des névroses et celui des pathologies du narcissisme. Les aspects historiques, cliniques, étiologiques, et thérapeutiques constituent, pour chacune des organisations psychiques, les axes d’analyse. Mon deuxième objectif était de situer la psychopathologie en fonction des professions. Nous avons la chance, en France, d’avoir des professions réglementées pour l’exercice de la profession clinique. Ce qui permet de différencier les théories de référence et les pratiques professionnelles. La psychopathologie apparaît alors comme ce corpus constitué ayant valeur d’une épistémologie de la psychiatrie et de la psychologie clinique. Un autre enjeu de cette situation de la psychopathologie dans l’axe des professions était de débattre de la tentation de la psychanalyse à absorber l’ensemble des questions d’ordre psychique, et des réactions antipsychanalytiques que cette position entraine.
Canal Psy : Quels sont les points que vous avez voulu particulièrement mettre en évidence ?
Jean Ménéchal : L’essentiel pour moi, est de faire percevoir la réalité de la maladie mentale, ce qui n’implique pas pour autant une vision médicale de la psychologie clinique. Il est important de maintenir fermement deux exigences : proposer une théorie qui implique une vision élargie du psychisme, qui ne soit pas une vision psychiatrisante, pour dire les choses simplement ; et aussi donner aux étudiants des éléments qui leur apportent une idée précise de la pathologie mentale et des organisations repérables.
Canal Psy : Est-ce que cela ne revient pas à réintroduire les axes de la nosologie et la légitimité du diagnostic ?
Jean Ménéchal : Le terme de nosologie reste très attaché à la psychiatrie et à ses modalités de diagnostic. La sémiologie, par contre, concerne la reconnaissance des signes, leur traduction sous forme de symptômes. Elle ne participe pas d’une vision objectivante et ne se limite pas, non plus, à un pur subjectivisme. Comme je le propose dans mon livre, elle se fonde sur une approche classificatoire renvoyant à la compréhension de la symptomatologie au sein des grandes organisations psychiques. Elle intègre la reconnaissance et l’identification du symptôme dans le cadre de la relation malade-clinicien. Le diagnostic est à concevoir comme partie prenante de ce jeu d’aller-retour entre objectivité et subjectivité où l’adresse inconsciente du symptôme est un élément déterminant. On peut donc revendiquer l’existence d’un diagnostic qui ne serait pas psychiatrique mais bien psychopathologique.
Canal Psy : Cet ouvrage, en fonction même de ses contraintes formelles, vous donne-t-il, au final, de nouvelles perceptions des questions explorées ?
Jean Ménéchal : L’intérêt de ce travail de synthèse, c’est de préciser un certain nombre d’éléments sur ce qu’il est possible de dire maintenant sur la place respective des différentes théories et leurs échanges en questionnant systématiquement leurs apports à la psychopathologie. Cet ouvrage m’aura permis de préciser plus nettement les lieux où l’actualisation de la pensée freudienne est possible, nécessaire et d’ailleurs déjà largement engagée.
Canal Psy : À ce propos, comment vous situez-vous relativement à D. Widlöcher ?
Jean Ménéchal : Je rappelle, dans mon livre, que D. Widlöcher a proposé un pontage entre la psychanalyse et les acquisitions nouvelles en neurobiologie et cognisciences. Pour lui, l’approche psychanalytique de la psychose devrait être actualisée. Elle devrait emprunter la direction indiquée par Freud dans son « Esquisse d’une psychologie scientifique » et s’engager dans une « neuropsychologie de la psychanalyse ». Pour ma part, je pense que les deux principales théories « concurrentes » de la psychanalyse – l’approche biologique et l’approche comportementale – n’offrent qu’un éclairage très partiel de l’activité psychique. En revanche, la mise en discussion de leurs avancées avec la théorie freudienne de l’inconscient s’avère potentiellement fructueuse. Elle éclaire notamment certains aspects de la clinique des psychoses qui était restés en travail et en devenir dans l’œuvre freudienne.
